Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Réunion du lundi 26 février 2024 à 15h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Lundi 26 février 2024

La séance est ouverte à quinze heures

Présidence de M. Mansour Kamardine, président

La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède l'audition ouverte à la presse de la table ronde « Assurer face aux risques naturels en outre-mer » réunissant : Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance (AGÉA) : Dr. Julien Arnoult, responsable des études et des relations institutionnelles et secrétaire du groupe de travail sur le climat ; Caisse centrale de réassurance (CCR) : M. Édouard Vieillefond, directeur général, M. Antoine Quantin, directeur des réassurances, conseil et modélisation et Mme Rose-Marie Tunier, directrice de la communication et des affaires publiques.

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Je remercie nos intervenants d'avoir fait le déplacement jusqu'ici par un tel temps. J'aurais préféré que ces pluies tombent à Mayotte, cela atténuerait la crise hydrique !

Nous poursuivons nos travaux avec une table ronde consacrée à la couverture assurantielle des principaux risques liés aux catastrophes naturelles en outre-mer, sujet qui se rattache à la question plus générale de l'avenir du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, dit « Cat nat ». Nous recevons M. Édouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance, qui est l'acteur public chargé de mettre en œuvre la garantie de l'État pour ce régime, accompagné de M. Antoine Quantin, directeur des réassurances, conseil et modélisation, et de Mme Rose-Marie Tunier, directrice de la communication et des affaires publiques. Est également présent M. Julien Arnoult, responsable des études et des relations institutionnelles et secrétaire du groupe de travail sur le climat de la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance.

Cette audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale et restera ensuite disponible à la demande.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Rose-Marie Tunier, M. Antoine Quantin, M. Édouard Vieillefond et M. Julien Arnoult prêtent successivement serment.)

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Édouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

Le régime des catastrophes naturelles a été institué en 1982, alors que la CCR, le réassureur public, existait depuis 1946. Son objet est de permettre l'assurabilité de certains biens face à des catastrophes naturelles susceptibles de les rendre inassurables, du moins par le marché seul.

C'est le point le plus important : si les assureurs et réassureurs privés pouvaient tout assurer, ils le feraient et il n'y aurait pas besoin du régime Cat nat. Mais il peut exister des carences ou défaillances de marché, en l'occurrence parce que le péril est trop grand et les pointes trop importantes. Les inondations, les tremblements de terre, la sécheresse géotechnique – autrement dit le retrait-gonflement des argiles – sont quelques exemples de risques qui ne sont pas assurables par le marché seul.

Ces risques sont inclus dans le régime Cat nat car les assureurs privés ne pourraient pas les couvrir sans limite. Si la CCR, qui réassure les assureurs, peut le faire, c'est parce qu'elle bénéficie de la garantie de l'État. J'insiste sur ce point pour éviter les confusions, fréquentes, entre ce qui relève du régime Cat nat et les catastrophes naturelles que les assureurs gèrent seuls. Les tempêtes, la grêle et la neige sont ainsi couvertes contractuellement, sans qu'il y ait besoin du régime Cat nat.

Ce régime assure des biens contre des dommages – il ne s'agit pas d'assurer des personnes, ce n'est pas une assurance vie ou une assurance santé. Ces biens, les habitations notamment, peuvent subir des dommages à cause d'inondations ou de tremblements de terre par exemple. Lors de tels sinistres, qui se produisent régulièrement, les dommages sont d'abord pris en charge par les assureurs : c'est l'assurance primaire. La CCR intervient dans un deuxième temps, comme réassureur – au-dessus des assureurs. J'insiste sur ce second point : le régime Cat nat repose sur l'assurance primaire et s'il fonctionne bien, c'est parce qu'en France l'assurance est très bien répartie et très efficace. Ainsi, dans l'Hexagone, l'assurance multirisque couvre 97 % des habitations. Mais lorsqu'aucune assurance primaire n'est souscrite, le régime Cat nat ne s'applique pas et il n'y a pas d'indemnisation. Or la situation d'assurance est très différente dans les outre-mer, où les taux de couverture s'échelonnent entre 5 et 70 %.

Techniquement, une surprime est automatiquement appliquée à toutes les assurances dommages que souscrivent les particuliers et les entreprises. Cette surprime, obligatoire, génère à peu près 2 milliards d'euros de revenu. La CCR et les assureurs se répartissent ce revenu et les sinistres correspondants, selon une quote-part de 50/50, propre à aligner les intérêts. Les assureurs peuvent ensuite essayer de se réassurer auprès de réassureurs privés, qui parviennent à couvrir certains périls, notamment les inondations. Au-delà d'un certain montant, la CCR intervient en stop loss, selon un mécanisme de réassurance non proportionnelle, et prend à sa charge l'intégralité des dommages. Enfin, si les réserves de la CCR – aujourd'hui un peu moins de 2 milliards – ne suffisent plus à couvrir le total des dommages, nous faisons appel à la garantie de l'État. Cela ne s'est produit qu'une seule fois, en 2000. La surprime venait d'être augmentée, en 1999, et n'a plus bougé jusqu'au 28 décembre 2023, où le ministre des finances l'a portée de 12 % à 20 %.

En dehors de l'Hexagone, le régime Cat nat s'applique aux départements et régions d'outre-mer (Drom) et à certaines collectivités d'outre-mer (COM). Celles du Pacifique, en particulier la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, n'en bénéficient pas. Il constitue un avantage important pour les territoires ultramarins, qui représentent 10 % des dommages du régime et versent seulement 2 % des primes environ. Cette péréquation qui leur est favorable est une très bonne chose. Reste que beaucoup de nos concitoyens ultramarins ne souscrivent pas d'assurance primaire – que ce soit dû à la présence des assureurs ou à l'assurabilité des maisons, par exemple parce qu'elles ne sont pas aux normes – et ne sont donc pas couverts par le régime Cat nat.

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Julien Arnoult, responsable des études et des relations institutionnelles et secrétaire du groupe de travail sur le climat de la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance (Agéa)

Les agents généraux d'assurance conseillent leurs clients sur l'assurance de leurs biens, personnels ou professionnels, et distribuent les produits d'assurance d'une compagnie, à laquelle les lie un mandat exclusif. Au nombre de 12 500, ils sont présents dans tous les territoires, y compris les communes de quelques centaines d'habitants et bien sûr les territoires d'outre-mer. Cela nous permet de repérer les mouvements assurantiels et de faire des comparaisons entre métropole et outre-mer. Il y a des différences mais aussi des points communs – nous aurons l'occasion de casser quelques préjugés à ce sujet.

L'agent d'assurance joue un rôle d'intermédiaire, au croisement entre son client, qui est l'assuré et le sinistré, et l'État ou les autorités publiques. Nous sommes donc bien placés pour savoir ce qui est compris ou non dans notre système d'assurance. Je partagerai avec vous des expériences de terrain, mais pas des statistiques, que nous n'avons pas les moyens de produire, contrairement à un organisme comme France Assureurs.

Comme l'a dit Édouard Vieillefond, le régime Cat nat revêt une grande importance pour les outre-mer. Avant qu'il ne leur soit étendu, en 1989, la prime complémentaire pour les cyclones y allait de 50 % à 100 % de la prime d'assurance habitation, contre 12 % aujourd'hui et 20 % au 1er janvier 2025. Ce régime leur est donc indispensable.

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Lors de mes lointaines études d'économie, on m'avait expliqué qu'un risque assurable ne pouvait pas être structurel. Un risque structurel étant certain, il est couvert par une subvention, une épargne ou quoi que ce soit d'autre, mais pas par une assurance. Du fait du changement climatique, certains aléas tendent à devenir structurels, en particulier dans les outre-mer, qui sont des territoires particulièrement exposés. À Saint-Martin par exemple, trois cyclones s'étaient succédé, en 1960, 1995 et 2017. Mais ces phénomènes menacent de se rapprocher ou, en tout cas, de devenir de plus en plus puissants, de sorte que le risque financier associé ira croissant. Il en va de même pour la gestion des sols. Pensez-vous que ces risques soient durablement assurables, ou les montants en cause nous conduiront-ils à recourir au régime Cat nat de façon systématique ?

Ma deuxième question porte sur les biens qui ne sont pas assurés, ou qui le sont mal, ce qui n'est pas la même chose. Vous soulignez, à juste titre, que de nombreux biens ne répondent pas aux normes. Il s'agit cependant moins de négligence que de l'aboutissement d'une histoire, et il faut tout de même bien faire en sorte que les gens soient couverts. À Saint-Martin, territoire français le plus récemment touché par un épisode destructeur, une partie des biens n'étaient pas assurés. J'ai cru comprendre qu'ils n'avaient toujours pas été reconstruits : dans ces cas, la marche devient trop haute. Auriez-vous des propositions pour favoriser une meilleure couverture assurantielle des particuliers ? En avez-vous quant à l'estimation des biens et à leur conformité aux normes ?

Troisième question : quelle est la situation des collectivités locales en ce qui concerne l'assurance de leurs propres biens ? À l'époque où je dirigeais le cabinet d'un maire, nous avions fait l'audit des assurances sur les bâtiments et biens communaux : certains étaient assurés trois fois, d'autres ne l'étaient pas du tout ! Les choses ont certainement changé en mieux, mais la question de l'estimation des biens assurés demeure. Qu'en est-il dans les outre-mer ?

Enfin, comment fonctionnent les assurances dans le Pacifique ? J'entends bien que les mécanismes de réassurance ne s'y appliquent pas, mais j'imagine qu'il est possible de s'assurer dans cette région, qui n'est pas à l'abri des catastrophes naturelles.

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Édouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

En matière d'assurabilité, on peut tracer deux frontières. La première sépare les risques assurables par le marché seul de ceux qui ne peuvent l'être qu'avec de l'aide et la garantie de l'État. La seconde, qui fait plus directement l'objet de votre question, délimite les aléas et les événements certains – la question n'étant plus si, mais quand ils vont se produire.

