C'est le cas. Si j'ai parlé de « coup de trop », c'est parce que la population outre-mer perçoit parfaitement ces inégalités. Un opérateur ultrapuissant finit par appeler sur lui une attention défavorable. GBH déploie d'ailleurs bien des efforts pour essayer de se montrer sous son meilleur jour, en intervenant auprès de différentes associations – la cour qu'il fait en permanence ne m'échappe pas. Mais la réalité, c'est que ces groupes, qui n'ont pas de garde-fous, n'ont de cesse de vouloir encore plus de croissance.
Sortons un peu de la grande distribution pour aller, par exemple, dans le secteur de la fabrication de ciment. Si vous êtes tellement puissant que vous détenez, dans une zone géographique, une part importante de la capacité à fabriquer du béton, vous faites la loi non seulement chez vos fournisseurs, qui vous doivent beaucoup et ont besoin de vos commandes – c'est le jeu normal – mais également chez vos clients, qui n'ont pas d'autre choix que de se tourner vers vous. C'est ce que j'appelle une économie de domination.
Le « coup de trop », pour GBH, c'était qu'avant même le rachat de Vindémia, le groupe pesait plus de 30 % dans le panier global des dépenses de la ménagère. Le problème n'était pas que ce rachat augmenterait sa part dans le secteur de la distribution alimentaire, mais que cela s'ajouterait à tout le reste ! Autant que je me souvienne, 45 % des voitures et plus de 60 % des poids lourds circulant à La Réunion étaient vendus par le groupe GBH – et 45 % des pièces détachées, des pare-brise, des pneumatiques… La présence de ces groupes tourne à l'omnipotence. Elle crée une sorte de plafond de verre : quel que soit l'endroit où vous voulez vous installer, ils sont présents.
Je trouvais incroyable qu'un groupe intelligent, très puissant et bien conseillé ne se rende pas compte qu'il allait atteindre le seuil d'intolérance. J'ai toujours peur, quand je vais dans nos territoires d'outre-mer, parce que le point de renversement est tangible : une étincelle, et tout explose ! Les gens ne peuvent pas vivre avec un tel niveau d'inégalités. En somme, ces groupes assument une responsabilité sociétale importante. C'est la raison pour laquelle je me bats.
Qui sont les grands annonceurs dans la presse ? Les gens qui travaillent avec la grande distribution. Pour ma part, j'ai mis des années avant de pouvoir accéder à certains journaux ; j'ai même été censuré par plusieurs d'entre eux, qui subissaient des pressions, parce que mes propos pouvaient nuire un peu au développement du business de ces très grands groupes. J'ai dénoncé ces agissements dans des vidéos, et je continue à dire que j'ai été censuré.
La présence de ces conglomérats dans les territoires d'outre-mer crée de facto une situation qui me paraît intolérable. Le premier d'entre eux, le groupe GBH, a d'ailleurs vu son barycentre économique se déplacer des Antilles vers La Réunion et Mayotte. Il vient de prendre, à travers Vindémia, d'importantes parts de marché à Mayotte, une île qui n'a pas encore fait sa transition démographique et verra donc son marché se développer encore.
Puisqu'il n'existe pas de sagesse capitalistique, il faut une sagesse publique : c'est à l'État d'instaurer les garde-fous nécessaires pour éviter d'aller un cran trop loin.