La séance est ouverte à onze heures quinze.
Mes chers collègues, en préambule, je voudrais excuser le Président Thomas Gassilloud qui, en raison d'un léger accident, ne peut être parmi nous aujourd'hui. Mais il devrait être de retour dès la semaine prochaine.
Nous éprouvons beaucoup de plaisir à recevoir Monsieur l'ambassadeur Philippe Étienne, en sa qualité de président du groupement d'intérêt public (Gip) « Mission du 80e anniversaire des débarquements, de la Libération de la France et de la Victoire ». Monsieur Étienne, vous avez été nommé à cette fonction en juillet 2023, après un parcours brillant et exemplaire. Ancien élève de l'École normale supérieure et de l'École nationale d'administration, agrégé de mathématiques, vous avez été élevé à la dignité d'Ambassadeur de France et avez occupé les postes les plus prestigieux de la carrière. À Bruxelles, vous assuriez les fonctions de Représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, mais vous avez été également ambassadeur à Washington et à Berlin. En mai 2017, vous avez rejoint la présidence de la République comme conseiller diplomatique d'Emmanuel Macron et sherpa G7 et G20.
Je salue également votre directeur général, le général Michel Delion, bien connu de notre commission, que nous avions auditionné dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, alors qu'il pilotait le groupe de travail sur les réserves.
L'année 2024 sera une année très importante en matière mémorielle, marquée en particulier par la célébration du 80e anniversaire du débarquement et la Libération. Victor Hugo appelait déjà en son temps à « allumer les grandes dates comme on allume des flambeaux ». Tel est en quelque sorte l'objectif de votre mission Libération, qui est notamment chargée d'organiser et de promouvoir les cérémonies et de valoriser les actions locales et les thématiques mises en avant à l'occasion de cet anniversaire. Vous nous expliquerez sa structure et ses moyens d'action. J'ai d'ailleurs noté que le groupement est doté d'un conseil scientifique et d'orientation composé d'une vingtaine de membres, tous chercheurs ou historiens spécialistes de la seconde guerre mondiale.
Votre feuille de route est vaste, puisqu'elle ne se limite pas aux cérémonies du 6 juin, mais comportera en 2024 les deux débarquements de Normandie et de Provence, la libération de Paris et de Strasbourg, l'engagement de la résistance dans les combats, ainsi que de nombreux autres événements sur l'ensemble du territoire. Près de 2 000 projets commémoratifs ont été répertoriés partout en France. Pouvez-vous nous le confirmer ?
Nous sommes en train d'achever un cycle consacré à la défense globale. En conséquence, nous serons particulièrement intéressés de voir comment vous envisagez de faire de cette date anniversaire une occasion pour les citoyens de tous âges de se remémorer ce qui les unit, à l'heure où certains sont tentés de délaisser les cérémonies.
La résilience nationale passe d'abord par la fidélité et le respect dû à nos anciens. Cependant, le nombre de grands témoins diminue inexorablement. Vous nous direz certainement quelles actions vous mettez en place pour intégrer les associations d'anciens combattants à cet anniversaire. Peut-être pourriez-vous également revenir sur les enjeux relatifs à la collecte d'archives menée par le Gip et qui devrait donner lieu à une numérisation afin de préparer la mémoire de demain ? Vous nous direz enfin quelles actions spécifiques à destination de la jeunesse sont envisagées afin de développer notre esprit de défense. Je sais que beaucoup de députés membres de la commission sont très attachés au dispositif des classes de défense. J'en fais partie et j'ai pu en mesurer l'efficacité dans mon département de Seine-et-Marne.
Enfin, avant de vous passer la parole, le président Thomas Gassilloud m'a demandé d'informer les membres de notre commission que seront publiés sur le compte X (ex Twitter) de la commission, à partir d'aujourd'hui et à raison de trois fois par semaine, de courts portraits de députés ayant participé aux combats de la Libération ou aux actions de la Résistance et qui, pour la plupart, ont siégé dans notre commission de défense. L'idée consiste, pour la commission, à participer ainsi à la commémoration de la Libération. Les peuples qui ont la mémoire la plus longue sont aussi ceux qui ont l'avenir le plus long.
C'est un grand honneur pour nous de venir vous parler de notre travail, en particulier ces jours-ci, et d'essayer de contribuer à votre réflexion sur la défense globale et sur le travail de mémoire comme contribution à l'esprit de défense.
L'année 2024 est effectivement une année particulièrement dense pour notre pays, avec ces commémorations, mais également avec d'autres grands événements, à commencer par les Jeux olympiques et paralympiques. De plus, l'actualité nous conduit à mener une réflexion en matière de défense, avec le retour de la guerre de haute intensité sur notre continent. Notre mission a d'abord été constituée pour préparer des commémorations, mais elle est aussi chargée de contribuer à un travail de mémoire intégrant un lien très fort avec les anciens combattants et la jeunesse.
Nous sommes un groupement d'intérêt public, une structure interministérielle, avec un chef de filat assuré par le ministère des armées et le secrétariat d'État aux anciens combattants et à la mémoire. Le Gip est composé de quatre membres fondateurs : l'État, à travers huit ministères ; l'Office national des combattants et des victimes de guerre (ONACVG) ; la Caisse des dépôts et consignations et l'Ordre de la Libération. Nous avons, depuis notre création, reçu l'apport de vingt membres adhérents, qui sont des collectivités territoriales principalement intéressées, des fondations et des associations du monde combattant et de la mémoire. Depuis le lancement de notre Gip, nous avons pu constater l'existence d'une vaste mobilisation. À chaque fois que nous avons proposé une action à tel ou tel interlocuteur, l'accueil a toujours été particulièrement positif.
Monsieur le président, comme vous l'avez indiqué, j'ai été ambassadeur de France en Allemagne. À cette occasion, j'ai eu la grande émotion de rencontrer les derniers survivants de camps de concentration comme Sachsenhausen ou Buchenwald, mais également d'accueillir Robert Hébras, qui nous a quittés récemment. Il était le dernier survivant du massacre d'Oradour-sur-Glane et avait engagé un travail de réconciliation absolument admirable avec l'Allemagne.
