C'est un grand honneur pour nous de venir vous parler de notre travail, en particulier ces jours-ci, et d'essayer de contribuer à votre réflexion sur la défense globale et sur le travail de mémoire comme contribution à l'esprit de défense.
L'année 2024 est effectivement une année particulièrement dense pour notre pays, avec ces commémorations, mais également avec d'autres grands événements, à commencer par les Jeux olympiques et paralympiques. De plus, l'actualité nous conduit à mener une réflexion en matière de défense, avec le retour de la guerre de haute intensité sur notre continent. Notre mission a d'abord été constituée pour préparer des commémorations, mais elle est aussi chargée de contribuer à un travail de mémoire intégrant un lien très fort avec les anciens combattants et la jeunesse.
Nous sommes un groupement d'intérêt public, une structure interministérielle, avec un chef de filat assuré par le ministère des armées et le secrétariat d'État aux anciens combattants et à la mémoire. Le Gip est composé de quatre membres fondateurs : l'État, à travers huit ministères ; l'Office national des combattants et des victimes de guerre (ONACVG) ; la Caisse des dépôts et consignations et l'Ordre de la Libération. Nous avons, depuis notre création, reçu l'apport de vingt membres adhérents, qui sont des collectivités territoriales principalement intéressées, des fondations et des associations du monde combattant et de la mémoire. Depuis le lancement de notre Gip, nous avons pu constater l'existence d'une vaste mobilisation. À chaque fois que nous avons proposé une action à tel ou tel interlocuteur, l'accueil a toujours été particulièrement positif.
Monsieur le président, comme vous l'avez indiqué, j'ai été ambassadeur de France en Allemagne. À cette occasion, j'ai eu la grande émotion de rencontrer les derniers survivants de camps de concentration comme Sachsenhausen ou Buchenwald, mais également d'accueillir Robert Hébras, qui nous a quittés récemment. Il était le dernier survivant du massacre d'Oradour-sur-Glane et avait engagé un travail de réconciliation absolument admirable avec l'Allemagne.
J'ai également été ambassadeur de France aux États-Unis, où j'ai eu l'immense honneur de rencontrer les derniers vétérans. J'en ai d'ailleurs décoré certains de la Légion d'honneur. Ce fut de grands moments d'émotion, à la fois parce qu'il s'agit de héros, à qui nous devons la liberté de notre pays, notre liberté ; mais aussi en raison de la personnalité de ces combattants, qui font tous preuve d'une très grande modestie.
Je ne suis que le président non exécutif de cette mission, qui est dirigée par le général de corps d'armée (2S) Michel Delion. J'ajoute que le préfet Fabien Sudry, directeur général délégué, qui ne peut pas être aujourd'hui avec nous, joue également un rôle de direction extrêmement important. Nous sommes entourés d'une équipe de dix-huit personnes, dont six mises à disposition par les ministères (armées, culture, éducation, affaires étrangères, intérieur), six contractuels et six réservistes des armées. Nous sommes également dotés d'un conseil scientifique présidé par Denis Peschanski, un très grand spécialiste de la Résistance, et dont la vice-présidence est assurée par Claire Andrieu, également une très grande historienne de la période. Ce conseil comporte des historiens, mais aussi des responsables de mémoriaux, de centres de mémoire. Il joue un rôle absolument fondamental dans la préparation de ces commémorations.
Au-delà des partenaires que j'ai déjà mentionnés, nous avons été rejoints dans notre mission par d'autres, qui ont souhaité s'y associer, y compris dans le monde économique et culturel, par exemple. J'ai été ainsi été amené à rendre visite à l'administrateur général de la Comédie française ou au directeur général de l'Opéra de Paris. Nous avons approché des grandes entreprises qui ont accepté de nous soutenir, notamment par le mécénat. Ensuite, nous continuons à bénéficier fortement de l'aide de la direction de la mémoire, la culture et des archives du ministère des armées, de l'ONACVG et de toutes les autres structures dont j'ai parlé.
Nous menons un travail d'organisation des commémorations majeures, en particulier celles présidées par le Président de la République, mais aussi de valorisation des initiatives locales pour faire de ce cycle commémoratif un temps fort pour notre pays. Enfin, nous avons voulu lancer des actions qui permettent d'intégrer tous nos concitoyens, en particulier les plus jeunes, en leur permettant de s'associer aux événements, mais aussi en leur permettant de contribuer activement, de s'impliquer dans ce programme mémorial avec leurs propres propositions. Ce dernier volet fait notamment l'objet d'un message vidéo qui a été diffusé en février par le Président de la République, qui proposait un certain nombre d'actions.
