La commission auditionne, dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (n° 1033), M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, sur ce même projet de loi.
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président
La séance est ouverte à 15 h 35
Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, dans le cadre d'une audition consacrée au projet de loi relatif à la programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense. Monsieur le ministre, nous vous remercions de votre présence au sein de notre commission, qui, vous le savez, porte un intérêt particulier à l'articulation géostratégique entre les conceptions de politique extérieure de la France et les grandes orientations de la LPM.
Vous êtes à la tête d'une administration remarquable : tous les contacts que nous avons eus avec les forces armées nous ont impressionnés par leur qualité humaine, intellectuelle et d'engagement moral. Je voudrais vous charger de leur dire notre profond respect et notre profonde admiration.
Vous gérez actuellement les dernières marches, les plus élevées, de la LPM pour les années 2019 à 2025, dont j'avais redouté – exprimant avec d'autres mon scepticisme – qu'elles ne soient encore sacrifiées. Il faut dire que sous les présidences de M. Sarkozy et de M. Hollande, on a cru qu'on pouvait toucher les dividendes de la paix et faire des économies sur les forces armées. Saluons, sous la présidence d'Emmanuel Macron, l'interruption du mouvement de baisse continue des crédits militaires et de longue agonie des postes diplomatiques ! Vous pouvez vous prévaloir d'avoir honoré le contrat, alors même que la Cour des comptes a reconnu la qualité de la gestion de votre administration.
Ce projet de loi de programmation militaire est ambitieux, ne serait-ce que par les volumes financiers engagés. Vous n'avez pas lésiné, malgré les tensions budgétaires que nous connaissons. Vous vous efforcez de remédier à des défauts structurels des armées françaises, tels que les problèmes de pièces détachées, de munitions ou de formation des militaires. On voit bien, dans cette guerre qui s'annonce longue, aux côtés de nos amis ukrainiens, combien ces choses sont fondamentales.
Dans la situation de rupture que nous connaissons, avec le retour de la guerre en Europe, de la menace traditionnelle russe, de la solidarité occidentale sous ses formes otanienne et américaine, des formes de conflit classiques et de masse, on a le sentiment que la LPM fait des choix de continuité, met l'accent – à juste titre, de mon point de vue – sur la force de dissuasion nucléaire, sans changer profondément notre profil européen, ni en termes quantitatifs, ni en termes qualitatifs. L'autonomie stratégique européenne combinée à l'Alliance atlantique, nous en voyons le principe et l'intérêt, mais nous n'en discernons pas les modalités. Sur le plan quantitatif, compte tenu des responsabilités que nous entendons assumer au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), est-il normal que nos amis polonais aient un nombre de chars équivalent au total cumulé de ceux de l'Italie, de la France et de l'Allemagne ? Ne peut-on craindre un sous-dimensionnement de l'armée de terre ? Votre projet de loi nous confère-t-il vraiment les moyens de nos ambitions dans le cadre de l'Alliance atlantique ?
Par ailleurs, je peine à identifier, dans le domaine des forces de projection, les transformations qu'appelle, à mon avis, la crise très profonde que connaissent les opérations extérieures (OPEX). Nous sommes contestés en raison de notre histoire et de la modification de l'attitude de puissances comme la Russie, la Chine et la Turquie, auxquelles nous sommes confrontés sur un certain nombre de théâtres d'opérations où nous disposons d'un faible adossement aux sociétés locales. Ce modèle est en crise, le président de la République l'a évoqué dans son discours sur la politique africaine. Mais en tirons-nous pleinement les conclusions ? Quelle est votre conception des OPEX, du rapport entre les forces prépositionnées au sein de pays amis, ainsi que des forces spéciales ?
Quant à notre présence maritime, elle est liée à la question du porte-avions. Tout en considérant que son absence du projet de LPM serait très grave, je m'interroge sur son emploi. S'il s'agit de projeter des forces pour des opérations terrestres, cela peut se faire à partir des bases dont nous disposons ici et là. S'il s'agit d'assurer la maîtrise de l'espace maritime, un seul porte-avions ne suffit pas ; puisque nous n'en ferons pas deux, il faut une stratégie de coopération, car peut-on réellement développer une stratégie totalement indépendante de celle de nos alliés, notamment, dans le Pacifique, des Américains ?
Ce sont bien là toutes les questions que soulève ce projet de nouvelle LPM. Comment comptez-vous combiner une autonomie stratégique, dont vous vous donnez les moyens à bien des égards, et la nécessité de coopération, sur le front européen et à l'international, avec des alliés – pas seulement les Américains ? Autrement dit, comment envisagez-vous l'articulation entre nos choix de politique militaire et ceux de politique étrangère, entre lesquels je décèle, non pas une contradiction, mais une tension ?
Tout ministre se doit d'être à la disposition du Parlement et il serait curieux que les membres de la commission des affaires étrangères ne puissent consacrer du temps à l'analyse d'un projet de loi de programmation militaire.
En l'espèce, il s'agit du premier projet de LPM que je présente en tant que ministre et je suis frappé de voir comme ce texte est parfois abordé par les parlementaires par ses aspects techniques – l'inflation, la cible capacitaire –, alors que notre histoire militaire devrait conduire à l'interroger sur deux points : l'efficacité sécuritaire du ministère des armées au cours des prochaines années et la fidélité au modèle dont nous avons hérité.