J'ai également été ambassadeur de France aux États-Unis, où j'ai eu l'immense honneur de rencontrer les derniers vétérans. J'en ai d'ailleurs décoré certains de la Légion d'honneur. Ce fut de grands moments d'émotion, à la fois parce qu'il s'agit de héros, à qui nous devons la liberté de notre pays, notre liberté ; mais aussi en raison de la personnalité de ces combattants, qui font tous preuve d'une très grande modestie.
Je ne suis que le président non exécutif de cette mission, qui est dirigée par le général de corps d'armée (2S) Michel Delion. J'ajoute que le préfet Fabien Sudry, directeur général délégué, qui ne peut pas être aujourd'hui avec nous, joue également un rôle de direction extrêmement important. Nous sommes entourés d'une équipe de dix-huit personnes, dont six mises à disposition par les ministères (armées, culture, éducation, affaires étrangères, intérieur), six contractuels et six réservistes des armées. Nous sommes également dotés d'un conseil scientifique présidé par Denis Peschanski, un très grand spécialiste de la Résistance, et dont la vice-présidence est assurée par Claire Andrieu, également une très grande historienne de la période. Ce conseil comporte des historiens, mais aussi des responsables de mémoriaux, de centres de mémoire. Il joue un rôle absolument fondamental dans la préparation de ces commémorations.
Au-delà des partenaires que j'ai déjà mentionnés, nous avons été rejoints dans notre mission par d'autres, qui ont souhaité s'y associer, y compris dans le monde économique et culturel, par exemple. J'ai été ainsi été amené à rendre visite à l'administrateur général de la Comédie française ou au directeur général de l'Opéra de Paris. Nous avons approché des grandes entreprises qui ont accepté de nous soutenir, notamment par le mécénat. Ensuite, nous continuons à bénéficier fortement de l'aide de la direction de la mémoire, la culture et des archives du ministère des armées, de l'ONACVG et de toutes les autres structures dont j'ai parlé.
Nous menons un travail d'organisation des commémorations majeures, en particulier celles présidées par le Président de la République, mais aussi de valorisation des initiatives locales pour faire de ce cycle commémoratif un temps fort pour notre pays. Enfin, nous avons voulu lancer des actions qui permettent d'intégrer tous nos concitoyens, en particulier les plus jeunes, en leur permettant de s'associer aux événements, mais aussi en leur permettant de contribuer activement, de s'impliquer dans ce programme mémorial avec leurs propres propositions. Ce dernier volet fait notamment l'objet d'un message vidéo qui a été diffusé en février par le Président de la République, qui proposait un certain nombre d'actions.
Au début de notre action, nous avons pu nous appuyer sur quatre directives : une directive du Premier ministre aux ministres et son programme « 80e anniversaire » ; une directive diplomatique pour que toutes nos ambassades contribuent ; une directive préfectorale qui a conduit chaque préfet de chaque département à mettre en place un comité de la Libération ; et une directive académique où chaque recteur a mobilisé les écoles et deux de son ressort, à travers un comité académique. Naturellement, nous travaillons sous l'égide du ministère des armées, mais aussi des services du Premier ministre et de la présidence de la République, notamment l'état-major particulier et le conseiller mémoire.
Permettez-moi à présent d'en venir au travail de transmission de la mémoire, thème qui est directement lié à la réflexion de votre commission, à travers deux dimensions : la notion d'incarnation et la notion d'appropriation. L'objectif de l'incarnation de la transmission de la mémoire consiste à faire en sorte que l'ensemble de nos concitoyens puissent avoir une expérience aussi directe que possible de cette mémoire, précisément incarnée par les derniers vétérans vivants.
Il s'agit en effet du dernier anniversaire décennal où nous avons la chance d'accueillir plusieurs centaines de vétérans et d'anciens combattants sur nos plages en Normandie. Il s'agit là d'un moment charnière, d'un moment de bascule ; nous passerons ensuite de la mémoire vivante à la mémoire historique. Leur présence nous confère une responsabilité majeure dans leur valorisation, notamment vis-à-vis de notre jeunesse. La cérémonie internationale d'Omaha Beach, le 6 juin, mettra à l'honneur une centaine de vétérans venant essentiellement des États-Unis, mais aussi du Royaume-Uni et du Canada. Y participeront également une vingtaine de Français. Le même jour aura lieu une cérémonie britannique, ainsi qu'une cérémonie américaine au mémorial de Ver-sur-Mer et au cimetière américain de Normandie, à Colleville-sur-Mer.
Au-delà de cette présence, qui constitue selon moi l'élément central et structurant cette année, l'incarnation passe également par des témoins, qui sont parfois des Françaises et des Français qui ont vécu très jeunes la Libération et qui sont encore avec nous. Notre mission a ainsi souhaité recueillir le témoignage des enfants de la guerre, à travers un grand appel à témoins, qui prend ensuite la forme d'une série d'interviews qui sont publiés sur le site de la mission, en partenariat avec Radio France. Ces entretiens, qui reposent sur une dimension participative, permettent de donner la parole à ceux qui ont vécu cette période quand ils étaient enfants. Ils incarnent des moments de la vie de nos concitoyens sous l'Occupation, à la fin de l'Occupation et pendant la Libération.
L'incarnation passe également par un appel à collecte. Vous savez que la mission du centenaire de la Grande Guerre avait lancé une grande collecte, dont nous nous sommes inspirés, dans une moindre échelle. Nous avons ainsi lancé un appel à collecte pour que la mémoire intime rejoigne la mémoire nationale et que nous ne perdions pas dans la mémoire collective le bénéfice de certaines archives personnelles ou familiales qui risqueraient de disparaître. Nous pensons en particulier à des carnets, des journaux intimes, des photos et des films ou des lettres, des documents. Nous travaillons à ce titre avec les archives nationales et départementales et le ministère de la culture. Ce travail prend du temps, mais il est essentiel pour l'avenir et faire en sorte que cette mémoire ne soit pas perdue.
Nous devons également développer de nouveaux instruments, sous forme de livres, de contenus artistiques, mais aussi numériques. À titre d'exemple, nous travaillons avec Iconem, une entreprise technologique spécialisée en numérisation 3D de sites patrimoniaux ; ou encore l'entreprise Histovery. Grâce un partenariat avec l'entreprise américaine Microsoft, Iconem est en train de reconstituer les débarquements de Normandie et de Provence. Ces produits seront libres de droit et pourront être légués aux écoles ou à tous les publics qui peuvent aussi s'en prévaloir.
