Jeudi 13 avril 2023
La séance est ouverte à quinze heures quarante-cinq.
(Présidence de M. Guillaume Vuilletet, président de la commission)
La commission auditionne M. François Huyghues Despointes, président du Syndicat des distributeurs et grossistes alimentaires de Martinique (SDGA), président du directoire du groupe Société antillaise frigorifique (SAFO).
Nous allons reprendre nos travaux et allons entendre M. François Huyghues Despointes, président du Syndicat des distributeurs et grossistes alimentaires de Martinique et président du directoire du groupe Société antillaise frigorifique. Monsieur le président, je vous souhaite la bienvenue. Je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous remercie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos réponses. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, monsieur le président, à lever la main droite et à dire « je le jure ».
(M. François Huyghues Despointes prête serment.)
Je vous remercie de me laisser l'opportunité de m'exprimer devant cette commission. J'espère pouvoir apporter une contribution efficace à vos travaux.
J'exprimerai en premier lieu quelques mots sur les mandats pour lesquels je suis aujourd'hui invité. Le SDGA, Syndicat des distributeurs et grossistes alimentaires, est une organisation professionnelle créée en 1996 à la Martinique, aujourd'hui composée de cinq membres adhérents, de quatre distributeurs et d'un grossiste. J'en suis le président depuis février 2020. Le groupe SAFO est une entreprise familiale fondée en Guadeloupe en 1962 qui opère principalement dans la distribution alimentaire de gros, de demi-gros et de détail en Martinique, en Guyane et en franchise à Saint-Martin. J'en suis le président du directoire depuis février 2016. Concernant l'objet de votre commission, je m'exprimerai principalement concernant le secteur de distribution alimentaire de gros et de détails, les territoires de la Martinique, en particulier de la Guadeloupe et de la Guyane n'étant pas présents ailleurs, ni à travers le syndicat ni à travers SAFO.
Lorsque l'on évoque le coût de la vie, ou la vie chère en outre-mer, il est systématiquement fait référence au différentiel de prix observé avec l'Hexagone. Ce différentiel est mesuré par l'Insee dans les enquêtes de comparaison spatiale de manière globale et de manière thématique. Pour la Martinique, lors de la dernière enquête qui date de 2015, l'écart ajusté de l'indice de Fisher était au global de 12 % et sur les produits alimentaires, de 38 %. J'aborderai tout d'abord les causes de ce différentiel, et en particulier sur les produits alimentaires, j'expliciterai ensuite la situation concurrentielle des marchés de gros et de détails à prédominance alimentaire en Martinique et enfin les solutions identifiées ainsi que les éventuelles difficultés de mise en œuvre.
Quelles sont les causes du différentiel et pourquoi celles-ci sont-elles plus fortes et amplifiées sur les produits alimentaires ?
Le dénominateur commun à tous nos territoires ultramarins est le couple éloignement géographique/taille de marché restreinte. Un marché lointain, mais qui serait de plus grande taille permettant des économies d'échelle ou un marché proche, mais de petite taille, comme c'est le cas de la Corse, pose moins de difficultés que des marchés qui sont à la fois lointains et de petite taille. Cette problématique est commune à tous les secteurs économiques, pas uniquement à celui de la distribution alimentaire. Celle-ci pèse également sur la compétitivité de la production locale. Ces incidences vont au-delà même de l'économie et pose la difficile question de la continuité territoriale dans l'archipel France. C'est notre première difficulté. La seconde concerne l'éloignement qui implique de transporter des marchandises sur de longues distances, et engendrant également du temps et des étapes logistiques supplémentaires, toutefois indispensables à l'export comme à l'import.
Du côté financier, le terme consacré porte sur les frais d'approche. Il s'agit de l'ensemble des coûts associés aux étapes d'acheminement depuis le lieu de fabrication jusqu'au lieu de vente des produits. C'est là aussi une contrainte qui touche l'ensemble des secteurs. Son incidence est plus forte sur les produits alimentaires pour trois raisons : d'une part, le nombre d'étapes et leurs coûts, d'autre part la durée de ces étapes et enfin le caractère forfaitaire de ces frais d'approche.
Concernant le nombre d'étapes, il me faut préciser que le transport vers nos territoires se fait à 99 % par voie maritime. Je pourrais parler du fret aérien si vous le souhaitez, ce dernier est cependant marginal. Ce transport maritime vers les outre-mer est conteneurisé du fait des longues distances, ce qui du reste n'est pas le cas de la Corse, par exemple, où des camions semi-remorques chargent directement à bord de ferries. Cette pratique présente une grande différence, car si dans les deux cas, le transport maritime est utilisé, dans le cas de la Corse, il n'y a ni empotage ni dépotage de conteneurs qui constituent des ruptures de charge et donc des coûts supplémentaires. La distance n'est évidemment pas la même de surcroît : 160 km pour la Corse contre 7 000 km dans le cas de la Martinique.
Je vous propose d'exposer l'exemple concret d'un transport de conteneurs. La première étape d'un transport conteneurisé est de contacter un transitaire pour positionner un conteneur vide à proximité soit d'une usine dans le cadre d'un conteneur complet, soit d'un entrepôt de consolidation dans le cas d'un conteneur d'assemblage. Cette usine, ou cet entrepôt, doit être en mesure de réaliser un empotage, c'est-à-dire de remplir le conteneur de marchandises. C'est toutefois loin d'être le cas de toutes les usines ou de tous les entrepôts du territoire hexagonal, cette étape est en effet moins simple qu'il n'y paraît. Il convient d'arrimer solidement les marchandises pour les préparer à un voyage qui sera long, des chocs peuvent intervenir à bord du navire ou sur les terminaux portuaires. Il est également nécessaire d'optimiser le remplissage du conteneur et c'est un véritable savoir-faire. L'empotage de produits alimentaires est encore plus délicat, car il faut éviter les écrasements de marchandises, éviter le contact entre certains produits et gérer la notion de température dirigée rendant de fait cette étape plus sensible. Toutes les usines et les entrepôts n'ayant pas la capacité d'effectuer ces opérations, il est parfois nécessaire de livrer la marchandise vers un entrepôt spécialisé qui se chargera de l'étape d'empotage. Une fois empoté, le conteneur est plombé, puis scellé pour garantir son contenu. Il est ensuite tracté sur route jusqu'au terminal portuaire de départ. Il est à noter que le transport routier des conteneurs, qui s'appelle la traction, coûte plus cher que du transport routier conventionnel. Une fois sur le terminal, le conteneur sera gruté à bord du navire. C'est à ce moment que l'acquittement du fret et des frais associés au fret a lieu, notamment le correctif conjoncturel carburant appelé Interim Fuel Participation (IFP) ou Bunker Adjustment Factor (BAF), dont la valeur a été très forte en 2022 du fait des cours mondiaux des hydrocarbures. Une fois arrivé au port de destination, le conteneur est gruté hors du navire. Les droits de port et les droits de douane spécifiques sont alors payés au terminal porteur de destination, en l'occurrence l'octroi de mer, dont l'assiette, la base taxable, comprend la valeur des marchandises au départ ainsi que toutes les étapes jusqu'à celles-ci, y compris l'assurance de la cargaison. Le conteneur fait ensuite l'objet d'une nouvelle traction routière hors du terminal de destination d'une part vers un magasin. Ce cas est le plus court, mais pas le cas le plus fréquent, car tous les magasins n'ont pas la capacité de réceptionner un conteneur complet ni de le dépoter. Ceux qui en ont la capacité, généralement les grands hypermarchés, ne peuvent pas le faire pour toutes les familles de produits. Tout dépend en effet de la vitesse d'écoulement des produits ainsi que de leur durée de vie résiduelle. D'autre part, le conteneur peut être tracté vers un entrepôt où il sera dépoté, stocké, puis livré vers un magasin, ce qui représente le cas le plus fréquent. Le dépotage, qui est l'inverse de l'empotage, le déchargement, est plus complexe qu'il n'y paraît. Les éléments de calage ont pu bouger pendant le transport, il faut donc éviter l'effondrement des marchandises. L'entrepôt peut être celui d'un transitaire. Certains sont dotés d'une capacité logistique, celui d'un logisticien pur qui ne fait que de la logistique ou celui d'un grossiste, ce qui revient au même.
Cette étape est indispensable à tous les magasins qui n'ont pas la capacité de recevoir des conteneurs complets, c'est-à-dire tous les supermarchés et tous les magasins de proximité. Je rappelle qu'il n'existe pas de compensation des coûts d'acheminement vers les outre-mer, contrairement à la Corse, par exemple, qui bénéficie d'un dispositif de continuité territoriale. Toutes les étapes que j'ai citées ainsi que leurs coûts sont répercutés dans le prix de revient des produits. Par ailleurs, la durée des étapes présente plusieurs conséquences. Elle impose tout d'abord des couvertures de stocks plus importantes pour faire la jonction entre deux expéditions : ce sont des cycles longs d'approvisionnement. Plus de stocks doivent être détenus, plus de trésorerie doit donc être mobilisée, ce qui entraîne un besoin en fonds de roulement plus élevé, a fortiori dans le contexte actuel de l'inflation. De l'espace est de plus nécessaire pour loger ces marchandises, sollicitant des réserves magasin plus importantes que leurs homologues hexagonaux, et/ou le recours à des entrepôts. Cette durée génère cependant des pertes de produits plus importantes, ou encore de la casse pendant le voyage. En cas d'imprévus rallongeant les délais, des décalages de départs de navires peuvent avoir lieu pour raison d'avaries ou au regard de phénomènes météorologiques. Cette occurrence entraîne le dépassement de durée de vie des produits. Dans les deux cas, c'est de la démarque.
Les produits alimentaires sont périssables, les dates de certains produits frais, mais pas uniquement, sont courtes. Le temps est générateur de démarques, un coût financier ressort de fait. Enfin, les frais d'approche présentent une troisième difficulté majeure en ce qui concerne l'alimentaire : ils sont forfaitaires. Ainsi, leurs montants ne varient pas en fonction de la valeur transportée. Il s'agit des coûts aux conteneurs, quel que soit ce qui est contenu à l'intérieur. Cette caractéristique est particulièrement pénalisante pour les produits dont le rapport valeur/volume est faible ; la plupart des produits alimentaires sont au cœur de cette définition, en particulier ceux de première nécessité.
Je citerai quelques exemples pour illustrer ce caractère forfaitaire. Considérant que l'ensemble des frais d'approche vers la Martinique représente 5 000 euros pour un conteneur, ce qui n'est pas incohérent, l'incidence proportionnelle de ces frais dépendra de la valeur des marchandises. Dans le cadre d'un conteneur d'eau qui contiendrait 5 000 euros de marchandises, les frais d'approche représentent 100 % de la valeur du produit – élément également cohérent. Ainsi, une fois arrivé en Martinique, le produit vaut déjà deux fois plus cher qu'à son départ alors que personne n'est intervenu, ni un grossiste ni un distributeur. Dans l'exemple d'un conteneur de pâtes d'une valeur de 10 000 euros, 50 % de frais d'approche restent très importants. En revanche, dans l'exemple d'un conteneur de produits électroniques, il est possible d'observer 500 000 euros de valeur de marchandises. Cet exemple n'est pas incohérent non plus. Les frais d'approche ne sont plus que de 1 %. Ce caractère forfaitaire pour les produits alimentaires est un vrai sujet, et en particulier pour ceux de première nécessité. J'y reviendrai au moment d'évoquer les solutions.
Nous arrivons au dernier volet explicatif du différentiel de prix, la fiscalité locale, c'est-à-dire l'octroi de mer. Je tiens à préciser en préambule que nous n'avons rien contre ce dispositif dont nous avons depuis longtemps intégré la complexité dans nos organisations. Cette complexité consiste à avoir classifié l'ensemble de nos références selon leur nomenclature douanière, plusieurs dizaines de milliers de références sont concernées, et à avoir recours à des commissionnaires en douane au départ et à l'arrivée pour toutes nos expéditions. Ce dispositif intègre également des emplois. L'octroi de mer est somme toute une composante importante du prix de revient et constitue une part explicative du différentiel de prix avec l'Hexagone.
Je précise que l'impact est plus fort sur l'alimentaire, le différentiel de TVA étant plus faible. Celui-ci est de 3,4 % sur l'alimentaire en effectuant la différence entre 2,10 %, qui est le taux minoré valable en Martinique, et 5,5 % qui est le taux hexagonal. Le différentiel sur le non-alimentaire est de 11,5 %, entre 8,5 % qui est le taux minoré en Martinique et 20 % en Hexagone. En plus du poids relatif faible des frais d'approche pour le conteneur de produits électroniques, nous constatons que le différentiel de TVA va permettre à ces produits d'être aux prix de la métropole, et parfois moins chers qu'en métropole, ce qui n'est pas du tout le cas des produits alimentaires. D'autres facteurs explicatifs au différentiel existent, mais dont la part est plus faible. Je vous propose simplement de les évoquer sans les détailler. Nous retrouvons ainsi les coûts de construction, le surcoût des matériaux, les normes anticycloniques qui concernent tous les bâtiments et, in fine, soit les loyers, soit les niveaux d'amortissement, la disponibilité et le coût du foncier ainsi que d'autres causes plus faibles.
Abordons la situation concurrentielle des marchés de gros et de détails à dominante alimentaire en Martinique. Dans la base Sirene de l'Insee, plus de 200 établissements ont des codes d'activité principale exercée (APE) correspondent à du commerce de gros à prédominance alimentaire en Martinique. Nous en connaissons une cinquantaine parmi les principaux qui sont les fournisseurs de nos magasins. Ils peuvent être généralistes ou spécialisés par familles de produits. Certains industriels locaux sont également grossistes en plus de leur activité industrielle. Nous y retrouvons par ailleurs des logisticiens purs et des transitaires ayant des capacités logistiques qui permettent à leurs clients de réaliser des importations directes, segment entrant dans le champ concurrentiel de l'activité de grossiste. Il est à noter qu'aucun magasin en Martinique n'est en mesure de fonctionner complètement sans une étape logistique locale, ce qui est vrai à mon sens pour le reste de l'outre-mer. Elle est indispensable et fait partie de la logistique import évoquée précédemment et rentre dans les frais d'approche. Je me tiens évidemment à votre disposition pour toute autre information concernant le commerce de gros.
Concernant le commerce de détail, sur les neuf principaux groupes d'enseignes qui composent le paysage hexagonal de la grande distribution, à savoir Leclerc, Intermarché Système U, Carrefour, Auchan, Cora/Match (groupe Louis Delhaize), Lidl et Aldi, six sont représentés en Martinique. Ce chiffre n'est pas ridicule quand on considère d'un côté 65 millions d'habitants et de l'autre 350 000 habitants. Il faut savoir que les groupes intégrés Carrefour, Casino, Auchan ne sont pas directement présents outre-mer ; ils passent systématiquement par des franchisés. Deux exceptions ont toutefois pu être relevées par le passé : Cora/Match a racheté son franchisé Primistères Reynoird en 2000, acteur de premier plan aux Antilles et en Guyane, qui avait des difficultés financières. Cora/Match l'a revendu en 2011.