La première de ces frontières est assez malléable. Ainsi, des périls nouveaux relèvent à présent du régime Cat nat. J'ajoute que, dans d'autres domaines que les catastrophes naturelles, la CCR réassure également d'autres risques extrêmes comme le terrorisme ou la responsabilité civile des exploitants nucléaires. Pour s'en tenir aux catastrophes naturelles, la limite entre les risques tempêtes, grêle, neige (TGN) et les autres catastrophes est quasiment l'un des fondements historiques de l'assurance, les risques TGN revenant aux assureurs privés, les autres risques, tremblements de terre et inondations en particulier, à la CCR. Pour le moment, cette répartition semble bonne – encore une fois, nous n'avons pas à intervenir tant que le marché sait faire. Mais si une chute de grêle comparable à celle de 2022 – qui avait causé près de 6 milliards d'euros de dommages – se produisait à nouveau, tous les acteurs réviseraient leurs modèles et la question de l'introduction de ce péril au sein du régime Cat nat se poserait.

La deuxième frontière touche aux périls qui, devenus structurels, cessent d'être assurables, même avec l'intervention de la CCR. Le retrait du trait de côte est un exemple typique de ce qui ne constitue plus un risque, mais une réalité. Dès lors, le problème ne relève plus du régime Cat nat, il devient purement politique et budgétaire. Nous ne pouvons plus intervenir, et les assureurs en amont non plus.

Il me sera difficile de répondre à votre deuxième question, comme à une autre semblable du questionnaire que vous nous avez transmis, car nos données sont limitées. En revanche, je peux vous donner les chiffres de l'assurance primaire. En multirisque habitation (MRH), 97 % des ménages de l'Hexagone sont couverts. Dans les outre-mer, les pourcentages diffèrent considérablement. Ils semblent varier en fonction du PIB par habitant. La Réunion qui vient de voir passer le cyclone Belal, connaît un taux d'assurance MRH de 68 %, ce qui est correct, contre 62 % en Martinique, 59 % en Guadeloupe, 49 % en Guyane et 6 % à Mayotte.

La question centrale n'est donc pas tant celle des normes de constructibilité que celle du niveau de richesse locale, autrement dit de la capacité des personnes à faire construire des maisons ou des appartements suffisamment aux normes pour bénéficier d'une assurance. À ce propos, nous commençons à voir, y compris dans l'Hexagone, des cas de défaut d'assurance MRH, qui est une assurance obligatoire dont nous ne pensions pas que le taux de couverture baisserait sur le territoire métropolitain. C'est un début d'évolution très inquiétant lorsqu'on sait que, en matière d'assurance automobile, il existe une masse considérable de gens qui ne sont pas assurés au tiers – je ne parle là encore que d'assurances obligatoires. Bref, il ressort de tout cela un lien direct entre le pouvoir d'achat des Français et leur capacité à payer les primes d'une assurance, facultative ou même obligatoire.

S'agissant des assurances des collectivités locales, plusieurs travaux sont en cours et nous avons déjà eu quelques échanges avec leurs auteurs. Nous avons dit à vos collègues de la mission d'information du Sénat que le dialogue compétitif entre les collectivités locales et les assureurs semble être gêné, pour ne pas dire bloqué, par le fonctionnement des appels d'offres qui s'imposent à partir d'un certain seuil. Le code des marchés publics ne permet pas aux assureurs d'évaluer précisément ce qu'il y a à assurer, bien par bien, y compris les biens propres des communes. Or un assureur qui ne connaît pas le risque ajoute une surcouche tarifaire, ce qui est bien normal. Réciproquement, les communes ont rarement les moyens de conduire ce dialogue, de faire jouer la concurrence et de faire valoir leurs mesures de prévention et les réalités de leur territoire. Sans être un spécialiste du code des marchés publics, je pense qu'il est susceptible d'être amélioré sur ce point.

Seconde remarque, le marché souffre d'un défaut de concurrence. Techniquement déficitaire pendant des décennies, le marché des collectivités locales n'a pas attiré de nouveaux assureurs. Seuls certains acteurs déjà implantés sont parvenus à se maintenir, et les collectivités ont du mal à trouver de nouveaux interlocuteurs. Il faut donc revenir à une approche gagnant-gagnant : si les biens et les risques sont mieux connus des deux côtés, cela attire plus d'assureurs et la concurrence fait émerger un bon prix de marché. Ce qui nous ramène au thème de cette audition : moins il y a d'assureurs, plus il leur sera difficile d'assumer les coûts d'un événement exceptionnel ; un sinistre réparti entre une centaine d'assureurs, comme c'est le cas en général dans l'Hexagone, est plus aisément absorbé.

Je ne suis pas certain d'avoir bien compris la quatrième question.

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J'ai bien compris que la CCR n'intervenait pas dans le Pacifique, mais certains assureurs le font. C'est une zone exposée à des risques de plus en plus forts du fait du réchauffement climatique. Avez-vous une opinion sur la situation ?

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Édouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

Mon collègue peut vous dire quelques mots d'une étude que nous avons réalisée en 2022 sur le Pacifique, bien que nous n'y intervenions pas.

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Antoine Quantin, directeur des réassurances, conseil et modélisation de la CCR

Nous disposons de peu d'informations au sujet de la Polynésie française et de la Nouvelle Calédonie. Une mission a effectivement été lancée il y a quelques années sur la refonte du code des assurances polynésien. Nous savons ce territoire exposé aux risques cycloniques, aux tsunamis et au phénomène de ruissellement, mais nous disposons de peu d'éléments chiffrés.

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Monsieur Vieillefond, je crois vous avoir entendu dire qu'il n'était plus possible d'assurer les risques liés à l'érosion côtière. Ai-je bien compris ?

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Édouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

Parfaitement. Il ne s'agit plus d'un aléa, mais d'une certitude : le risque n'est donc plus assurable. Le régime Cat nat couvre le risque de submersion, c'est-à-dire les dégâts provoqués par les vagues, et non par le ruissellement ou par un débordement fluvial. En revanche, aucun assureur ne voudra prendre en charge les conséquences du recul du trait de côte, qui ne sont donc a fortiori pas réassurables.

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Je préside le Comité national du trait de côte, dont la prochaine réunion plénière aura lieu le 29 février – je vous rappelle que vous y êtes conviés. Vous avez raison, l'érosion étant prévisible, elle n'est pas considérée comme un risque naturel majeur. Toutefois, les scientifiques expliquent qu'elle est indissociable de la submersion, dont elle est la conséquence. Or la submersion est de plus en plus fréquente et violente, en particulier dans certains territoires d'outre-mer. De nombreux propriétaires seront affectés, y compris les communes, qui possèdent des bâtiments publics. J'ai intégré les assureurs dans le Comité national du trait de côte afin qu'ils participent à la réflexion sur les évolutions possibles et sur la recomposition spatiale des territoires concernés. De tels risques imposent une solidarité nationale et territoriale : l'État sera mis à contribution, comme les régions et les départements, et les assureurs pourraient également jouer un rôle, en particulier pour soutenir les communes.

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Édouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

Pour qu'une catastrophe naturelle soit prise en charge par le régime Cat nat, je l'ai dit, il faut que le risque en cause y soit éligible, et il faut en outre que l'événement soit d'une importance suffisante pour qu'un arrêté interministériel déclenche l'application du régime : les vents cycloniques, par exemple, doivent être au-dessus d'un certain seuil de vitesse, et les inondations en dessous d'une certaine fréquence statistique. On peut donc travailler sur la définition de ces critères. En mai 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ont lancé une mission sur l'assurabilité des risques climatiques, dont nous attendons les conclusions dans les prochaines semaines. L'important reste de toute façon de bien définir les frontières : philosophiquement et mathématiquement, il est clair que la submersion et le choc des vagues relèvent du régime Cat nat et que le retrait du trait de côte n'est pas assurable.

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Évidemment, l'assureur a besoin de stabilité : il est compliqué d'assurer un risque dont la définition est mouvante. Quelles méthodes utilisez-vous pour réévaluer les risques et décider ce qui est assurable ? Comment appréhendez-vous le risque ? Les territoires ultramarins sont particulièrement exposés.

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Édouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

Il existe des critères, fixés par la loi ou par voie réglementaire. Certains doivent rester stables. Les seuils de vitesse des vents cycloniques que j'évoquais ont été établis en 2000, il ne faut pas les modifier tous les jours. Or la loi « Baudu » (loi du 28 décembre 2021 relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles) et la loi « 3DS » (loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale) ont modifié récemment certains paramètres. Elles ont permis des améliorations, mais pour le bien de l'opérateur, qui est le pivot du régime, il ne faut pas modifier celui-ci chaque année. On peut réfléchir à des évolutions concernant les submersions, les vents cycloniques, les inondations ou même la sécheresse, mais en tenant compte de cet impératif de stabilité.

Après la définition des critères se pose la question de la mesure des indicateurs retenus. Depuis sa création, notre système s'est montré efficace ; beaucoup dans le monde nous l'envient. Il repose sur un équilibre fructueux entre le public et le privé. Un de ses gros avantages est que le fameux arrêté interministériel dépend de mesures effectuées par des tiers, par exemple Météo-France ou le Bureau de recherches géologiques et minières : cette dimension paramétrique garantit que la décision de déclencher l'application du régime ne dépend pas de ceux qui y sont intéressés. L'évolution des instruments de mesure constitue donc une des pistes d'amélioration possibles, dès lors qu'elle se fait de façon ordonnée. On peut changer les capteurs, comme on peut modifier le Soil Wetness Index, l'indice d'humidité des sols, pour les maisons endommagées par la sécheresse – Météo-France s'y emploie.

J'insiste : il faut réformer dans le calme, de façon régulière mais pas trop fréquente, au risque de déstabiliser le système. Depuis la loi « Baudu », une Commission nationale consultative des catastrophes naturelles est chargée de réfléchir à l'amélioration du système. Elle devrait être installée dans les prochains mois.

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Il n'est pas question de remettre en cause un système efficace, seulement de l'améliorer, le cas échéant. Nous devrons veiller à l'installation effective de la Commission nationale.

Un bien peut aussi devenir inassurable en raison de normes. S'il est supposé pouvoir résister à des aléas devenus structurels, j'imagine qu'il redevient assurable, même si cela implique un coût, donc un mécanisme à discuter. Qu'en est-il de la réévaluation des normes de construction, en particulier dans les territoires ultramarins ? Dans certains d'entre eux, des techniques de construction traditionnelles ont prouvé leur efficacité pour résister aux aléas. Sont-elles prises en considération pour l'établissement des normes ?

