J'ai déposé ma candidature au poste de conseillère de l'Arcom en novembre 2022, alors que je terminais une production en Afrique, au Burkina Faso. Le contraste était donc assez amusant ! Je suis très honorée de me présenter devant vous et je suis très reconnaissante à Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationale, d'avoir placé sa confiance dans une personne dont l'expérience vient du terrain.
En tant que productrice – la production est en effet le cœur de mon métier –, je dois faire en sorte que l'imaginaire d'un auteur puisse devenir une œuvre destinée à un public. Créer une série peut prendre quatre ou cinq ans. Ces projets au long cours, centrés sur la création, demandent un investissement quotidien. Il est passionnant, mais nécessite d'acquérir rapidement des compétences dans les domaines juridique, économique ou même artistique. De fait, la production de séries est assez récente en France, où nous avions plutôt l'habitude de formats unitaires : les modes d'écriture, notamment, sont différents. En dialoguant avec les diffuseurs, j'ai également essayé de mieux comprendre leurs choix et leurs attentes. Mon rôle est de trouver comment dépasser les contraintes techniques, économiques ou juridiques – qui existent dans toutes les activités – pour les mettre au service de la création. Je l'ai exercé dans des structures indépendantes, parfois des très petites entreprises (TPE). J'ai créé trois sociétés, à différents moments de ma carrière.
J'ai enrichi mes compétences grâce à toutes les discussions que j'ai pu avoir avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), les organismes de financement, les artistes ou les éditeurs de services. Occuper une place pivot permet d'aborder l'ensemble des questions liées à la création.
J'ai également eu l'occasion de travailler chez des éditeurs de services, en l'occurrence France 2 et M6.
Par ailleurs, je me suis toujours investie dans des actions collectives, au sein du syndicat des producteurs indépendants (SPI) et ponctuellement de l'Union syndicale de la production audiovisuelle (Uspa) ou au sein d'associations comme Série Series. Cette dernière a créé un festival européen, puis un festival africain. J'ai aussi participé à des commissions de sélection, où l'on a le privilège d'échanger avec des pairs sur les projets qu'il est important de soutenir et sur les moyens offerts par les financements publics, en particulier ceux du CNC, pour accroître la diversité des œuvres diffusées par les chaînes.
Je n'ai pas encore évoqué mes expériences dans de grands groupes, comme Ellipse & Alya, qui était à l'époque une filiale de Canal+, ou plus récemment Endemol Shine. Elles m'ont permis de rencontrer d'autres producteurs, de découvrir de nouvelles manières de travailler et d'être plus sensible à un environnement international. Chez Endemol Shine, nous avions des réunions régulières à Londres, avec tous les producteurs européens. Elles étaient l'occasion de confronter nos différentes approches du métier et nos regards sur les contenus. Les groupes disposent en outre de fonctions support, ce qui permet d'échanger avec des personnes de services juridique ou financier et d'enrichir ainsi ses compétences.
J'ai travaillé chez un diffuseur privé et chez un diffuseur public. J'y ai vécu des expériences différentes, mais tout aussi passionnantes.
Les diffuseurs reçoivent énormément de projets, qu'ils doivent choisir en fonction de leurs objectifs. Pour les chaînes privées comme M6, qui sont financées par la publicité, l'enjeu est de maximiser l'audience. Il faut donc essayer de trouver les programmes susceptibles de répondre au mieux aux attentes des différents publics. Il n'y a pas de science exacte dans ce domaine, et les résultats attendus ne sont pas toujours au rendez-vous !
Le service public doit satisfaire à d'autres exigences qui sont inhérentes à ses missions, comme préserver la cohésion sociale, protéger le jeune public, prendre en compte sa diversité ou, sans être antinomique avec la distraction, participer à son éducation. En tant que directrice de l'unité jeunesse à France 2, je me souviens que nous avions essayé de proposer une émission pour les adolescents le mercredi après-midi. Elle était animée par des jeunes et abordait des sujets qui étaient propres à la jeunesse. Elle n'a pas duré très longtemps, mais cette expérience était très intéressante.
Mme la rapporteure a résumé les grandes lignes de mon parcours professionnel, mais, comme je viens du monde de la création, je voudrais aussi vous parler de trois projets que j'ai produits. Je considère en effet que, par sa capacité à proposer des points de vue très différents sur le monde et à représenter toute la diversité de la société française, la communication audiovisuelle est très importante pour le fonctionnement de notre démocratie et pour la cohésion sociale.