Le groupe Casino a quant à lui racheté en 2005 son franchisé pour l'Océan indien Vindémia, qu'il a récemment revendu en 2019. Il est possible de nous interroger sur les raisons pour lesquelles ces enseignes ne viennent pas en propre. La meilleure réponse viendra des groupes eux-mêmes, ceux qui sont partis ou ceux qui ne viennent pas. Je pense en particulier à Lidl et à Aldi qui ont des stratégies de développement très agressives sur le territoire hexagonal et qui ne sont pas présents en outre-mer. J'imagine néanmoins qu'ils répondraient à une éventuelle sollicitation de votre commission. Pour notre part, nous considérons qu'ils n'ont pas estimé le rapport potentialités/complexités suffisamment intéressant. La potentialité dépend de la taille de marché, l'actuelle et la future. Il est vrai que les perspectives de décroissance démographique dans certains territoires peuvent inquiéter à juste titre. Le facteur de complexité intègre les frais d'approche et la fiscalité déjà évoquée.
Un véritable enjeu d'attractivité des investissements existe en outre-mer et se vérifie également dans la grande distribution. Nous pourrions citer d'autres secteurs où de récents départs se sont produits : des compagnies maritimes, Geest et Maersk, et récemment une banque, la Société Générale. Concernant la grande distribution, ce manque d'attractivité s'est encore récemment vérifié lors de la vente des actifs des groupes Lancry et Charles Ho Hio Hen. Il existe deux groupes Ho Hio Hen ; j'évoque bien celui qui représentait les enseignes Casino et qui a disparu. Lorsque leurs actifs étaient en vente, ils ont eu à faire à la demande de l'Autorité de la concurrence la publicité des ventes au niveau national auprès de toutes les enseignes et même au niveau européen. Aucun candidat au rachat de ces actifs ne s'est présenté. Pourtant, dans le lot, des actifs étaient intéressants. Seuls des groupes locaux sn sont portés acquéreurs.
L'Autorité de la concurrence veille à ce que les règles de concurrence soient scrupuleusement respectées. Nous le constatons en ce moment avec le dossier de la reprise de l'hypermarché de La Batelière par le groupe Parfait que vous avez certainement suivi en Martinique, monsieur le rapporteur. L'Autorité n'a pas autorisé cette opération, compte tenu de la proximité d'un autre hypermarché. En outre-mer, l'Autorité utilise des critères d'étude renforcés : par exemple le seuil d'analyse des concentrations dans l'alimentaire n'est pas de 15 millions d'euros, mais de 5 millions d'euros. Pour donner un ordre d'idée, ce montant représente une grosse supérette outre-mer. Une amélioration de l'attractivité permettrait de résoudre cette situation. En dehors de l'analyse de dossiers spécifiques, l'Autorité a eu à rendre des avis plus généraux sur le niveau de concurrence outre-mer en 2009 et en 2019. Si la situation de la grande distribution avait été si profitable, ces avis auraient rendu des conclusions négatives, ce qui n'a pas été le cas, et nous n'aurions pas assisté à la disparition ou au départ progressif de plusieurs acteurs. Notre secteur, qui est en bout de cycle, est souvent considéré comme responsable des écarts de prix. Ce contexte aussi lié à la fréquence de passage dans nos magasins, plusieurs fois par semaine, et au fait qu'une partie importante de nos produits est de première nécessité.
Il me paraît important d'ajouter que dans le compte de résultat d'un magasin ultramarin, en bas de page, dans le meilleur des cas, on peut lire 1 %, 1,5 % ou 2 % de résultat, ces métiers sont certes des métiers de volume, ce qui est probablement beaucoup plus faible que les idées reçues qui peuvent circuler.
Je souhaiterais maintenant aborder les solutions identifiées et leurs difficultés de mise en œuvre, et vous soumettre en particulier cinq solutions :
- le développement de la production locale ;
- la coopération régionale ;
- la remise en place de tarifs export de la part des fournisseurs pour les territoires ultramarins français ;
- l'intégration verticale de davantage d'acteurs dans les dispositifs tels que le bouclier qualité-prix (BQP) ou le BQP + ;
- la péréquation des frais d'approche et de la fiscalité ;
- la continuité territoriale.
Le développement de la production locale est vertueux à bien des égards : le développement de l'emploi, le développement des investissements, l'attractivité, une meilleure autonomie alimentaire, autant de raisons pour lesquelles tous les distributeurs adhérents du SDGA et au-delà l'appellent de leurs vœux et s'inscrivent tout à fait dans cette dynamique. La problématique principale reste la compétitivité des produits locaux qui sont soumis à des handicaps structurels liés au fameux couple éloignement/taille de marché. Concrètement, les industriels sont obligés d'interrompre leurs outils productifs, ce qui est coûteux. Ils ne peuvent pas trouver toutes les matières premières localement et ils ne bénéficient pas ou peu d'économies d'échelle. Étudier la mécanique de soutien à la production locale pourrait constituer une solution. Trois mécanismes cohabitent actuellement sur l'énergie. La péréquation et la solidarité nationale font que les Martiniquais payent 25 % du coût réel de production de leur électricité, et ce, grâce au calcul du coût de l'énergie qui tient compte de l'ensemble du parc productif national, centrales nucléaires hexagonales comprises. Ce dispositif est particulièrement efficace, et nous l'avons vu récemment avec les hausses du coût de l'énergie, mais difficilement transposable à des produits. Il faudrait pour ce faire que des spécialistes se penchent sur cette opportunité.
Concernant l'agriculture, en particulier celle qui est destinée à l'exportation, le mécanisme est différent. On considère que ces produits subissent une concurrence déloyale d'autres pays étrangers, en particulier sur les salaires où ces pays pratiquent des salaires extrêmement bas, sur les normes où les modes de production ne respectent pas les normes européennes ou françaises, sur les pesticides utilisés ou encore sur les modes de production. Des subventions françaises et européennes viennent baisser le point mort de producteurs pour les rendre plus compétitifs à l'export. Ce principe fonctionne et permet de faire rayonner le territoire.
Un troisième dispositif est utilisé pour l'industrie : le différentiel d'octroi de mer. Puisque les produits industriels locaux ne peuvent pas être compétitifs du fait des handicaps structurels, du fait du couple éloignement/taille de marché qui sont des raisons tout à fait valables, on impacte les produits importés pour qu'ils soient plus chers. On vient réguler la compétitivité à la baisse. Ce fonctionnement pourrait être adapté si le consommateur ultramarin en avait les moyens. Ce n'est pas le cas cependant ; les statistiques de seuil de pauvreté le confirment. Nous nous interrogeons par conséquent sur la possibilité d'utiliser le deuxième mécanisme, celui qui concerne l'agriculture sur l'industrie, un dispositif qui permettrait plus de compétitivité aux produits locaux et qui mettrait la pression sur les produits importés plutôt que l'inverse. Or, cette position ne fait pas l'unanimité. Je donne simplement à votre commission l'avis d'un distributeur profane.
La solution suivante est la coopération régionale souvent évoquée, mais difficile à mettre en œuvre dans le contexte actuel. Celle-ci implique des échanges bilatéraux dans les deux sens, à l'export depuis le territoire vers les voisins, à l'import dans l'autre sens. Chaque flux a ses contraintes propres. À l'export, la compétitivité des prix pose problème. Nos voisins sont des pays au produit intérieur brut (PIB) et au PIB par habitant beaucoup plus faibles que nos territoires ultramarins qui recherchent beaucoup plus de compétitivité prix. L'idée précédente permettrait peut-être de déverrouiller cette contrainte. Et dans l'autre sens, à l'import, nous rencontrons des problèmes de normes ou d'équivalences de normes. Nos territoires sont européens, nos voisins ne le sont pas, ou pas toujours. Des problèmes de protectionnisme s'ajoutent parfois à de vrais sujets réglementaires avec des droits de douane élevés ou des quotas. Nos capacités logistiques concernant cette coopération régionale constituent somme toute une bonne nouvelle, de même que la réactivité des compagnies maritimes comme CMA CGM qui n'a pas attendu les volumes pour mettre en place des lignes interrégionales. J'ai en tête l'exemple du service Kalinago, qui est assez récent, qui permet de relier la Martinique, à la Dominique, à Porto Rico, à Saint-Martin du côté hollandais, à Antigua-et-Barbuda, Trinidad-et-Tobago, Grenade, La Barbade, Saint-Vincent et Sainte-Lucie. L'autre bonne nouvelle est la volonté politique sur ce sujet qui semble forte. J'ai vu des représentants de la collectivité territoriale de Martinique (CTM) se déplacer dans des territoires voisins. Si les premiers obstacles parvenaient à être levés, cette opportunité pourrait exister.
D'autre part, les tarifs export ont existé par le passé. Les fournisseurs nous proposaient des tarifs minorés pour les territoires ultramarins. Ces tarifs n'existent plus et nous, distributeurs n'avons pas la capacité de les remettre en place. Pourtant, cette pratique permettrait de gommer et d'absorber une partie du différentiel.
Concernant l'intégration verticale de davantage d'acteurs dans les dispositifs tels que le BQP ou le BQP+, il est à noter que depuis 2012, seuls les grossistes et distributeurs sont signataires du BQP. La CMA CGM a été signataire du BQP+ en 2022. Nous déplorons le fait que d'autres acteurs ne se joignent pas à ces dispositifs, qui concernent pourtant des produits de première nécessité. Cela leur conférerait plus d'efficacité. Là encore, la volonté politique locale et nationale permettrait peut-être de résoudre ce sujet. Je rappelle qu'au sortir de 2009, un dispositif tripartite nommé « BcBa » a été conclu avec les distributeurs et grossistes, les compagnies maritimes et la région, qui avait fait des efforts sur les taux d'octroi de mer.
La quatrième proposition est la péréquation des frais d'approche et de la fiscalité. J'ai entendu que l'économiste Olivier Sudry évoquait cette option. Nous partons du constat suivant, que j'ai dressé au départ, selon lequel les produits alimentaires avaient un différentiel plus élevé que le différentiel général. L'idée serait de venir lisser ce différentiel pour moins impacter les produits les plus sensibles. Notre proposition tend à lisser les écarts en soulageant les produits de première nécessité et en venant impacter les produits de dernière nécessité. Cette notion n'existe absolument pas et n'est pas officielle. Pour autant, nous pourrions imaginer des produits polluants, des produits de luxe, en tout cas des produits qui ne concernent pas les ménages les plus modestes, des produits qui auraient un différentiel plus élevé qui ne généreraient pas de tension sociale. L'idéal serait que les frais d'approche soient facturés en pourcentage et non au forfait. Cette option est toutefois écartée par les différents intervenants, ce que nous respectons. Les distributeurs membres du SDGA ont par conséquent imaginé un dispositif compensatoire pour les frais d'approche permettant de lisser le différentiel venant a posteriori de l'importation qui fonctionne en quelque sorte comme une aide au fret. La logique est identique pour la partie fiscalité avec un postulat de départ : maintenir absolument les recettes d'octroi de mer, mais fonctionner différemment sur la mécanique de taux et leur équilibre, c'est-à-dire venir soulager les taux des produits de première nécessité très sensibles, ceux qui n'ont pas d'équivalent local, et peut-être venir impacter d'autres produits moins sensibles. Je n'affirme pas que j'ai la solution, cet aspect reste à définir, peut-être notamment dans les produits électroniques. Nous avons en effet relevé que les écarts étaient très faibles s'ils étaient de 5 % ou de 10 % plus élevés. Je ne pense pas qu'il y aurait de tension sociale. En général, sur les produits électroniques, les taux d'outre-mer sont faibles. J'ignore s'il existe une raison intrinsèque. Cette réalité pourrait peut-être servir à financer ce dispositif.
Enfin, la continuité territoriale permettrait tout simplement de gommer les différentiels en les finançant. Celle-ci est souhaitée par certains élus locaux. Nous soutenons cette idée dans la mesure où nous sommes des territoires français, petits et lointains, mais français. Nous n'avons pas estimé le coût d'une telle continuité pour la Martinique, mais nous pensons que votre commission est en capacité de le faire.
Votre propos a été très structuré et je vous en remercie. Je pense que nous vous solliciterons afin de nous communiquer vos notes en vue de les transcrire, étant extrêmement construites et intégrant de nombreuses propositions. Je pense que d'une part, les uns et les autres ne manqueront pas d'y réagir, et d'autre part qu'elles nous seront très utiles.
Concernant la SDGA, vous avez parlé de cinq adhérents. Pouvez-vous nous donner la liste de ces cinq adhérents, s'il vous plaît ?
Pour les distributeurs, le groupe Parfait pour l'enseigne Leclerc, Groupe Bernard Hayot (GBH) pour les enseignes Carrefour et Euromarché, CréO pour les enseignes Leader Price, Caraïbe Price, Méga Stock, SAFO pour les enseignes, Carrefour Market, Carrefour Express, 8 à Huit, Proxi et Promocash. Pour ce qui concerne le grossiste, il s'agit du groupe Roger Albert.
Le syndicat a pour objectif d'échanger entre distributeurs sur des problématiques communes qui sont le développement de la production locale. Nous les retrouvons de manière macro, la négociation étant ensuite individuelle, par exemple la gestion du BQP ou du BQP+. Elles sont également environnementales. Nous avons conduit une étude sur le réemploi du verre avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) en Martinique. Sont pris en considération tous les sujets qui ne sont pas des sujets de prix ou de concurrence, ni des sujets sociaux.
Je vais maintenant m'intéresser au groupe SAFO, dont vous êtes le président du directoire. Pouvez-vous me communiquer les secteurs d'activité dans lesquels vous êtes actifs, il me semble que vous avez nommé les territoires d'outre-mer Martinique, Guadeloupe, Guyane, mais peut-être pouvez-vous préciser ?
Êtes-vous implantés ailleurs dans les outre-mer ? Quelles sont les enseignes qui appartiennent au groupe SAFO ? Quelles sont les parts de marché qui sont détenues par le groupe SAFO par secteur et par territoire ?
Je souhaiterais également connaître les raisons pour lesquelles vous n'avez pas déposé les comptes du groupe SAFO en 2019, 2020, 2021 et en 2022.
Ainsi que j'ai pu le notifier, le groupe SAFO opère principalement dans la distribution alimentaire de détail, de demi-gros et de gros.
Dans le détail, nous sommes partenaires du groupe Carrefour pour les enseignes Carrefour, nous avons un hypermarché en Martinique, Carrefour Market, Carrefour Express, 8 à Huit et Proxi. Nous sommes également distributeurs de produits non alimentaires spécialisés avec l'enseigne Fnac. Nous exploitons l'enseigne Maisons du Monde et Picard. Pour le demi-gros, vous retrouverez l'enseigne Promocash dans le libre-service de gros (cash and carry). Je précise enfin que nos structures grossistes n'ont pas d'enseigne. Ces enseignes ne nous appartiennent pas ; nous sommes franchisés. La seule enseigne qui nous appartient s'appelle Marché Services qui est un concept de distribution locale que nous testons pour l'instant en Guadeloupe.