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Édouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

À côté de la question des normes de construction, il y a celle de la prévention et de la réparation du bâti existant. Les sommes investies dans la prévention sont plus importantes dans les Drom que dans l'Hexagone. Toutefois, elles le sont de manière localisée – ce qui n'est pas toujours infondé – et souvent pour lutter contre les tremblements de terre. Les investissements visant à prévenir les cyclones sont nettement moindres, même pour les biens assurés, parce qu'il s'agit là de construction individuelle. Comparaison n'est pas raison, mais la situation n'est pas sans rappeler celle de la sécheresse géotechnique dans l'Hexagone : pour protéger les biens individuels, il faudrait mieux les construire et mieux les réparer, mais c'est beaucoup plus compliqué à faire que de réaliser de gros travaux, comme des barrages, ou des ouvrages de prévention des tremblements de terre en outre-mer. Les fonds de prévention servent souvent aux bâtiments publics, notamment aux écoles. Quoi qu'il en soit, on est beaucoup plus efficace en collectif qu'en individuel. Il arrive que des constructions du début du XXe siècle résistent mieux que celles des années 1970, mais de façon générale, dans l'Hexagone comme en outre-mer, la question est de savoir si les particuliers ont les moyens de construire des bâtiments respectant suffisamment les normes pour être résistants.

Dans ce domaine, le fonds Barnier est indispensable ; il a prouvé son efficacité, en particulier contre les inondations. Nous disons souvent que chaque euro du fonds investi dans le cadre des plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) a évité 3 euros de dommage – presque 2 dans les Drom. Deux problèmes se posent cependant. Premièrement, les dotations du fonds progressent moins qu'avant 2020. Deuxièmement, il s'agit d'un outil très efficace pour les bâtiments collectifs, mais que la procédure administrative rend difficile à utiliser pour les particuliers.

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Le sinistre survenu à Saint-Martin, et dans une moindre mesure à Saint-Barthélemy, a fourni un exemple de réussite toute relative en matière de prévention. Plus récemment, le déroulement des événements à La Réunion a témoigné d'une préparation plus efficace.

Après le passage du cyclone Irma à Saint-Martin, le plan de prévention des risques naturels (PPRN) a été révisé. La première version du nouveau plan, inacceptable pour la population, a provoqué des émeutes. La deuxième version a été mieux accueillie. Selon les autorités, et bien d'autres, c'est grâce à une meilleure concertation – je caricature à peine. Une autre explication veut que la première version ait pris en considération le risque de submersion, en restreignant les zones constructibles, mais pas le risque lié aux vents, pourtant à l'origine de 95 % des destructions constatées sur l'île.

Dans quelle mesure avez-vous été associés aux discussions relatives à la révision du PPRN ? Avec le recul, considérez-vous que la prise en compte des risques est plus réaliste désormais, ou que nous avons baissé la garde ?

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Antoine Quantin, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

Nous n'avons pas été directement associés à la révision du PPRN, que nous avons suivie d'assez loin. Le point essentiel est l'intégration du risque de submersion marine.

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Dans la première version, pas dans celle qui a été adoptée, puisque c'est cela qui a été contesté. Ai-je bien compris ?

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Julien Arnoult, responsable des études et des relations institutionnelles et secrétaire du groupe de travail sur le climat de la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance (Agéa)

Outre-mer, les compagnies d'assurance n'assurent pas les biens situés à moins de 100 ou 150 mètres du rivage. Ainsi, 80 % de la ville de Gustavia ne peuvent être assurés par le secteur privé. Il en va de même de Pointe-à-Pitre, située en zone inondable et de submersion marine, puisqu'elle est construite au niveau de la mer, avec une légère dépression, et de Jarry, la zone industrielle qui lui fait face. Aujourd'hui, le marché n'assure pas ce littoral.

Ensuite, avec 200 millions d'euros, le fonds Barnier est nettement sous-doté au regard de l'ampleur des désastres qu'il faudra affronter. En outre, il faut le rendre accessible aux particuliers pour financer la prévention. La commune de Jarry, que j'évoquais, a été construite sur une mangrove déboisée et compte une raffinerie : c'est un cas où il faut renaturer, reprotéger cette zone qui était naturellement abritée.

On voit là qu'avant de réfléchir au PPRN, il faut envisager des mesures relatives à l'assurance. À mon sens, les pouvoirs publics ont leur mot à dire à ce sujet.

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Je n'avais pas connaissance de cette information sur les littoraux – qui n'est pas neutre.

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Julien Arnoult, responsable des études et des relations institutionnelles et secrétaire du groupe de travail sur le climat de la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance (Agéa)

Cette situation de l'assurabilité du rivage soulève une question plus générale, qui se pose y compris en métropole. Aujourd'hui, les assureurs ont accès au fonds Cat nat, c'est-à-dire à des fonds publics, sans contrepartie. Selon nous, il faut exiger de leur part que l'offre assurantielle couvre tout le territoire – sans attenter bien sûr à la liberté tarifaire : nous sommes capitalistes ! Cette demande, en contrepartie de l'allocation de fonds publics, est conforme à la doctrine administrative. Cela permettrait de mieux répondre aux besoins d'assurance MRH et MRP (multirisque professionnelle) de nos concitoyens, même si cela ne résoudrait pas le problème de ce que j'appelle l'habitat alternatif – habitat indigne par exemple.

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Je viens de Mayotte. Monsieur Vieillefond, vous avez expliqué que l'Hexagone était assuré à hauteur de 97 %, contre 60 ou 70 % dans les « quatre vieilles » et surtout 6 % à Mayotte. Par ailleurs, monsieur Arnoult, vous avez précisé que les constructions situées à moins de 100 ou 150 mètres du rivage, selon les compagnies, n'étaient pas assurées. Or, à Mayotte, 99 % des villes et des villages sont situées dans la ZPG, la zone des cinquante pas géométriques ! Sans parler de la dimension financière, que pouvons-nous faire pour inciter les compagnies à assurer des populations qui vivent dans ces espaces depuis toujours, et pour encourager les habitants à souscrire des contrats ? Il s'agit pour nous d'une possibilité récente : pendant très longtemps, Mayotte a été exclue des zones assurables. Je développe ce cas particulier car il s'agit d'un véritable désert assurantiel, mais ma question vaut pour les autres Drom et COM, puisque la couverture y reste bien inférieure à celle de l'Hexagone.

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Julien Arnoult, responsable des études et des relations institutionnelles et secrétaire du groupe de travail sur le climat de la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance (Agéa)

Je regrette, je ne dispose pas d'éléments spécifiques concernant Mayotte. Mais vous l'avez dit vous-même, le problème est de la même nature que dans les autres territoires d'outre-mer, avec une ampleur différente.

Je ne reviens pas sur notre proposition de demander aux assureurs d'assurer une offre sur tout le territoire en contrepartie du bénéfice du régime Cat nat. Une autre chose à faire serait de diffuser la culture assurantielle. Une de nos consœurs de Guadeloupe nous explique qu'il y est naturel pour les habitants de faire des réparations eux-mêmes dans leur logement, y compris en respectant les normes, plutôt que de faire jouer leur assurance : ils n'ont pas l'idée de recourir à un tiers. Les Ultramarins savent ce qu'est un risque – La Réunion connaît des cyclones chaque année, de décembre à mars ; en revanche, la prévention, l'entretien et le recours au système contractuel, privé ou public, ne sont pas spontanés. Il faut donc faire preuve de pédagogie.

Quant à la question financière, elle se pose tout de même. On peut établir une relation entre le taux de pauvreté et une réticence à souscrire une assurance. Néanmoins, dans l'Hexagone, où 14 % des gens vivent sous le seuil de pauvreté, le taux de souscription à une assurance habitation se monte à 97 %, et non à 86 %. En Martinique, 27 % des gens vivent sous le seuil de pauvreté ; en Guyane, 53 %. La prime moyenne du portefeuille de l'une de nos collègues de Guadeloupe s'élève à 285 euros hors taxes, contre 265 euros pour l'un de nos collègues de l'Aisne – département qui ne subit pas les mêmes aléas que la Guadeloupe ! D'après France assureurs, la prime moyenne d'un propriétaire occupant s'établit à 268 euros. L'aspect financier est donc important, mais peut-être pas déterminant.

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Connaissez-vous le montant de la prime moyenne à Mayotte ?

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Julien Arnoult, responsable des études et des relations institutionnelles et secrétaire du groupe de travail sur le climat de la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance (Agéa)

Non, j'en suis navré.

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Édouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

Je ne dispose pas des chiffres exacts, mais le raisonnement s'applique de toute façon. L'existence de la péréquation du régime Cat nat réduit significativement le montant des primes dans les outre-mer, qui est comparable à celui de l'Hexagone.

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Il y a manifestement un problème de culture, comme vous l'évoquiez pour la Guadeloupe. Pendant très longtemps, les Mahorais ont compté sur Dieu, Allah ou je ne sais qui pour les protéger, sans jamais avoir l'idée de recourir à une assurance. Comment développer ce réflexe ?

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Par ailleurs, la culture a parfois bon dos : le problème peut venir plutôt de difficultés pratiques. Certaines personnes sont fragiles, isolées ; il arrive que la relation monétaire soit un obstacle. Selon vous, les services offerts sont-ils adaptés à la réalité des territoires ?

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Julien Arnoult, responsable des études et des relations institutionnelles et secrétaire du groupe de travail sur le climat de la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance (Agéa)

La même objection s'appliquerait à la métropole : si vous avez besoin d'un artisan pour rénover votre maison, préparez-vous à être patient, en particulier si vous recourez à une aide de l'État !

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Julien Arnoult, responsable des études et des relations institutionnelles et secrétaire du groupe de travail sur le climat de la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance (Agéa)

Les populations ultramarines sont indéniablement résilientes. Le non-recours à l'assurance prouve qu'elles se prennent davantage en main que les métropolitains. Nos collègues des outre-mer nous racontent que les métropolitains qui s'assurent chez eux les appellent au moindre arbre tombé quelque part, alors qu'un local le découpera lui-même sans se poser de questions.

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Vos propos rejoignent ceux de notre rapporteur sur le défaut d'information. Est-ce à l'État ou aux assureurs de se charger d'une campagne de sensibilisation ? Quoi qu'il en soit, il faut que les gens soient incités à s'assurer et informés des conditions dans lesquelles ils pourront faire intervenir leur assureur, un peu comme dans le domaine de l'assurance des véhicules.