La construction de notre modèle de défense a été marquée par quelques grandes périodes : la seconde guerre mondiale, les guerres de décolonisation, l'épopée de Suez et l'arrivée au pouvoir de résistants qui se sont juré de ne plus jamais connaître ce qu'ils avaient vécu. De l'aventure gaulliste résulte notre positionnement affirmé d'autonomie – y compris dans nos alliances et en matière industrielle – et de souveraineté, qui s'est traduit dans la course à l'atome et l'élaboration de la dissuasion nucléaire pour se protéger des menaces contre nos intérêts vitaux. Ce modèle a été consolidé des années 1960 aux années 1990, quelles que soient les alternances politiques.
Au début de la décennie 1990, à la suite de la dissolution du pacte de Varsovie, la nécessité de dissuader sur le flanc oriental de l'Europe et de la France s'est estompée. Les conclusions en ont été tirées sur le service militaire, le stock de têtes nucléaires – question qui concernait principalement les États-Unis et la Russie –, la fermeture des installations du plateau d'Albion, la réalisation d'essais nucléaires à Mururoa pour terminer notre programme de simulation. Il y avait une cohérence dans les décisions prises au cours de ces années.
Seulement, la notion de dividendes de la paix a fait prendre un mauvais virage : les budgets militaires ont commencé à être pressurisés jusqu'aux années 2010-2012 ; un cran de trop a été franchi et on a commencé à abîmer notre appareil de défense. Là encore, la démarche répondait à une certaine cohérence, sauf qu'elle reposait sur le pari d'un contexte sécuritaire qui ne s'est pas vérifié.
À la suite des attentats du 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme islamiste se militarise, notamment au Sahel et au Levant. Face à un nouvel adversaire, notre modèle d'armée s'adapte sous la forme des OPEX en Afrique – plusieurs se sont révélées des succès militaires, même si les résultats politiques ont été parfois plus contrastés. Au passage, je tiens à rendre hommage à la bravoure de nos soldats et au sacrifice de certains d'entre eux.
La situation actuelle est assez unique en ce qu'elle se caractérise par l'addition de plusieurs menaces : le retour de la compétition entre les grandes puissances, sous voûte nucléaire ; la lutte contre le terrorisme, dont on parle trop peu mais qui reste d'actualité, avec une partie de l'Afrique à nouveau exposée à un risque sécuritaire terroriste majeur ; la prolifération, notamment nucléaire et balistique ; l'émergence de nouveaux espaces de conflictualité : l'espace, le cyber et les fonds sous-marins.
Dès lors, une question doit sous-tendre l'élaboration de la LPM : lesquelles de ces menaces doivent être traitées en priorité et devons-nous le faire seuls ou à plusieurs ? Puisque nous avons l'ambition d'être une puissance d'équilibre et de faire honneur à notre héritage, nous entendons garder un modèle d'armée complet et tenir ce rang sur un certain nombre de segments, dont ceux qui connaissent des sauts technologiques importants, ce qui explique en partie l'accroissement de nos besoins financiers.
Le premier gros élément de l'architecture de la LPM est la dissuasion nucléaire, dont je suis un fervent militant.
D'abord, elle garantit notre autonomie stratégique. À la différence d'autres pays, comme le Royaume-Uni, nous mettons en œuvre notre dissuasion seuls, ce qui explique que, dans le cadre de nos alliances, nous ne puissions partager les missions qui constituent le cœur de notre souveraineté.
Ensuite, il est bon de rappeler l'impact de la dissuasion nucléaire russe sur le cours de la guerre en Ukraine. En outre, plusieurs États sont actuellement proliférants : en dehors de la Corée du Nord, l'Iran pose des défis de sécurité majeurs à l'Europe. Il faut apprécier la dissuasion à l'aune de ce contexte sécuritaire, dont je m'étonne qu'on parle si peu.
Enfin, la dissuasion telle que nous la connaissons aujourd'hui est issue de votes au Parlement remontant à quinze ou vingt ans ; la longueur des programmes est telle qu'il y a toujours un décalage du même ordre. Les crédits qui seront bientôt soumis à votre vote ont donc pour objet de dessiner la troisième génération de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) et les nouvelles générations de vecteurs pour les forces stratégiques, tant aériennes qu'océaniques. Il faut se projeter sur le moyen et le long terme et garder un certain niveau d'investissement car nous maintenons à bout de bras des filières françaises dont le savoir-faire doit être perpétué. Il faut éviter toute rupture de charge, notamment pour la direction des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), pour TechnicAtome et Naval Group. Je constate que le consensus à ce sujet, qui prévalait depuis les années 1960, s'effrite avec le temps. Il est essentiel que nous en débattions.
Lorsque certains commentateurs prétendument spécialistes croient bon d'affirmer sur les plateaux de télévision que, « s'il nous arrivait la même chose que l'Ukraine », nos stocks stratégiques ne nous permettraient de tenir que quinze jours ou seulement sur un front de 80 kilomètres, ils profèrent une hérésie militaire. Car notre modèle d'armée, depuis les années 1960, tient compte de la dissuasion nucléaire. Cela explique, par exemple, que nous ayons moins de chars que les Allemands, même s'il ne fait aucun doute que nous devons remonter en puissance sur les équipements terrestres. Une puissance dotée a un modèle d'armée distinct de celui d'une puissance non dotée. Et un pays situé à l'Ouest de l'Europe et qui est membre de l'OTAN n'encourt pas les mêmes risques de voisinage qu'un pays se trouvant à l'Est du continent et qui n'appartient pas à l'Alliance atlantique. Le modèle français est unique ; il a ses forces et ses faiblesses et il ne sert à rien de vouloir le comparer à d'autres systèmes, fût-ce au britannique.