Au reste, nous ne connaissons pas les parts de marché détenues par le groupe SAFO ; elles ne sont pas publiques. Des publications nationales de parts de marché de distributeurs sont diffusées. Le panéliste Kantar effectue une publication mensuelle qui n'a pas de continuité outre-mer. Nous ne connaissons donc pas nos parts de marché. Il serait possible de les estimer à grosses mailles en raisonnant en mètres carrés de surface de vente. Ce critère n'est pas celui qui est retenu en chiffre d'affaires cependant ; nous ne connaissons pas les chiffres d'affaires de nos concurrents. En revanche, au cours de ces travaux, l'Autorité de la concurrence a mesuré ces parts de marché, soit ces travaux spécifiques lors d'acquisitions, soit ces travaux d'ordre plus général, à la fois sur le gros et sur le détail. Cependant, nous n'avons pas connaissance des résultats de ces travaux.
D'autre part, nous n'avons pas déposé les comptes pour des raisons de confidentialité. Ils sont toutefois tenus à la disposition de votre commission. Je pourrais vous les remettre de manière écrite.
Je vous remercie de nous les faire parvenir.
Quel est votre chiffre d'affaires global et par territoire ultramarin ? Quel a été votre résultat net en 2021 et en 2022 ?
Au demeurant, nous aurions aimé comprendre le mécanisme des différentes marges, depuis la production jusqu'à la vente au client. Même si vous avez quelque peu esquissé le cheminement, nous avons une forme de méconnaissance, notamment à partir de la production jusqu'aux ports de France, avant d'arriver en Martinique, si je prends l'exemple de la Martinique, ou dans certains territoires. Pouvez-vous définir ces aspects ?
Vous êtes franchisés ; êtes-vous également des producteurs ? Que signifie concrètement cette qualification en dehors de la marque que vous utilisez ?
Pour les mêmes raisons que nous ne déposons pas les comptes, je vous propose de vous remettre les chiffres par écrit. Vous aurez effectivement le chiffre d'affaires consolidé ainsi que les résultats.
Pour la structuration, concernant le groupe SAFO, les ordres de grandeur peuvent également concerner les autres groupes. Nous achetons localement 60 % de ce que nous vendons en magasin et nous importons 40 %. Acheter localement 60 % ne veut pas dire que 60 % sont de la production locale. Une nuance est alors à apprécier : des marchandises ont été importées par d'autres acteurs dans ces 60 %, d'autres grossistes ou des agents de marque à qui nous achetons. Lorsque l'on effectue la distinction entre la production locale et le reste, ressort un ratio de 25 % de production locale, avec le souhait de développer véritablement cette partie face aux 75 % de produits importés. Dans notre fonctionnement, nous avons une centrale export qui est basée au Havre, qui est commissionnaire à l'achat, qui ne réalise pas de marge et prend une faible commission achats. Elle s'occupe de négocier avec l'ensemble de nos fournisseurs nationaux et nos enseignes qui ont des entrepôts qui permettent de consolider les produits, mais également directement avec 1 500 fournisseurs environ. Ces explications s'entendent pour la partie nationale. Au niveau local, cette centrale export discute avec des plateformes locales spécialisées par température : soit du froid négatif, soit du froid positif, soit du sec. Ces plateformes font l'importation, puis vendent aux magasins. Elles agissent strictement comme des grossistes et les équipes commerciales sont distinctes sur le métier de grossiste du métier de distributeur alimentaire.
Je vous remercie, monsieur Despointes, de nous prêter vos connaissances et votre contribution pour nous permettre de bien comprendre le fonctionnement. Le Parlement n'en est pas à sa première tentative de comprendre le mécanisme des prix et les raisons pour lesquelles une telle cherté de vie est constatée dans les Antilles françaises. Il y a quelques années, une loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer, dite « loi Lurel », contre la vie chère a été votée. J'aimerais qu'en tant que grossiste, en tant que distributeur, vous établissiez un bilan de cette loi et que vous précisiez si celle-ci a eu des impacts sur votre activité, et surtout sur les prix pratiqués à l'époque. Cette loi a également pu avoir des effets pervers que le législateur, le Parlement lui-même, n'aurait pas identifiés au moment où la loi a été votée. Je pensais du reste vous demander les solutions que vous seriez en mesure de présenter pour améliorer ces prix, mais vous avez dressé une liste pertinente de leviers que nous pourrions activer, et je vous en félicite. C'est là le signe d'une belle réflexion et vous êtes à féliciter.
Vous avez par ailleurs évoqué une centrale d'achat à l'export. Le fait de favoriser les centrales d'achat sur nos territoires respectifs, Martinique, Guadeloupe et Guyane, contribuerait-il à baisser les prix ? Nous ambitionnons de déterminer les segments sur lesquels agir en vue de baisser les prix au niveau de nos territoires.
J'ai apprécié l'analyse que vous avez dressée sur la fiscalité sur tout ce qui était relatif au digital et à comparer avec l'alimentation. Un sujet est en effet à creuser à ce propos. Je vous remercie de votre contribution qui est nette et bien menée.
S'agissant de la loi Lurel, la principale conséquence a été la non-représentation exclusive de marques. Il faut ainsi appréhender un concept qui, à mon sens, n'existe pas dans de nombreuses autres régions du monde, excepté les territoires ultramarins français : la notion de représentant de marque. Les marques considèrent nos territoires comme trop petits pour y être présentes directement, mais trop gros pour ne pas du tout y être représentées, à de très rares exceptions. Certaines marques internationales sont présentes. Je prendrais l'exemple de Nestlé qui, pour certaines familles, est directement implantée. La plupart ont cependant fait le choix d'une représentation. La loi Lurel a combattu la représentation exclusive, c'est-à-dire le fait de ne retenir qu'un agent et ne fonctionner qu'avec lui, empêchant quiconque d'importer. À l'issue de la loi Lurel, nous avons constaté de plus en plus d'appels d'offres des marques qui, régulièrement, remettaient en jeu la représentation de leurs marques pour générer de la concurrence, pour mettre les grossistes en concurrence entre eux qui pouvaient ainsi venir candidater afin de représenter cette marque. Nous l'avons effectivement observé.
Je suis malheureusement incapable de vous répondre concernant l'incidence sur les prix. Nous avons néanmoins observé cette vertu qui a fait circuler les portefeuilles des marques internationales. Les enseignes sont structurées très différemment. Nous représentons pour notre part le groupe Carrefour ; notre relation date des années soixante-dix, d'abord avec Promodès, qui a ensuite été acheté en 1999 par Carrefour. Nous étions franchisés Promodès avant d'être Carrefour. À l'époque, aucune solution pour l'export n'existait, raison pour laquelle il nous a fallu constituer et construire une centrale export. Il s'agit d'un entrepôt de 15 000 m² qui se trouve au Havre et qui sert à tous les conteneurs qui ne sont pas des conteneurs complets. À chaque fois que la quantité ne justifie pas un conteneur complet, nous livrons à cet entrepôt dont le rôle est de consolider et de réexpédier. Toutes les enseignes n'ont pas le même fonctionnement. Je ne serais pas capable de vous en transmettre les leurs de manière détaillée. Je peux simplement vous citer Système U qui a une organisation extrêmement rodée : ses partenaires export n'ont pas besoin de détenir de centrale export, l'enseigne le fait pour eux à Carquefou dans la région de Nantes, où des équipes sont dédiées à ces sections. Ils mutualisent la logistique nationale avec la logistique export, ce qui est particulièrement efficace. Système U est effectivement bien représenté dans nos territoires, parfois avec un seul ou quelques magasins, comme c'est le cas à Saint-Barthélemy ou à Saint-Martin, de manière très efficace.
Nous pourrions également prendre l'exemple de JKS Finances, le groupe Jan DU en Guyane, qui a connu une très forte expansion et qui n'a donc pas de centrale. Nous avons constitué la nôtre à l'époque parce que nous n'avions pas d'autres moyens de fonctionner. J'espère là également répondre à votre question.
Vous avez posé la question de la facturation du conteneur à la valeur ou à l'unité. Les personnes qui étaient auditionnées juste avant vous nous ont explicité que, peut-être à leur corps défendant, mais que les circonstances avaient été modifiées en 2008 pour passer d'une logique de valeur à une logique de volume, et que ce modèle était mondial. S'il est possible de regretter cette évolution, existe-t-il véritablement une alternative ? Peut-elle intervenir postérieurement à l'arrivée du produit ?
J'aurais par ailleurs aimé connaître votre appréciation de ce qu'ont pu faire vos adhérents ou vous-même dans le cadre du BPQ+ récemment déclenché.
Concernant la facturation à la valeur, nous avons eu des discussions chahutées avec les compagnies maritimes. Nous avons fortement milité, non pas pour le retour à ce qui existait en 2008, parce qu'en 2008, des catégories de produits bénéficiaient de taux de fret minorés, mais notre propos visait la même application pour tous les produits de première nécessité. Il nous a été répondu que ce principe était compliqué pour des raisons administratives. Nous sommes en 2023. Nous relevons tous les jours dans la presse des systèmes de plus en plus évolués et imaginons que ce dispositif devrait être possible. Une volonté est toutefois nécessaire. Nous essayons de faire passer un message aux compagnies maritimes : elles ont réellement deux métiers. D'une part le commerce international, c'est-à-dire tous les échanges entre deux pays qui sont des pays étrangers, avec une coopération commerciale où les compagnies font le lien entre ces pays. Dans notre cas, nous faisons le lien entre la France et la France, ce qui est un peu différent. Je ne suis pas certain que ce cas de figure doit exactement obéir aux conventions du commerce international. Nous avons peut-être intérêt à regarder des dispositifs plus flexibles. Quant à la faisabilité administrative, je ne suis pas armateur et n'ai pas connaissance de leurs difficultés. J'ai le sentiment qu'en 2023, il est cependant possible de faire beaucoup sur le plan informatique.
Nous nous sommes inscrits dans le dispositif du BQP de manière tout à fait naturelle, comme nous le faisons à chaque fois. Nous avons proposé la péréquation que je vous ai également proposée aujourd'hui, qui n'a pas été retenue. Dans le dispositif BQP en Martinique, et je crois que ce principe n'a pas existé dans d'autres territoires, nous avons considéré deux catégories de produit : d'une part des produits sur lesquels une baisse de prix était opérée dans un contexte très inflationniste, et d'autre part, des produits sur lesquels nous nous engagions à strictement répercuter les augmentations que nous aurions subies.
L'ensemble de nos adhérents et au-delà, puisque le ministère et la préfecture ont également négocié avec d'autres enseignes qui ne sont pas adhérentes du SDGA. Il y en a quatre. Nous recensons sept groupes structurés en Martinique, dont trois ne sont pas adhérents du SDGA.
Je vous ai demandé le chiffre d'affaires global du groupe SAFO, en faisant apparaître les territoires ultramarins ainsi que votre résultat net de 2021 et de 2022. Nous souhaitions de plus obtenir la liste des entreprises qui appartiennent au groupe, soit en intégration verticale, soit en horizontal. Nous voulons avoir une connaissance claire de ce que vous maîtrisez ou non dans la chaîne.
Monsieur le rapporteur, je précise à nouveau que le chiffre d'affaires et les résultats seront transmis par écrit, j'en prends l'engagement. Pour ce qui concerne l'organigramme juridique, vous disposerez également de toutes les sociétés. Pourriez-vous toutefois préciser la notion de concentration horizontale ?
La concentration horizontale concerne des activités différentes, sur lesquelles vous pouvez vous retrouver aussi bien dans l'automobile, dans le sport, dans différents types d'équipements, mais qui ne sont pas dans l'intégration verticale, qui ne sont pas dans la même chaîne avec le grossiste en grande distribution, par exemple. J'ai bien compris que vous transmettriez les documents afférents à votre chiffre d'affaires. Vous savez cependant que déposer les comptes est une obligation légale. Vous préférez payer une amende plutôt que déposer les comptes. Un problème se pose.
Nous considérons que nous sommes sur des territoires extrêmement restreints et que l'information a une valeur qui est différente d'autres territoires où les acteurs sont plus nombreux. La douane a récemment caviardé ses statistiques pour protéger le secret des affaires, parce que sur certaines positions douanières, moins de trois opérateurs opéraient. Sur ces lignes, elle a tout simplement supprimé les noms et ne fournit plus les chiffres. Nous étions un peu dans la même logique. Je souligne à nouveau que les chiffres seront transmis à votre commission.
Ma question est précise : une obligation légale, donc juridique, de déposer les comptes existe en tant qu'entreprise dans un système de transparence et vous préférez payer des amendes plutôt que de déposer les comptes. En outre, je vous demande votre chiffre d'affaires et vous ne l'énoncez pas. Quel est concrètement votre chiffre d'affaires global ?
Je ne vous le cite pas, mais je prends l'engagement très clair de vous le fournir. Vous ne l'avez pas immédiatement. Cette audition est retransmise et est accessible à qui le souhaite. Je vous transmettrai tous les chiffres que vous avez demandés dans le secret de la commission d'enquête.
Vous connaissez la grande question des oligopoles et des monopoles, notamment dans la grande distribution. Vous avez évoqué cinq adhérents qui, je le suppose, concentrent la plus grande majorité du marché de la grande distribution. J'ai bien compris que vous n'aviez pas envie de me communiquer votre chiffre d'affaires parce que c'est public, mais vous êtes sous serment. Je vous demande par conséquent de me communiquer le chiffre d'affaires publiquement, s'il vous plaît.
Monsieur le président, il me semble avoir affirmé à plusieurs reprises que je le transmettrai, y compris tout à l'heure, si vous le souhaitez. Je ne souhaite pas le faire publiquement.
Je prends acte de votre engagement, ce qui du reste ne nous évitera pas de vous demander des explications complémentaires sur les raisons de cette discrétion. J'entends votre argumentation sur le secret des affaires et sur l'identification. Nous n'allons pas vous demander les mêmes éléments continuellement. J'entends votre engagement de nous les transmettre. Sachez d'une part que dès lors que vous nous les aurez transmis, l'usage que nous en ferons dans le rapport nous appartiendra en tant que commission d'enquête. D'autre part, nous serons peut-être amenés à vous interroger sur les raisons de cette discrétion.
Je m'autorise à être en désaccord avec le président qui a sa responsabilité de président. Vous avez été auditionné et il semble que vous étiez même volontaire pour cette audition. Le fait de ne pas transmettre les informations publiques pose problème. Je me retrouve ce jour en tant que rapporteur afin d'obtenir une information publique que je suis supposé avoir et que je n'ai pas, que vous me communiquerez ultérieurement, même si nous en ferons ce que nous en déciderons.
Nous avons devant nous un des acteurs qui peut être amené à communiquer une information stratégique qui lui appartient. Si tous les acteurs nous transmettaient la même information stratégique, la situation serait différente. En l'occurrence, un déséquilibre pourrait de fait se créer par rapport à l'un des acteurs. C'est la raison pour laquelle je propose que nous nous en tenions à cette situation. Je confirme au demeurant que dans le rapport d'enquête, nous serons éventuellement amenés à faire usage des informations qui nous sont transmises.