Ensuite, l'appropriation de la mémoire, notamment par nos jeunes, est également extrêmement importante. Nous avons donc développé un système de labellisation, à partir du logo que nous avons créé pour ce 80e anniversaire. Munis de ce logo, nous avons demandé aux préfets et aux recteurs, à travers les comités déjà mentionnés, de lancer des appels à projets. Nous l'avons également fait au niveau national et, depuis plusieurs mois, plusieurs milliers de projets ont été labellisés, dont 2 250 au niveau territorial, 750 au niveau académique, plus quelques centaines au niveau national. Il ne s'agit pas forcément de gros projets, mais ils participent à la couverture de l'ensemble de notre pays, car tout notre pays a été libéré. Ils participent également à la volonté d'associer tous les publics, dont les jeunes publics, à ce programme mémoriel. Le succès de cette labellisation témoigne d'un véritable engouement de nos concitoyens pour ces commémorations et de leur volonté de se les approprier. Notre programme mémoriel concernera ainsi non seulement l'année 2024, mais aussi l'année 2025 et notamment la date historique du 8 mai.
Un autre instrument d'appropriation concerne la participation des citoyens et de la jeunesse aux cérémonies. Je suis frappé du grand nombre de courriers que nous recevons afin que des Françaises et des Français puissent assister aux cérémonies. Il n'est pas aisé de satisfaire tout le monde, d'autant moins que nous devons respecter des règles de sécurité strictes, compte tenu de la présence de chefs d'État. Cependant, nous avons réservé un nombre de places pour les scolaires, mais aussi pour le grand public. À Omaha Beach par exemple, nous accueillerons des élèves français, américains, britanniques et d'autres pays. Nous avons déjà agi de la sorte lors de la commémoration que nous avons organisée le 12 avril à Vassieux-en-Vercors, date de l'attaque de la Milice contre le maquis du Vercors en 1942. À ce sujet, les classes de défense jouent un rôle tout à fait majeur dans notre programme, au même titre que les journées défense et mémoire (JDM), les journées défense et citoyenneté (JDC) et le dispositif « Aux sports jeunes citoyens ! », soit autant de dispositifs que la direction du service national et de la jeunesse nous a permis d'inclure dans notre programme mémorial.
La participation de la jeunesse passe également par les fondations et nos partenaires, comme l'Union des blessés de la face et de la tête, Le Souvenir Français et la fondation Maginot, qui nous aident beaucoup et sont très sensibles à cette action de transmission vers la jeunesse. Nous nous associons également à des initiatives existantes comme le concours national de la Résistance et la Fondation de la Résistance. Ces différents partenariats participent à l'appropriation par les jeunes et les scolaires. De même, en compagnie de la Comédie française et d'une association dirigée vers les jeunes publics, nous consacrerons un programme à la Libération.
Le conseil scientifique et d'orientation est également très important pour cette dimension d'appropriation. Nous avons rencontré aussi la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, car il est nécessaire de parler de la transmission de la mémoire et de l'appropriation par les dispositifs de recherche et d'enseignement supérieur. Le conseil scientifique et d'orientation nous permet également de toucher le grand public, à travers quatre grands colloques, sur quatre thématiques : « L'histoire militaire de la Libération », « Femmes de la Résistance, de la Libération à l'accession au droit de vote » - puisque nous avons récemment célébré le 80e anniversaire de la décision accordant enfin le droit de vote aux femmes –, « Retour, reconstruction, résilience » et « Mémoire et mémorialisation ». Nous sommes également en rapport avec l'Institut de France et différentes académies.
En conclusion, ce travail de mémoire doit contribuer au renforcement de la cohésion nationale et à la diffusion de l'esprit de défense. Selon moi, sous votre contrôle et celui du général Delion, il est évident que l'esprit de défense largement répandu dans la population suppose cette conscience de cette histoire et du prix chèrement payé par des générations précédentes pour défendre nos valeurs fondamentales, notre liberté et retrouver notre démocratie. Le 7 juin, nous serons à Bayeux avec le Président de la République, où le général de Gaulle, à son retour en France, a tenu un célèbre discours sur le retour de l'ordre républicain.
Cette conscience des sacrifices du passé dans le but de défendre nos valeurs fondamentales est essentielle pour l'enracinement de l'esprit de défense. Nous avons donc le sentiment de contribuer par ce programme à l'esprit de défense, mais il ne suffit pas d'organiser des commémorations. Ce programme mémoriel doit laisser un héritage, car associer la jeunesse sera encore plus essentiel quand il n'y aura plus de survivants. À travers les lieux de mémoire et tous les instruments que nous essayons de développer, nous souhaitons contribuer en 2024 et 2025 à ce travail de mémoire primordial pour notre esprit de défense, l'aider à se développer, en phase avec son temps.
Parmi nos partenaires figurent bien sûr des associations d'élus, notamment Régions de France. Avec les maires et les ministres en charge des collectivités territoriales, nous allons mener un effort pour donner le nom de ces héros qui nous ont libérés à nos rues, nos places, nos avenues. Par ailleurs, nous avons participé en avril à l'inauguration des « Terrasses Rose Valland » au jardin des Tuileries, en hommage à cette conservatrice du Louvre qui a permis de sauver les collections du musée spoliées par les nazis, en répertoriant les mouvements d'œuvres dérobées en France à destination de l'Allemagne.
Enfin, ce travail de mémoire doit montrer les visages et les noms de ces héros, ces destins individuels, qu'il s'agisse des résistantes et de résistants ayant combattu en France, ou de Français venus d'Angleterre, parfois d'encore plus loin. À Plumelec dans le Morbihan, nous célébrerons ainsi des combattants français venus du Pacifique avec les SAS, ou des grands Alliés qui nous ont libérés. Ces exemples permettent de nourrir l'esprit de défense de nos jeunes, en leur montrant comment d'autres, qui avaient leur âge à cette époque, se sont comportés héroïquement lors de ces événements des années 1944-1945.
Je vous remercie pour ces propos très complets et sur ce rappel du devoir de mémoire qui nous incombe à tous, afin de ne pas oublier le sacrifice de nos pères.