Le projet de LPM traduit également une évolution sur des questions qui concernent notre sécurité et notre souveraineté, sans toucher directement à nos intérêts vitaux.
En premier lieu, la menace terroriste persiste. L'avènement des drones est un facteur considérable de changement dans la lutte contre le terrorisme et pour la sécurisation de grands événements, comme les Jeux olympiques. La défense sol-air dans son ensemble a été abîmée par les diminutions de crédits de ces vingt dernières années. La dissuasion nucléaire nous protège contre des menaces d'origine étatique. Tout ce qui n'en relève pas ou présente un caractère hybride soulève un enjeu de sécurité qui est très clairement pris en compte, notamment dans le domaine de la lutte anti-drones et de la défense sol-air ; près de 5 milliards sur les 413 de la LPM y seront consacrés. Je souhaite que l'on accélère en ces matières car les postures pourraient devenir de plus en plus agressives.
En deuxième lieu, les outre-mer sont exposés à des menaces qui leur sont propres et qui tiennent à la tyrannie des distances, à leur environnement géographique – ils n'ont pas les mêmes voisins que l'Hexagone –, au réchauffement climatique, aux crises migratoires et à de nouvelles prédations des ressources naturelles, comme la pêche illégale. Notre marine effectue un travail remarquable dans le Pacifique pour maintenir hors de nos zones économiques exclusives les flottilles de pêche illégale, au prix d'un effort qui demande de l'endurance. Mais nous ne pouvons pas demander l'impossible à nos soldats et la question est donc de savoir comment leur donner des moyens nouveaux pour remplir, demain, leurs missions. On retrouve là des enjeux liés aux technologies nouvelles, au spatial, aux drones et au maritime.
Lorsqu'il s'agit de notre souveraineté dans nos territoires d'outre-mer, il est impensable, même dans une situation très dégradée, de demander de l'aide à qui que ce soit à l'extérieur. La France doit pouvoir l'assumer seule. Et je regrette de devoir dire que ce n'était pas toujours le cas voilà quelques années. Ce sont là des points clés.
En troisième lieu, les nouveaux espaces de conflictualité provoquent des ruptures. Je conteste, à cet égard, les propos tenus ce matin devant votre commission par les membres de think tanks, analystes ou sachants.
Il ne faut pas les mettre en cause. C'étaient des experts très divers, qui exprimaient leurs idées et ne représentaient aucun collectif.
Il est évident que, pour s'en prendre à une puissance nucléaire, il faut passer par d'autres biais que par une attaque frontale – pardon d'enfoncer encore une porte ouverte. Il s'agit donc de voir quelles sont, sous la voûte nucléaire, toutes les menaces que nous pouvons connaître. À cet égard, le cyber recouvre d'importants enjeux, comme le montrent non seulement les affaires de fuites mais aussi, par exemple, les attaques visant nos hôpitaux. Il faut savoir si ces attaques cyber relèvent d'agissements crapuleux et criminels obéissant à une certaine logique, d'actions terroristes ou de l'intervention de services d'un État étranger souverain. Il faut savoir aussi quelle est notre capacité à entraver de telles attaques et à y mettre fin, et pouvoir les attribuer à un pays ou à un groupe terroriste particulier. Il faut même aller au bout de la logique et chercher à définir une légitime défense cyber. Dans ce domaine, où tous les autres pays sont en train d'élaborer leur doctrine, la France n'est pas en retard. Qui plus est, dans une démocratie, le Parlement doit s'emparer de ces questions. Il y a là, évidemment, des vulnérabilités pour l'ensemble de nos démocraties, et particulièrement pour les puissances dotées, car ces moyens permettent de contourner la voûte nucléaire pour s'en prendre à elles.
Quant aux fonds sous-marins, ils sont le théâtre de la guerre des mines ou d'actions visant à compromettre nos systèmes de câbles ou de pipelines et dont l'hybridité rend difficile de déterminer l'origine, comme on l'a vu à l'occasion de certains événements récents en Europe. Dans ce domaine aussi, le projet de loi de programmation militaire propose certaines solutions et les drones sont très précieux.
Dans le secteur spatial, le changement de génération est complet. Alors qu'on envoyait précédemment un satellite dans l'espace pour communiquer ou pour observer, certaines puissances vont désormais être capables de le faire pour détruire un autre satellite dans l'environnement spatial, tandis que d'autres encore développent des capacités qui leur permettront de détruire un satellite depuis la terre. C'est un changement complet de paradigme, dans un domaine où le droit international est en construction. Le projet de loi de programmation militaire propose une stratégie dotée de 6 milliards d'euros sur un budget total de 413 milliards. Il ne s'agit que d'une brique mais il a fallu, rappelons-le, trois lois de programmation militaire entre la première, celle de Pierre Messmer et de Michel Debré, en 1960, et le lancement, dans les années 1970, du premier sous-marin nucléaire lanceur d'engins. Prendre conscience de cette échelle de temps – même si ce n'est plus très à la mode – pousse à l'humilité devant ce que la nation française est capable de faire, avec beaucoup d'endurance et de patience. Il faudra la même patience et la même endurance dans le domaine spatial.