Je ne partage pas cette opinion, même si je me tairais pour le moment. Je pense en effet que tous les acteurs ont l'obligation de transparence. Je demanderai également aux autres intervenants ce que je vous demande présentement, c'est une question d'éthique et de transparence.
Je reviens à la question relative à la centrale d'achat : êtes-vous quelque part producteur dans le monde, en France ou en Europe, d'un certain nombre de produits que vous produisez vous-même dans la chaîne verticale ? Je vous ai également demandé la liste de toutes vos entreprises pour que nous puissions avoir une connaissance précise de la façon dont elles sont reliées, soit en vertical, soit en horizontal, ou pas du tout, dans la chaîne de concurrence. Enfin, très concrètement, quel maillon de la chaîne verticale représentez-vous depuis la production jusqu'à la vente ?
Je ne vous ai pas répondu sur la partie de la production, en effet. Nous ne sommes pas producteurs, nous sommes distributeurs et achetons des produits à la fois au national et au local, avec les proportions que j'ai pu souligner. Le rôle de la centrale d'achat est d'être commissionnaire à l'achat. Nous sommes transitaires au départ et à l'arrivée pour la Guadeloupe et la Martinique, nous avons fait le choix d'intégrer cette fonction, mais nous ne le sommes pas en Guyane où nous passons par un transitaire externe. Nous sommes ensuite logisticiens, et j'ai cité les plateformes de froid positif, de froid négatif et sec. Enfin, nous sommes distributeurs avec des magasins de différents formats : supermarchés, hypermarchés.
Dans la continuité territoriale, vous affirmiez que vous ne perceviez pas d'aide au fret, d'après ce que j'ai cru comprendre, alors que cette aide au fret existe. Pourquoi ne la percevez-vous pas ?
Cette aide est réservée aux industriels pour l'importation de leurs matières premières. Les distributeurs ne sont pas éligibles au dispositif d'aide au fret tel que celui-ci existe aujourd'hui.
Non, nous ne sommes pas industriels.
Vous avez reçu le questionnaire, je ne vous prends pas de court. Vous avez été sanctionnés par l'Autorité de la concurrence en 2016 pour avoir bénéficié de droits exclusifs d'importation et de produits Henkel sur le territoire de la Martinique. Ces accords étaient-ils courants avant leur interdiction ? Était-ce une habitude ou non ? Pourquoi aviez-vous conclu ces accords malgré leur interdiction ? Par décision du 27 septembre 2019, l'Autorité de la concurrence avait également autorisé le rachat de Super NKT par SAFO sous condition de ne pas exploiter l'hypermarché cible sous une enseigne comportant la marque Carrefour et de ne pas réaliser l'opération avant d'avoir conclu un contrat de cession portant sur l'ensemble de l'activité de grossiste-importateur de NG Kon Tia et obtenu l'agrément de l'Autorité sur le contrat et le repreneur de l'activité. Avez-vous respecté ces engagements et quelles mesures spécifiques avez-vous prises à cette fin par votre groupe ?
Le dossier Henkel concerne un fonds de commerce que nous avions racheté à un autre grossiste qui contenait la carte Henkel. Nous avions demandé une modification des contrats à l'industriel, ce qu'il n'avait pas accepté de faire. Dans ce dossier, l'industriel a donc été concerné, ainsi que les représentants de plusieurs territoires. Il s'agit d'une procédure de transaction ; nous avons estimé qu'un risque juridique pourrait apparaître, mais nous n'estimions pas avoir enfreint la loi. Nous avons de fait transigé sur ce dossier Henkel, et c'est la seule fois où nous avons été concernés par un dossier de cette sorte lié à la loi Lurel.
Concernant le dossier NKT, l'Autorité de la concurrence nous a demandé de prendre un certain nombre d'engagements. Le premier était de ne pas exploiter une enseigne comprenant le nom « Carrefour ». Le magasin porte aujourd'hui l'enseigne Supeco qui fait partie du groupe Carrefour, mais ne contient pas le nom « Carrefour ». Nous avons vendu la partie grossiste de NG Kon Tia au groupe Sainte-Claire en Guyane qui en a l'exploitation depuis la date de la cession.
Je reviens sur une question relative à la nature des intermédiaires intervenant dans la chambre logistique d'approvisionnement de vos enseignes. Pouvez-vous me donner un exemple pour savoir si vous maîtrisez 100 % des intermédiaires de la chaîne ou non ? Pouvez-vous me donner un exemple précis du point de départ ? J'imagine qu'il s'agit de la centrale d'achat qui réalise déjà une marge, ayant des charges. Pouvez-vous ensuite décliner la liste des intervenants en tant qu'entreprises dans la chaîne jusqu'au bout ?
La centrale d'achat ne fait pas de marge. Elle prend une commission à l'achat, ce qui est différent. Nous sommes par ailleurs logisticiens export et détenons un entrepôt ainsi que j'ai pu l'évoquer, dont le rôle est de manipuler les marchandises avec le savoir-faire spécifique de l'empotage. Nous sommes transitaires au départ, mais nous ne sommes pas opérateurs de terminal portuaire, nous ne sommes pas non plus une compagnie maritime. Nous n'avons plus le contact avec la marchandise ; nous la récupérons à destination, Guadeloupe, Martinique. Nous sommes transitaires à l'arrivée. Nous effectuons les opérations de dédouanement. Ensuite, nous sommes logisticiens. En Guyane, nous ne sommes pas transitaires. Cette étape n'est pas intégrée. Vous avez l'ordre de grandeur.
L'intégration verticale est-elle plus coûteuse que le fait de passer par des intervenants extérieurs ? Notre conviction est que ce n'est pas le cas et qu'au contraire, à chaque fois que nous passons par un tiers, ce tiers a pour but d'équilibrer son activité, mais également de réaliser une marge. Or, ce n'est pas notre cas. Nous faisons des arbitrages en interne pour essayer d'être plus compétitifs. Cette intégration verticale nous demande également de nous mesurer constamment avec les acteurs du marché pour vérifier que nous restons compétitifs. Dans le cas contraire, la conséquence serait très simple : nos magasins seraient complètement déphasés en prix. In fine, la concurrence en magasin nous oblige à être compétitifs tout au long de la chaîne.
La centrale d'achat prend une commission. Depuis le producteur jusqu'au moment où la marchandise arrive sur le pont, un transport routier est en général assuré. Vous ne vous en occupez pas, d'accord. Nous aurions besoin d'un exemple concret avec la marge de chaque intermédiaire, et surtout la marge des intermédiaires qui sont de votre « paternité » de groupe d'entreprise.
Ces éléments mobilisent de nombreuses étapes. Nous pourrons également vous les transmettre, si vous le souhaitez. Il s'agit d'un dossier de revient permettant aux équipes localement de valoriser les produits en fonction de toutes les charges qu'ils ont supportées. Au sein de ces charges supportées, vous pourrez distinguer celles qui sont des charges intégrées de celles qui sont des charges de fournisseurs externes.
Parmi les solutions, vous avez évoqué des tarifs export minorés. Certains dires rappellent l'existence de tarifs export majorés. Avez-vous connaissance de ces pratiques ? S'agissant de territoires hors Hexagone, certains importateurs décident de majorer la livraison de 20 % ou de 25 % au point de départ depuis la France hexagonale.
Comme vous, j'ai entendu que cette pratique existait, je ne dispose pas d'exemple concret cependant. J'ai toutefois pu observer que pendant la crise de la Covid-19 et pendant celle du transport international qui a suivi, des difficultés d'approvisionnement et un grand nombre de ruptures ont été constatées. Nous avons pu observer des fournisseurs privilégier leurs clients hexagonaux par rapport aux clients export, ce que nous avons très fermement condamné. Il ne s'agit pas en l'occurrence de différence de tarif, mais du fait de privilégier un flux plutôt qu'un autre. Il est vrai que nous sommes souvent considérés dans les portefeuilles export de nos fournisseurs, non pas à dessein, mais nous avons du transport, des phases douanières, pour des raisons de praticité, nous sommes considérés comme des clients exports. Des conséquences tarifaires peuvent émerger, je n'ai pas d'exemple de tarif majoré à l'export à fournir cependant.
Quels intérêts ont justifié la participation du groupe SAFO à la création d'entreprises GMOB, bornes de recharge pour véhicules électriques en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane et, à travers elles, la diversification des activités déjà nombreuses dans ces territoires ? Nous pourrons en l'occurrence parler de concentration horizontale.
Nous avons considéré que le métier de distributeur alimentaire évoluerait dans l'avenir vers plus de services, que les clients choisiraient entre un réseau d'enseignes ou un autre en fonction des services qui lui seront apportés. Avec l'avènement de la mobilité électrique, la possibilité de recharger son véhicule nous semble être l'un de ces services. C'est la raison initiale de notre investissement. Vous déclarez que nous avons plusieurs activités. Or, notre groupe est assez monoactivité : la distribution alimentaire. C'est l'une des rares incursions que nous faisons en dehors de nos métiers habituels. Nous ne sommes pas présents dans l'automobile, par exemple, ou dans d'autres secteurs, ce que vous pourrez constater avec la transmission du détail de nos filiales.
Vous avez déclaré ne pas connaître vos parts de marché. Cependant, en tant que groupe, vous êtes obligés d'essayer de voir ce que vous pesez par rapport à la concurrence. Vous disposez certainement d'études et d'analyses de fait qui vous donnent une idée de la tendance. Je ne parle pas uniquement du chiffre d'affaires, mais de votre capacité à vous développer, en tout cas à vous maintenir dans une vitalité suffisante. Que pouvez-vous expliciter concrètement en matière de parts de marché, et je suppose somme toute que vous les connaissez, selon ce que vos activités vous rapportent ou en tout cas vous permettent d'avoir un périmètre d'intervention suffisant en matière d'exercice économique ?
Nous pouvons essayer d'estimer nos parts de marché qui resteront des estimations très vulgaires. Je prendrai l'exemple du dossier de la reprise de l'hypermarché de La Batelière. Le magasin étant désormais fermé, un report de consommation s'est opéré sur d'autres magasins. Nous n'avons pas de magasin dans cette zone ; je suis incapable de vous signifier le report qui a pu avoir lieu à la suite de ce sujet. Je suis capable de vous transmettre le chiffre que nous faisons d'année en année ou de vous dire que nous avons perdu un magasin en Martinique ; nous sommes donc plutôt en baisse en parts de marché. J'imagine que vous avez suivi l'incendie du Carrefour Market du Robert lors des événements de novembre 2021. Nous ne pouvons pas être précis. Vous avez cependant raison ; nous regardons avec nos équipes une dynamique pour avoir une idée d'où nous nous situons à peu près, ce qui n'est pas précis cependant. Je serai par conséquent incapable de fournir un juste pourcentage. L'Autorité doit être en mesure de présenter ces chiffres, peut-être pas actualisés, mais eu égard à sa dernière étude.
Vous avez l'estimation de ce poids. Vous me parlez de l'Autorité de la concurrence qui intervient uniquement lorsqu'elle est saisie, vous le savez ? Or, elle n'est pas saisie en permanence. De fait, l'Autorité de la concurrence ne détient pas ces chiffres. Si en tant qu'entreprise, vous n'avez pas connaissance des parts de marché que vous prenez de façon estimative, alors vous prenez d'importants risques pour l'avenir ou pour le passé.
Monsieur le rapporteur, je ne préfère pas vous adresser une réponse qui serait inexacte. Pour connaître mes parts de marché, il faudrait que je connaisse tous les chiffres d'affaires de mes concurrents. Or, pour les raisons évoquées précédemment, nous ne les connaissons pas. En plus de connaître les chiffres d'affaires de mes concurrents, il serait nécessaire que j'en aie la connaissance par magasin et par activité. Ce n'est pas le cas. Je n'ai pas d'idée précise.
Pour ce qui est de l'Autorité, l'avis de 2019 n'est pas si ancien, il peut paraître lointain. Aucun bouleversement de marché depuis cet avis ne justifierait une forte évolution des parts de marché. Celui-ci reste pertinent à mon sens.
En matière de coûts structurels et de coûts conjoncturels, et vous serez d'accord avec moi, l'inflation n'est pas la seule constante qui pèse. Un coût structurel historique existe en effet depuis des dizaines d'années, même si la Martinique n'est un département français que depuis 1946. J'ai compris que vous aviez émis des propositions sur l'augmentation de la production locale, sur l'approvisionnement dans le voisinage grâce à la diplomatie territoriale, le tarif export minoré, la question de la continuité territoriale. Vous parlez de l'intégration verticale. L'Autorité de la concurrence remet précisément en cause l'accumulation des marges, et pas des marges individuelles par entreprise. Quelles actions pourriez-vous mettre en œuvre à court terme dans la chaîne de la production jusqu'au point final, en dehors des mesures que vous évoquez qui seront du moyen terme, afin de baisser les prix à la vente dans nos territoires de manière notable, pas uniquement sur le BQP, c'est-à-dire sur 150 produits ou sur 180 produits ?
Lorsque j'évoquais l'intégration verticale, pour qu'aucune méprise ne ressorte, je parlais d'intégrer dans le dispositif du BQP des acteurs qui ne seraient pas des acteurs faisant partie de notre groupe. Je parlais d'acteurs qui se situent en amont dans le cycle d'approvisionnement. C'est bien la verticalité à laquelle je faisais référence. Vous faites quant à vous référence à une autre verticalité, le terme est tout à fait correct, mais qui consiste à intégrer le BQP et le BQP+, et ce n'était pas mon propos. Vous avez parfaitement raison de distinguer le dommage structurel qui est le différentiel de prix – je suis entièrement d'accord avec vous pour affirmer qu'il est totalement décorrélé de l'inflation – et l'inflation qui est tout à fait conjoncturelle, que nous avions presque oubliée tant celle-ci était faible depuis plusieurs années et qui s'est mise à être très importante. Vous avez remarqué qu'elle était moins importante outre-mer qu'elle ne l'est au niveau national. En réalisant une projection, nous observerions que l'écart se serait réduit puisque les prix ont plus augmenté en métropole qu'ils n'ont augmenté en outre-mer. L'écart reste certes important, vous avez parfaitement raison, mais devrait être plus faible que le dernier écart observé. Il s'agit simplement d'une projection, nous le verrons avec l'enquête 2022 de comparaison spatiale des prix de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), qui est en cours.
Toute comparaison n'est pas possible puisque toute chose doit être égale par ailleurs. Je ne peux pas comparer l'évolution de l'inflation en France hexagonale avec l'évolution de l'inflation en Martinique pour une raison simple : un coût structurel n'existe pas en France hexagonale et existe en Martinique. J'avais pris l'exemple d'un produit à 10 euros vendu en France ; en Martinique, avec les 40 % historiques, le prix est fixé à 14 euros au départ. Avec une inflation à 5 %, nous obtenons environ 14,50 euros contre 10,50 euros ou 10,60 euros en France. Ce n'est pas comparable cependant. Il n'est pas possible de comparer de façon identique l'évolution de l'inflation au regard de ce coût structurel en Martinique qui n'existe pas.