Avant de passer la parole aux orateurs de groupe, je souhaite vous poser deux questions. La première porte sur un sujet qui me tient personnellement à cœur, puisque j'ai commis, en 2009 chez Perrin, une biographie de Claus von Stauffenberg, figure de la résistance allemande. On sait que le 20 juillet 1944, une Allemagne résistante réunie autour de Stauffenberg, Henning von Tresckow, Helmuth James von Moltke ou Julius Leber s'est levée face à l'inacceptable. À un moment où nous avons besoin de faire revivre ce partenariat entre nos deux pays, des commémorations franco-allemandes sont-elles prévues ? Je rappelle qu'une partie de l'opération Walkyrie s'est déroulée en France, puisque la Wehrmacht avait mis pour un jour la SS aux arrêts à Paris.
Ensuite, la labellisation constitue un grand succès dans les territoires, y compris les petites communes. J'ai pu le constater dans la petite ville de Châtelet-en-Brie en Seine-et-Marne, qui a réussi à fédérer cinq communes et obtenir une labellisation, source de grande fierté. Quels ont été vos axes directeurs dans l'attribution de ces labellisations ?
Je répondrai à votre première question, laissant au général Delion le soin de répondre à la seconde. Ayant été ambassadeur en Allemagne, j'ai été évidemment très touché par le souvenir de cette conspiration qui a échoué, mais aussi par d'autres résistants allemands comme la Rose blanche, ces étudiants réunis autour des frères et sœurs Scholl à Munich.
La panthéonisation de Missak Manouchian a constitué un très grand moment dans ce cycle, même si notre mission ne l'a pas organisée. Il est important de souligner la part des résistants étrangers en France, parmi lesquels figuraient des Allemands, dont certains avaient été persécutés dans leur pays. De notre côté, nous avons souhaité, comme pour le centenaire de la Grande Guerre, confier un rôle important à l'Office franco-allemand de la jeunesse, qui participera aux commémorations en Normandie, à Oradour-sur-Glane, et certainement en Alsace. Cette réconciliation, y compris au sein de la jeunesse, doit faire partie de nos commémorations.
La mission a mené une véritable course contre la montre, puisqu'elle a été créée à l'automne dernier, alors même que les programmes scolaires avaient déjà commencé depuis l'été.
Les projets sont labellisés par les préfectures ou par les rectorats. Nous avions produit un guide assez simple, qui a été distribué pour la première fois lors du dernier salon des maires. Ce guide regroupe les critères de labellisation pour des actions qui s'inscrivent dans l'une des thématiques suivantes : l'engagement de la jeunesse et l'action de la Résistance ; la résilience des populations civiles ; la valeur et la solidité des alliances au service d'idéaux communs et, enfin, le retour de la souveraineté républicaine. Ces critères ensuite déclinés au sein des préfectures et des rectorats ont permis de labelliser environ 98 % des projets. Cet engouement sur les différents projets se poursuit, car nous avons relancé les préfectures pour pouvoir poursuivre le cycle de labellisation, en particulier pour les « événements » de la voie de la Liberté. Je rappelle qu'une fois que les plages de Normandie et de Provence avaient été conquises, six mois de combat s'en étaient suivis pour libérer le territoire français, la dernière des villes libérées étant Lorient, le 10 mai 1945.
S'agissant des projets scolaires, les deux grands moments sont la rentrée 2024 et la rentrée 2025, sur laquelle nous travaillons avec nos correspondants de la DGESCO.
J'ajoute que grâce au ministère des armées, aux grandes fondations et aux mécènes, nous allons pouvoir cofinancer certains petits projets de grande qualité.
Certaines collectivités locales prennent également le relais : le département de Seine-et-Marne a par exemple choisi de participer à la totalité des projets labellisés sur son territoire.
Je vous remercie pour cette présentation de votre mission. Vous avez évoqué l'importance de ces commémorations, qui s'inscrivent dans un travail de mémoire plus large, entamé au lendemain de la fin de la deuxième guerre mondiale. Celui-ci a pris un tournant décisif en 1984, lors des célébrations du quarantième anniversaire du débarquement de Normandie, autour d'une mémoire partagée entre toutes les nations.
À l'occasion du 80e anniversaire de libération de la France, des commémorations seront donc organisées sur l'ensemble du territoire, comme vous l'avez détaillé. Vous en êtes le chef d'orchestre, et au nom de mes collègues du groupe Renaissance, je vous remercie pour votre implication personnelle et passionnée.
Les commémorations des débarquements de Normandie et de Provence représenteront des moments clés et, à l'image de celle de 1984, le Président de la République, en créant la mission, a voulu faire de l'ensemble de ces moments de souvenir des événements marquants, à la fois pour les derniers vétérans – malheureusement de moins en moins nombreux – mais aussi pour montrer à toutes les générations, et surtout aux plus jeunes, l'enjeu de perpétuer cette mémoire qui, pour beaucoup, est de plus en plus éloignée de leur quotidien.
Comme l'écrit l'historien Olivier Wieviorka, les commémorations ne sont dorénavant plus axées sur l'idée de victoire, mais sur l'idée de paix, de réconciliation et de construction européenne. Ces cérémonies commémoratives constituent en effet des moments de célébration de valeurs universelles de liberté, de paix et de réconciliation.
Ce travail de mémoire en présence des derniers anciens vétérans, dont beaucoup ont dépassé les 100 ans, est essentiel pour honorer leur sacrifice et plus encore celui de ceux qui sont morts ; et préserver leur témoignage encore vivant de cette grande histoire. Leur présence permettra de donner une dimension encore plus humaine et personnelle à l'événement et de transmettre l'idée que le courage, la résilience et la solidarité demeurent des valeurs fondamentales pour nos démocraties d'aujourd'hui. En écoutant attentivement leurs récits ou leur témoignage parfois lus par des plus jeunes, et en partageant ce moment avec eux, chacun pourra mieux comprendre et apprécier leur contribution à la liberté et la paix et le rôle clé qui a été le leur en 1944. Il était donc important de valoriser et de soutenir ces derniers survivants dans le cadre du travail de mémoire et d'y associer toutes les jeunes générations.