Au début de notre action, nous avons pu nous appuyer sur quatre directives : une directive du Premier ministre aux ministres et son programme « 80e anniversaire » ; une directive diplomatique pour que toutes nos ambassades contribuent ; une directive préfectorale qui a conduit chaque préfet de chaque département à mettre en place un comité de la Libération ; et une directive académique où chaque recteur a mobilisé les écoles et deux de son ressort, à travers un comité académique. Naturellement, nous travaillons sous l'égide du ministère des armées, mais aussi des services du Premier ministre et de la présidence de la République, notamment l'état-major particulier et le conseiller mémoire.
Permettez-moi à présent d'en venir au travail de transmission de la mémoire, thème qui est directement lié à la réflexion de votre commission, à travers deux dimensions : la notion d'incarnation et la notion d'appropriation. L'objectif de l'incarnation de la transmission de la mémoire consiste à faire en sorte que l'ensemble de nos concitoyens puissent avoir une expérience aussi directe que possible de cette mémoire, précisément incarnée par les derniers vétérans vivants.
Il s'agit en effet du dernier anniversaire décennal où nous avons la chance d'accueillir plusieurs centaines de vétérans et d'anciens combattants sur nos plages en Normandie. Il s'agit là d'un moment charnière, d'un moment de bascule ; nous passerons ensuite de la mémoire vivante à la mémoire historique. Leur présence nous confère une responsabilité majeure dans leur valorisation, notamment vis-à-vis de notre jeunesse. La cérémonie internationale d'Omaha Beach, le 6 juin, mettra à l'honneur une centaine de vétérans venant essentiellement des États-Unis, mais aussi du Royaume-Uni et du Canada. Y participeront également une vingtaine de Français. Le même jour aura lieu une cérémonie britannique, ainsi qu'une cérémonie américaine au mémorial de Ver-sur-Mer et au cimetière américain de Normandie, à Colleville-sur-Mer.
Au-delà de cette présence, qui constitue selon moi l'élément central et structurant cette année, l'incarnation passe également par des témoins, qui sont parfois des Françaises et des Français qui ont vécu très jeunes la Libération et qui sont encore avec nous. Notre mission a ainsi souhaité recueillir le témoignage des enfants de la guerre, à travers un grand appel à témoins, qui prend ensuite la forme d'une série d'interviews qui sont publiés sur le site de la mission, en partenariat avec Radio France. Ces entretiens, qui reposent sur une dimension participative, permettent de donner la parole à ceux qui ont vécu cette période quand ils étaient enfants. Ils incarnent des moments de la vie de nos concitoyens sous l'Occupation, à la fin de l'Occupation et pendant la Libération.
L'incarnation passe également par un appel à collecte. Vous savez que la mission du centenaire de la Grande Guerre avait lancé une grande collecte, dont nous nous sommes inspirés, dans une moindre échelle. Nous avons ainsi lancé un appel à collecte pour que la mémoire intime rejoigne la mémoire nationale et que nous ne perdions pas dans la mémoire collective le bénéfice de certaines archives personnelles ou familiales qui risqueraient de disparaître. Nous pensons en particulier à des carnets, des journaux intimes, des photos et des films ou des lettres, des documents. Nous travaillons à ce titre avec les archives nationales et départementales et le ministère de la culture. Ce travail prend du temps, mais il est essentiel pour l'avenir et faire en sorte que cette mémoire ne soit pas perdue.
Nous devons également développer de nouveaux instruments, sous forme de livres, de contenus artistiques, mais aussi numériques. À titre d'exemple, nous travaillons avec Iconem, une entreprise technologique spécialisée en numérisation 3D de sites patrimoniaux ; ou encore l'entreprise Histovery. Grâce un partenariat avec l'entreprise américaine Microsoft, Iconem est en train de reconstituer les débarquements de Normandie et de Provence. Ces produits seront libres de droit et pourront être légués aux écoles ou à tous les publics qui peuvent aussi s'en prévaloir.
Ensuite, l'appropriation de la mémoire, notamment par nos jeunes, est également extrêmement importante. Nous avons donc développé un système de labellisation, à partir du logo que nous avons créé pour ce 80e anniversaire. Munis de ce logo, nous avons demandé aux préfets et aux recteurs, à travers les comités déjà mentionnés, de lancer des appels à projets. Nous l'avons également fait au niveau national et, depuis plusieurs mois, plusieurs milliers de projets ont été labellisés, dont 2 250 au niveau territorial, 750 au niveau académique, plus quelques centaines au niveau national. Il ne s'agit pas forcément de gros projets, mais ils participent à la couverture de l'ensemble de notre pays, car tout notre pays a été libéré. Ils participent également à la volonté d'associer tous les publics, dont les jeunes publics, à ce programme mémoriel. Le succès de cette labellisation témoigne d'un véritable engouement de nos concitoyens pour ces commémorations et de leur volonté de se les approprier. Notre programme mémoriel concernera ainsi non seulement l'année 2024, mais aussi l'année 2025 et notamment la date historique du 8 mai.