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Julien Arnoult, responsable des études et des relations institutionnelles et secrétaire du groupe de travail sur le climat de la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance (Agéa)

Les bailleurs sociaux sont très présents outre-mer, notamment en Guyane où ils ont fait reculer l'habitat hors norme ou alternatif – à Saint-Laurent-du-Maroni, le nombre d'habitants recensés est passé de 20 000 à 50 000 en vingt ans. Ces bailleurs sociaux jouent un rôle essentiel en matière d'assurabilité quand ils prennent eux-mêmes une assurance au nom de leur locataire, comme c'est le cas à La Réunion – ils en répercutent le coût dans le montant du loyer. Dans d'autres cas, le bailleur social vérifie que le locataire a bien souscrit une assurance habitation au moment de la signature du bail. En revanche, il ne contrôle pas toujours son renouvellement. Un dialogue avec les bailleurs sociaux permettrait d'éliminer cette cause de sous-assurance, sans qu'il soit nécessaire d'en passer par une loi ou un règlement, à moins que vous n'en jugiez autrement.

Pour développer la culture assurantielle, et donc la culture du risque, nous proposons par ailleurs de prévoir un diagnostic spécifique lors des transactions immobilières, qui figurerait en annexe du document notarié, comme c'est déjà le cas pour les risques technologiques ou les performances énergétiques. L'acquéreur pourrait ainsi prendre conscience de la vulnérabilité du bien – aux cyclones, par exemple, qui menacent La Réunion quatre mois par an – et agir en conséquence, à charge pour les assureurs d'adapter leurs tarifs et leur politique de soutien à la rénovation après un sinistre.

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Pourriez-vous détailler votre proposition visant à garantir une offre assurantielle sur tout le territoire ? Si j'ai bien compris, quand vous donnez un taux de 60 % de biens assurés, vous ne vous référez qu'à ceux qui sont assurables, en excluant ceux qui sont situés dans la fameuse bande de 100 ou 150 mètres à partir du littoral.

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Julien Arnoult, responsable des études et des relations institutionnelles et secrétaire du groupe de travail sur le climat de la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance (Agéa)

Cette proposition est couplée à une autre dont je n'ai pas encore parlé. Pour établir un diagnostic spécifique, encore faut-il avoir des données. Nous proposons donc la création concomitante d'un observatoire des risques climatiques, qui collecterait les données des différentes compagnies. Une mutuelle publie déjà sur son site toutes les données dont elle dispose concernant les risques de cyclone, de submersion marine ou de gonflement d'argile. On peut aussi trouver des informations sur le site Géorisques. Selon le site de la mutuelle, il n'y a pas de risque de submersion ou d'inondation à Pointe-à-Pitre, alors que cette même ville est entièrement classée en zone inondable et submersible par Géorisques. Pour la Loire-Atlantique c'est l'inverse : le site de la mutuelle est à jour alors que celui de Géorisques ne l'est pas. Bref il nous faut un diagnostic, grâce à une mise en commun des données, qui serait la contrepartie du bénéfice du régime des catastrophes naturelles. Notre proposition vise à faire en sorte que chacun sache où il habite, quel risque il court et ce qu'il doit faire.

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Qu'en pensez-vous, monsieur le directeur général ?

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Édouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

Commençons par la cartographie, qui sera sans doute l'un des points essentiels du futur rapport sur l'assurabilité en France. Faut-il une cartographie ? Qui la fera ? À quoi serait-elle utile ? Actuellement, il existe des cartographies d'aléas et des cartographies de dommages. Il n'existe pas vraiment de cartographie de la présence des assureurs, autrement dit de la souscription, mais c'est envisageable. Pour ma part, je pense qu'il faudra élaborer une vraie cartographie des dommages et des aléas, afin de remédier au morcellement des plans de prévention des risques et des PPRI, et à l'imprécision de Géorisques. Mais le jour où cette cartographie précise de tous les aléas sera publiée, il faudra en avoir prévu les conséquences et être en mesure de proposer des solutions aux personnes concernées par les risques. Cette carte devenant en quelque sorte réglementaire, un peu comme un arrêté de catastrophe naturelle, tout le monde verra où se situe son bien immobilier et, le cas échéant, subira des conséquences économiques immédiates. À mon avis, il faudra quelques années pour élaborer cette cartographie réglementaire très fine, sorte d'extension des anciens PPRI, qui devra impérativement s'accompagner de solutions budgétaires et assurantielles.

Comment promouvoir l'assurance ? Il faut relativiser un peu l'importance de la culture dans le rapport à l'assurance : la débrouille peut être positive pour des dommages de faible ou de moyenne importance, mais elle ne peut répondre à des sinistres de grande ampleur, et encore moins aux vraies catastrophes de type Irma. Nos concitoyens doivent donc être conseillés et informés de ce genre de risques – celui de voir leur maison rasée. En effet, si certains assument sans difficulté les dommages de biens qu'ils n'ont pas assurés, d'autres, qui sont mal informés et mal assurés, peuvent se retrouver dans une situation dramatique. C'est pour ces gens, qui n'ont pas assuré une maison qui aurait dû l'être, qu'il faut une incitation beaucoup plus appuyée. Le phénomène commence à se développer sur le territoire national en cas de risque d'inondation, et il est encore plus net dans les départements et territoires d'outre-mer.

Il est un autre risque qui pèse sur le système : l'aléa moral. Il faut veiller à ce que l'octroi de fonds publics ne vienne pas perturber le régime des catastrophes naturelles. Un propriétaire peut en effet être dissuadé d'assurer sa maison et donc de bénéficier du régime Cat nat s'il fait le pari qu'il a de fortes chances de bénéficier d'un fonds ad hoc. Une compétition peut s'installer entre les mécanismes budgétaires et assurantiels. Il serait mieux de faire en sorte qu'ils se complètent, en intervenant dans des endroits différents, non qu'ils se cumulent.

Comment assurer des biens non assurables, notamment en bord de mer ? Dans tous les pays qui subissent de l'érosion côtière, on voit que la modulation tarifaire pratiquée par les assureurs n'est pas une solution : une modulation tarifaire délirante ou une absence d'assurance, c'est la même chose – sauf pour une frange très aisée de la population. Aux États-Unis, les médias font ainsi régulièrement état de gens qui ont perdu leur maison valant des millions, voire des dizaines de millions d'euros : ils n'étaient pas assurés, mais c'est leur problème. Ces cas extrêmes ne valent évidemment pas pour l'essentiel du territoire. Pour notre part, nous plaidons pour la délimitation de zones très restreintes où il ne sera plus possible d'assurer ses biens – le trait de côte, certains lits de rivières ou sites en montagne – afin de conserver un système d'assurance dans la plus grande partie possible du territoire national, y compris outre-mer. Pour conserver le système assurantiel sur la quasi-totalité du territoire, il faut accepter que de petites parties ne soient plus assurables, voire plus constructibles.

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Cela étant, comme le disait le président, entre la bande côtière de 100 ou 150 mètres et les zones protégées à d'autres titres, il ne reste plus grand-chose. L'habitat se retrouve parfois pris en sandwich entre deux zones déclarées inconstructibles à des titres divers et pour des motifs tout à fait défendables.

S'agissant de la révision des cartes, j'ai bien noté qu'il fallait cerner le problème et proposer une solution en même temps. Quelle échéance prévoyez-vous pour cette révision, compte tenu du réchauffement climatique et des aléas qui se modifient ?

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Édouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

Actuellement, nous n'avons pas de carte nationale avec le degré de granularité souhaité. À mon avis, son élaboration prendra quelques années – dix-huit mois ou trois ans, je n'en sais rien. Nous y avons réfléchi et nous pourrions être des contributeurs majeurs de cette élaboration, mais c'est l'État – notamment les ministères compétents, comme celui de la transition écologique et de la cohésion des territoires – qui doit décider de la forme de cette cartographie. Il serait dangereux d'aller trop vite, au risque de faire un peu n'importe quoi et d'envoyer des signaux contre-productifs en diffusant une carte imprécise.

À quel rythme faudra-t-il mettre cette carte à jour, compte tenu du réchauffement climatique et de la progression exponentielle du nombre de sinistres ? En la matière, il est préférable de se donner des rendez-vous réguliers. Cela vaut d'ailleurs pour le financement du régime : la hausse de la surprime catastrophes naturelles, qui est passée de 12 à 20 % pour la MRH et la MRP en décembre dernier, est suffisante à court terme, mais elle ne le sera pas à l'horizon de 2050. Faut-il se donner des rendez-vous réguliers, tous les deux ou cinq ans, ou opter pour une modification plus automatique ? Il y a débat. Pour la surprime comme pour la carte, il me semble difficile de ne pas envisager de regarder régulièrement, environ tous les cinq ans, la manière dont évoluent le trait de côte, les zones de fort ruissellement telles que les lits de rivière, les zones de débordement des fleuves et les lacs glaciaires des montages – sujet qui va malheureusement être de plus en plus d'actualité, avec des vies humaines directement en jeu. En résumé, la carte pourrait être créée en quelques années et révisée ensuite tous les cinq ans.

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Un décret, publié le 29 avril 2022, dresse la liste des communes affectées par l'érosion côtière et contraintes d'établir une carte des zones rouges où toute urbanisation sera interdite à l'horizon de trente et de cent ans. La Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et Mayotte se sont portées volontaires pour intégrer cette liste et élaborer une carte, avec l'aide d'un bureau d'études. Cette cartographie fine, à l'échelle communale, va permettre de visualiser presque bien par bien ceux qui seront affectés par les risques d'érosion et de submersion. Une mise à jour est prévue tous les six ans.

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Voulez-vous reprendre la parole sur un point oublié ou pour un propos conclusif ?

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Julien Arnoult, responsable des études et des relations institutionnelles et secrétaire du groupe de travail sur le climat de la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance (Agéa)

J'aimerais revenir sur un organisme auquel il a été fait allusion à propos de la culture assurantielle : le bureau central de tarification (BCT), dont c'est un euphémisme de dire qu'il est méconnu et sous-utilisé. Les agents d'assurance auraient des progrès à faire en la matière, les citoyens n'ayant aucune raison de connaître spontanément l'existence du BCT.