Nous lancerons aussi, dans le cadre de cette programmation militaire, des prototypes importants, comme le programme YODA – Yeux en orbite pour un démonstrateur agile –, c'est-à-dire des satellites souverains français capables de patrouiller dans l'espace pour voir si d'autres satellites étrangers s'approchent des nôtres et, le cas échéant, d'aveugler des satellites étrangers qui surplomberaient nos théâtres d'opérations.
Au-delà du cœur de souveraineté, qui recouvre notamment nos intérêts vitaux, il faut aussi défendre d'autres intérêts ailleurs, ce qui nous conduit à élargir le spectre pour regarder ce qui se passe ici ou là. C'est là que se pose la question de nos alliances, c'est-à-dire, d'abord, celle de savoir ce que nous voulons ou pouvons faire seuls ou à plusieurs, en fonction des zones géographiques et dans un cadre qui peut être aussi bien multilatéral – c'est le cas de l'OTAN, qui ne fait toutefois pas consensus – que bilatéral. En effet, la France, du fait de son histoire, a conclu de nombreux accords bilatéraux de défense, dont certains sont liés aux actes d'indépendance, comme dans le cas de Djibouti, tandis que d'autres sont beaucoup plus récents et participent à la diversification de nos alliances, par exemple avec les Émirats arabes unis. Ces accords comprennent des clauses de sécurité par lesquelles la France s'engage à ce que les armées françaises viennent, en cas de problème de sécurité, épauler ces pays en fonction de leurs demandes. La France intervient en Roumanie en tant que nation-cadre de l'OTAN et, hors du cadre otanien, nos armées ont contribué à rétablir la sécurité du ciel au-dessus d'Abou Dhabi.
C'est, là encore, une question clé car il ne suffit pas de nous engager partout : si nous ne pouvons pas tenir la parole donnée, c'est toute la crédibilité de la France qui est mise en cause. La question intéresse évidemment la commission des affaires étrangères car il n'y a plus de diplomatie possible si nous ne sommes pas capables de tenir et d'honorer notre parole.
J'en viens, Monsieur le président, à des sous-réponses à vos sous-questions.
Tout d'abord, l'armée française est une armée d'emploi, avec une culture expéditionnaire. En langage non-militaire, tandis que de nombreux pays ont des armées de cœur de souveraineté pour la défense de leur territoire national – ce qui n'est pas une critique, mais une observation factuelle –, la France a la capacité de mener des opérations ailleurs. Pour la France, la question, en particulier lorsqu'elle veut agir seule, notamment sur le théâtre terrestre, est de savoir quelle est la réactivité de son armée. Lorsque le président de la République et votre serviteur se présentent devant le Parlement pour décider de projeter des troupes, combien de temps faut-il pour le faire en quantité suffisante au titre d'une opération de sécurisation ? Le deuxième élément important est l'endurance : dans ce schéma, combien de temps sommes-nous capables de tenir ?
Ces questions apportent déjà des réponses à celle de savoir ce que nous pouvons faire seuls et ce que nous pouvons faire à plusieurs. Il faut choisir son club ou son camp : la France doit-elle se doter de moyens suffisants pour emmener les autres ou, au contraire, se laisser emmener par les autres ? Il y a là un effet évident du retour d'expérience de la première guerre du Golfe, dans laquelle la France avait suivi le mouvement avant de s'apercevoir que, sans direction du renseignement militaire, sans appréciation souveraine permettant la compréhension de ce qui se passait sur le théâtre, sans être intégrée aux états-majors établis par les États-Unis, elle était complètement satellisée et maintenue dans un rôle de gardien de la zone, sans être aucunement en pointe dans le combat et l'engagement des forces. Cette prise de conscience a été un choc profond pour les armées et a donné lieu à des réactions politiques qui ont pris du temps mais qui étaient indispensables : il n'était pas question de revivre cela !
Nous sommes aujourd'hui dans une sorte d'entre-deux car, pour des raisons parfois de mauvaise politique, on a procédé à des renouvellements globaux du parc, par saupoudrage, sans se donner de moyens bien organisés.
Je souhaite, avec cette future loi de programmation militaire, vous proposer que la France dispose, dès 2027, de forces expéditionnaires permettant de projeter une division de deux brigades en grande autonomie, ce qui ne serait possible aujourd'hui qu'au prix de sacrifices imposés à d'autres missions et, pour ainsi dire, « d'élongations musculaires » particulièrement désagréables. Les missions concernées pourraient être la sécurisation de pays déstabilisés par des proxys de grandes puissances, la lutte contre le terrorisme et, surtout, l'évacuation de nos ressortissants dans des pays qui pourraient compter de 1 000 à 15 000 Français ou binationaux en danger, puisque nous sommes capables de tenir un point, de procéder aux évacuations et de repartir. Ce sont là des cas pratiques parfaitement documentés, qui ont servi de base à nos militaires et à nos officiers généraux pour construire ce projet de loi de programmation militaire.
Ce qui est vrai du terrestre l'est aussi du maritime. Dans ce domaine également, voulons-nous emmener les autres ou ne sommes-nous pas en situation de le faire ? À cet égard, il ne faut pas penser « porte-avions » mais « groupe aéronaval », car un porte-avions doit être accompagné par au moins deux frégates et un sous-marin nucléaire d'attaque, déployant ainsi une capacité permettant de tenir une très grande zone.
Cela nous conduit à faire un tour d'horizon des menaces maritimes qui nous entourent. Tout d'abord, la mer a changé de finalité militaire. Jadis, en effet, on se servait des océans ou d'un espace maritime pour frapper la terre, que ce soit pour débarquer des troupes ou pour frapper un pays depuis la mer. Désormais, les espaces maritimes sont devenus des espaces de conflictualité en tant que tels, non seulement en surface ou – avec les porte-avions et les drones – dans les airs, mais également sous la forme de la « guerre sous-marine ».