Un autre instrument d'appropriation concerne la participation des citoyens et de la jeunesse aux cérémonies. Je suis frappé du grand nombre de courriers que nous recevons afin que des Françaises et des Français puissent assister aux cérémonies. Il n'est pas aisé de satisfaire tout le monde, d'autant moins que nous devons respecter des règles de sécurité strictes, compte tenu de la présence de chefs d'État. Cependant, nous avons réservé un nombre de places pour les scolaires, mais aussi pour le grand public. À Omaha Beach par exemple, nous accueillerons des élèves français, américains, britanniques et d'autres pays. Nous avons déjà agi de la sorte lors de la commémoration que nous avons organisée le 12 avril à Vassieux-en-Vercors, date de l'attaque de la Milice contre le maquis du Vercors en 1942. À ce sujet, les classes de défense jouent un rôle tout à fait majeur dans notre programme, au même titre que les journées défense et mémoire (JDM), les journées défense et citoyenneté (JDC) et le dispositif « Aux sports jeunes citoyens ! », soit autant de dispositifs que la direction du service national et de la jeunesse nous a permis d'inclure dans notre programme mémorial.
La participation de la jeunesse passe également par les fondations et nos partenaires, comme l'Union des blessés de la face et de la tête, Le Souvenir Français et la fondation Maginot, qui nous aident beaucoup et sont très sensibles à cette action de transmission vers la jeunesse. Nous nous associons également à des initiatives existantes comme le concours national de la Résistance et la Fondation de la Résistance. Ces différents partenariats participent à l'appropriation par les jeunes et les scolaires. De même, en compagnie de la Comédie française et d'une association dirigée vers les jeunes publics, nous consacrerons un programme à la Libération.
Le conseil scientifique et d'orientation est également très important pour cette dimension d'appropriation. Nous avons rencontré aussi la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, car il est nécessaire de parler de la transmission de la mémoire et de l'appropriation par les dispositifs de recherche et d'enseignement supérieur. Le conseil scientifique et d'orientation nous permet également de toucher le grand public, à travers quatre grands colloques, sur quatre thématiques : « L'histoire militaire de la Libération », « Femmes de la Résistance, de la Libération à l'accession au droit de vote » - puisque nous avons récemment célébré le 80e anniversaire de la décision accordant enfin le droit de vote aux femmes –, « Retour, reconstruction, résilience » et « Mémoire et mémorialisation ». Nous sommes également en rapport avec l'Institut de France et différentes académies.
En conclusion, ce travail de mémoire doit contribuer au renforcement de la cohésion nationale et à la diffusion de l'esprit de défense. Selon moi, sous votre contrôle et celui du général Delion, il est évident que l'esprit de défense largement répandu dans la population suppose cette conscience de cette histoire et du prix chèrement payé par des générations précédentes pour défendre nos valeurs fondamentales, notre liberté et retrouver notre démocratie. Le 7 juin, nous serons à Bayeux avec le Président de la République, où le général de Gaulle, à son retour en France, a tenu un célèbre discours sur le retour de l'ordre républicain.
Cette conscience des sacrifices du passé dans le but de défendre nos valeurs fondamentales est essentielle pour l'enracinement de l'esprit de défense. Nous avons donc le sentiment de contribuer par ce programme à l'esprit de défense, mais il ne suffit pas d'organiser des commémorations. Ce programme mémoriel doit laisser un héritage, car associer la jeunesse sera encore plus essentiel quand il n'y aura plus de survivants. À travers les lieux de mémoire et tous les instruments que nous essayons de développer, nous souhaitons contribuer en 2024 et 2025 à ce travail de mémoire primordial pour notre esprit de défense, l'aider à se développer, en phase avec son temps.
Parmi nos partenaires figurent bien sûr des associations d'élus, notamment Régions de France. Avec les maires et les ministres en charge des collectivités territoriales, nous allons mener un effort pour donner le nom de ces héros qui nous ont libérés à nos rues, nos places, nos avenues. Par ailleurs, nous avons participé en avril à l'inauguration des « Terrasses Rose Valland » au jardin des Tuileries, en hommage à cette conservatrice du Louvre qui a permis de sauver les collections du musée spoliées par les nazis, en répertoriant les mouvements d'œuvres dérobées en France à destination de l'Allemagne.
Enfin, ce travail de mémoire doit montrer les visages et les noms de ces héros, ces destins individuels, qu'il s'agisse des résistantes et de résistants ayant combattu en France, ou de Français venus d'Angleterre, parfois d'encore plus loin. À Plumelec dans le Morbihan, nous célébrerons ainsi des combattants français venus du Pacifique avec les SAS, ou des grands Alliés qui nous ont libérés. Ces exemples permettent de nourrir l'esprit de défense de nos jeunes, en leur montrant comment d'autres, qui avaient leur âge à cette époque, se sont comportés héroïquement lors de ces événements des années 1944-1945.