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Édouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

En résumé, je dirais qu'il faut plusieurs conditions pour que le régime des catastrophes naturelles fonctionne. Premièrement, il doit pouvoir s'adosser à une assurance primaire. Deuxièmement, il doit bénéficier d'un financement au bon niveau – la hausse de la surprime a été notre cadeau de Noël, le 28 décembre dernier, mais l'effort doit continuer. Troisièmement, il doit être envisagé en lien avec la prévention : plus les catastrophes naturelles augmentent en fréquence et en intensité, plus l'accent doit être mis sur la prévention, notamment au travers du fonds Barnier. Enfin, quatrièmement, il faut garder à l'esprit que ce régime est fondé sur la carence du marché et étudier en permanence la frontière d'assurabilité, de façon à ne rien rater des futurs dommages dans l'Hexagone ou dans les territoires d'outre-mer.

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Il me reste à vous remercier pour la qualité de vos interventions. Les suggestions faites nous permettent de construire, jour après jour, ce rapport destiné à éclairer la représentation nationale sur les risques majeurs qui pèsent sur l'outre-mer et les solutions pour y remédier.

La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède l'audition ouverte à la presse de la table ronde « Le logement face aux risques naturels en outre-mer » réunissant : Union sociale pour l'habitat (USH) : M. Jeremy Ferrari, responsable de département transition et résilience du parc, M. Brayen Sooranna, directeur outre-mer et M. Alban Charrier, directeur adjoint, direction de la maîtrise d'ouvrage et des politiques patrimoniales ; Action logement, direction outre-mer : MM. Ibrahima Dia, directeur et Vincent Bretin, directeur Territoire ; Union sociale pour l'habitat outre-mer (USHOM) : Mme Sabrina Mathiot, directrice ; Fédération française du bâtiment (FFB) : M. Stéphane Brossard, président de la commission technique de la Fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics.

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Nous accueillons aujourd'hui des représentants de l'Union sociale pour l'habitat (USH), d'Action logement, de l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (USHOM) et de la Fédération française du bâtiment (FFB) pour une table ronde consacrée au logement face aux risques naturels en outre-mer.

Avant de leur céder la parole, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Sabrina Mathiot, MM. Ibrahima Dia, Vincent Bretin, Brayen Sooranna, Jeremy Ferrari, Alban Charrier et M. Stéphane Brossard prêtent successivement serment.)

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Brayen Sooranna, directeur outre-mer de l'Union sociale pour l'habitat (USH)

Depuis plus de trente ans, la mission outre-mer, devenue direction, assure, au sein de l'USH, l'animation de la politique nationale du logement social pour ses acteurs dans les départements, régions et collectivités d'outre-mer (DROM-COM). Notre travail consiste notamment à élaborer, de manière concertée, des propositions législatives et réglementaires ; à appuyer et à animer l'action professionnelle dédiée aux organismes de logement social dans les outre-mer ; à communiquer sur les actions de l'USH dans les outre-mer ; à développer les partenariats avec les instances professionnelles et associatives ainsi qu'avec les services de l'État.

Nous avons préparé cette audition avec l'Agence qualité construction, les bailleurs sociaux ultramarins ainsi que les associations régionales des maîtres d'ouvrage sociaux (Armos), avec lesquelles notre partenariat repose, dans l'océan Indien, en Guadeloupe et en Guyane, sur l'organisation d'activités telles que des séminaires dédiés aux bailleurs sociaux ainsi que sur la contribution à nos études et à nos commissions.

Les outre-mer restent marqués par une forte baisse de l'offre de logements neufs – en locatif et en accession – et par la persistance d'un habitat indigne, deux tendances qui s'expliquent notamment par la hausse des coûts de revient du logement social ainsi que par la faible réhabilitation du parc locatif social. Dans les Drom, 80 % de la population est éligible au logement social, contre 65 % en France hexagonale, et un peu plus de 70 % au logement très social, contre 36 % dans l'Hexagone. Le nombre de demandes de logement s'élevait à 90 000 en 2023.

S'agissant des risques naturels majeurs, tous les territoires en outre-mer ne sont pas exposés de la même manière. Il est donc primordial de les différencier ; l'application uniforme de la réglementation serait préjudiciable. Certains risques sont déjà bien connus – les cyclones, les séismes, le volcanisme – et depuis longtemps – des centaines d'années pour certains d'entre eux – et leur gestion est bien maîtrisée. S'ils ne sont pas une nouveauté, les risques sont néanmoins accentués par le dérèglement climatique qui entraîne l'accroissement progressif des températures, de la fréquence et de l'intensité des cyclones, de la fréquence des précipitations, ainsi que la hausse du niveau des mers ou encore la recrudescence des méga feux de forêt. En outre, certains phénomènes naturels tels que la prolifération des sargasses ou les épisodes de sécheresses de plus en plus intenses ont fait leur apparition – en 2023, Mayotte a ainsi connu sa pire sécheresse depuis vingt-cinq ans ; les territoires isolés de Grand-Santi, Maripasoula Papaïchton en Guyane ont également été victimes d'une sécheresse, qui a entravé la circulation sur les différents fleuves.

Nous prenons aussi en considération l'activité volcanique aux Antilles, à La Réunion ainsi qu'en Polynésie – je pense aux coulées de lave au Prêcheur en Martinique qui peuvent rapidement emporter des habitations – et sismique – le Fani Maoré à Mayotte en est l'exemple le plus récent.

Les impacts sur l'habitat outre-mer sont de différentes natures : techniques et structurels ; liés au confort de vie – les dégradations hydro-thermiques, les performances des matériaux, les dégradations d'espaces publics – ; sanitaires ; sociales – l'accroissement de la pauvreté, les politiques de relocalisation ; économiques – la hausse des coûts de reconstruction ou de réhabilitation ou encore l'isolement de certaines zones, dites enclavées telles que Maripasoula en Guyane.

En tant que maître d'ouvrage social, nous réfléchissons aux besoins d'adaptation de l'architecture et de la construction, aux usages, à la capacité de résilience, aux interactions avec les espaces extérieurs et aux questions économiques.

Les normes restent un important sujet de préoccupation. Alors qu'il manque 110 000 logements dans les territoires ultramarins, celles-ci nous empêchent aujourd'hui d'avancer de manière aussi fluide que nous le souhaiterions. Leur empilement risque de compromettre la construction.

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Ibrahima Dia, directeur outre-mer d'Action logement

Action logement est géré de manière paritaire par les organisations patronales et syndicales. Depuis plus de soixante-dix ans, nous travaillons pour favoriser le lien entre emploi et logement dans l'Hexagone et en outre-mer.

Les partenaires sociaux d'Action Logement ont décidé en 2019 d'un plan d'investissement sur trois ans de 9 milliards d'euros, dont 1,5 milliard était destiné à améliorer les conditions d'habitat des cinq départements ultramarins.

Entre 2019 et 2022, nous y avions engagé 1,1 milliard. Nous avons financé tous les bailleurs par le biais de nos trois filiales – une filiale en Guadeloupe, Sikoa, une filiale en Martinique, Ozanam, une filiale à La Réunion, la SHLMR – auxquelles se sont depuis ajoutées deux autres filiales en Guyane – la société immobilière foncière d'aménagement de Guyane (Sifag) qui travaille sur les dents creuses et permet aux salariés de se rapprocher davantage de leur lieu de travail – et à Mayotte – Action logement Mayotte (Al'ma) qui vise à apporter de la diversité, de la mixité et du logement. Le parc immobilier d'Action logement en outre-mer compte plus de 46 000 logements dans les cinq départements.

Nous sommes évidemment très soucieux et très à l'écoute de ce qui se passe dans ces territoires. En ce qui concerne la prévention des risques naturels, nous avons mis en place plusieurs actions sur lesquelles reviendra Vincent Bretin. Il est important pour un groupe comme le nôtre de s'engager sur le développement durable ou sur les risques naturels.

Le rôle d'Action logement ne se limite pas au financement des bailleurs Nous apportons des aides aux salariés dans tous les territoires. N'oublions pas qu'Action Logement est financé par la participation de l'employeur à l'effort de construction (PEEC). Notre action dans ce domaine permet de sécuriser le parcours résidentiel des salariés. Nous avons distribué plus de 7 200 aides aux salariés dans les cinq départements en 2023.

Il faut également mentionner certaines actions concrètes en matière d'insalubrité et de régularisation foncière en Guyane, mais également à Mayotte.

Action Logement, ce sont plus de 20 000 salariés de Pointe-à-Pitre à Mamoudzou, en passant par Nantes. Nous sommes présents dans tous les territoires pour apporter notre modeste contribution à l'amélioration des conditions de vie et d'habitat des salariés dans le cadre de notre mission d'utilité sociale.

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Vincent Bretin, directeur territorial d'Action logement

Notre parc compte environ 46 000 logements dans les territoires ultramarins. Les risques naturels sont recensés dans notre cartographie des risques. Cette cartographie est actualisée tous les ans parce que, d'une part, notre patrimoine évolue – nous construisons et nous réhabilitons tous les ans des logements –, et, d'autre part, les risques évoluent. Nous nous adaptons à l'évolution des normes – nous avons ainsi intégré le plan de prévention des risques naturels (PPRN) – mais nous allons aussi parfois au-delà en fonction de nos échanges avec des experts ou les directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal). Face au risque de submersion par exemple, notre métier étant de construire et de manière durable, nous devons réfléchir à nos projets de développement dans les territoires à risque à moyen terme.

Face aux cyclones, notre patrimoine résiste plutôt bien. Nous l'avons vu à La Réunion lors du passage de Belal, les normes et les travaux que nous avons entrepris, notamment en matière d'enfouissement et de sécurisation, ont permis aux bâtiments de résister plutôt bien au vent. En revanche, nous avons noté une sensibilité aux inondations provoquées par les fortes pluies. Nous envisageons donc des adaptations. Nous avons reçu environ 400 demandes d'intervention liées au passage du cyclone, essentiellement pour des problèmes d'infiltration sur les menuiseries. Nous travaillons donc à l'installation de volets, qui n'est pas obligatoire selon la réglementation actuelle, mais qui permet de protéger un peu mieux l'habitat.

En ce qui concerne le risque sismique, nous travaillons sur le bâti aux Antilles, mais pas seulement. Action logement consacre aujourd'hui 170 millions d'euros à la sécurisation du patrimoine antillais. Il faudra vraisemblablement démolir certains immeubles.