Plusieurs risques se cumulent autour du seul Hexagone, soulevant des questions pratiques qui seront dimensionnantes pour notre marine. L'Atlantique reste une zone particulièrement dangereuse, du fait notamment de la présence des sous-marins nucléaires russes. Pour la sécurisation de nos abords, notamment de l'Île Longue, nous devons être en mesure de maintenir des libertés et des discrétions indispensables. La mer Méditerranée est également un espace de sécurité très contesté, à cause des mouvements migratoires, de la piraterie maritime, de la présence de Wagner en Afrique et en Libye, et donc parfois sur les voies maritimes, de proxys liés à l'Iran et des enjeux de liberté de circulation maritime en Méditerranée orientale, encore plus marqués à Ormuz, à Suez ou Bab-el-Mandeb.
Dans ce contexte, le groupe aéronaval est clairement l'un des outils les plus précieux pour emmener les autres. De fait, on trouve en Méditerranée le groupe aéronaval américain George Bush et le groupe aéronaval français, qui nous permet d'emmener à notre tour les frégates grecques ou italiennes et d'engager des opérations, dans le cadre de l'OTAN ou non, car il est possible, en Méditerranée, de mener des opérations maritimes qui ne soient pas nécessairement otanisées pour assurer cette sécurité. Il s'agit, là encore, d'une question clé car, sur la plupart de nos routes commerciales, que ce soit pour l'exportation de certaines de nos matières premières, agricoles par exemple, ou pour l'importation d'autres matières premières, éventuellement liées aux hydrocarbures, nous ne pouvons pas être pris au piège. C'est une mission classique de la marine nationale, un de ses cœurs de métier, que de nous garantir des libertés d'accès maritime. À l'instar de ce qu'il prévoit pour les projections terrestres, le projet de loi de programmation militaire doit nous permettre de garder notre rang dans une ambiance qui ne peut que se durcir et où il sera de plus en plus difficile de tenir.
Pour ce qui est de la zone indopacifique, je suis parfois frappé des commentaires politiques que j'entends sur certains bancs car la question est de savoir si nous voulons être une puissance mondiale ou une puissance régionale. Je comprendrais fort bien que certains souhaitent que la France soit une puissance régionale car, même si je ne partage pas cette idée, elle est au moins cohérente. En revanche, on ne peut pas mentir : nous avons besoin d'un dimensionnement militaire qui nous permette de défendre nos intérêts même lorsqu'ils sont lointains. Sans revenir sur l'actualité relative à la Chine et à Taïwan, je rappelle que, le week-end dernier, une frégate de surveillance française a assumé une mission de liberté de navigation maritime non loin de Taïwan : la France était là et elle est le seul pays européen qui souhaite et qui puisse le faire.
Pour aller encore plus loin, on ne saurait parler de souveraineté en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française si nous ne sommes pas capables de traiter militairement ces élongations. C'est ce que nous permet la nouvelle génération de matériel, avec notamment l'A400M ou des opérations comme l'exercice Pitch Black, pour lequel il a été possible d'amener des Rafale depuis l'Hexagone, après un ou deux posés, jusqu'à la base aérienne de La Tontouta, en Nouvelle-Calédonie. Aussi curieux que cela puisse être, de tels exercices ne se pratiquaient pas voilà quelques années, sinon durant les essais nucléaires effectués en Polynésie, et ont été abandonnés depuis la fin des années 1990. Nous montrons ainsi notre capacité à nous signaler stratégiquement à l'ensemble des pays de la zone comme une puissance de l'Indopacifique, légitime parce que riveraine avec nos territoires d'outre-mer.
La question du renseignement est une question clé qui irrigue l'ensemble des thématiques. De fait, il n'y a pas de compréhension du monde ni de diplomatie possibles sans une autonomie d'observation et d'analyse des événements. La direction du renseignement militaire (DRM) peut fournir à l'exécutif de bonnes informations sur la situation en Ukraine, acquises notamment par voie satellitaire et qui nous permettent de comprendre ce qui se passe sur la ligne de front. Ce moyen souverain, même s'il n'est pas parfait, est à notre disposition, et je puis vous assurer, après avoir rencontré pratiquement tous mes prédécesseurs, que ce n'était pas possible voilà dix, quinze ou vingt ans. Il importe de rester, dans l'avenir, au rendez-vous sur les nouveaux segments technologiques en matière de renseignement, sans oublier le renseignement humain, parfois trop négligé, mais qui reste une clé de la lutte antiterroriste – je n'entrerai pas dans le détail, pour des raisons que chacun comprendra.
Les aspects industriels doivent être au service de notre diplomatie et de notre puissance militaire car cela forme un tout. Notre base industrielle et technologique de défense (BITD) est branchée dans le modèle d'armée que je viens de décrire, et non l'inverse.