Je vous remercie pour ce témoignage de soutien à notre mission. Je vous remercie aussi d'avoir cité Olivier Wieviorka, membre du conseil scientifique et d'orientation de notre mission. En tant que très grand spécialiste de la deuxième guerre mondiale, il a notamment écrit un livre sur le débarquement en Normandie, avant de publier son récent ouvrage sur la deuxième guerre mondiale.
Vous avez par ailleurs établi un lien entre la jeunesse et les vétérans, y compris dans l'organisation des commémorations, que nous mettrons en lumière la semaine prochaine. Aux États-Unis, j'ai pu me rendre compte à quel point les vétérans faisaient preuve de modestie et à quel point ils appréciaient d'être entourés de jeunes, pour jouer les passeurs de mémoire. Ceux qui ne sont plus parmi nous ont laissé des lettres, parfois des témoignages radiophoniques.
Il est exact que nous pratiquons une course contre la montre pour l'organisation de l'ensemble des événements, mais nous lancerons des innovations à la rentrée prochaine. Les plus jeunes peuvent se sentir de plus en plus déconnectés de cette histoire, comme vous l'avez souligné à raison, ce qui est normal puisque le temps passe. Nous voulons atteindre ces jeunes, au-delà des classes d'histoire et de géographie, dans les lycées professionnels et les lycées agricoles. Nous menons à ce titre un projet avec la DGESCO et Dassault Systèmes pour travailler sur les lycées professionnels avec des instruments technologiques spécifiques.
Nous sommes bien conscients que le centenaire de la deuxième guerre mondiale nous attend dans vingt ans. Il faut qu'à la fin de la mission de la Libération, nous ayons conçu un pont entre les modes de commémoration que nous avons connus jusqu'alors, avec la présence physique des vétérans, et les commémorations de demain. Nous nous efforcerons de travailler cette articulation l'an prochain.
Permettez-moi, au nom du groupe Rassemblement national, de vous souhaiter la bienvenue dans notre commission. En tant que petit-fils de résistant, je tiens à adresser une pensée toute particulière aux résistants français, à qui nous devons beaucoup. Comme l'a rappelé le major-général William Donovan, ils ont transmis de nombreux renseignements utiles lors du débarquement de Normandie.
La semaine dernière, au sein de cette commission, le groupe Rassemblement national a rappelé sa position sur l'Otan. Cependant, nous n'oublions pas qui étaient et sont nos alliés et quel a été le sacrifice des États-Unis et de l'Empire britannique, même si la France a été exclue des préparatifs de l'opération Overlord, raison pour laquelle le général de Gaulle avait refusé de commémorer le débarquement du 6 juin.
Le débarquement du mont Faron, le 15 août 1944, a enfin permis aux troupes françaises de jouer un rôle dans la victoire des Alliés. La France avait pu retrouver son rang. Rien ne dit que de tels épisodes tragiques et guerriers ne se reproduiront plus à l'avenir et que nous ne verrons plus une gigantesque armada comme celle mobilisée le 6 juin. Il est donc de notre devoir de préserver cette mémoire transatlantique, mais également celle de toute l'Europe. C'est la raison pour laquelle la Russie a été invitée, sans les autorités russes, lors des cérémonies de commémoration en Normandie. La seconde guerre mondiale a coûté plus de vingt millions de morts à l'Union soviétique. Ne les oublions pas.
Au-delà des commémorations, un véritable tourisme de la mémoire s'est installé notamment en Normandie, à tel point qu'un parc immersif, au départ nommé « D-Day Land », désormais Normandie Memory, va ouvrir ses portes l'année prochaine. Ce projet suscite des protestations, les anciens combattants estimant inadmissible de réaliser des profits sur la mort de leurs camarades. D'autres jugent déplacé de transformer cette mémoire douloureuse en loisirs et amusements. En effet, avec un tel parc, la limite entre commémoration et loisirs pourrait être trop fine et dénaturer le devoir de mémoire.
Au vu de ces éléments, je souhaiterais vous entendre au sujet des enjeux de cette mémoire. Commémorer les quatre-vingts ans du débarquement en Normandie dans le contexte mondial actuel, marqué par un risque de conflit de haute intensité, n'implique-t-il pas une responsabilité ? Ne pensez-vous pas que D-Day Land risque de gommer les véritables leçons à tirer de cet événement historique ?
Vous avez, à juste titre, souligné le rôle essentiel de la Résistance, que nous avons constamment mis en valeur dans notre programme mémoriel. Je pense ici à la panthéonisation de Missak Manouchian et des résistants d'origine étrangère de l'Affiche rouge, mais j'ai aussi parlé des cérémonies dans le Vercors, sans oublier la commémoration au massif des Glières. En effet, nous sommes très sensibles, dans le programme mémoriel, à l'articulation entre Résistance et débarquement, en Normandie ou en Provence. Au mois d'août, des manifestations nationales seront spécifiquement consacrées au rôle de la Résistance.
Le 5 juin, à Plumelec Saint-Marcel, nous honorerons le rôle des résistants qui ont préparé en Bretagne le débarquement, mais aussi celui des SAS venus d'Angleterre. Ensuite, nous sommes attachés à des lieux comme le mont Faron ou la nécropole de Boulouris. En 1964, pour le vingtième anniversaire du débarquement, le général de Gaulle s'était ainsi concentré sur la Provence plus que sur la Normandie et avait permis d'établir ces lieux de mémoire magnifiques.
Toute l'Europe est concernée et nos historiens font en sorte qu'il n'y ait aucun révisionnisme historique dans notre saison. À ce titre, le rôle du front de l'Est sera rappelé, ainsi que les souffrances des populations civiles de toutes les républiques de l'ex-Union soviétique et l'héroïsme des soldats de l'Armée rouge, qui ont aussi contribué à notre libération.
Je ne peux pas répondre spécifiquement sur le projet Normandie Memory, qui ne fait pas partie de notre programme.
Nous allons effectivement commémorer à Saint-Marcel l'articulation entre les résistants et les troupes qui ont débarqué, dans ce lieu où est tombé le premier soldat français, le caporal Émile Bouétard. Cette histoire a été popularisée par Joseph Kessel dans son ouvrage Le bataillon du ciel. Nous saluerons ceux qui se sont levés, au sein de la Résistance, en l'occurrence bretonne, ceux qui ont rejoint Londres, parfois depuis les outre-mer, car parmi les SAS qui sont tombés au maquis de Saint-Marcel figuraient des Océaniens. Certains sont même tombés dès le début, sans même voir le jour se lever sur le territoire qu'ils rêvaient de libérer.