Le coût structurel est intégré dans la variation en proportion. L'inflation mesure l'évolution du niveau général des prix en pourcentage. Vous avez raison, en valeur absolue, ces mouvements sont peut-être plus forts, mais en pourcent, c'est une base. Je ne connais pas les méthodes de l'Insee, je ne suis pas statisticien, mais je sais qu'ils utilisent l'indice de Fisher pour comparer des consommations qui sont comparables. En pourcentage, l'évolution fait sens.
Vous avez abordé par ailleurs des dispositifs de court terme. Pour ce qui est de la péréquation, ce dispositif peut assez rapidement être mis en place. Le débat avec les compagnies maritimes est à souligner ; elles ne sont pas les seules représentantes des frais d'approche. Je tiens à préciser en effet que le fret est une partie des frais d'approche, mais pas la seule.
Du côté de la fiscalité, si nous trouvions une répartition adaptée des taux d'octroi de mer, une réunion de la commission ad hoc outre-mer suffirait pour modifier ces taux. Le travail pour définir les taux est peut-être un travail compliqué. Au même titre que je citais les produits de dernière nécessité, j'étais incapable de vous en faire la liste. Il est essentiel de bien la faire. Prenons l'exemple des produits électroniques ; il ne faudrait pas venir pénaliser un ordinateur d'entrée de gamme qui va concerner des étudiants ou des familles. Il faut faire attention aux actions menées. Je fais toutefois confiance à des spécialistes pour y parvenir. L'enjeu est tellement fort sur les produits de première nécessité que cette action est à mon sens nécessaire.
Selon vous, par rapport aux marges que vous réalisez dans la chaîne d'intégration verticale, pourriez-vous faire un effort à court terme pour diminuer les prix de vente aux consommateurs au regard de la chaîne de distribution que vous maîtrisez ?
Nous faisons l'effort maximum et si nous avions gardé une possibilité de faire un effort supplémentaire, je serais très mal à l'aise devant votre commission. Nous faisons l'effort maximum. Nous avons le jeu de la concurrence. Je sais qu'une idée reçue tend à affirmer que cet effort n'est pas important. Je rappelle somme toute que le groupe Parfait vient de passer de l'enseigne Système U à l'enseigne Leclerc. L'enseigne Leclerc est une enseigne qui a fait du prix son ADN. Dans les conditions d'adhésion à cette enseigne, nous retrouvons le positionnement prix. Je sais que ce n'est pas l'avis de tout le monde, mais nous n'avons pas de marge de manœuvre concernant la baisse des prix.
Combien de grossistes-distributeurs qui se partageraient le marché sont recensés en Guadeloupe et en Martinique ?
Comment expliquer la faible inflation en outre-mer comparativement à l'inflation qui a trait actuellement au niveau national ? Ce phénomène pourrait-il révéler un caractère un peu artificiel de nos prix ? Il serait ainsi possible d'affirmer que les prix sont tellement élevés qu'il ne serait pas possible de les augmenter encore, ce qui provoquerait une explosion. Nos prix sont-ils véritablement bien corrélés à notre économie ou à l'économie mondiale ? Dans le dernier cas, nous devrions subir une montée de l'inflation, une petite augmentation de l'inflation. Cette situation fait partie des bizarreries économiques que le ministre n'a pas su expliquer.
Vous posez deux questions sur le nombre d'acteurs en Guadeloupe. J'ai indiqué qu'il existait sept groupes distributeurs en Martinique, une cinquantaine de grossistes de premier plan et 200 grossistes d'après le Système informatique pour le répertoire des entreprises et des établissements (Sirene) de l'Insee. Nous recensons davantage de grossistes en Guadeloupe. Les marchés en Guadeloupe et en Martinique sont assez différents. La Martinique compte de nombreux hypermarchés ; nous en dénombrons sept, huit si celui de La Batelière rouvrait, la Guadeloupe en compte trois. Il existe donc plus de supermarchés en Guadeloupe et moins de supermarchés en Martinique. Il existe du reste en Guadeloupe une distribution de proximité avec des lolos (petits commerces alimentaires de proximité), ce qui se retrouve également en Martinique. Somme toute, le nombre de grossistes en Guadeloupe est supérieur aux 50 que j'évoquais. Il conviendrait d'interroger le fichier de l'Insee et les codes d'activité principale exercée « commerce de gros ».
Concernant les groupes structurés en distribution, je ne préfère pas déclarer d'erreurs. Je pense que ce nombre est similaire à celui de la Martinique ; j'aurais besoin d'un peu de temps pour vous répondre. L'ordre de grandeur est toutefois celui-ci.
Enfin, nous expliquons le niveau d'inflation par le niveau de stock. J'expliquais précédemment qu'un distributeur ultramarin était obligé de se stocker pour couvrir deux cycles d'approvisionnement, ce qui implique des stocks plus élevés, mais présente une vertu. En effet, en cas d'inflation, les marchandises ont été achetées avant et à meilleur prix. Un deuxième facteur, dont je ne peux pas mesurer l'efficacité, est à prendre en considération : nous avons été les territoires soumis au BQP+ contrairement au territoire national. Des discussions se sont tenues autour d'un panier anti-inflation, qui ont abouti, vous avez pu le constater, à des dispositifs individuels par distributeur et rien de global.
Je vous remercie, mes chers collègues et monsieur. Vous aurez bien compris que nous sommes en attente de réponses avec des données précises par écrit. Nous sommes également dans l'attente de la réponse par écrit au questionnaire qui vous avait été communiqué. Je le souligne aussi bien pour ceux qui nous écoutent que pour vous le confirmer : nous demanderons exactement les mêmes renseignements à vos concurrents, en exigeant une réponse par écrit, de la même façon.
*
La commission auditionne ensuite M. Max Dubois, ancien conseiller spécial du ministre délégué chargé des Outre-mer.
Je souhaite la bienvenue à M. Max Dubois, président de l'association République & Développement outre-mer (R&DOM) et consultant, qui a été conseiller spécial du ministre délégué chargé des outre-mer jusqu'au 2 février 2023.
Selon la rumeur, monsieur Dubois, vous préparez un ouvrage sur des questions qui intéressent cette commission. Je ne doute donc pas que vous ayez des choses à nous dire, d'autant plus que vous êtes réputé pour avoir une parole forte. Sans doute aurez-vous à cœur de décrire ce que vous considérez souvent comme des excès de la part des hyper-monopoles.
Je vous remercie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Max Dubois prête serment).
Merci de votre invitation, monsieur le président. Je préciserai juste que j'ai démissionné de la présidence de R&DOM le 25 juillet, lorsque j'ai pris mes fonctions de conseiller spécial auprès de Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer.
Depuis d'assez nombreuses années, je suis connu dans les territoires ultramarins comme le pourfendeur des monopoles. Je suis profondément animé par le combat contre les inégalités, qui, dans les outre-mer, sont omniprésentes et, sur un plan économique, sautent aux yeux. L'indice de Gini illustre les importantes disparités qui existent entre la France hexagonale, où il est d'environ 0,3, et les territoires d'outre-mer, où il peut atteindre 0,5. Le rapport entre les déciles 1 et 9, autrement dit entre les 10 % de Français qui gagnent le moins et les 10 % qui gagnent le plus, montre des disparités tout aussi importantes.
Ces inégalités ne sont pas fantasmées, mais régulièrement mesurées par l'ensemble des observateurs, dont l'Insee, et dans un certain nombre d'enquêtes. Cela fait des décennies que nous faisons le même constat, sans que la situation ait sensiblement évolué. Pourquoi ?
Je me félicite que certains de nos concitoyens soient préservés de telles inégalités grâce à ce que nous appelons la sur-rémunération – majoration du traitement pouvant aller jusqu'à 40 % aux Antilles et jusqu'à près de 54 % à La Réunion – mais ce n'est pas le cas de ceux qui travaillent dans de petites entreprises, dans le secteur privé. Une partie importante d'entre eux vit mal, pour certains sous le seuil de pauvreté. Les jeunes Antillais qui partent faire des études en France hexagonale ou au Canada ne reviennent pas dans leur territoire, faute de pouvoir y prospérer et y fonder une famille.
J'interviens en tant que citoyen. Je fais de la politique, mais non élective – je n'ai pas l'intention de devenir sénateur de Mayotte, je ne me présenterai pas aux élections municipales à La Réunion ni au conseil régional de la Guyane. Je suis certain que les frères Legrand, Augustin et Jean-Baptiste, lorsqu'ils ont décidé de se battre en faveur du droit au logement, ne cherchaient pas un appartement plus grand ! Je fais juste partie de ces citoyens indignés, au sens de Stéphane Hessel, par de telles situations.
Quels grands groupes visez-vous ? Dans quels secteurs et sur quels territoires ? Disposez-vous de preuves factuelles, chiffrées, permettant de démontrer l'existence de situations de monopole et d'oligopole ?
Je classe l'économie des territoires d'outre-mer en trois catégories.
La première relève de l'économie de conglomérat. Dans ce cas, un conglomérat très puissant est présent dans de nombreux secteurs et endroits. Il n'est donc pas possible d'évaluer son rayonnement à partir d'une seule de ses activités dans un territoire donné : il peut vendre à la fois des voitures et du matériel de construction, intervenir dans la grande distribution, etc. Le Groupe Bernard Hayot (GBH), présent dans quasiment tous les territoires d'outre-mer et dans un très grand nombre de secteurs, est le plus puissant. Ses comptes ne sont pas intégralement publiés, mais je crois pouvoir évaluer son chiffre d'affaires à 7 milliards.
La deuxième catégorie comprend des entreprises très puissantes mais dans des secteurs plus restreints et sur des espaces beaucoup plus limités. C'est par exemple le cas du Groupe Leclerc à La Réunion, du Groupe Parfait aux Antilles ou du Groupe Ravate, qui chacun emploient plus de 1 000 salariés et ont un chiffre d'affaires de l'ordre d'un demi-milliard – à comparer toutefois aux 7 milliards de GBH : on ne parle pas de la même chose. C'est pourquoi il n'est pas possible, outre-mer, d'évoquer « la grande distribution » en général : cela ne représente pas du tout la même chose pour GBH que pour les groupes Parfait et Caillé ou pour Système U ou Leader Price. Je me refuse à mettre toutes ces entreprises dans le même panier car elles ne se situent pas au même niveau et ne font pas les mêmes marges.
La troisième catégorie relève de ce que j'appelle l'économie de rente : l'art et la manière de compenser largement un business par les fonds publics. C'est le cas de la culture de la banane. Sur les 320 millions du fonds européen et français Posei (programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité), qui vise à favoriser la diversification en augmentant le taux de couverture et la souveraineté alimentaire pour toutes les productions végétales et animales sur tous les territoires, hors territoires du Pacifique, le secteur de la banane martiniquaise et guadeloupéenne préempte 130 millions et le secteur de la canne à sucre 70 millions.
Sur 320 millions, 200 sont donc consacrés à des filières d'exportation. Ceux qui sont sous cet arrosoir d'argent public bénéficient d'une économie de rente. Dans certains territoires, la rente vient du pétrole, dans d'autres, des minerais. Dans nos territoires d'outre-mer, elle est constituée par l'argent public.
Nous aurons sans doute l'occasion d'évoquer les rapports très différents qu'entretiennent les différentes enseignes avec le bouclier qualité-prix (BQP), comme en attestent leurs comptes et leurs modèles économiques.
Pourquoi avez-vous estimé publiquement que le projet de rachat de Vindémia, à La Réunion, par le Groupe Bernard Hayot serait « le coup de trop » ? Comment expliquez-vous que l'Autorité de la concurrence ait autorisé ce rachat ? Estimez-vous que les engagements pris par GBH soient de nature à écarter les risques d'atteinte à la concurrence sur les marchés de la distribution au détail à dominante alimentaire et des livres ainsi que sur le marché de l'approvisionnement ?
GBH a obtenu le droit de réaliser cette opération de fusion – l'une des plus importantes jamais réalisée dans les territoires d'outre-mer – contre l'avis de tous les parlementaires de La Réunion, qui ont fait connaître leur opposition au rachat des magasins Vindémia par GBH dans une lettre qu'ils ont tous signée.
Dans son premier avis, rendu en 2019, l'Autorité de la concurrence a pointé un risque lié à cette concentration. Un an plus tard, elle a refusé de passer à la phase 2 de son instruction et a considéré que l'opération pouvait avoir lieu, sous réserve de la cession de quatre magasins. De mémoire, le chiffre d'affaires de Vindémia, à La Réunion, s'élevait à 650 millions, à quoi s'ajoute celui réalisé dans les « 3 M », Mayotte, Maurice et Madagascar, qui était de 200 millions.
Les quatre magasins ont été vendus par GBH, en toute légalité bien sûr. Le retour a été cinglant pour les finances publiques : trois ans plus tard, le groupe qui les avait rachetés, constitué autour de Run Market – qui n'est pas un spécialiste de la grande distribution – affichait une perte de 130 millions et était en situation de déposer le bilan. Pour sauver environ 700 emplois, il a fallu en appeler au comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) et Bercy a dû se munir d'une grosse éponge pour effacer une grande partie de la dette – grossièrement, les prêts garantis par l'État (PGE) – avant que les banques ne soient appelées à la rescousse. Le coup d'éponge s'est élevé à 85 millions.
Bref l'Autorité de la concurrence affirme que tout va pour le mieux dans cette opération, le Groupe Bernard Hayot cède quatre magasins et trois ans plus tard, l'argent public, notre argent, est utilisé pour régler la note. Un repreneur mauricien a été trouvé, le groupe IBL, mais il a subordonné la reprise à un coup d'éponge de l'État sur les dettes fiscales et sociales et sur les PGE, et à une intervention pour inciter les banques à faire de même. Je crains donc d'avoir eu raison de monter au créneau, il y a trois ans, pour expliquer que cette opération représentait un grand danger. Je n'étais d'ailleurs pas seul : M. Girardier, du cabinet d'étude Bolonyocte, l'avait également fait. J'ajoute que malgré cette reprise par un groupe tout à fait sérieux, la survie de l'opération demeure à mon sens problématique.
Il y a donc eu des alertes, et les politiques de La Réunion ont à l'unanimité demandé que l'Autorité de la concurrence, au minimum, engage la phase 2 de son instruction. Elle ne l'a pas fait, et ni le Président de la République, ni Bruno Le Maire n'ont jugé bon d'utiliser leur pouvoir d'évocation en ce sens. Que s'est-il donc passé ?
Pourtant, les rapports de l'Autorité de la concurrence expliquent tous qu'il faut éviter les concentrations ! Mais chaque fois que la question se pose, les avocats montent au créneau et plus rien n'est possible. Le dysfonctionnement est patent.
J'avais il y a peu un patron de banque au téléphone à ce propos. « Moi qui ai dû passer un coup d'éponge de plusieurs millions dans l'affaire Vindémia, m'a-t-il dit, comment puis-je maintenant courir après un artisan qui a trois ou quatre mois de retard pour rembourser son fourgon Trafic ? » Ces situations sont insupportables. De telles inégalités provoquent chez les citoyens des réactions que je comprends, même si elles sont parfois un peu excessives.