Je vous remercie donc de me permettre de redire ce que nous cherchons à faire avec cette future loi de programmation militaire, dont le but n'est pas de remplir les hangars des régiments et des bases aériennes de matériels qui ne serviraient qu'à nous féliciter de nous être réarmés mais, au contraire, de coller au plus près aux menaces qui pèsent sur notre pays. Il n'en faut pas moins garder en la matière une certaine humilité car les choses vont très vite. De fait, en cinq ans, entre deux LPM, on observe déjà des fossés technologiques prodigieux, en matière par exemple d'intelligence artificielle et de quantique militaire, et dont on parle trop peu. Nous y avons consacré de l'argent au titre de ce projet de LPM mais je me propose de revenir régulièrement devant le Parlement pour des mises à jour de cette loi, car il faudrait être naïf pour croire que la mer est calme et que la situation sera figée dans le domaine de l'équipement et de la technologie pour les cinq ans qui viennent.
Notre rapporteure pour avis, également oratrice du groupe Renaissance, et les orateurs des autres groupes vont à présent vous poser leurs questions.
Au nom du groupe Renaissance, je tiens à redire notre fierté de conduire la programmation militaire la plus ambitieuse depuis la fin de la guerre froide. Que cette future loi, ô combien nécessaire, soit une continuité, une rupture dans la continuité ou une rupture tout court, la fierté reste intacte. Dire que les dépenses sociales et militaires s'opposent est un non-sens car il ne peut y avoir de prospérité sans sécurité.
Je me fais le porte-voix des nombreux collègues retenus dans l'hémicycle, car nous ne traitons pas ici que des questions de défense, et c'est la richesse de la commission des affaires étrangères que de penser ces sujets en même temps que les questions de développement, de diplomatie et de droits humains. Une telle approche est donc complexe. Certains collègues du groupe Renaissance s'interrogent sur la manière dont nous allons penser, dans cette prochaine LPM, le continuum entre la sécurité et le développement, qui est l'un des fondements de la LPM en cours.
Se pose également la question fondamentale du partenariat renouvelé avec l'Afrique, sur lequel nous aurions souhaité en savoir davantage, idéalement avant l'adoption définitive du texte. Cependant, puisqu'il s'agit de prendre en compte l'avis de nos partenaires, je comprends que la réponse puisse tarder.
Nous sommes également très désireux de savoir comment les territoires ultramarins s'approprient ce nouveau positionnement, auquel j'adhère pleinement, qui consiste à donner une place centrale à nos outre-mer.
Vous avez évoqué à plusieurs reprises la couverture de la totalité du spectre, ce à quoi les think tanks que nous avons entendus ce matin semblaient plutôt défavorables. Je leur ai rappelé que c'est sur les conseils de certains penseurs, comme M. Henrotin, qui faisait du drone armé la figure aérienne du mal, que le politique, nourri de cette réflexion, a finalement fait des choix qui ne sont pas nécessairement les bons. S'il est nécessaire de couvrir tout le spectre, il l'est aussi de rappeler la réussite du Fonds européen de défense. Comment réussirons-nous à compenser toutes ces ruptures technologiques et comment articulons-nous cet effort avec l'Union européenne ?
Enfin, en tant que rapporteure pour avis, j'ai consacré mes travaux à la nouvelle fonction stratégique qu'est l'influence. Existe-t-il une feuille de route ou un budget dédié en la matière ? Et la question est-elle pensée d'une manière transverse ?
Je n'ai peut-être pas assez évoqué dans mon propos liminaire la présence militaire en Afrique, les questions d'influence et les réseaux y afférents. Il faut reconnaître clairement que notre présence en Afrique n'est plus complètement adaptée, et cela pour de nombreuses raisons. La première est que, parmi les diminutions budgétaires de ces vingt dernières années, on a fermé de nombreuses capacités de formation ouvertes aux armées africaines. Vous qui connaissez bien les armées savez que les écoles de Salon-de-Provence et de Saint-Cyr Coëtquidan, ainsi que l'École navale – pour ne parler que des écoles d'officiers, mais celles des sous-officiers étaient aussi concernées –, avaient jadis d'importantes capacités d'accueil et il était tout à fait normal d'y trouver des élèves issus d'armées africaines partenaires et amies, venant apprendre le métier pendant une année ou deux sous les drapeaux.
Je ne parle même pas de la coopération, durement touchée par la fin du service militaire. Au Cameroun, par exemple, qui pouvait accueillir une centaine de coopérants, c'est-à-dire de militaires français servant sous l'uniforme de l'armée camerounaise, on en compte aujourd'hui moins de dix. Nous payons cher la disparition de cette intimité humaine, qui n'avait pas de prix et offrait des capacités de formation par le haut, y compris sur des segments de combat où les capacités n'allaient pas toujours de soi.
Avec le temps, nous nous sommes également installés dans une sorte de routine. Hors Djibouti, la France dispose en Afrique de deux bases pratiquant la formation et le combat – Port Bouët, à Abidjan, et N'Djamena, au Tchad – et de deux bases ne pratiquant que la formation, au Gabon et au Sénégal. Sur ces deux dernières bases, on a pris des habitudes de formation très généralistes, qui ne sont plus toujours adaptées aux partenaires. Ainsi, alors que nous proposons au Sénégal – dont je recevais le ministre de la défense à l'hôtel de Brienne juste avant cette audition – des offres de formation pour la prise en main de l'infanterie, c'est de drones que ce pays a besoin. Lorsque nos propositions portent sur les techniques de combat, nos partenaires nous disent qu'ils veulent développer une aviation de chasse ou reconquérir des espaces maritimes nouveaux. Nous avons d'ailleurs commencé à perdre des parts de marché face à des offres israéliennes ou turques qui prévoient des solutions de financement autour d'objets capacitaires et concernent des drones, pour les uns, et d'autres systèmes, pour les autres.
