Vos questions sont très nombreuses, et je vais essayer de répondre à la majorité d'entre elles. Néanmoins je ne suis pas membre de l'Arcom, puisqu'il vous revient d'en décider. Je ne me permettrai donc pas de donner un avis sur certains sujets très techniques, n'en ayant au demeurant pas les compétences. En outre, s'agissant des solutions à mettre en œuvre ou des moyens, je pense qu'il n'existe pas de réponses simples. Aussi m'attacherai-je surtout à vous expliquer la philosophie qui guiderait mon action si je rejoignais l'Arcom.
Le service public de communication audiovisuelle me semble profondément nécessaire pour faire vivre la démocratie et prendre en compte les enjeux de cohésion sociale. La diversité socioprofessionnelle est moins représentée dans nos fictions que dans les fictions anglaises, par exemple : cela pourrait appeler une réflexion. Le service public propose toutefois des documentaires de qualité, qui ouvrent sur le monde. Les propositions de contenus sont également très riches à la radio. Les différents partis peuvent s'exprimer et débattre, dans le respect du pluralisme.
Il est essentiel de conserver un service public fort, et je me permets à ce sujet de vous rappeler que le service public allemand est beaucoup mieux financé que le service public français.
Les jeunes, et plus largement les moins de 50 ans, ne regardent plus les programmes en s'asseyant devant le poste de télévision familial : ils privilégient des modes de consommation numériques. Le service public, qui a face à lui des sociétés mondialisées extrêmement puissantes, comme Netflix, Amazon ou Disney, doit avoir les moyens de développer sa propre offre. Il est en effet le seul à pouvoir proposer des contenus qui ne soient pas uniquement dictés par les audiences. Certaines émissions du service public ne sont pas regardées par un public très large, mais elles permettent d'aborder des sujets parfois difficiles et ne doivent pas être sacrifiées.
La question du financement de l'audiovisuel public, très technique, requiert des connaissances juridiques et fiscales. La contribution à l'audiovisuel public (CAP) a été supprimée, probablement en raison de l'inflation et de son inadéquation avec les nouveaux modes de consommation – aujourd'hui, les familles disposent en moyenne de six écrans.
Le financement du service public ne doit pas baisser, compte tenu des enjeux que posent la concurrence, mais aussi le pluralisme et la démocratie. Nous devons en particulier conserver les objectifs de représentation de toute la société française et de parité, laquelle va en s'améliorant sans toutefois être pleinement respectée. En ce qui concerne la diversité, les dernières études montrent une légère régression. Nous devons pourtant veiller à représenter toutes les catégories socioprofessionnelles et toutes les origines, afin de préserver le lien social.
L'éducation à l'image constitue également un sujet majeur, car le jeune public est de plus en plus exposé aux réseaux sociaux. Il faut lui apprendre à accéder à une information fiable et à éviter les manipulations émanant entre autres de sites pornographiques. L'Arcom doit s'emparer de toutes ces questions sociétales, mener des études, engager des réflexions avec l'ensemble des acteurs de la communication audiovisuelle, les sensibiliser et leur rappeler leurs responsabilités.
S'agissant de la durée des COM, j'ai peut-être une vision un peu simpliste, mais je pense qu'elle doit être alignée sur les mandats des présidents, qui, ainsi au fait de la trajectoire à respecter, peuvent se présenter en toute connaissance de cause. À l'issue d'un mandat, une année pourrait éventuellement être laissée pour tirer les enseignements de la période précédente et préparer la période suivante, mais mon sentiment est qu'un alignement serait souhaitable.
Par ailleurs, il ne faudrait pas que le COM soit modifié en cours de période, car la mise en œuvre de stratégies audiovisuelles et la création de programmes prennent du temps. Pour atteindre les objectifs fixés, il faut en tenir en compte et disposer d'une certaine stabilité.
Pour moi, un service public fort doit être un service public agile. L'association de ces deux termes peut vous paraître surprenante, mais, compte tenu de la rapidité d'évolution du secteur, il faut pouvoir s'adapter en permanence. Nous vivons dans un univers mondialisé, où les changements sont à la fois très profonds et très rapides, que ce soit en termes de modes de consommation, de technologies ou d'apparition d'entreprises nouvelles.
