Je me suis préoccupé du bouclier qualité-prix dès mon arrivée. C'était une bonne idée, mais il comporte plusieurs anomalies et il faut complètement le rénover si l'on veut qu'il marche. Selon les sondages – je ne m'engage donc pas sur ce chiffre – le BQP représente entre 1,5 et 2 % du chiffre d'affaires de la grande distribution : il n'est donc pas significatif. Pour qu'il le soit, c'est-à-dire pour qu'il touche un maximum de foyers en difficulté, il faudrait qu'il s'élève à au moins 5 ou 6 % du chiffre d'affaires. Cela permettrait peut-être de toucher entre 10 et 15 % des gens les plus en difficulté.
Néanmoins, ce n'est pas cela que j'ai essayé de faire passer. Mes discussions, souvent houleuses, avec la direction générale des outre-mer comme avec mon ministre, portaient sur la sur-rémunération, que je n'ai pas entendu un seul candidat, lors des quatre dernières élections présidentielles, remettre en cause. La sur-rémunération est donc devenue la rémunération.
La première chose à faire en matière de cherté de la vie, tout de suite, c'est donc de redonner du pouvoir d'achat aux oubliés de la République. Si l'État considère qu'il ne peut pas employer son personnel sans lui verser une sur-rémunération de 40 % ou de 53 %, voire de 108 % dans certains espaces du Pacifique, pourquoi impose-t-il aux salariés du privé d'être sous-rémunérés ? Cela ne peut pas marcher.
J'ai fait faire une étude par un cabinet extrêmement solide, que tout le monde connaît – j'ai pris le meilleur, celui d'Olivier Sudrie – pour savoir quel était l'écart réel. Tout le monde s'accorde à dire – les commissions qui ont auparavant travaillé sur le sujet, l'Insee et différents rapports – que l'écart de prix entre la France hexagonale et les territoires ultramarins est de 20 %. Pour la nourriture, l'écart peut monter jusqu'à 38 %. Combien cela coûterait-il si l'État prenait en charge à 100 % une augmentation de 20 % des plus bas salaires, afin de combler l'écart ? Une simulation montre que cela coûterait 500 millions par an, pour environ 250 000 salariés dans les territoires d'outre-mer – je vous donnerai l'étude. En gros, il s'agit d'augmenter les trois premiers déciles de 20 % et ensuite de lisser les effets de bord en diminuant progressivement les montants, d'une part pour conserver l'échelle des salaires et d'autre part parce qu'il n'y a pas de raison particulière d'octroyer 20 % d'augmentation à quelqu'un qui gagne 6 000 euros par mois. J'avais aussi demandé que l'État soit vertueux et que tout fonctionnaire national qui va dans les territoires d'outre-mer n'ait plus de sur-rémunération au-delà de 5 000 euros de salaire. Ce serait un peu normal, même si je ne suis pas sûr que tous les préfets seraient d'accord.
Le danger d'une telle proposition, qu'on a vu immédiatement, c'est la capacité des groupes très installés à reprendre cette manne en réaugmentant progressivement les prix. Quand j'ai dit qu'il fallait augmenter les salaires de 20 %, même mes ennemis les plus intimes ont trouvé cela très bien : ils se sont dit qu'ils allaient pouvoir en profiter ! Mais j'ai demandé qu'il y ait deux corollaires.
Le premier était qu'aucune entreprise ne devait dépasser 30 % du chiffre d'affaires dans un endroit donné – mais je m'aligne sur le taux de 25 % que vous avez évoqué, monsieur le rapporteur – pour qu'il y ait un retour de la concurrence, car seule cette dernière permet de baisser les prix. On l'a vu tout à l'heure, si on libère des parts de marché, il y aura toujours des acheteurs.
Le second était de redonner au citoyen le pouvoir en matière de contrôle des prix. En effet, nous faisons face à deux types d'inflation : il y a l'inflation importée, qui est produite notamment par la guerre d'Ukraine, avec la montée des prix des céréales, et contre laquelle on ne peut pas faire grand-chose, mais il existe aussi une inflation fabriquée sur place – on augmente les prix pour aller chercher le consentement à payer. Face à cette dernière, il faut remettre dans le jeu les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR). C'est un très bon dispositif, un dispositif citoyen, mais qui n'a pas de possibilités d'action : les observatoires n'ont pas de moyens de coercition et pas du tout d'argent – ils ne peuvent donc pas faire d'enquêtes. Le citoyen est pourtant le premier à être vigilant : quand il voit monter le prix du paquet de riz lorsqu'il fait ses courses, il se pose des questions !
Il faut donc, très vite, placer les salaires à un niveau convenable, ce qui coûtera 500 millions par an à l'État, vérifier que la concurrence revient, en limitant l'envergure des entreprises, et enfin donner du pouvoir aux OPMR. C'est de cette base qu'il faut partir, de toute urgence, et c'est possible.
Quand j'en ai parlé à Jean-François Carenco, il m'a fait une réponse assez extraordinaire : il m'a dit que la Première ministre ne lui en avait pas donné mandat. Il est ministre, il peut faire une telle proposition ! Mais je pense qu'aller demander 500 millions à Bruno Le Maire, qui tient les cordons de la bourse, est beaucoup plus compliqué que d'aller dans le sens du système. Je suis, moi, un peu plus disruptif et j'espère que votre noble commission le sera également. Je serais heureux qu'elle s'inspire des quelques propositions que je suis en train de lui faire.