Il fallait que nous réagissions car, dans une relation synallagmatique, les deux parties doivent trouver leur compte – ce qui était le cas pour nous, mais pas pour nos partenaires. Nous sommes donc en train de réarticuler cette relation avec une diminution des forces présentes en permanence dans ces bases car nous aurons davantage de forces tournantes, avec un catalogue de formations fixes à l'année, avec des séjours longs pour nos militaires et leurs familles et avec des offres de formations beaucoup plus courtes, sur la base d'un catalogue que nous sommes en train d'élaborer et portant, par exemple, sur la défense sol-air, les fonctions d'état-major, le renseignement et la guerre électronique, ainsi que sur les questions spatiales. Nous aurons beaucoup plus de forces tournantes, actives ou réservistes, ce qui permettra de durcir et de muscler notre capacité en termes de formation.
Dans l'Hexagone, où nous avons trop réduit le nombre d'élèves en formation, je proposerai de multiplier par deux le nombre d'élèves accueillis depuis le continent africain. Pour les seuls pays avec lesquels nous avons des accords, le nombre est actuellement d'environ 300 par an. Il s'agirait donc de remonter très rapidement ce chiffre pour parvenir à 600 élèves, sans nous limiter aux officiers car les sous-officiers sont une cible tout aussi importante.
Le troisième volet est l'enjeu industriel et capacitaire. Pour le dire en termes diplomatiques en tant que ministre en charge de la BITD, nos industriels ont parfois trop regardé les grands arbres, comme aurait dit Malraux, et beaucoup trop peu nos partenaires africains. Les équipements terrestres représentent en effet un enjeu et j'ai été très surpris, à ce propos, par un article récent sur Arquus car mes homologues africains me disent constamment qu'ils ont besoin d'équipements de transport de troupes. Il y a donc là des perspectives d'export, avec les formations afférentes.
J'ai pris l'exemple de l'Afrique pour répondre d'une manière globale à votre question qui l'était encore plus mais nous devons rester ce que nous sommes. Les armées françaises sont des armées d'emploi et nous sommes capables de projeter, s'il le faut, des éléments de combat, par exemple contre le terrorisme – comme nous le faisons au Niger –, mais le besoin de formation est énorme sur le territoire national comme dans les pays concernés, où nous avons parfois été décevants. Quant au volet industriel et capacitaire, il est clair que nous devons pouvoir faire mieux, surtout lorsque d'autres pays commencent à créer des concurrences auxquelles nos industriels n'étaient, il faut le reconnaître, pas toujours habitués et face auxquelles j'essaie de les stimuler. La notion d'influence pourrait se développer de manière plus globale mais je me suis limité à un exemple concret.
Le contexte géopolitique dégradé et l'affaiblissement manifeste de la France, encore illustré par le camouflet subi par Emmanuel Macron en Chine, nous conduisent à examiner avec une particulière vigilance le projet de LPM pour les années 2024 à 2030, dont nous nous félicitons qu'elle rompe avec un budget d'abandon de nos armées. Notre vigilance face à certaines lacunes de ce texte a toutefois cédé la place à de l'inquiétude car, pour reprendre les propos que vous avez tenus tout à l'heure, l'efficacité dépend des moyens. Vous avez évoqué une LPM de transformation, dont les crédits passent de 195 à 400 milliards d'euros, mais votre texte n'est que partiellement financé, comme nous sommes obligés de le constater. C'est d'ailleurs le sens du rejet qui vous a été signifié avant-hier à la conférence des présidents.
Je vous poserai donc trois questions importantes, même si elles vous ont certainement déjà été posées dans d'autres commissions. La première porte sur l'inflation, que vous avez évoquée tout à l'heure, sans entrer dans le détail, en disant qu'elle absorberait 30 milliards d'euros, soit 15 % de l'effort supplémentaire de 200 milliards d'euros destiné à la défense. Dans le contexte inflationniste actuel, sans doute appelé à durer, on aurait espéré un budget en euros constants ou, à tout le moins, une clause de sauvegarde. Or votre texte ne contient rien de tel. Pourquoi donc cet impensé majeur ?
Vous avez également évoqué les capacités. Nous comprenons que nos investissements seront retardés dans des proportions dramatiques et évoquées dans la presse. En 2030, nous ne disposerions pas de cinq frégates de défense et d'intervention mais de trois, et pas de 185 Rafale pour l'armée de l'air mais de 137, sans parler des renoncements concernant l'artillerie, les hélicoptères ou les centaines de véhicules du programme Scorpion, dont la livraison a été repoussée. Confirmez-vous ces chiffres et, en ce cas, comment justifiez-vous de telles coupes que je juge, et de nombreux analystes avec moi, inquiétantes dans le contexte international ?
Enfin, votre texte repose sur plusieurs paris, en forme d'épée de Damoclès pour nos armées. Le soutien à l'Ukraine serait intégralement financé par des crédits supplémentaires, dont l'obtention sera soumise chaque année à des arbitrages politiques incertains. Il en est de même pour les opérations extérieures, sous-financées, alors même que, de crise en crise, nous constatons que nos soldats peuvent être appelés à tout moment à servir sur des théâtres d'opérations. À quels renoncements capacitaires nos armées seront-elles contraintes si ces dépenses sont financées en bout de chaîne, non par des ressources supplémentaires dépourvues, en l'état, de toute réalité, mais par le ministère des armées lui-même ?