Il est important de parler aussi de l'humain. Nos équipes participent aux exercices organisés par les préfets mais nous effectuons aussi nos propres exercices et nous proposons des formations. Les récents épisodes l'ont montré, on n'a jamais fini de répéter, d'alerter, et de sécuriser. Certains de nos personnels sont désormais habilités en tant qu'inspecteur d'urgence post-sismique. Il faut valoriser cet aspect.

Je cite un exemple pour illustrer l'évolution des risques. Le cyclone Irma était classé en catégorie 5 – la catégorie la plus élevée qui correspond à des vents à 230 kilomètres par heure. Or pour Irma, on a enregistré des vents à 365 kilomètres par heure. Il convient donc de réfléchir aux adaptations nécessaires à des épisodes de plus en plus violents.

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Sabrina Mathiot, directrice de l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (Ushom)

L'Union sociale pour l'habitat outre-mer (Ushom) regroupe les bailleurs sociaux ultramarins. Elle veille à l'adaptation des dispositifs législatifs et réglementaires aux spécificités de ces territoires et elle anime des actions en faveur des bailleurs pour les aider à monter en compétence.

Parmi les risques majeurs, on peut citer pour l'océan Indien les cyclones, les éboulements, le risque d'effondrement ; le risque sismique est moyen – Mayotte est classée en zone trois et La Réunion en zone deux. Aux Antilles, le risque sismique est relativement élevé tandis que les îles sont désormais plus exposées au risque de cyclones – jusqu'à présent, il n'existait pas de réglementation paracyclonique.

Les bailleurs sociaux ont non seulement toujours été prompts à suivre toutes les recommandations faites par les autorités mais ils ont aussi adopté des dispositifs à leur initiative.

L'Ushom représente un peu plus de 775 000 logements dont 170 000 sont sociaux. Je précise qu'il n'est pas question de mener des politiques publiques de l'habitat, sans penser au parc privé. Le plan séisme Antilles, dans sa troisième phase (PSA3), illustre bien la prise de conscience du rôle de celui-ci.

On évalue entre 100 000 et 120 000 le nombre de logements indignes – au sens de leur solidité – qui sont particulièrement exposés aux risques naturels majeurs – cyclones et séismes.

En ce qui concerne l'exposition au risque sismique dans le parc public, la construction est soumise depuis 1991 aux BAEL – règles techniques de conception et de calcul des ouvrages et constructions en béton armé suivant la méthode des états limite. Le calcul à l'état limite ultime pondère toutes les charges – charges permanentes et charges d'exploitation – pour déterminer le dimensionnement du bâtiment à la rupture. Dans toutes les constructions publiques postérieures à 1965, les aciers doivent respecter des normes. Le risque est très élevé dans les bâtiments construits entre 1955, date de la création des premières sociétés d'économie mixte, et 1965. À partir de 2011 et l'arrivée des Eurocodes – codes de construction en Europe –les constructions sont antisismiques. Il convient donc de graduer l'exposition au risque sismique selon la construction.

Lors d'un séisme, on observe une translation : le bâtiment bouge du fait de l'accélération de l'onde sismique avec le poids de votre bâtiment. Lors d'un cyclone, les vents viennent frapper sur une façade et exercent une pression et un arrachement sur l'autre. Ce risque est très bien intégré par le secteur de la construction ultramarine. Vous ne trouverez quasiment pas de bardages pointés, c'est-à-dire cloués, ils sont tous vissés. Il en est de même pour les toitures : un diaphragme est installé en haut des bâtiments avant de poser la charpente. C'est la preuve que le BTP s'adapte. La norme Neige et vent s'appliquera probablement en janvier 2026 : le décret est paru en novembre 2023, l'arrêté devrait suivre. L'évaluation des risques doit permettre de définir des priorités dans les actions à conduire.

Environ 25 % du parc social a été construit avant les années 1970 : celui-ci exigera soit une démolition, soit un confortement. Pour le reste, le confortement ne sera pas nécessairement très coûteux. Quant au parc privé, le PSA3 en tient compte. Une expérimentation, actuellement menée par la Deal de la Martinique, vise à étendre au logement privé les dispositifs de droit commun en matière de confortement, ce qui est une très bonne chose. Cependant, même si la prise en charge des travaux peut atteindre 80 % dans les zones rouges, leur coût reste très élevé par rapport aux revenus des populations. Les PPRN sont un très bon outil pour réguler, en particulier dans les zones de danger imminent. L'indemnisation des expropriations par le biais du fonds Barnier – fonds de prévention des risques naturels majeurs – peut intervenir très rapidement. Reste le problème des personnes sans droit ni titre.

L'angle mort aujourd'hui concerne les zones rouges qui sont exposées mais n'ouvrent pas droit à des aides pour financer des travaux dans le parc privé. L'urbanisation a, à juste titre, été figée dans ces zones – on ne peut plus construire ou, à tout le moins, les prescriptions sont très rigides – mais les aides sont inexistantes. On y trouve des mamies d'un certain âge qui n'ont pas beaucoup de moyens et qu'il est toujours très compliqué de faire bouger. Comment financer leur relocalisation hors des zones de danger ? J'ai l'exemple dans une opération de prêt social location-accession (PSLA) à Petit-Bourg en Guadeloupe, d'une mamie qui n'a perçu que 12 000 euros pour être délogée. Le relogement des habitants des zones exposées et les moyens qu'on y consacre restent source de difficultés.

S'agissant du confortement antisismique, depuis l'instauration du PSA en 2007, les chiffres sont plutôt bons mais la capacité du secteur du BTP à répondre au marché est très limitée. Ozanam, la filiale d'Action logement à la Martinique, m'a ainsi indiqué qu'elle était confrontée à des appels d'offres infructueux. Il faut prendre en considération cette donnée dans la répartition des flux financiers. Je note un motif de satisfaction : le déplafonnement du fonds Barnier depuis 2019 et son ouverture au parc privé depuis 2021. La coexistence du fonds Barnier et de la ligne budgétaire unique (LBU) est aussi un point positif.

Je tiens absolument à le rappeler, l'âge moyen du parc social en outre-mer est de 21 ans – il est de 39 ans dans le parc hexagonal –, ce qui signifie qu'ils ont encore vingt ans de dette devant eux ; autrement dit, leur capacité d'autofinancement est plus que limitée. En dépit de l'importance des aides dont ils bénéficient, l'autofinancement représente pour eux un effort notable.

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Stéphane Brossard, président de la commission technique de la Fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics

Je représente la Fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics (FRBTP), qui est un syndicat de constructeurs, présent à l'île de La Réunion depuis plus de soixante-dix ans. Nous avons acquis un savoir-faire constructif adapté au climat local. Nous construisons dans les zones qui nous sont réservées, en dehors des lieux soumis à l'activité du volcan. Nous bâtissons dans des zones exposées aux vents alizés, à la corrosion, à un rayonnement ultraviolet très élevé, à des températures oscillant entre 15 et 35 degrés, à une humidité quasi-permanente. Les vents peuvent être quasi cycloniques, comme nous l'a montré récemment l'exemple de Belal.

Notre savoir-faire repose en particulier sur le contreventement, qui nous permet de stabiliser l'ouvrage et, surtout, de l'ancrer au sol ou aux fondations. C'est la base de la construction dans un climat cyclonique. Nous employons des technologies particulières, des structures et des couvertures différentes de celles que l'on rencontre habituellement en France, notamment la tôle ondulée.

On doit malheureusement constater l'inadaptation des normes outre-mer, par exemple des DTU (documents techniques unifiés). La tôle ondulée a ainsi été retirée – de manière inadmissible, selon nous – de la liste de l'Afnor (Association française de normalisation) en 2004 par une décision prise à l'échelon national, alors que c'est une technique très éprouvée, résistante aux vents cycloniques, qui a la capacité de renvoyer une partie de la chaleur, surtout si le matériau utilisé est clair. Elle convient au climat de la plupart des outre-mer. Alors que nos professions se sont adaptées pour protéger les habitants des outre-mer, on ne peut que regretter la décorrélation entre ce qui se fait à l'échelon national et les réalités ultramarines.

On constate des difficultés d'application des normes d'accessibilité, dites PMR (personnes à mobilité réduite), sur des territoires volcaniques, à forte pente. L'application de la réglementation thermique, acoustique et aération (RTAA-DOM) à La Réunion a entraîné une évolution des techniques constructives mais a aussi engendré de nombreux sinistres, car on nous a demandé parallèlement d'aménager des passerelles permettant une ventilation traversante sans seuil d'accessibilité. Une mise en œuvre stricte de la réglementation peut favoriser la sinistralité et l'insalubrité. Autrement dit, le taux d'insalubrité est lié au climat de nos territoires mais aussi à des technologies inadaptées à ces derniers.

S'agissant des normes paracycloniques, je partage l'analyse qui a été faite : porter son attention exclusivement sur le vent est une erreur stratégique, que nous avons signalée au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). C'est en effet l'eau qui tue : Belal a ainsi causé le décès de quatre personnes, par noyade, à La Réunion, alors que le vent n'a entraîné aucun dégât structurel sur les constructions.

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Les assureurs que nous avons auditionnés nous ont dit que les bâtiments situés à moins de 100 mètres, et parfois même à moins de 150 mètres du rivage ne sont pas assurables. Quelle proportion de votre parc de logements sociaux cela concerne-t-il ? Quelle solution peut-on trouver dans ces cas de figure ? Avez-vous mené un audit de la couverture assurantielle de vos bâtiments ? Tous vos parcs HLM sont-ils assurés ? Quel coût l'assurance représente-t-elle par rapport aux charges supportées par les locataires ?

À Saint-Martin, lorsqu'on a voulu modifier le PPRN à la suite du cyclone Irma, la première version du plan, qui était largement centrée sur la notion de submersion, a donné lieu à des émeutes et à une forte contestation sociale. La copie a été corrigée à la suite de la concertation ; elle a mieux pris en compte le vent et considéré de manière plus mesurée le risque de submersion. En vous écoutant, je me demande si on n'a pas un peu baissé la garde, en veillant surtout à rendre une copie acceptable. C'est une question importante. On ne peut pas simplement dire aux gens qu'une vérité incontestée s'impose à eux, qui va bouleverser leur niveau de vie.

Compte tenu du fait qu'un certain nombre de biens ne sont plus assurables, ou ne le seront plus demain, et eu égard à l'accroissement des risques, comment envisagez-vous l'évolution de la disponibilité foncière ? Pourra-t-on encore construire et, le cas échéant, dans quelles conditions ? Restera-t-il des terrains pour le logement social ?

Comment intégrez-vous, en tant que bailleurs et responsables de la commande des bâtiments, les évolutions normatives à venir ? Faudrait-il mieux prendre en compte les usages locaux – je pense par exemple aux terrasses et aux loggias – et définir des règles plus respectueuses des habitudes ?

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Sabrina Mathiot, directrice de l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (Ushom)

Je ne dispose pas des chiffres exacts concernant l'assurabilité ; on pourra interroger les bailleurs. Après le passage d'Irma, Saint-Martin a subi un triplement du montant des primes d'assurance, ce qui n'est pas admissible, à moins de considérer que la solidarité nationale se limite à l'Hexagone et qu'il faut créer un fonds spécifique pour les outre-mer. On a déjà connu ce type de fonds ; personnellement, je n'y suis pas favorable. L'assurance et la réassurance sont des questions importantes, pas seulement pour l'habitat : je pense, par exemple, au fonds de secours pour les outre-mer (FSOM), qui est un fonds particulier dédié, entre autres, aux agriculteurs.

On doit mener une réflexion sur la mutualisation de l'assurance avec l'ensemble du territoire hexagonal. Rappelons que plus de 20 millions de personnes, dans l'Hexagone, vivent dans des zones potentiellement inondables : le risque y est donc aussi présent. La question est de savoir ce que l'on admet. Il faut, à mon sens, prendre des mesures comparables à celles qui avaient été décidées en 1978 dans le cadre de la « loi Spinetta » concernant l'assurance dommages-ouvrage. On devrait soumettre les assurances à certaines obligations, dans des conditions raisonnables. Un travail législatif est à mener en cette matière.

Faut-il bâtir uniquement selon des normes anticycloniques, quitte à augmenter considérablement le prix de la construction ? Les phénomènes climatiques devraient certainement s'aggraver mais l'essentiel me paraît être de sauver des vies sans essayer de sauvegarder l'ensemble du patrimoine, car cela serait difficilement finançable. Des pays parmi les plus développés, tel Singapour, construisent des logements comportant un lieu sécurisé – une sorte de bunker – mais n'appliquent pas nécessairement de normes paracycloniques ou antisismiques partout. C'est ce que l'on fait en matière de sécurité incendie, en prévoyant, par exemple, que la cage d'escalier doit être calfeutrée. Cela nécessite un réexamen complet de notre façon de voir les choses et de notre conception de la sécurité.

Les vents, qui ont soufflé à 300 kilomètres par heure avec Irma, atteindront peut-être, demain, 350 kilomètres par heure. Dès lors, où placer la limite ? On risque de s'engager dans une fuite en avant.

La crise du logement en outre-mer est autrement plus importante que dans l'Hexagone : on y compte 150 000 logements insalubres et de nombreux objectifs restent à atteindre. Dans le même temps, on veut tout sécuriser. Cette réflexion vaut aussi pour la France hexagonale. Il faut repenser notre manière de sécuriser les lieux.

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Vincent Bretin, directeur territorial d'Action logement

Dans la commune du Prêcheur, en Martinique, on assiste à un recul du trait de côte et à une relocalisation, déjà engagée, de l'habitat. Nous y participons, en notre qualité d'opérateur mais aussi de partenaire, puisque nous travaillons au relogement des familles concernées.

Le centre-ville de Fort-de-France n'est pas identifié comme une zone à risque, bien qu'il existe de réelles perspectives de submersion, dont on commence à percevoir certains signes. Il y a là des enjeux d'identification des zones constructibles et de repositionnement du patrimoine.

Nous ne pouvons plus assurer certains logements, que nous retirons de la location, du fait de submersions récurrentes – cela concerne en particulier la Guadeloupe.

Jusqu'à présent, nous n'avions pas matérialisé, en tant que tel, le risque de non-assurance des logements dans notre cartographie des risques mais c'est chose faite depuis cette année.

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Stéphane Brossard, président de la commission technique de la Fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics

À La Réunion, on se trouve assez vite en altitude lorsqu'on s'éloigne de la côte. Le tsunami de 2004 y a causé peu de dégâts car l'île ne comporte pas de plateau : la mer atteint rapidement une profondeur assez élevée, ce qui atténue les ondes. En revanche, La Réunion est exposée à la houle cyclonique, qui avait atteint 11,5 mètres, au Port, lors du passage de Gamède. En pareil cas, les digues sont submergées et les centres-villes peuvent être touchés. On est davantage confronté à la houle cyclonique – ou parfois hivernale, dans le sud de l'île – qu'à une montée régulière du niveau de la mer. Cela appelle un aménagement côtier important.

Lorsque l'on construit en bord de mer, on est exposé à une corrosion intense, qui exige, non pas l'emploi d'une tôle en acier classique, mais d'une tôle en aluminium d'Afrique du Sud, qui offre une meilleure résistance de la couverture et des façades.

Nous allons bien au-delà des spécifications du Bael puisque l'enrobage de l'acier auquel nous procédons peut excéder 5 centimètres. De la même façon, nous assurons l'étanchéité la plus forte possible des façades grâce à l'emploi des normes les plus exigeantes concernant les imperméabilisants, qui protègent le béton. Cela nous permet d'avoir un clos couvert relativement important, qui bénéficie de menuiseries de qualité marine. C'est une technologie très éprouvée mais coûteuse, ce qui explique que le prix de la construction au mètre carré soit plus élevé à La Réunion qu'en métropole, bien que nous n'ayons pas de système de chauffage.

Pendant vingt ans, on a appliqué une double norme : celle, classique, dite « neige et vent », prévue pour 210 kilomètres par heure, et, pour les bâtiments désignés par le plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) et les bâtiments névralgiques, une limite portée à 288 kilomètres par heure. Dans le cadre de l'élaboration de la dernière réglementation paracyclonique, nous avons émis le souhait que l'on n'impose pas une augmentation générale de la vitesse de base, étant rappelé qu'une hausse de 4 mètres par seconde représente 25 % de charges complémentaires, soit 50 millions d'euros. Nous avons proposé de garder la norme de 34 mètres par seconde pour les bâtiments courants et d'appliquer une majoration pour les bâtiments névralgiques.

En notre qualité de constructeurs, nous sommes révoltés par le fait que l'on demande aux gens de rester chez eux, en cas d'alerte rouge ou violette, alors que la majorité des bâtiments ont été édifiés avant les Eurocodes et, pour certains, sont le fruit d'une autoconstruction. Les habitants encourent ainsi plus de risques chez eux que dans les bâtiments désignés par le plan Orsec.

Belal a entraîné des dégâts d'un montant de 100 millions d'euros. Est-on capable d'investir 50 millions chaque année, pendant 10 ou 15 ans, pour se prémunir contre un tel risque ? Il faut revenir à quelque chose de plus mesuré, ne pas alourdir les normes et éviter de casser la machine de la construction, qui est déjà très affaiblie à La Réunion. La gestion des événements climatiques est perfectible.

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Alban Charrier, directeur adjoint au sein de la direction de la maîtrise d'ouvrage et des politiques patrimoniales de l'Union sociale de l'habitat

Nous ne disposons pas des chiffres relatifs aux logements concernés par la problématique de l'assurance. On est également confronté, dans l'Hexagone, à l'explosion des primes et à la difficulté de se faire assurer.

Le PPRN nous paraît un outil utile pour assurer l'application des normes. C'est un moyen de sensibiliser la chaîne des acteurs, qu'il s'agisse du maître d'ouvrage ou des acteurs professionnels qui s'appuient sur la maîtrise d'œuvre, le bureau de contrôle et les entreprises. Le fait d'avoir ces informations permet à l'ensemble d'entre eux de concevoir, de construire et de contrôler les bâtiments en ayant ces risques à l'esprit. Lorsque l'on actualise les normes, il faut trouver un équilibre entre le traitement du risque et son coût, pour pouvoir continuer à construire et créer du logement.

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Sabrina Mathiot, directrice de l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (Ushom)

Si le PPRN est efficace pour la maîtrise d'ouvrage sociale – autrement dit, pour les bailleurs sociaux et les professionnels du secteur –, il l'est beaucoup moins pour les personnes privées. On aura beau définir des zones rouges et y interdire la construction, on n'empêchera pas une famille, qui vit à un endroit donné depuis plusieurs générations, de bâtir une extension, par exemple. Rappelons que, bien souvent, les habitants ont bâti leur maison eux-mêmes, sans solliciter de permis de construire. Surtout, dans les zones rouges – qui diffèrent en cela des zones à danger imminent –, les habitants ne peuvent pas prétendre à une indemnisation. En cas de danger, il faut une maîtrise d'œuvre urbaine et sociale (Mous) pour convaincre les gens de quitter les lieux, donc vous pouvez imaginer ce qu'il en est dans une simple zone rouge.

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Brayen Sooranna, directeur outre-mer de l'Union sociale pour l'habitat (USH)

Le PPRN ne permet pas de réguler la pression foncière mais peut néanmoins avoir un certain impact. Il faudrait mener une réflexion à l'échelle de la parcelle. À Mayotte, des zones entières sont considérées comme non constructibles. La réflexion au niveau de la parcelle, dans le PLU (plan local d'urbanisme) et le PPRN, permettrait de mieux qualifier le risque, de mieux maîtriser les coûts et de favoriser la quantité et la qualité des logements construits.

Il faut aussi prendre en compte, dans les Antilles, la question de l'échouement des sargasses. Certains bailleurs font le choix de ne pas construire dans les zones affectées par ces dernières, notamment du fait des effluves qu'elles libèrent. Un rapport parlementaire pourrait utilement se pencher sur cette question. Il s'agit non seulement de comprendre comment se forment les radeaux de sargasses mais aussi d'analyser les conséquences de ce phénomène, par exemple sur le logement. On constate en effet, dans un certain nombre de communes de Martinique et de Guadeloupe, que des locataires quittent leur logement en raison des odeurs et des effets des algues sur la santé. Les bailleurs, les collectivités et les Deal (directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement), entre autres acteurs, ont besoin d'informations pour réfléchir aux possibilités de réutilisation des sargasses et aux moyens d'éviter leur extension, à l'avenir, dans l'ensemble de la Caraïbe.