En Provence, très rapidement après le débarquement de Normandie, la Résistance s'est organisée pour préparer le débarquement. Un grand nombre de résistants ont ainsi été fusillés et leur histoire est restée très présente dans la mémoire provençale. Il est également essentiel de souligner que certaines grandes villes se sont libérées par elles-mêmes, grâce à l'action de la Résistance. Je pense notamment à la ville de Nice.
Je vous remercie messieurs, en vos grades et fonctions, pour vos explications fort intéressantes. Je voudrais profiter de cette audition pour parler de mon département, la Dordogne, qui a connu de nombreux de faits de résistance, et notamment saluer la mémoire du résistant Ralph Finkler. Avant-hier, nous avons ainsi pu assister à la projection du film Paroles de résistants, réalisé par M. Jean-Pierre Denis.
Par ailleurs, notre département regroupe onze projets labellisés. Le centre départemental de la mémoire mis en place grâce au soutien du conseil départemental, réalise un travail formidable, notamment grâce aux enfants d'un autre résistant, Roger Ranoux, dit « Hercule ». Je profite donc de cette audition pour remettre à l'honneur tous ces personnages fort importants. Ensuite, le département de la Dordogne s'applique à faire participer nos plus jeunes. Des classes de défense existent dans ce département et de nombreux enseignants se mobilisent.
Je souhaite vous questionner plus particulièrement sur le rôle des femmes, qui ne sont pas toujours suffisamment mises en avant de ce genre de célébrations, alors que leur rôle a également été décisif dans ces heures sombres.
Je vous remercie d'avoir fait resurgir des noms de personnes grâce auxquelles nous sommes libres aujourd'hui ; mais aussi d'avoir évoqué la Dordogne. Le Sud-Ouest représente une partie un peu particulière dans notre programme, dans la mesure où cette région s'est libérée seule. Des commémorations nationales auront lieu à Tulle et Oradour-sur-Glane, villes qui ont souffert d'actes criminels de certaines unités allemandes lors de leur retrait. Je ne connais pas le film que vous avez évoqué, mais nous serions heureux d'en savoir plus pour éventuellement l'intégrer dans notre programme.
Le rôle des femmes constitue évidemment un sujet essentiel dans la compréhension de l'époque à travers la Résistance. J'ai pour ma part décoré une Américaine de 104 ans qui conduisait une jeep autour de Reims et nous travaillons actuellement sur la figure d'une Britannique qui assurait la logistique au large d'Arromanches. Nous avons également labellisé une exposition de l'ambassade des États-Unis en France sur le rôle des femmes dans la guerre.
Je confirme par ailleurs que le conseil scientifique et d'orientation de la mission consacrera son deuxième colloque au rôle des femmes, non seulement dans la Résistance et la Libération, mais aussi dans la reconstruction du pays, le symbole le plus fort étant constitué par l'accession au droit de vote.
Ancien élève de l'École normale supérieure, je vais participer le 18 juin à une manifestation autour de la remise en place d'une plaque boulevard Jourdan en l'honneur des normaliennes qui étaient dans la Résistance. Je pense notamment à la résistante Madeleine Michelis, qui a donné sa vie pour notre pays.
Au mois d'avril, Mme Mirallès s'est rendue dans un petit village de l'Orne, pour une cérémonie organisée avec des enfants. Ils ont planté un « arbre de la Liberté », pour rendre hommage à un réseau de résistants et en particulier une jeune femme qui avait permis l'évacuation en Angleterre d'un pilote qui s'était éjecté au-dessus du village. Les femmes ont joué un rôle extrêmement important pour aider ces pilotes, qui ne parlaient pas français, à passer tous les barrages allemands et leur permettre de rejoindre des zones où ils pouvaient retourner en Grande-Bretagne.
J'ai compris de vos propos que votre Gip a été créé assez tardivement et que vous vous étiez inspiré de la structuration du Gip chargé du centenaire de la Grande Guerre. Dans votre exposé, j'ai d'ailleurs retrouvé tous les objectifs qui lui avaient été dévolus à l'époque.
Ces cérémonies fournissent une belle occasion de montrer qu'en définitive, l'action de tous les acteurs est absolument essentielle pour défendre une nation. Le débarquement en Normandie est à juste titre salué et présent dans la mémoire des Français, mais je souligne également l'importance du débarquement de Provence. À l'heure où notre commission travaille sur la défense globale, il est important de rappeler que toute une nation, dans tous ses départements, a réussi à permettre cette Libération.
Ensuite, en tant qu'ancien ambassadeur, vous savez mieux que moi que ces moments mémoriels sont également porteurs d'enjeux diplomatiques très importants. Il a précédemment été question de l'Allemagne, mais nous pouvons parler des pays européens en général. Il faut également évoquer l'Afrique, puisque de nombreux combattants africains ont pris part à la Libération, et notamment au débarquement de Provence. Je me souviens avec émotion de mes rencontres avec des goumiers marocains bardés de médailles, des personnages absolument extraordinaires.
Enfin, il convient de mentionner le front de l'Est. La base aérienne de Mont-de-Marsan héberge l'escadron Normandie-Niémen, qui constitue l'un des derniers fils de notre relation diplomatique avec la Russie. Ces fils ne doivent pas être négligés, car ils nous permettront de nous resouder avec le peuple russe, même si nous nous opposons actuellement à ses représentants.
Grâce au précédent de la mission du centenaire de la Grande Guerre et à l'implication des diverses collectivités locales, nous avons pu bénéficier d'une grande fédération des efforts et d'un grand consensus sur les objectifs. Vous avez également eu raison de mentionner le rôle des Africains et des enjeux diplomatiques.
J'ai également été en poste à Moscou, en tant que conseiller culturel et de coopération scientifique technique entre 1991 et 1994 et je me souviendrai toujours de la cérémonie de pose d'une plaque dédiée au régiment de chasse Normandie-Niémen. De même, au sein de la résistance française figuraient des Soviétiques et des Russes blancs.