Ce rachat a donc mal tourné, avec des conséquences importantes. Mais pourquoi les concurrents de GBH n'ont-ils pas saisi l'Autorité de la concurrence en raison des risques de concentration ?
Ils l'ont fait ! Pour ce que j'en sais, une procédure d'appel est d'ailleurs pendante devant le Conseil d'État depuis plus de deux ans.
Quels documents pouvez-vous nous communiquer à propos de l'affaire Vindémia et du Groupe Bernard Hayot ?
En tant que conseiller spécial de politique économique auprès du ministre délégué chargé des outre-mer, quels dossiers vous ont-ils été confiés ? Qu'avez-vous découvert sur les facteurs contribuant au renchérissement du coût de la vie ?
Il y a pléthore de documents. Plusieurs conciliations ont eu lieu au tribunal de commerce, le préfet a convoqué les parties, un plan de restructuration a été proposé, le Ciri a eu le dossier en main. Je ne peux pas demander à ce dernier le double du contrat qui a été passé, d'autant plus qu'une partie peut être confidentielle car relevant du secret des affaires, mais tous mes propos sont parfaitement vérifiables. Il y a eu également des articles de presse.
Je me sens souvent tenu de préciser que je ne « cible » pas GBH. Je n'ai rien contre ce groupe prospère et je trouve parfaitement normal qu'une entreprise doive faire des bénéfices, pour rémunérer à la fois le travail et le capital. Mais en l'occurrence, nous n'avons aucun garde-fou. S'agissant de petits territoires, un groupe fortement doté en capital peut assez vite se retrouver en position monopolistique ou oligopolistique – même si je ne prétends pas que ce soit facile : GBH œuvre depuis soixante ans, cela ne lui est pas tombé du ciel ! Il n'en reste pas moins que, faute de garde-fou, le groupe a pris une position beaucoup trop importante.
D'autres ont essayé de résoudre ce problème. La loi d'orientation du commerce et de l'artisanat, dite « loi Royer », du 27 décembre 1973, est la première visant à encadrer ce secteur. En 1993, un député réunionnais, André Thien Ah Koon, a fait adopter un amendement tendant à limiter à 25 % des surfaces commerciales d'un département d'outre-mer la possibilité d'extension d'un opérateur. La loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 a, me semble-t-il, abrogé cette disposition, dont je considère qu'elle aurait d'ailleurs dû plutôt porter sur le chiffre d'affaires. Quoi qu'il en soit, cette préoccupation existait déjà à l'époque.
De la même manière, les Calédoniens ont pris en 2013 une loi du pays, dite loi antitrust, que le Conseil constitutionnel a validée. Il s'agissait de réagir à la situation d'alors sur le territoire, notamment à Nouméa, où l'on retrouve GBH, qui disposait de 50 % des surfaces commerciales. Eux aussi ont fixé une limite à 25 %, comme vous l'avez observé par ailleurs, monsieur le rapporteur, dans le document préparatoire à cette audition.
L'objet de cette commission d'enquête est de comprendre le décalage entre les niveaux des prix et des revenus dans les outre-mer, lequel fige de nombreux habitants dans la pauvreté. Vous qui vous préoccupez de ces questions depuis longtemps, considérez-vous que les situations de monopole et d'hyper-monopole, entre autres de GBH, contribuent à créer de telles distorsions ?
D'abord, les entreprises ont vocation à avoir des résultats. Dès lors qu'elles peuvent développer leur business et leurs marges, elles le font.
La sur-rémunération outre-mer représente grosso modo 1 300 milliards d'euros. Elle est de deux types : la sur-rémunération nationale s'élève à environ 900 millions, et la sur-rémunération locale à environ 400 millions. La sur-rémunération est de 40 % aux Antilles et en Guyane et de 53 % à La Réunion. Une entreprise s'installe naturellement là où le consentement à payer est le plus élevé. Globalement, les personnes sur-rémunérées, dans les outre-mer, ne vivent pas trop mal. Le problème, c'est celles qui ne le sont pas. La responsabilité publique dans une telle distorsion est donc importante.
J'entends, mais le « coup de trop », l'affaire de Vindémia, n'est pas à classer dans cette catégorie : elle relève d'une erreur stratégique, industrielle, non d'un problème concurrentiel. Ce que vous venez de nous dire, c'est que la sur-rémunération pousse les distributeurs à augmenter les prix, parce qu'ils ont une clientèle qui peut payer. Auquel cas le problème relève en effet de l'action publique.
C'est le cas. Si j'ai parlé de « coup de trop », c'est parce que la population outre-mer perçoit parfaitement ces inégalités. Un opérateur ultrapuissant finit par appeler sur lui une attention défavorable. GBH déploie d'ailleurs bien des efforts pour essayer de se montrer sous son meilleur jour, en intervenant auprès de différentes associations – la cour qu'il fait en permanence ne m'échappe pas. Mais la réalité, c'est que ces groupes, qui n'ont pas de garde-fous, n'ont de cesse de vouloir encore plus de croissance.
Sortons un peu de la grande distribution pour aller, par exemple, dans le secteur de la fabrication de ciment. Si vous êtes tellement puissant que vous détenez, dans une zone géographique, une part importante de la capacité à fabriquer du béton, vous faites la loi non seulement chez vos fournisseurs, qui vous doivent beaucoup et ont besoin de vos commandes – c'est le jeu normal – mais également chez vos clients, qui n'ont pas d'autre choix que de se tourner vers vous. C'est ce que j'appelle une économie de domination.
Le « coup de trop », pour GBH, c'était qu'avant même le rachat de Vindémia, le groupe pesait plus de 30 % dans le panier global des dépenses de la ménagère. Le problème n'était pas que ce rachat augmenterait sa part dans le secteur de la distribution alimentaire, mais que cela s'ajouterait à tout le reste ! Autant que je me souvienne, 45 % des voitures et plus de 60 % des poids lourds circulant à La Réunion étaient vendus par le groupe GBH – et 45 % des pièces détachées, des pare-brise, des pneumatiques… La présence de ces groupes tourne à l'omnipotence. Elle crée une sorte de plafond de verre : quel que soit l'endroit où vous voulez vous installer, ils sont présents.
Je trouvais incroyable qu'un groupe intelligent, très puissant et bien conseillé ne se rende pas compte qu'il allait atteindre le seuil d'intolérance. J'ai toujours peur, quand je vais dans nos territoires d'outre-mer, parce que le point de renversement est tangible : une étincelle, et tout explose ! Les gens ne peuvent pas vivre avec un tel niveau d'inégalités. En somme, ces groupes assument une responsabilité sociétale importante. C'est la raison pour laquelle je me bats.
Qui sont les grands annonceurs dans la presse ? Les gens qui travaillent avec la grande distribution. Pour ma part, j'ai mis des années avant de pouvoir accéder à certains journaux ; j'ai même été censuré par plusieurs d'entre eux, qui subissaient des pressions, parce que mes propos pouvaient nuire un peu au développement du business de ces très grands groupes. J'ai dénoncé ces agissements dans des vidéos, et je continue à dire que j'ai été censuré.
La présence de ces conglomérats dans les territoires d'outre-mer crée de facto une situation qui me paraît intolérable. Le premier d'entre eux, le groupe GBH, a d'ailleurs vu son barycentre économique se déplacer des Antilles vers La Réunion et Mayotte. Il vient de prendre, à travers Vindémia, d'importantes parts de marché à Mayotte, une île qui n'a pas encore fait sa transition démographique et verra donc son marché se développer encore.
Puisqu'il n'existe pas de sagesse capitalistique, il faut une sagesse publique : c'est à l'État d'instaurer les garde-fous nécessaires pour éviter d'aller un cran trop loin.
Il faut rendre hommage au ministre Victorin Lurel, qui s'est attelé au problème et n'a eu de cesse de rétablir un peu d'égalité, en créant notamment le bouclier qualité-prix. Mais cela ne se fait pas en un jour : il fallait poursuivre les efforts. Or depuis quelques années, les choses vont à vau-l'eau.
Les très grands groupes dont nous parlons sont bien armés sur le plan juridique. Un lobby très puissant est à l'œuvre, et il a deux faces : d'un côté, l'association Eurodom, que tout le monde connaît, est gérée par M. Lombrière, ancien conseiller outre-mer de M. Sarkozy ; de l'autre, le cabinet de lobbying Action Europe, basé à Bruxelles, est dirigé par le même M. Lombrière. Ces gens-là sont rompus aux techniques de lobbying, et on les retrouve partout où il y a une manne à récupérer. Ils sont notamment actifs dans le domaine de la banane. Chaque année, Banamart, l'association des producteurs de bananes de la Martinique, verse une cotisation de 600 000 euros à Eurodom, qui envoie cet argent à Action Europe.
Ces lobbys, puissants et bien payés, défendent la progression des grands groupes. Ils effectuent un travail tout à fait légal, mais ils bénéficient de la connivence du monde politique ; aussi, les messages qu'ils souhaitent faire passer rentrent comme dans du beurre. Je me rappelle avoir dit un jour à mon ministre, qui fut jadis un ami, qu'il en était à sa sixième ou septième réception avec Bernard Hayot et qu'il y a tout de même d'autres gens à voir, qui sont aussi de puissants acteurs économiques dans les territoires d'outre-mer ! De même, quand, en plein Oudinot du pouvoir d'achat, le même Jean-François Carenco commence par expliquer aux journalistes qu'il vient d'avoir Bernard Hayot au téléphone, tout le monde m'appelle pour me demander si M. Hayot ne serait pas mon véritable patron !
Cette connivence est intolérable. L'action publique doit être menée par des personnes guidées par le souci de l'équité, et non par une fascination pour l'argent ou la réussite. Dans les affaires dont je vous parle, on n'est jamais hors-la-loi, mais souvent en marge de la morale.
Nous auditionnerons M. Carenco un peu plus tard, mais j'imagine qu'il n'a pas découvert votre action ni le groupe Bernard Hayot après vous avoir nommé auprès de lui. Comment expliquez-vous qu'il ait voulu faire de vous son conseiller spécial ?
Je me suis posé la question. Ma conviction personnelle est qu'en me nommant conseiller spécial, en m'octroyant un bureau magnifique, on a essayé de me maîtriser, de m'éteindre. Il se trouve que ma vie et ma situation économique ne dépendaient pas de ce poste – j'ai d'autres activités, connues, et c'était la première fois de mon existence que j'étais appointé par l'État – et que je suis d'abord un citoyen combattant : je n'avais donc pas de raison de changer mon point de vue.
Avec Jean-François Carenco, nous avons tout de même discuté de nombreux sujets, et à chaque fois ma préoccupation était la même. Quand il s'agissait de voir de « petites » entreprises, c'était moi qui m'en chargeais. Mais pas celles qui pesaient lourd ! Ainsi, je ne m'explique toujours pas pourquoi, en tant que conseiller spécial particulièrement chargé des questions économiques, je n'ai jamais été invité à participer à aucune des visites que Bernard Hayot a rendues au ministère. Pas une seule fois !
Vous soulevez très clairement la question de la concentration du pouvoir économique et de l'argent entre les mains d'un tout petit nombre d'acteurs. En dehors de GBH, existe-t-il d'autres groupes sur lesquels vous voudriez appeler notre attention ? Avez-vous des éléments factuels les concernant ?
J'ai bien compris que la connivence que vous dénoncez allait jusqu'à l'intérieur de certains cabinets. Pouvez-vous nous donner les noms des conseillers dont vous pensez qu'ils sont plus soumis à l'influence des pouvoirs économiques qu'attachés à assumer la mission de régulation de l'État ?
S'agissant du recours contre le rachat de Vindémia, il semble que le Conseil d'État l'ait rejeté. Je note que la condition posée au Groupe Bernard Hayot de céder des magasins a coûté de l'argent public alors que l'on se retrouve aujourd'hui dans la même situation que si elle n'avait pas été imposée.
Quelles propositions faites-vous afin de réduire cette domination, voire cette prédation financière et économique ? Que répondez-vous à ceux qui ne voient pas comment promouvoir la concurrence et faire entrer de nouveaux groupes dans des territoires exigus, éloignés et soumis à une emprise monopolistique ou oligopolistique ?
Il y a effectivement d'autres entreprises, qui ne se comportent pas toutes de la même façon – leur attitude dépend notamment de ce qu'elles vendent et de leur typologie économique.
Je m'interroge par exemple sur la puissance des grands groupes hexagonaux du bâtiment et des travaux publics. À La Réunion a été construite la nouvelle route du littoral. Beaucoup d'argent a été versé pour cela à des conglomérats qui sont extérieurs aux territoires ultramarins, même s'ils y interviennent très fortement. J'aimerais savoir quel a été le bénéfice de ces investissements, qui se montent tout de même à 2,5 milliards d'euros, pour les entreprises réunionnaises. Je sais que de nombreux chauffeurs ont acheminé des roches en camion et que l'opération a dû faire tourner les hôtels et les restaurants, mais je ne sais pas combien de points de PIB supplémentaires ces 2,5 milliards ont apporté à La Réunion.
C'est vrai pour toutes les infrastructures. Il existe dans les territoires d'outre-mer un certain nombre d'entreprises de bâtiment et travaux public solides, puissantes, respectant la réglementation et disposant des capacités techniques nécessaires pour accéder aux marchés, mais ces derniers sont le plus souvent attribués à des groupes hexagonaux, qui utilisent ces entreprises comme des sous-traitants. Les conglomérats qui viennent pomper la richesse de ces territoires n'y sont donc pas nécessairement implantés.
Une autre de mes grandes interrogations concerne le transport maritime. Les entreprises de ce secteur obtiennent aujourd'hui des résultats pharaoniques : CMA CGM est l'entreprise la plus rentable de France, comme le sont aussi ses camarades de jeu internationaux dans leurs propres territoires. Cela renvoie à une discussion que j'ai eue avec Jean-François Carenco sur la cherté de la vie.
Pour préparer cette audition, ce que j'ai fait un peu dans l'urgence, j'ai appelé cinq ou six grands consommateurs de conteneurs (containers) pour savoir s'ils avaient constaté une baisse du prix d'acheminement. Un seul m'a répondu, ce matin : M. Thiaw Kine, du groupe E. Leclerc à La Réunion, que je remercie d'autant plus qu'il était en vacances. Il m'a expliqué que le conteneur de 40 pieds, facturé 2 000 euros en 2018, avant la pandémie liée à la Covid-19, et qui était monté jusqu'à 3 700 euros, restait facturé aujourd'hui 3 000 euros. Comment cela s'explique-t-il alors que l'entreprise vient d'annoncer un résultat de 23,4 milliards d'euros – je parle bien de bénéfice, pas de chiffres d'affaires ? Il est permis de s'interroger.
Le PDG de CMA CGM, Rodolphe Saadé, est, tout comme Bernard Hayot, un capitaine d'industrie international de très haut niveau. Il n'a pas découvert le résultat réalisé par son groupe en 2022 au moment de la publication de ses comptes début 2023 : il voit très bien ce qu'il gagne chaque jour, et il sait depuis le premier jour de 2022 que ses bénéfices seront colossaux. Pourquoi n'a-t-il pas décidé de revenir, dans les territoires d'outre-mer, au prix antérieur de 2 000 euros ? Les entreprises ne doivent-elles pas avoir un minimum de vocation citoyenne ? On a demandé à chacun de faire des efforts : lorsque vous gagnez autant d'argent, l'effort que vous devez consentir doit être à la hauteur !
