En 2007, on discute au niveau européen de la meilleure façon d'accompagner la banane. Deux chiffres sont alors retenus par la Commission européenne, qui s'appliquent encore aujourd'hui : un droit à produire de 318 000 tonnes – c'est la référence historique – et une aide européenne à hauteur de 404 euros la tonne. Le chiffre de 129 millions – j'ai dit 130 tout à l'heure – résulte tout simplement de la multiplication de 318 000 par 404.
C'est cela que j'appelle la rente. Voyons maintenant comment les opérateurs économiques vont la capter.
Pour cela, ils créent des organisations de producteurs (OP), car les fonds Posei ne sont distribués par l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (Odeadom), qui est un organisme public, qu'à des organisations de type. Pour créer une OP, qu'on fasse du poulet ou de la christophine, il faut cinq producteurs. Dans la banane, il en faut cent. C'est le premier taquet, qui peut quand même sembler bizarre. Le deuxième est qu'il faut produire au minimum 20 000 tonnes. On s'est dit, j'imagine, qu'il y avait tout de même beaucoup de petits producteurs – ils étaient 520 à l'époque. Voilà les deux conditions qu'il faut respecter pour créer une organisation de producteurs dans la banane. Autrement dit, c'est quasiment impossible.
Vient ensuite le système de vote, qui a été établi en fonction des références historiques : le petit producteur qui fait cent tonnes a droit à une voix et les producteurs importants, comme Aubery et Hayot, que je cite au hasard, peuvent en avoir cinquante-six. Lors des réunions chez Banamart, le type qui pèse un est donc assis à côté de celui qui pèse cinquante-six. Les choses sont faites pour que les plus gros puissent tirer le plus de bénéfices possible de cette rente.
Les plus gros exploitent leurs terrains. Ce sont des terrains plats : ils peuvent mécaniser et obtiennent une productivité convenable, de l'ordre globalement, même si cela peut osciller, de cinquante tonnes par an et par salarié. Les tout petits producteurs, eux, en produisent dix, parce qu'ils travaillent sur des pentes escarpées où il faut tirer à la main des régimes de bananes qui pèsent soixante kilos. En revanche, les aides sont à la tonne : celui qui a du terrain plat et qui se mécanise à 404 euros, comme celui qui travaille à dos d'hommes. Or 404 euros, c'est sous la rente pour l'un et c'est à peine de quoi vivre pour l'autre. Telle est la situation. Nos petits producteurs vivent donc mal.
J'ai été très choqué par la réponse de M. le ministre Olivier Véran à M. le député Marcellin Nadeau, qui avait demandé pourquoi j'avais été limogé. La réponse a porté sur la banane – va savoir pourquoi. Le ministre a donc répondu que la filière banane était très importante parce qu'elle employait une personne sur vingt dans les Antilles – ce qui représente, grosso modo, 13 000 emplois. Or, pour bien connaître la filière, je vous assure que dans les Antilles, tout confondu, productifs et improductifs, emplois directs et indirects, elle n'excède pas 5 000 emplois.
Le chiffre d'un emploi sur vingt est celui des lobbys. Ils l'utilisent partout parce que, pour garder leur manne, les grands producteurs ont besoin de dire qu'ils pèsent très lourd. Si vous expliquez qu'ils ne représentent que 5 000 emplois, même si cela reste beaucoup, ce n'est pas assez important. Mais j'ai été surpris que le ministre Véran utilise des chiffres de faussaires. Les rapports de l'Odeadom, que je me ferai un plaisir de vous passer, sont clairs sur ce sujet. Ils expliquent depuis des années que la filière est en train de disparaître, pour ce qui est des petits producteurs.
Il y avait deux attendus très importants en 2007, les 404 euros la tonne et le droit à produire de 318 000 tonnes, mais il y avait deux conditions : maintenir le dynamisme de la filière – on est passé de 520 à 300 petits producteurs – et garantir les revenus des petits producteurs – tous ceux que je connais sont dans une situation extrêmement difficile.
Encore une précision : ce jour de 2007 où on a décidé qu'il fallait produire 318 000 tonnes pour avoir les 129 millions d'euros, on a également décidé que si on n'en produisait que 80 %, on avait toujours les 129 millions. Depuis que cela a été signé, on n'a jamais produit 318 000 tonnes, mais 260 000 – en touchant 404 euros la tonne sur 318 000 tonnes.
Il existe également le mécanisme de la reconstitution des stocks. C'est quelque chose de merveilleux : s'il y a des intempéries, vous touchez 100 % des Posei et on vous donne un certain nombre d'années pour reconstruire vos bananeraies – années durant lesquelles vous continuez à toucher 100 % des Posei.
Il y a bien une rente. Pour le dire d'une façon un peu triviale, que des grands groupes s'en foutent plein les poches, peu m'en chaut ; ce que je ne veux pas, c'est que des gens crèvent de faim à côté. J'ai parfois au téléphone des petits producteurs. Quand un homme de 50 ans s'effondre en larmes parce qu'il n'a pas réussi à faire un cadeau d'anniversaire à sa fille ou que sa femme a quitté la maison parce qu'elle n'en pouvait plus, je ne peux pas l'accepter.