Au nom du groupe Socialiste, je vous remercie pour votre disponibilité auprès de notre commission. La commémoration du 80e anniversaire des débarquements de la Libération revêt un caractère spécifique, car elle s'inscrit dans un contexte géopolitique particulier, marqué par le conflit en Ukraine, le conflit au Proche-Orient et ce qui se passe à Gaza. Cette commémoration revêt un écho particulier dans des cités martyres comme Brest et Lorient, mais aussi toutes les petites communes rurales qui ont connu leur lot de drames et de réfugiés lors de la deuxième guerre mondiale,
Évidemment, c'est avec beaucoup de gravité que la population locale s'apprête à commémorer ces moments. Dès son arrivée au pouvoir, le président François Mitterrand avait été l'instigateur de cette fameuse nouvelle dynamique liée à la question mémorielle de la guerre 1939-1945. Lors du sommet commémoratif de 1984, où il invita les représentants de l'ensemble des belligérants, il permit d'affirmer la place de la France au sein des vainqueurs de la guerre, mais aussi en tant que puissance restructurante de cette deuxième partie du XXe siècle et acteur majeur dans la formation de l'esprit européen, de l'identité européenne.
Au sein de mon groupe, nous sommes convaincus qu'il est nécessaire de maintenir et de transmettre cette mémoire aux jeunes générations, malgré la disparition des derniers vétérans. La politique mémorielle conduite pour les quatre-vingts ans du débarquement joue à ce titre un rôle tout particulier. J'aimerais prolonger la question de ma collègue Mme Darrieussecq, qui sollicitait votre point de vue diplomatique sur la situation géopolitique actuelle.
Pouvez-vous nous expliquer en détail comment elle influence l'organisation et la signification des commémorations de cette année, notamment en raison du conflit russo-ukrainien ? Qu'en est-il de l'invitation ou non des représentants et des vétérans russes à nos commémorations ? Comment avez-vous envisagé l'inclusion de pays européens comme la Suède et la Finlande, nouveaux membres de l'Otan dans les politiques de commémoration ? En somme, comment nous, Européens, faisons-nous perdurer le concept de mémoire partagée dans ce nouveau monde, aujourd'hui ?
Ma dernière question concerne les nouvelles générations, en lien avec le travail de mes collègues Blanchet et Étienne dans le cadre de leur mission d'information sur le rôle de l'éducation et de la culture dans l'esprit de défense. À cet égard, quel est le rôle de la culture populaire et des arts dans la construction de la mémoire du débarquement et de la Libération ?
Votre question me permet de relever que le 5 juin, une commémoration nationale sera également organisée à Saint-Lô en présence du Président de la République, en hommage aux victimes civiles. Samuel Beckett avait participé à une mission irlandaise humanitaire sur place après la guerre et avait décrit Saint-Lô comme la « capitale des ruines ».
Vous avez également raison de souligner que l'année 1984 a constitué une césure dans la manière de commémorer. Lors de sa venue, le président Reagan avait ainsi prononcé un discours célèbre à la Pointe du Hoc. Vous avez évoqué le cas de la Finlande et de la Suède. Nous ne les oublions pas, même si notre politique d'invitation se fonde sur les pays qui ont participé au débarquement. À ce titre, la Norvège et le Danemark disposaient d'unités sous commandement britannique qui ont participé au débarquement. De plus, l'Europe en tant que telle sera bien présente dans les commémorations.
La culture populaire autour du débarquement est fortement inspirée du cinéma hollywoodien, avec des films comme Le jour le plus long ou Il faut sauver le soldat Ryan. Simultanément, il faut aussi favoriser des expressions nationales, notamment auprès des jeunes. À ce titre, les historiens soulignent le rôle de la bande dessinée dans la diffusion des connaissances et même des recherches. Nous sommes vraiment à l'écoute de tous nos différents partenaires et de leur apport pour diffuser cette culture populaire.
Vous avez évoqué le fait de renommer des rues ou des lieux des noms de vétérans. Sachez que dans la commune où je suis élu, à Merville-Franceville, nous avons pris aussi l'habitude de renommer nos rues avec le nom de nos soldats morts en opérations extérieures (Opex). À ce titre, le dernier soldat que nous avons honoré est l'adjudant-chef Stéphane Grenier, mort en Irak en 2017.
Je ne doute pas que ces cérémonies seront, du point de vue mémoriel, une véritable réussite, tant je connais votre implication. Je suis en revanche circonspect par rapport à l'implication des jeunes, sujet que j'évoque auprès des autorités depuis le 17 juin 2023. Environ 20 000 jeunes seront mobilisés et sensibilisés pour le 6 juin à travers près de cent projets pédagogiques, soit seulement 3 % des jeunes Normands, puisque le 6 juin sera un lundi, jour d'école. Pouvons-nous nous satisfaire de l'implication de seulement 3 % de notre jeunesse ? Je ne le pense pas.
J'entends parfaitement que votre mission ait été mise en place tardivement, après la rentrée scolaire. Quels ont été vos liens avec l'éducation nationale pour permettre une inclusion plus pertinente de notre jeunesse et des professeurs aux cérémonies du 6 juin, sous différentes formes ? Quel bilan en tirez-vous ?
La sixième des missions du groupement d'intérêt public, dans son ordre fondateur, consiste à « mesurer la manière dont ces commémorations touchent nos concitoyens ». Les 3 % que vous mentionnez ne représentent donc pas un résultat satisfaisant à ce titre. Les contacts avec l'éducation nationale ont été noués par l'ambassadeur Étienne dès le début du mois de juillet. Pour ma part, j'ai eu un premier rendez-vous avec la DGESCO, avant de rencontrer le ministre. Nous sommes tous les deux intervenus au séminaire des recteurs, début juillet, pour commencer à préparer cette idée de commémoration. La DGESCO nous a détaché une enseignante au sein de l'équipe, qui travaille au quotidien pour assurer ce lien et achève la rédaction d'une circulaire consacrée au 6 juin.