Certains influenceurs adoptent des pratiques abusives en matière de recommandations commerciales et manipulent le public. Je ne sais pas si nous devons privilégier la régulation, la réglementation ou l'incitation, mais les différents opérateurs doivent assumer leurs responsabilités. Nous devons activement mobiliser tous les acteurs des réseaux sociaux, leur rappeler leurs responsabilités au sein de nos sociétés démocratiques, pluralistes et respectueuses de la personne. La difficulté est que nous avons parfois affaire à des entreprises mondiales, américaines ou chinoises, et que nous ne disposons pas toujours des outils permettant de leur imposer des obligations. Il faut cependant essayer de travailler avec eux, peut-être en développant des initiatives européennes.
Les questions relatives à la concentration dans le champ audiovisuel relèvent pour une part de l'Autorité de la concurrence et pour l'autre de l'Arcom. Les critères quantitatifs ne sont pas figés ; ils doivent s'adapter à l'évolution du secteur et à l'état du monde audiovisuel et de la communication. Pour ce qui est de la prise en compte de critères qualitatifs, il faut y regarder de près. Il doivent être pertinents. Il faut aussi se demander quel rôle ils peuvent jouer dans la régulation, étant entendu que nous sommes dans un pays où règne la liberté d'expression ; et s'il importe de la préserver, elle s'arrête, comme toute liberté, là où commence celle des autres. Il me semble important de rappeler aux diffuseurs privés qu'une fréquence leur a été attribuée sur la base d'un projet et que cela leur donne des responsabilités en matière de pluralisme, de lien social et de débat démocratique.
Les dérives que vous avez mentionnées doivent-elles conduire à des sanctions légales ? C'est au législateur d'en décider. Pour la prolongation de l'attribution de fréquences – ce qui sera le cas en 2025 pour C8 et CNews –, il me semble nécessaire que l'Arcom rappelle les nécessités du bon fonctionnement de notre démocratie et ce que cela implique en matière d'utilisation des canaux de communication et d'émissions proposées au public. Nous avons tous le devoir de faire vivre notre démocratie en essayant de renforcer la cohésion sociale plutôt qu'en créant des tensions, ainsi qu'en veillant à laisser s'exprimer la contradiction, afin que chacun puisse se forger sa propre opinion, en son âme et conscience, et en ayant eu accès à l'ensemble des informations disponibles. Ce sont là des exigences incontournables pour obtenir une fréquence.
J'en viens à la question de l'indépendance de la production. Selon la définition légale, un producteur indépendant est un producteur qui n'a pas de lien capitalistique avec un diffuseur. Selon moi, l'indépendance réside aussi dans la capacité à proposer des œuvres qui ne se contentent pas de répondre à la demande d'un éditeur de services. Il importe de partir de la création, et non du besoin de remplir des cases prédéfinies.
Cela soulève le problème de l'intégration verticale dans le secteur audiovisuel – par exemple avec TF1 et Newen Studios ou France Télévisions et France.tv Studio. Est-ce une bonne chose ? La question vaut aussi pour les médias dans leur ensemble. Certains acteurs ont investi à la fois dans la presse écrite, dans la radio, dans la diffusion et dans les plateformes. Il faudrait pouvoir prendre en considération l'ensemble de ces investissements et la place prépondérante que de tels acteurs occupent dans le secteur de la communication pour s'interroger sur les éventuelles limites à poser en matière de concentration. Il convient de préserver le pluralisme et l'honnêteté de la communication dans l'ensemble des supports disponibles, de sorte que le citoyen ait accès à des points de vue différents sur les questions de société et sur le monde, et qu'il puisse ainsi se forger sa propre opinion.
La question de la francophonie, aujourd'hui sous-évaluée, m'importe particulièrement. Le français est une langue qui relie entre elles des populations aux histoires très différentes. Ayant récemment développé un projet avec le Québec et produit une série au Burkina Faso, j'ai observé le développement très rapide d'un sentiment antifrançais en Afrique francophone. Pourtant, malgré tout ce qui se passe sur place – l'ambassade de France attaquée, les instituts français dévastés –, les personnalités de la société et de la culture burkinabè font montre d'un appétit de partage des cultures et de transmission. Le lien est profond. Il y a un travail important à fournir en la matière, et nous devrions être davantage à l'écoute d'un français qui est différent du nôtre. Qu'il s'agisse des producteurs québécois ou de ceux que j'ai rencontrés au Burkina Faso et au Sénégal, les réactions furent les mêmes : « Vous considérez que vous parlez le seul français légitime », m'ont-ils dit. Celui qu'ils utilisent prend peut-être une autre forme que le nôtre mais les deux proviennent d'une base commune. Les pays francophones attendent que nous leur accordions une place. C'est un enjeu important pour le monde actuel.