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L'Assemblée nationale et le Sénat ont déjà consacré à la question des sargasses plusieurs rapports d'information. Cela ne signifie pas, toutefois, que toutes les solutions s'y trouvent.

Messieurs les représentants d'Action logement, comment vous assurez-vous que les aides sollicitées par les habitants serviront à prémunir leur logement contre les risques naturels ? Soumettez-vous le versement de l'aide à une forme de conditionnalité ? Accompagnez-vous les bénéficiaires ? Vous arrive-t-il de refuser un financement lorsque l'habitation se trouve dans une zone dangereuse ou est trop éloignée de certaines normes ?

Par ailleurs, et cette question s'adresse plutôt au représentant de la FRBTP, la puissance publique vous accorde-t-elle des aides à la rénovation adaptées, susceptibles de vous permettre de mener à bien la transition énergétique et de faire face au changement climatique et à l'accroissement des risques naturels qu'il entraîne ?

Enfin, et là je m'adresse à vous tous, disposez-vous d'une programmation de l'évolution du patrimoine de vos adhérents tenant compte des risques encourus du fait de l'ancienneté d'une partie du bâti et de sa non-conformité aux nouvelles normes des PPRN ?

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Ibrahima Dia, directeur outre-mer d'Action logement

Dans le cadre du déploiement du programme d'investissement volontaire, Action logement a consacré des moyens significatifs aux territoires ultramarins en vue d'y améliorer les conditions de logement des salariés ou de leur permettre d'accéder au logement, mais aussi de les prémunir contre les risques naturels.

Nous avons ainsi créé deux filiales, Mayotte habitat et Guyane habitat, qui dépendent d'AtriOM, filiale guadeloupéenne. Elles constituent une interface sociale et financière dont bénéficient les familles les plus modestes.

Dans ce cadre, deux prêts à taux fixe ont été prévus, l'un de 30 000 euros, remboursable en dix ans, qui permet aux habitants de ces territoires de régulariser leurs parcelles dans de bonnes conditions, l'autre de 50 000 euros, vise aussi à l'amélioration de l'habitat informel et est destiné aux foyers qui sont aux minima sociaux, et ne percevant donc pas un salaire alors que le financement est assuré par la PEEC.

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Sabrina Mathiot, directrice de l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (Ushom)

S'agissant de l'habitat privé, l'État, suivant sa doctrine, réserve ses aides aux habitants des zones sur lesquelles pèse un danger imminent, ou zones rouge foncé. Dans les zones rouges, en revanche, qui ne sont pas menacées par un tel danger, tous les dispositifs de droit commun ne sont pas opérants. Par exemple, l'Anah (Agence nationale de l'habitat) n'y intervient pas et, en 2022, ses actions sur l'habitat privé n'ont concerné que 101 logements. Or les habitants des zones rouges ne les quitteront pas.

La doctrine de l'État évoluera-t-elle afin de permettre à ceux qui n'ont ni droits, ni titres de bénéficier d'une régularisation, et à ceux qui sont propriétaires de plein droit et dont la famille occupe le logement depuis des générations de percevoir les aides de l'Anah, qui pourraient s'ajouter aux autres aides qui leur sont destinées ?

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Ibrahima Dia, directeur outre-mer d'Action logement

S'agissant de la régularisation foncière à Mayotte, les difficultés ne tiennent pas qu'à l'absence de moyens financiers. Elles ont trait aussi à l'accompagnement des familles souhaitant présenter un titre foncier pour contracter un prêt et régulariser leurs parcelles. Pour obtenir ce titre, il faut en effet contacter un notaire. Or, à Mayotte, il n'y en a pas beaucoup. En partenariat avec la commission d'urgence foncière, nous nous sommes efforcés de lever cet obstacle, qui peut paralyser les familles pendant de longues années. Nous travaillons également avec quelques associations qui les aident à mener à bien leurs démarches de titrisation.

En outre, certains assureurs ne jouent pas le jeu des garanties dommages-ouvrage. Il faut y mettre fin.

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Ce que vous dites, madame Mathiot, est important, mais, quand il s'agit d'évoluer, notre pays fait souvent preuve de lourdeur. Ainsi, alors que la suppression du droit du sol à Mayotte a été proposée dès 2005, le Gouvernement n'envisage de l'appliquer qu'aujourd'hui, soit près de vingt ans plus tard.

Quant à la question de la régularisation des parcelles de la zone dite « des cinquante pas géométriques » (ZPG), je l'avais posée en 2007, lors de l'examen du projet de loi portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer. On ne m'avait pas alors entendu. Aucun gouvernement ne demandera aux habitants de la ZPG de la quitter pour s'installer ailleurs. Ils s'y accrochent parce qu'ils ont reçu cette terre de leurs ancêtres et nul ne pourra les en arracher. J'avais tout simplement proposé la régularisation de leurs parcelles, qui aurait permis à des acteurs privés de participer financièrement à leur aménagement, de les sécuriser, et aux communes de prélever des taxes foncières supplémentaires. Mais, quand on n'a pas la chance d'avoir fait l'ENA, il est bien difficile de se faire entendre…

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Stéphane Brossard, président de la commission technique de la Fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics

La semaine dernière, les membres de l'Agence qualité construction ont posé la première pierre d'une future concertation générale sur la construction et son adaptation aux conditions spécifiques aux outre-mer. Elle nous permettra de travailler ensemble à la résolution de problèmes qui nous intéressent tous, et s'agissant desquels nous avons tous acquis au fil des années une expertise locale éprouvée.

Un seul exemple : la réglementation thermique, acoustique et aération dans les DOM (RTAA DOM). Nous savons tous que les températures tendent à augmenter partout. Si nous ne travaillons pas de concert à une adaptation du bâti à ce phénomène, c'est à une augmentation généralisée de la climatisation que nous assisterons. Or ce n'est pas notre objectif. Au contraire, nous entendons promouvoir, comme nous le faisons depuis quinze ans à La Réunion, la ventilation traversante et le facteur solaire – qui ne relève pas seulement de l'isolation –, afin de protéger nos constructions.

À cet égard, il nous semble inadmissible que la stratégie de financement du dispositif MaPrimeRénov' fasse entièrement l'impasse sur le facteur solaire. L'isolation n'est pas la seule solution. Importer de la laine de verre, qui devra être acheminée vers nos territoires dans des containers, ne servira qu'à enrichir quelques grands groupes et à générer du dioxyde de carbone. Quelle ineptie ! Il faut au contraire travailler sur le facteur solaire à partir d'une réflexion d'ensemble sur l'exposition du bâti. C'est ainsi que nous serons plus efficaces tant au stade de la construction que de l'exploitation, en évitant un usage trop important de la climatisation. Tout le monde peut y gagner mais il faut lever certains freins. À court terme et notamment dans le Sud et pendant la période estivale, l'Hexagone sera lui aussi confronté aux températures extrêmes et aux consommations excessives de climatisation. La lutte contre ces phénomènes sera donc d'intérêt national. Or nous sommes en avance d'une décennie sur ce sujet.

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Vincent Bretin, directeur territorial d'Action logement

Les enjeux qui viennent d'être évoqués sont essentiels et nous pouvons les prendre en compte de façon vertueuse. Nous travaillons ainsi avec des isolants à base de sargasses et d'autres matériaux biosourcés, fabriqués à proximité des lieux où ils sont utilisés.

En réponse à la troisième question du rapporteur, la programmation d'Action logement immobilier prévoit l'obtention d'agréments pour la construction de 1 300 logements, anticipant des dynamiques démographiques ultramarines très diverses : la population des Antilles est vieillissante et la production de logements nouveaux en tient compte ; à La Réunion, notre entreprise sociale pour l'habitat est mature et sa capacité de production est importante ; enfin, les besoins en Guyane et à Mayotte sont très grands, tout comme les ambitions de la politique volontariste que nous y menons.

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Alban Charrier, directeur adjoint au sein de la direction de la maîtrise d'ouvrage et des politiques patrimoniales de l'Union sociale de l'habitat

S'agissant de la programmation des travaux dont le bâti existant fera l'objet, les bailleurs sont tous engagés dans la mise à jour de leurs plans stratégiques de patrimoine pour faire face au changement climatique, mais aussi pour affronter les risques naturels. Nous avons besoin à cette fin d'une meilleure connaissance de ces risques tels qu'ils se présentent aujourd'hui, mais aussi de ce qu'ils seront dans dix ou quinze ans. L'USH travaille avec la Caisse des dépôts et consignations au développement de l'outil Prioréno, qui intégrera l'analyse prospective des risques naturels et permettra aux bailleurs, comme à l'ensemble des propriétaires, d'anticiper leur traitement. Cet outil est déjà déployé pour les collectivités, il le sera courant avril 2024 pour le logement social, tandis que ses développements relatifs aux risques naturels sont attendus pour fin 2024 ou début 2025.

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Les risques naturels sont une réalité bien présente pour le sud de la France et plus encore pour les outre-mer. La programmation des travaux prendra-t-elle en compte le facteur solaire ?

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Sabrina Mathiot, directrice de l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (Ushom)

L'ordonnance relative à l'aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte, signée le 6 avril 2022, emporte des conséquences négatives sur l'habitat privé et sur l'indemnisation des bénéficiaires potentiels du fonds Barnier. La cartographie des risques naturels a en effet rendu non indemnisables des zones qui l'étaient. Nous devrions envisager un plan de recomposition spatiale et de relogement des populations concernées, sans lequel toutes les mesures que nous prenons s'avéreront inutiles pour les ménages relativement modestes que nous souhaitons aider. C'est particulièrement vrai à l'ère de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, qui n'a pas particulièrement avantagé les outre-mer – je pense notamment au ZAN –, en dépit de l'exposition singulière aux risques naturels qui les caractérise.

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Merci, madame et messieurs, pour votre disponibilité et pour la qualité de vos interventions, qui nous ont beaucoup éclairés.

La séance s'achève à dix-huit heures.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Réunion du lundi 26 février 2024 à 15 heures

Présents. – M. Mansour Kamardine, Mme Sophie Panonacle, M. Guillaume Vuilletet.

Excusé. – M. Xavier Batut.