Ma question rejoint celle de mon collègue Christophe Blanchet : je souhaiterais savoir de quelle manière vous entendez associer les élèves de nos écoles, collèges et les lycées à ce devoir de mémoire. Quelles initiatives ont-elles été mises en place ? Toujours dans le cadre de ce devoir de mémoire, une association des Hauts-de-France a réalisé un documentaire, Pour votre liberté et la nôtre, qui parle de la résistance polonaise dans le Nord. Une convention a été établie avec l'académie de Lille, mais je regrette qu'elle n'aille pas assez loin. Ce type d'initiative est encourageant pour pérenniser le devoir de mémoire. Comptez-vous aider les initiatives de ces associations ?
Parmi les actions proposées à nos concitoyens pour participer à la commémoration des quatre-vingts ans de la Libération, nous pouvons être très satisfaits que figure une collecte des archives privées, permettant ainsi d'enrichir la mémoire nationale.
Alors que la guerre est malheureusement de retour en Europe et que nous avons encore cette année l'occasion d'honorer les derniers combattants de notre libération, il est plus que jamais fondamental de transmettre aux jeunes générations les mémoires de ceux qui se sont battus pour notre liberté.
J'avais demandé ici même, il y a quelques semaines, à Mme Patricia Mirallès, secrétaire d'État chargée des anciens combattants et de la mémoire, comment nous pourrions, en dehors des commémorations officielles, aussi importantes soient-elles, contribuer à développer auprès de la société civile, jeunes et moins jeunes, un esprit de défense et de cohésion nationale.
Permettez-moi de faire remarquer la pertinence et l'importance de cette idée de collecte, que nous pouvons peut-être qualifier de collecte de la mémoire. Aussi, Monsieur le président, serait-il possible de nous préciser à ce jour le nombre d'archives reçues et de nous présenter la manière dont celles-ci pourront être mises en œuvre au cours des commémorations 2024-2025 ?
J'ai eu l'occasion, lors d'un déplacement à Washington au Congrès, de rencontrer un Congressman qui s'apprête à sauter en parachute lors de cette commémoration. Avez-vous à votre disposition des informations concernant les parlementaires étrangers qui pourraient se rendre à ces commémorations ? S'ils viennent de loin, peut-être pourraient-ils passer éventuellement par Paris, afin que le Parlement français puisse les accueillir et conserver ce lien si important ?
Je souhaite pour ma part évoquer le 6 juin et la mémoire de ces 177 commandos marine qui ont débarqué ce jour-là, conduits par le commandant Kieffer. La France était très présente pour le débarquement de Provence, de façon structurelle et massive, mais elle l'était également lors du débarquement en Normandie, grâce à eux.
Je vous remercie également d'avoir mis en lumière le maquis de Saint-Marcel, lieu emblématique du parachutage, dès le 5 juin 1944, de 220 parachutistes français formés par les Special Air Force britanniques et devenus la branche SAS française. La commémoration du 5 juin nous permettra d'atteindre trois effets. Le premier consiste à nourrir la flamme de la Résistance, ce maquis illustrant la résilience de la nation française qui prend les armes pour combattre l'ennemi. Le deuxième concerne la jeunesse et les vétérans. Enfin, un autre lien est plus diffus, mais me semble tout autant important : le lien entre la dernière génération du feu et ses vétérans SAS.
Aujourd'hui, nos forces spéciales françaises du 1er régiment de parachutistes d'infanterie de marine (RPIMA) de l'armée de terre, des parachutistes de l'armée de l'air et des commandos marine mènent des actions en profondeur semblables à celles qu'ont effectuées ces vétérans. Ces héros discrets du quotidien seront heureux d'établir ce lien. Il me semble en effet essentiel d'évoquer la continuité de l'histoire à travers nos différentes générations du feu.
La Pologne fait partie des pays invités au niveau des chefs de gouvernement. Le gouvernement polonais était en exil à Londres et des unités polonaises ont débarqué. Nous connaissons par ailleurs l'importance de l'émigration polonaise en France entre les deux guerres, dans les Hauts-de-France en particulier. Nous avons labellisé certains projets et sommes intéressés par vos conseils concernant le développement de cette convention avec l'académie de Lille. L'ambassadeur de Pologne en France était d'ailleurs à la cérémonie de Vassieux-en-Vercors. En effet, un lycée professionnel polonais avait été délocalisé dans le Vercors à cause de la guerre et certains de ses lycéens avaient participé au maquis du Vercors.
Madame Pouzyreff, des parlementaires étrangers participeront aux commémorations. S'agissant des États-Unis, vingt sénateurs sur cent et un grand nombre des membres de la Chambre des représentants seront présents. Pour les autres pays, des parlementaires figureront dans les délégations accompagnant les chefs d'État et de gouvernement. Ils se concentreront sur la Normandie, mais nous espérons pouvoir organiser avec vous à cette occasion des échanges interparlementaires.
Monsieur Ardouin, nous ne disposons pas de bilan chiffré, mais le département qui a été le plus prompt à répondre a été celui des Ardennes. Il a mené une grande opération entre le 8 et le 12 avril, qui a permis de collecter un certain nombre d'archives. Nous pourrons ultérieurement vous fournir plus de chiffres.
Je termine mon intervention pour rebondir sur les propos de mon frère d'arme, le député Jacques. À Saint-Marcel, lorsque nous honorerons les soixante-dix-sept SAS tombés dans cette bataille, nous aurons à l'esprit d'unir la grande chaîne des combattants, entre Achille Muller, le dernier survivant du débarquement et les blessés et opérateurs des conflits les plus récents, mais aussi les classes de défense, dont la classe de défense du 1er RPIMA, qui porte le nom célèbre de l'aspirant Zirnheld.
La séance est levée à douze heures cinquante.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Denis Bernaert, M. Pierrick Berteloot, M. Christophe Blanchet, Mme Caroline Colombier, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Olivier Dussopt, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, M. Pierre Henriet, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Anne Le Hénanff, Mme Patricia Lemoine, Mme Jacqueline Maquet, Mme Pascale Martin, Mme Michèle Martinez, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. Christophe Naegelen, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Valérie Rabault, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Bruno Studer, M. Michaël Taverne, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Mélanie Thomin, Mme Corinne Vignon
Excusés. - M. Julien Bayou, M. Mounir Belhamiti, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, M. Emmanuel Fernandes, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Murielle Lepvraud, M. Olivier Marleix, Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes), M. Frédéric Mathieu, Mme Lysiane Métayer, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo