Il y a effectivement d'autres entreprises, qui ne se comportent pas toutes de la même façon – leur attitude dépend notamment de ce qu'elles vendent et de leur typologie économique.
Je m'interroge par exemple sur la puissance des grands groupes hexagonaux du bâtiment et des travaux publics. À La Réunion a été construite la nouvelle route du littoral. Beaucoup d'argent a été versé pour cela à des conglomérats qui sont extérieurs aux territoires ultramarins, même s'ils y interviennent très fortement. J'aimerais savoir quel a été le bénéfice de ces investissements, qui se montent tout de même à 2,5 milliards d'euros, pour les entreprises réunionnaises. Je sais que de nombreux chauffeurs ont acheminé des roches en camion et que l'opération a dû faire tourner les hôtels et les restaurants, mais je ne sais pas combien de points de PIB supplémentaires ces 2,5 milliards ont apporté à La Réunion.
C'est vrai pour toutes les infrastructures. Il existe dans les territoires d'outre-mer un certain nombre d'entreprises de bâtiment et travaux public solides, puissantes, respectant la réglementation et disposant des capacités techniques nécessaires pour accéder aux marchés, mais ces derniers sont le plus souvent attribués à des groupes hexagonaux, qui utilisent ces entreprises comme des sous-traitants. Les conglomérats qui viennent pomper la richesse de ces territoires n'y sont donc pas nécessairement implantés.
Une autre de mes grandes interrogations concerne le transport maritime. Les entreprises de ce secteur obtiennent aujourd'hui des résultats pharaoniques : CMA CGM est l'entreprise la plus rentable de France, comme le sont aussi ses camarades de jeu internationaux dans leurs propres territoires. Cela renvoie à une discussion que j'ai eue avec Jean-François Carenco sur la cherté de la vie.
Pour préparer cette audition, ce que j'ai fait un peu dans l'urgence, j'ai appelé cinq ou six grands consommateurs de conteneurs (containers) pour savoir s'ils avaient constaté une baisse du prix d'acheminement. Un seul m'a répondu, ce matin : M. Thiaw Kine, du groupe E. Leclerc à La Réunion, que je remercie d'autant plus qu'il était en vacances. Il m'a expliqué que le conteneur de 40 pieds, facturé 2 000 euros en 2018, avant la pandémie liée à la Covid-19, et qui était monté jusqu'à 3 700 euros, restait facturé aujourd'hui 3 000 euros. Comment cela s'explique-t-il alors que l'entreprise vient d'annoncer un résultat de 23,4 milliards d'euros – je parle bien de bénéfice, pas de chiffres d'affaires ? Il est permis de s'interroger.
Le PDG de CMA CGM, Rodolphe Saadé, est, tout comme Bernard Hayot, un capitaine d'industrie international de très haut niveau. Il n'a pas découvert le résultat réalisé par son groupe en 2022 au moment de la publication de ses comptes début 2023 : il voit très bien ce qu'il gagne chaque jour, et il sait depuis le premier jour de 2022 que ses bénéfices seront colossaux. Pourquoi n'a-t-il pas décidé de revenir, dans les territoires d'outre-mer, au prix antérieur de 2 000 euros ? Les entreprises ne doivent-elles pas avoir un minimum de vocation citoyenne ? On a demandé à chacun de faire des efforts : lorsque vous gagnez autant d'argent, l'effort que vous devez consentir doit être à la hauteur !
Je n'ai pas obtenu de réponse sur le prix du conteneur dans les Antilles, mais je continuerai à demander. Peut-être pourriez-vous appeler vous-mêmes les grands consommateurs de transport, qui sont principalement les acteurs de la grande distribution : ils confirmeront ou infirmeront l'information que m'a donnée le groupe E. Leclerc, qui après tout se débrouille peut-être très mal. Quoi qu'il en soit, puisque vous me demandez des noms, je vous en donne !
Encore une fois, les grands groupes ne font pas preuve de sagesse : ils bouffent tout ce qu'ils peuvent du consentement à payer. Comment voulez-vous que ces comportements ne créent pas, à un moment ou un autre, une crispation sociale ? Nous y allons tout droit !