Le projet le plus ancien est le film La Petite Prairie aux bouleaux de Marceline Loridan-Ivens. Il s'agit d'une fiction autobiographique, qui raconte l'histoire d'une femme, déportée à 16 ans au camp de Birkenau, qui y revient quarante ans plus tard pour se confronter à sa mémoire et qui y rencontre un jeune Allemand, petit-fils de nazi. Cette expérience a été très riche émotionnellement. Exceptionnellement, nous avons eu l'autorisation de tourner dans le camp, ce qui était habituellement interdit pour des œuvres de fiction – et ce qui d'ailleurs n'était pas très facile –, et nous avons travaillé avec une équipe composée d'Allemands, de Polonais et de Français, chacun ayant son regard sur l'histoire, selon son éducation. Je ne sais pas si vous connaissez Marceline Loridan-Ivens, mais c'était une personnalité incroyable. Autour d'elle, nous avons réussi à créer un lien entre les techniciens et à comprendre – ce qui était le sujet du film – comment dépasser cette période très sombre de l'Europe.
La Journée de la jupe a mis quatre ans pour exister, car personne ne voulait de ce projet au départ. Nous avons fait un casting de jeunes dans les banlieues autour de Paris, en nous rendant dans les centres culturels et les associations. Isabelle Adjani a accepté de jouer avec ces comédiens non professionnels et d'incarner le rôle d'une professeure de collège qui, thème un peu tordu, prend ses élèves en otage pour leur faire cours comme elle le souhaite. Même si cela paraît incroyable, Isabelle Adjani était quelqu'un de totalement inconnu pour ces jeunes. Dès la première scène, ils ont néanmoins reconnu son talent. Dans le film, elle évoque l'histoire de leurs parents, qui sont venus en France en pensant que la réussite était possible, et ils se sont tous mis à pleurer. Ce moment était très fort, parce qu'elle avait réussi à dépasser la fiction et à leur faire exprimer des sentiments qu'ils avaient en eux, mais dont ils n'avaient pas vraiment conscience. Le dernier jour de tournage, les filles, qui étaient toujours en jogging et en sweatshirt, sont venues en jupe. Nous en étions très fiers, car il ne fut pas facile de la leur faire accepter.
Lorsque nous avons présenté le film, nous avons reçu un accueil exceptionnel. Il a suscité beaucoup d'enthousiasme, mais il a aussi soulevé des questions et ouvert des discussions. La création permet cette liberté d'expression. Nous devons la protéger, car elle fait profondément partie de notre démocratie.
Pour finir, j'évoquerais la série Guyane, que j'ai produite pour Canal+. En deux saisons de huit épisodes de cinquante-deux minutes, elle a été l'occasion de découvrir un territoire qui fait partie de notre pays, mais qui est mal connu et confronté à des problèmes très spécifiques. Sa population est extrêmement variée puisqu'il accueille à la fois des Amérindiens, des Créoles, des Hmong, des descendants de bagnards et les ingénieurs de Kourou. Nous savions qu'il y avait très peu de professionnels localement. Le tournage d'une série supposant de rester six mois sur place, nous avions le temps d'identifier des personnes intéressées et de leur faire découvrir nos métiers. Après deux saisons, nous avons pu créer un socle de compétences permettant au secteur de l'audiovisuel guyanais de se développer. Aujourd'hui, il propose des miniséries pour Arte, des fictions pour France 3 ou des documentaires.
Les trois projets que j'ai évoqués ne furent pas les plus simples, mais j'ai choisi d'en parler parce qu'ils incarnent, à mes yeux, le rôle que peut jouer la création.
Ma dernière production est une série à la fois française, burkinabè et sénégalaise, tournée au Burkina Faso au moment du coup d'État. Le contexte était compliqué, mais j'avais essayé de développer ce projet depuis quatre ans. La francophonie nous réunit. Nous devons confronter nos cultures et nos regards, car de cette diversité naît la plus grande richesse. Je connais un peu le Burkina Faso, d'ailleurs, pour assister à des festivals comme le Fespaco, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, et je sais qu'il compte beaucoup de talents.
Mon parcours s'est enrichi par mon investissement en faveur du développement du secteur audiovisuel et de la défense de l'intérêt collectif, au sein de syndicats, d'associations ou de commissions, que ce soit en Languedoc-Roussillon ou en Île-de-France. J'ai également été experte pour les états généraux de de la production en outre-mer et j'ai siégé à la Procirep, la Société des producteurs de cinéma et de télévision.
Toutes ces expériences témoignent de mon intérêt pour la diversité du secteur et de ma volonté d'en comprendre toujours mieux le fonctionnement pour en préserver les grands équilibres. C'est pourquoi je serais ravie que vous acceptiez que je devienne conseillère à l'Arcom. J'espère pouvoir y apporter des compétences qui viennent du terrain et mon goût de la collégialité, laquelle permet souvent, en associant des compétences diverses, de faire émerger des solutions nuancées, susceptibles de prendre en compte les enjeux d'un monde de plus en plus complexe et en perpétuelle mutation.