Vous avez parfaitement raison. Je me bats depuis des années pour redistribuer les fonds Posei, et c'est une des premières choses dont j'ai parlé en arrivant au cabinet de Jean-François Carenco. Sauf que les lobbys se mobilisent très fortement, parce que 129 millions d'euros, c'est beaucoup d'argent – et même 200 millions au total, car il ne faut pas oublier la canne. Dans la culture de la canne, pour 100 euros de vente, il y a 20 euros de valeur et 80 euros de subventions. C'est pour cela que les lobbys disent que cela permet de sauver beaucoup plus d'emplois que ce n'est le cas en réalité.
Mais cela accapare une part importante de fonds qui sont normalement destinés à développer la production locale. Nous parlons de territoires français, et il est Dieu merci tout à fait normal que nos concitoyens puissent avoir le même niveau social outre-mer qu'en France hexagonale ; le coût de la main-d'œuvre s'agissant d'un Guadeloupéen, d'un Martiniquais ou d'un Réunionnais est donc évidemment supérieur à celui d'un Mauricien ou d'un Saint-Lucien, parce qu'il y a une protection sociale. L'amortisseur, ce sont les fonds Posei. Or si deux filières pompent, au bas mot, 60 % des montants, vous ne pouvez pas développer le reste.
Il y a un deuxième élément assez pervers, sur le plan économique : la désorganisation de la production locale. La taille moyenne d'une exploitation dans les territoires d'outre-mer, selon l'Académie d'agriculture, avec laquelle j'ai de bons rapports, est d'environ 4,5 hectares. On ne peut pas faire du productivisme avec cela. Si, en plus, vous n'avez pas de fonds Posei parce que vous n'avez pas créé d'OP, vous allez produire cher. Et donc, vous allez servir l'importation : vous devenez le point de calage du prix. Ainsi, quand on fait venir des tonnes et des tonnes de tomates d'Espagne par exemple, le prix qui est pratiqué n'est pas le prix d'achat avec une marge, mais le consentement à payer par rapport à ce que coûteraient des tomates si elles étaient produites localement. La production locale désorganisée est donc un facteur important de surcoût pour l'ensemble de la chaîne de consommation. C'est pour cette raison que nos agriculteurs doivent avoir accès à de la formation et à des fonds Posei.
Mais comme on est extrêmement productiviste en France, on dit que les exploitants n'y arriveront jamais, qu'il faut de grandes exploitations, que les gros producteurs sont des champions qui arriveront à nourrir tout le monde. Il y a pourtant eu un contre-exemple merveilleux pendant la pandémie liée à la Covid-19 : en Guyane, c'est la communauté Hmong et d'autres petits producteurs qui ont permis de nourrir les 280 000 Guyanais. Ils ont fait face.
De la même manière, une des grandes fables qu'on nous raconte, c'est que si on fixait une limite de concentration à 25 %, ce qui conduirait à demander à M. Hayot de vendre la moitié de ses concessions automobiles à La Réunion, on ne trouverait personne pour acheter. Ah ? Pourtant, le groupe IBL vient bien de racheter Run Market, à La Réunion ! Il y a des gens pour acheter. Quand on a une taille suffisante, cela intéresse les grands opérateurs. Il nous faut plus de grands opérateurs pour faire de la concurrence. En économie, dans ces territoires, tout se tient.