Je n'ai pas obtenu de réponse sur le prix du conteneur dans les Antilles, mais je continuerai à demander. Peut-être pourriez-vous appeler vous-mêmes les grands consommateurs de transport, qui sont principalement les acteurs de la grande distribution : ils confirmeront ou infirmeront l'information que m'a donnée le groupe E. Leclerc, qui après tout se débrouille peut-être très mal. Quoi qu'il en soit, puisque vous me demandez des noms, je vous en donne !
Encore une fois, les grands groupes ne font pas preuve de sagesse : ils bouffent tout ce qu'ils peuvent du consentement à payer. Comment voulez-vous que ces comportements ne créent pas, à un moment ou un autre, une crispation sociale ? Nous y allons tout droit !
Il se trouve que nous avons auditionné tout à l'heure non pas CMA CGM mais d'autres armateurs, qui ont affirmé que le prix d'un conteneur était passé de 2 000 à 2 400 euros, puis revenu à 2 000.
Nous allons maintenant vous faire passer un moment un peu désagréable. Certaines personnes apprécient peu votre parole forte ; aussi les responsables de Banamart, dont vous avez parlé tout à l'heure, ont-ils rédigé un courrier dénonçant le non-respect par l'association R&DOM des obligations déclaratives prévues aux articles 18-3 et suivants de la loi n° 2013-907 relative à la transparence de la vie publique. Respectez-vous les exigences de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ? Vous aviez annoncé que vous porteriez plainte pour diffamation contre les signataires de ce courrier : l'avez-vous fait ?
Vous êtes consultant : c'est une profession tout à fait estimable, que j'ai moi-même exercée. Quels sont vos clients ?
Merci de m'avoir posé cette question, qui me permettra de passer un moment très agréable.
Lorsque je suis nommé conseiller spécial du ministre délégué chargé des outre-mer, je comprends bien que je ne me ferai pas que des copains : la toute première chose que je fais, début août 2022, est donc de prendre contact avec M. Vigouroux, qui est alors président de l'Institut Pasteur et, surtout, déontologue du ministère de l'intérieur et des outre-mer. Je lui demande un rendez-vous, qu'il m'accorde. Je lui expose ma situation de président d'association tout juste nommé en cabinet ministériel et n'ayant pas que des amis. Je lui explique aussi que je ne veux pas de conflits d'intérêts – je ne suis pas le perdreau de l'année. M. Vigouroux m'écoute très gentiment et m'explique que c'est au ministre de déclencher la procédure. Je demande alors à Jean-François Carenco de saisir M. Vigouroux afin que ce dernier m'aide à déterminer les éventuels conflits d'intérêts auxquels je pourrais être exposé. Alors que je lui exprime cette demande à deux reprises, Jean-François Carenco n'y donne pas suite. Les choses traînent un peu. Fin septembre, je décide alors d'envoyer à M. Vigouroux, avec accusé de réception, la totalité des documents juridiques et comptables qui me concernent à titre personnel et qui concernent tant la société que je dirigeais que l'association R&DOM. Cependant, il n'est toujours pas saisi officiellement : il me répond donc qu'il a regardé les documents, mais cela s'arrête là.
Au mois de décembre commence à circuler un mail aussi peu amène que le courrier de M. Gouyé, président de Banamart, que vous avez évoqué. On y explique en quoi ce voyou de Max Dubois n'a pas rempli ses obligations auprès de la HATVP – le mot n'est pas employé, mais on n'en est pas bien loin. De toute urgence, entre Noël et le Jour de l'an, j'appelle la HATVP, où je tombe sur M. Lelaquet ; je lui explique que je ne veux pas d'emmerdes et je lui demande de m'accorder un rendez-vous d'urgence. Je le rencontre donc le 28 décembre. Je lui explique toutes les démarches que j'ai faites et lui demande pourquoi je n'ai pas été appelé. Il me répond que je suis effectivement sur la liste des gens à rencontrer, mais que la Haute Autorité fait d'abord le tour des ministres, puis des directeurs des cabinets, avant de se pencher sur la situation des conseillers spéciaux. Si je ne les avais pas appelés, ils m'auraient donc contacté en janvier ou en février.
Ce rendez-vous, je m'y rends en ayant préparé tous les documents nécessaires et accompagné de ma fille, une brillante élève de l'Institut d'études politiques de Paris dit Sciences Po qui connaît la capacité de son père à oublier un papier par-ci par-là. La HATVP se saisit de l'ensemble et revient vers moi deux ou trois fois. Elle confirme que mes déclarations sont conformes, sous réserve de petites erreurs – une information inscrite dans une colonne plutôt que dans une autre. J'ai évidemment gardé tous ces documents, que j'ai confiés à mon avocat. À aucun moment je n'ai été hors la loi – ni moi, ni l'association R&DOM.
Début janvier, Jean-François Carenco me dit qu'il a rencontré le président de la HATVP – M. Migaud, un immense professionnel, d'une intégrité absolue – et que tout a l'air conforme – ce que je sais, puisque M. Lelaquet me l'a déjà dit. Je le répète, c'est de ma propre initiative que je suis allé voir la HATVP, comme précédemment le déontologue M. Vigouroux.
Aussi les écrits de M. Gouyé sont-ils profondément diffamatoires. Cet individu déclare publiquement que j'aurais omis de faire des déclarations à la HATVP. Or, contrairement aux déclarations des ministres, celles des conseillers spéciaux ne sont pas rendues publiques. Par quel moyen M. Gouyé, de Banamart, aurait-il donc pu savoir que je n'aurais pas satisfait à mes obligations ? Où est-il allé chercher ses informations pour me traîner ainsi dans la boue ? On a essayé de me salir, par un bout ou par un autre, parce que mes interventions répétées gênaient beaucoup.
J'ai été consultant mais je ne le suis plus depuis des années. J'ai fondé une entreprise, Max Dubois Consultant, qui aide les entreprises électro-intensives à réaliser des économies d'énergie. À ma nomination au cabinet de M. Carenco, intervenue officiellement je crois le 25 août, je me suis immédiatement déporté : j'ai démissionné de mes fonctions de président de cette entreprise, de même que de mon mandat de président de R&DOM. C'est mon beau-fils qui a pris la tête de l'entreprise.
Max Dubois Consultant est un cabinet composé de jeunes ingénieurs talentueux travaillant à réduire la consommation électrique des centres de données ou data centers. Ai-je eu des clients outre-mer ? Il faudrait déjà qu'au moins un acteur là-bas remplisse le critère de base pour être accompagné par mon entreprise, à savoir dépenser plus de 20 millions d'euros d'électricité par an. Aussi, j'affirme – j'ai prêté serment tout à l'heure – que je n'ai jamais réalisé un centime de chiffre d'affaires dans les collectivités d'outre-mer. Du reste, je connaissais le risque : je n'allais pas chercher à faire 10 000 euros de chiffre d'affaires outre-mer pour qu'on m'en fasse une grosse corde à pendre au gibet des grands monopoles !
C'est très clair : si la HATVP avait eu quoi que ce soit à me reprocher, vous savez comme moi que j'aurais été convoqué par la justice et que mon dossier serait entre les mains de M. le procureur. Aux dernières nouvelles, je n'ai pas été convoqué par ce dernier. Par contre, moi, je convoque M. Gouyé devant la justice – mon avocat est en train d'entreprendre les démarches nécessaires. Je suis très en colère contre cet individu, dont l'action m'a porté un immense préjudice. Voyez : je me retrouve devant la représentation nationale à essayer de prouver que je ne suis pas un escroc, pour la seule raison que j'ai été montré du doigt par M. Gouyé ! Imaginez !
J'en arrive aux bananes. Vous avez expliqué que, sur les 320 millions du Posei, 200 millions sont destinés à deux cultures d'exportation, alors même que le Posei est censé garantir l'autonomie alimentaire des territoires. Cela signifierait que, dans cette économie de rente, il y a une forme de détournement des moyens accordés par l'Europe, puisque des acteurs économiques en font un usage inapproprié.
En 2007, on discute au niveau européen de la meilleure façon d'accompagner la banane. Deux chiffres sont alors retenus par la Commission européenne, qui s'appliquent encore aujourd'hui : un droit à produire de 318 000 tonnes – c'est la référence historique – et une aide européenne à hauteur de 404 euros la tonne. Le chiffre de 129 millions – j'ai dit 130 tout à l'heure – résulte tout simplement de la multiplication de 318 000 par 404.
C'est cela que j'appelle la rente. Voyons maintenant comment les opérateurs économiques vont la capter.
Pour cela, ils créent des organisations de producteurs (OP), car les fonds Posei ne sont distribués par l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (Odeadom), qui est un organisme public, qu'à des organisations de type. Pour créer une OP, qu'on fasse du poulet ou de la christophine, il faut cinq producteurs. Dans la banane, il en faut cent. C'est le premier taquet, qui peut quand même sembler bizarre. Le deuxième est qu'il faut produire au minimum 20 000 tonnes. On s'est dit, j'imagine, qu'il y avait tout de même beaucoup de petits producteurs – ils étaient 520 à l'époque. Voilà les deux conditions qu'il faut respecter pour créer une organisation de producteurs dans la banane. Autrement dit, c'est quasiment impossible.
Vient ensuite le système de vote, qui a été établi en fonction des références historiques : le petit producteur qui fait cent tonnes a droit à une voix et les producteurs importants, comme Aubery et Hayot, que je cite au hasard, peuvent en avoir cinquante-six. Lors des réunions chez Banamart, le type qui pèse un est donc assis à côté de celui qui pèse cinquante-six. Les choses sont faites pour que les plus gros puissent tirer le plus de bénéfices possible de cette rente.
Les plus gros exploitent leurs terrains. Ce sont des terrains plats : ils peuvent mécaniser et obtiennent une productivité convenable, de l'ordre globalement, même si cela peut osciller, de cinquante tonnes par an et par salarié. Les tout petits producteurs, eux, en produisent dix, parce qu'ils travaillent sur des pentes escarpées où il faut tirer à la main des régimes de bananes qui pèsent soixante kilos. En revanche, les aides sont à la tonne : celui qui a du terrain plat et qui se mécanise à 404 euros, comme celui qui travaille à dos d'hommes. Or 404 euros, c'est sous la rente pour l'un et c'est à peine de quoi vivre pour l'autre. Telle est la situation. Nos petits producteurs vivent donc mal.
J'ai été très choqué par la réponse de M. le ministre Olivier Véran à M. le député Marcellin Nadeau, qui avait demandé pourquoi j'avais été limogé. La réponse a porté sur la banane – va savoir pourquoi. Le ministre a donc répondu que la filière banane était très importante parce qu'elle employait une personne sur vingt dans les Antilles – ce qui représente, grosso modo, 13 000 emplois. Or, pour bien connaître la filière, je vous assure que dans les Antilles, tout confondu, productifs et improductifs, emplois directs et indirects, elle n'excède pas 5 000 emplois.
Le chiffre d'un emploi sur vingt est celui des lobbys. Ils l'utilisent partout parce que, pour garder leur manne, les grands producteurs ont besoin de dire qu'ils pèsent très lourd. Si vous expliquez qu'ils ne représentent que 5 000 emplois, même si cela reste beaucoup, ce n'est pas assez important. Mais j'ai été surpris que le ministre Véran utilise des chiffres de faussaires. Les rapports de l'Odeadom, que je me ferai un plaisir de vous passer, sont clairs sur ce sujet. Ils expliquent depuis des années que la filière est en train de disparaître, pour ce qui est des petits producteurs.
Il y avait deux attendus très importants en 2007, les 404 euros la tonne et le droit à produire de 318 000 tonnes, mais il y avait deux conditions : maintenir le dynamisme de la filière – on est passé de 520 à 300 petits producteurs – et garantir les revenus des petits producteurs – tous ceux que je connais sont dans une situation extrêmement difficile.
Encore une précision : ce jour de 2007 où on a décidé qu'il fallait produire 318 000 tonnes pour avoir les 129 millions d'euros, on a également décidé que si on n'en produisait que 80 %, on avait toujours les 129 millions. Depuis que cela a été signé, on n'a jamais produit 318 000 tonnes, mais 260 000 – en touchant 404 euros la tonne sur 318 000 tonnes.
Il existe également le mécanisme de la reconstitution des stocks. C'est quelque chose de merveilleux : s'il y a des intempéries, vous touchez 100 % des Posei et on vous donne un certain nombre d'années pour reconstruire vos bananeraies – années durant lesquelles vous continuez à toucher 100 % des Posei.
Il y a bien une rente. Pour le dire d'une façon un peu triviale, que des grands groupes s'en foutent plein les poches, peu m'en chaut ; ce que je ne veux pas, c'est que des gens crèvent de faim à côté. J'ai parfois au téléphone des petits producteurs. Quand un homme de 50 ans s'effondre en larmes parce qu'il n'a pas réussi à faire un cadeau d'anniversaire à sa fille ou que sa femme a quitté la maison parce qu'elle n'en pouvait plus, je ne peux pas l'accepter.
On pourrait avoir de longues discussions sur les conditions de la concurrence, mais le but de cette commission d'enquête est d'analyser l'écart entre le revenu et le coût de la vie. Si je traduis bien ce que vous nous dites, la pratique des Posei paupérise une partie non négligeable des producteurs, multiplie les personnes en très grande difficulté économique qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, tout en organisant une forme d'accaparement des terres les plus fertiles, qui pourraient être consacrées à autre chose et notamment participer à la réduction du coût des denrées alimentaires.
Vous avez parfaitement raison. Je me bats depuis des années pour redistribuer les fonds Posei, et c'est une des premières choses dont j'ai parlé en arrivant au cabinet de Jean-François Carenco. Sauf que les lobbys se mobilisent très fortement, parce que 129 millions d'euros, c'est beaucoup d'argent – et même 200 millions au total, car il ne faut pas oublier la canne. Dans la culture de la canne, pour 100 euros de vente, il y a 20 euros de valeur et 80 euros de subventions. C'est pour cela que les lobbys disent que cela permet de sauver beaucoup plus d'emplois que ce n'est le cas en réalité.
Mais cela accapare une part importante de fonds qui sont normalement destinés à développer la production locale. Nous parlons de territoires français, et il est Dieu merci tout à fait normal que nos concitoyens puissent avoir le même niveau social outre-mer qu'en France hexagonale ; le coût de la main-d'œuvre s'agissant d'un Guadeloupéen, d'un Martiniquais ou d'un Réunionnais est donc évidemment supérieur à celui d'un Mauricien ou d'un Saint-Lucien, parce qu'il y a une protection sociale. L'amortisseur, ce sont les fonds Posei. Or si deux filières pompent, au bas mot, 60 % des montants, vous ne pouvez pas développer le reste.
Il y a un deuxième élément assez pervers, sur le plan économique : la désorganisation de la production locale. La taille moyenne d'une exploitation dans les territoires d'outre-mer, selon l'Académie d'agriculture, avec laquelle j'ai de bons rapports, est d'environ 4,5 hectares. On ne peut pas faire du productivisme avec cela. Si, en plus, vous n'avez pas de fonds Posei parce que vous n'avez pas créé d'OP, vous allez produire cher. Et donc, vous allez servir l'importation : vous devenez le point de calage du prix. Ainsi, quand on fait venir des tonnes et des tonnes de tomates d'Espagne par exemple, le prix qui est pratiqué n'est pas le prix d'achat avec une marge, mais le consentement à payer par rapport à ce que coûteraient des tomates si elles étaient produites localement. La production locale désorganisée est donc un facteur important de surcoût pour l'ensemble de la chaîne de consommation. C'est pour cette raison que nos agriculteurs doivent avoir accès à de la formation et à des fonds Posei.
Mais comme on est extrêmement productiviste en France, on dit que les exploitants n'y arriveront jamais, qu'il faut de grandes exploitations, que les gros producteurs sont des champions qui arriveront à nourrir tout le monde. Il y a pourtant eu un contre-exemple merveilleux pendant la pandémie liée à la Covid-19 : en Guyane, c'est la communauté Hmong et d'autres petits producteurs qui ont permis de nourrir les 280 000 Guyanais. Ils ont fait face.
De la même manière, une des grandes fables qu'on nous raconte, c'est que si on fixait une limite de concentration à 25 %, ce qui conduirait à demander à M. Hayot de vendre la moitié de ses concessions automobiles à La Réunion, on ne trouverait personne pour acheter. Ah ? Pourtant, le groupe IBL vient bien de racheter Run Market, à La Réunion ! Il y a des gens pour acheter. Quand on a une taille suffisante, cela intéresse les grands opérateurs. Il nous faut plus de grands opérateurs pour faire de la concurrence. En économie, dans ces territoires, tout se tient.
Je sais ce qu'il y a, sur le plan juridique, derrière ce mot et je laisse à M. Benoît Cœuré, président de l'Autorité de la concurrence, le soin de vérifier si c'est une entente ou non : je n'ai pas les compétences juridiques pour cela. Ce que je sais, c'est qu'une entreprise qui n'est pas bordée dérape : elle va au-delà de ses profits, comme CMA CGM. S'il est vrai que ce groupe – puisque vous avez d'autres chiffres – a facturé en 2022 des conteneurs à 3 000 euros au lieu de 2 000 un an avant, je considère qu'il a pris une marge insupportable. Je ne sais pas si c'est le fruit d'une entente avec ses camarades, qui ont fait à peu près la même chose, je n'ai aucune preuve, mais cela me choque.
Pensez-vous que tout cela est le produit de l'histoire ? Les grandes familles, une structuration de l'économie depuis une période pré-républicaine…
J'entends bien que vous visez les conséquences de l'esclavage, mais je me tiens à équidistance de l'identitaire et du politique. Je n'ai pas de compétences en matière identitaire. Je ne suis pas réunionnais, ni guyanais, même si je connais assez bien l'histoire de ces territoires. Vous savez que j'ai dirigé un très gros ouvrage sur le service militaire adapté : à cette occasion, j'ai interrogé beaucoup d'universitaires, qui ont écrit dans le livre, et j'ai pu mesurer alors les écarts identitaires.
Il y a de grandes différences d'un territoire à l'autre en la matière. La question de l'esclavage en Martinique et en Guadeloupe est importante. Les puissances d'argent actuelles, essentiellement en Martinique – il y en a moins en Guadeloupe – sont-elles les héritières du chaos humanitaire qu'était l'esclavage ? Très certainement, mais je n'ai pas de légitimité pour en parler, même si je suis consterné, comme je le suis par le non-lieu dans l'affaire du chlordécone, qui fait pleurer le profond républicain que je suis.
En revanche, La Réunion n'a pas du tout la même histoire. Il n'y avait pas d'habitants à La Réunion en 1604, c'était une île vierge. Des gens sont progressivement arrivés, puis on a commencé à aller chercher des esclaves à Madagascar et en Afrique de l'Est – dont est issue l'actuelle population des Cafres. Avec les grands mouvements, des gens sont venus de l'Inde musulmane – on les appelle aujourd'hui les Zarabes, une communauté puissante et noble – et les Chinois constituent aussi une communauté extrêmement importante.
En Guyane, les Hmong sont arrivés très récemment, alors que les Bushinengués sont le produit de l'esclavage. Quant aux Amérindiens, ils ont une histoire très particulière.
C'est pour cela que l'on parle « des » outre-mer. Sociologiquement, ce n'est pas la même construction.
J'ai dit que je me tenais à la même distance du politique. Celle-ci a son rôle, mais ce n'est pas le mien. Je fais de la politique non élective. Je respecte profondément tous les hommes politiques de tous les territoires d'outre-mer. Je suis content pour eux quand ils sont élus et tristes pour eux quand ils sont battus, mais je n'ai aucune intention de me présenter à quelque élection que ce soit. Je ne peux pas vous répondre autrement, et je vous prie de m'excuser si cela vous déçoit.
Durant vos quelques mois en cabinet ministériel, monsieur Dubois, qu'avez-vous tenté de faire pour agir sur la structure même de la cherté de la vie, à part le bouclier qualité-prix (BQP) qui a été un peu revu et corrigé ?
Je me suis préoccupé du bouclier qualité-prix dès mon arrivée. C'était une bonne idée, mais il comporte plusieurs anomalies et il faut complètement le rénover si l'on veut qu'il marche. Selon les sondages – je ne m'engage donc pas sur ce chiffre – le BQP représente entre 1,5 et 2 % du chiffre d'affaires de la grande distribution : il n'est donc pas significatif. Pour qu'il le soit, c'est-à-dire pour qu'il touche un maximum de foyers en difficulté, il faudrait qu'il s'élève à au moins 5 ou 6 % du chiffre d'affaires. Cela permettrait peut-être de toucher entre 10 et 15 % des gens les plus en difficulté.
Néanmoins, ce n'est pas cela que j'ai essayé de faire passer. Mes discussions, souvent houleuses, avec la direction générale des outre-mer comme avec mon ministre, portaient sur la sur-rémunération, que je n'ai pas entendu un seul candidat, lors des quatre dernières élections présidentielles, remettre en cause. La sur-rémunération est donc devenue la rémunération.
La première chose à faire en matière de cherté de la vie, tout de suite, c'est donc de redonner du pouvoir d'achat aux oubliés de la République. Si l'État considère qu'il ne peut pas employer son personnel sans lui verser une sur-rémunération de 40 % ou de 53 %, voire de 108 % dans certains espaces du Pacifique, pourquoi impose-t-il aux salariés du privé d'être sous-rémunérés ? Cela ne peut pas marcher.
J'ai fait faire une étude par un cabinet extrêmement solide, que tout le monde connaît – j'ai pris le meilleur, celui d'Olivier Sudrie – pour savoir quel était l'écart réel. Tout le monde s'accorde à dire – les commissions qui ont auparavant travaillé sur le sujet, l'Insee et différents rapports – que l'écart de prix entre la France hexagonale et les territoires ultramarins est de 20 %. Pour la nourriture, l'écart peut monter jusqu'à 38 %. Combien cela coûterait-il si l'État prenait en charge à 100 % une augmentation de 20 % des plus bas salaires, afin de combler l'écart ? Une simulation montre que cela coûterait 500 millions par an, pour environ 250 000 salariés dans les territoires d'outre-mer – je vous donnerai l'étude. En gros, il s'agit d'augmenter les trois premiers déciles de 20 % et ensuite de lisser les effets de bord en diminuant progressivement les montants, d'une part pour conserver l'échelle des salaires et d'autre part parce qu'il n'y a pas de raison particulière d'octroyer 20 % d'augmentation à quelqu'un qui gagne 6 000 euros par mois. J'avais aussi demandé que l'État soit vertueux et que tout fonctionnaire national qui va dans les territoires d'outre-mer n'ait plus de sur-rémunération au-delà de 5 000 euros de salaire. Ce serait un peu normal, même si je ne suis pas sûr que tous les préfets seraient d'accord.
Le danger d'une telle proposition, qu'on a vu immédiatement, c'est la capacité des groupes très installés à reprendre cette manne en réaugmentant progressivement les prix. Quand j'ai dit qu'il fallait augmenter les salaires de 20 %, même mes ennemis les plus intimes ont trouvé cela très bien : ils se sont dit qu'ils allaient pouvoir en profiter ! Mais j'ai demandé qu'il y ait deux corollaires.
Le premier était qu'aucune entreprise ne devait dépasser 30 % du chiffre d'affaires dans un endroit donné – mais je m'aligne sur le taux de 25 % que vous avez évoqué, monsieur le rapporteur – pour qu'il y ait un retour de la concurrence, car seule cette dernière permet de baisser les prix. On l'a vu tout à l'heure, si on libère des parts de marché, il y aura toujours des acheteurs.
Le second était de redonner au citoyen le pouvoir en matière de contrôle des prix. En effet, nous faisons face à deux types d'inflation : il y a l'inflation importée, qui est produite notamment par la guerre d'Ukraine, avec la montée des prix des céréales, et contre laquelle on ne peut pas faire grand-chose, mais il existe aussi une inflation fabriquée sur place – on augmente les prix pour aller chercher le consentement à payer. Face à cette dernière, il faut remettre dans le jeu les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR). C'est un très bon dispositif, un dispositif citoyen, mais qui n'a pas de possibilités d'action : les observatoires n'ont pas de moyens de coercition et pas du tout d'argent – ils ne peuvent donc pas faire d'enquêtes. Le citoyen est pourtant le premier à être vigilant : quand il voit monter le prix du paquet de riz lorsqu'il fait ses courses, il se pose des questions !
Il faut donc, très vite, placer les salaires à un niveau convenable, ce qui coûtera 500 millions par an à l'État, vérifier que la concurrence revient, en limitant l'envergure des entreprises, et enfin donner du pouvoir aux OPMR. C'est de cette base qu'il faut partir, de toute urgence, et c'est possible.
Quand j'en ai parlé à Jean-François Carenco, il m'a fait une réponse assez extraordinaire : il m'a dit que la Première ministre ne lui en avait pas donné mandat. Il est ministre, il peut faire une telle proposition ! Mais je pense qu'aller demander 500 millions à Bruno Le Maire, qui tient les cordons de la bourse, est beaucoup plus compliqué que d'aller dans le sens du système. Je suis, moi, un peu plus disruptif et j'espère que votre noble commission le sera également. Je serais heureux qu'elle s'inspire des quelques propositions que je suis en train de lui faire.
S'agissant des oligopoles et des monopoles, avez-vous une mesure de ce qu'ils perçoivent ? Outre les 60 % des 129 millions d'euros des Posei, émargent-ils à d'autres fonds publics ?
Ils ont droit, comme toutes les entreprises, à tous les subsides relevant des premier et deuxième piliers de la politique agricole commune : le Fonds européen de développement régional, le Fonds européen agricole pour le développement rural ou le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, c'est-à-dire l'ensemble des fonds disponibles en matière de dynamisation. Quand on crée une usine de yaourts par exemple, on peut aller chercher dans tous les fonds disponibles ainsi que dans le Posei, selon qu'il s'agit d'investissements dans les machines ou dans les bâtiments.
Personne ne compile les montants. Bercy sait, bien sûr, mais c'est couvert par le secret. Le secret des affaires, il en faut : n'étant pas l'affreux gauchiste qu'on vilipende souvent, je considère qu'il est nécessaire. Je veux juste limiter la voracité.
Il y a des choses qui se remarquent. J'ai été beaucoup troublé par un fait qui révèle, sinon une entente, du moins une complicité extraordinaire : la marraine du magnifique bateau qui a été fabriqué pour CMA CGM, il y a quelques années, celle qui a cassé la bouteille de champagne, était Mme Hayot. Cela me choque de voir qu'un transporteur puissant dans les outre-mer a autant de proximité avec le groupe Hayot. Je ne sais pas combien celui-ci paie ses conteneurs : il a peut-être des accords. Je n'en sais rien, mais on peut le supposer, puisque ces acteurs s'entendent si bien que Mme Hayot, dont je n'ai pas le souvenir qu'elle ait des fonctions dans le groupe, joue ce rôle publiquement – des photos ont été publiées. Je m'interroge tout autant quand je vois mon ex-ministre passer autant de moments de convivialité avec MM. Hayot et Saadé. Y a-t-il une entente ? Je n'en sais rien, mais tout cela existe. C'est à eux qu'il faudrait poser la question.
Au moment où j'ai été viré, j'ai dit qu'il faudrait créer une commission pour mieux connaître les monopoles et oligopoles et établir la part économique de chacun des gros opérateurs. Je pense que la clef est là. Je crois que vous avez la capacité, en tant que députés, à descendre dans les comptes de ces très grandes entreprises et aller voir leurs marges. Sauf pour CMA CGM, qui est obligée de publier ses comptes, on ne sait rien ! Or le groupe Hayot doit compter 130 ou 140 filiales : il faut s'amuser à compiler… Nous l'avons fait à l'époque où je présidais R&DOM, en recoupant les administrateurs et en essayant de comprendre qui est qui. C'est très compliqué. Je pense que la représentation nationale aurait là un motif pour créer une deuxième commission d'enquête, chargée de déterminer qui sont les grands bénéficiaires de l'économie dans les territoires ultramarins et qui sont les amis dans les ministères qui les aident.
Je ne crois pas qu'il y ait de corruption, je le dis avec beaucoup de sincérité. Je crois qu'il s'agit simplement de copinage, et d'une doxa : il faut des champions, et il n'y a qu'eux qui savent ; sans eux, ce sera le bazar et comme on n'a pas très envie qu'il y ait une rupture dans l'approvisionnement en alimentation, des magasins fermés, des avions cloués au sol et je ne sais quoi d'autre, on ne prend pas de risque.
Tout le monde sait que le système est un peu bancal, mais on le garde, pour la simple raison que le pouvoir central ne fait pas confiance aux ultramarins. Être ultramarin, aujourd'hui, c'est susciter de la défiance. Cela aussi est inacceptable. Quand vous arrivez, vous êtes pris d'un peu haut. Dans mes amis ultramarins, il y a des docteurs, des comptables, des écrivains ou de grands chefs d'entreprise – mais ils sont d'abord ultramarins. Je ne vais pas plus loin car j'ai promis que je n'entrerais pas dans l'identitaire.
Ce n'est pas ce que j'avais en tête. Il est ultramarin, martiniquais.
Je ne crois pas que M. Hayot suscite le mépris, en tout cas auprès de nos ministres et de nos très hauts fonctionnaires.
Je vous remercie. Je vous propose de compléter ces échanges en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles à la commission d'enquête et en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été adressé il y a quelques jours pour préparer cette réunion.
L'audition s'achève à dix-huit heures quarante-cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Johnny Hajjar, M. Frédéric Maillot, Mme Joëlle Mélin, M. Philippe Naillet, M. Guillaume Vuilletet.
Excusée. – Mme Estelle Youssouffa.
Assistait également à la réunion. – M. Elie Califer.