Cela a demandé de nombreuses lois de programmation militaire mais le financement des OPEX est désormais robuste, grâce au système dit de provision : la provision est inscrite dans la LPM et est mobilisée selon l'activité des forces, OPEX comme missions intérieures – Sentinelle en est un exemple dans la perspective des Jeux olympiques. L'idée est que les armées françaises ne sauraient être contraintes par la provision des OPEX : c'est à l'intendance budgétaire de suivre l'activité des forces et celle-ci n'a pas à être « carénée » par le budget, comme dans d'autres pays. Je proposerai au Parlement de renouveler le système des provisions. Il résulte d'un consensus politico-budgétaire acquis au fil des ans et correspond à ce que veulent les militaires en termes de visibilité et de prévisibilité.
La question de l'Ukraine est à mettre en regard du « catéchisme » républicain en matière de LPM. De mon point de vue, la vocation d'une LPM, c'est de déterminer le format des armées. Peu de pays ont une LPM ; nous en avons une parce que nous avons la dissuasion. À l'époque, les gaullistes voulaient préserver les grands programmes des aléas trop forts. D'ailleurs, Pierre Messmer ne souhaitait pas que la LPM concerne l'activité des forces, il considérait qu'elle devait être réservée aux très gros programmes et à la dissuasion. Au fil des choix technocratiques des Parlements et gouvernements successifs, elle a fini par englober les programmes hors dissuasion, le maintien en condition opérationnelle et même les OPEX, s'éloignant ainsi de la pureté originelle du concept de loi de programmation militaire.
Je ne souhaitais pas, et le président de la République et la première ministre l'ont accepté, que la question de l'Ukraine soit traitée dans les ressources budgétaires de la LPM, pour des raisons démocratiques. Au début, l'urgence faisant la doctrine, nous avons prélevé des moyens sur nos forces, puis nous avons été amenés, et le serons de plus en plus, à brancher directement l'armée Ukrainienne sur notre BITD en ouvrant des crédits, pour protéger nos propres stocks. Les choses durent, et je comprends très bien que vous vous inquiétiez, tout comme nos militaires, de protéger les armées françaises. Je serais un bien mauvais ministre si je ne commençais pas à imaginer des mécanismes qui vieilliront bien, en fonction de la situation sur le terrain.
C'est ainsi que sont sortis de la LPM, non seulement les fonds de soutien auxquels l'Ukraine émarge directement, mais plus globalement toute l'aide à l'Ukraine. Par exemple, nous avons donné des missiles et des systèmes de défense antiaérienne Crotale, un dispositif de très bonne qualité mais vieillissant, dont nous nous apprêtions à arrêter l'emploi dans les armées dans les années à venir. Nous avons accéléré à la fois le retrait de ce type de missiles et l'achat de missiles Mica VL. Puisqu'il faut un « juge de paix budgétaire », le recomplètement par le Mica VL se fera en dehors des ressources budgétaires de la LPM et sera traité en annualité budgétaire, comme la plupart des budgets, y compris celui des anciens combattants.
En tant que parlementaire, Madame Le Pen, vous resterez ainsi souveraine, chaque année. Si, par le passé, les LPM ont été sous-exécutées, c'est parce qu'elles restent des lois de cadrage politique. D'où mon étonnement s'agissant des réactions suscitées par l'étude d'impact ; elle doit être appréciée en fonction de choix politiques et militaires que ni le Conseil d'État, ni le Conseil constitutionnel n'ont à approuver. Ce sera bien la loi de finances annuelle qui ouvrira les autorisations d'engagement et les crédits de paiement, en tout cas j'y veillerai jusqu'en 2027. Et si vous souhaitez, lors de l'examen de la loi de finances initiale ou du collectif budgétaire, faire l'inverse de ce que vous aurez décidé pour la LPM, vous le pourrez toujours.
À terme, les sommes mobilisées pour l'Ukraine peuvent être importantes : je vous ferai un état précis et consolidé des comptes définitifs pour 2022 et des perspectives pour 2023 au mois de mai, lors du débat du projet de loi ; j'en ferai un autre devant les commissions de la défense et des affaires étrangères au mois de juillet, sur les exportations d'armements. En tout état de cause, je considère qu'il est sain d'avoir sorti ce sujet des ressources budgétaires de la LPM.
S'agissant des capacités, au moment où je vous parle, il n'y a pas de renoncements : s'il devait y en avoir, ils seraient annoncés et ne sauraient intervenir brutalement avec des dépenses de 413 milliards. En revanche, avec les chefs d'état-major, nous avons fait le choix de quelques étalements, de façon à garder la cohérence chère au chef d'état-major des armées (CEMA) Thierry Burkhard.
Par exemple, pour l'armée de terre, il faut faire coller les parcs de matériel aux menaces et aux missions, et pas simplement vouloir faire de la masse, comme on le voit trop souvent. L'objectif du CEMA, c'est d'arriver, en 2027, à un carénage d'une division et deux brigades, de 10 000 à 12 000 hommes, avec un système d'armée complet, cohérent et « scorpionisé ». Les régiments qui en seront équipés seront ciblés, les militaires formés et les infrastructures adaptées. Cela demande du temps compte tenu des contraintes de production et des difficultés technologiques de mise en réseau, Scorpion étant un outil de combat collaboratif qui permet au Jaguar ou à d'autres éléments terrestres de prendre la main, lorsque le Griffon détecte quelque chose.
Nous avons donc choisi de procéder par paquets cohérents, comprenant la formation, les infrastructures, les munitions, les équipements, de façon à avoir des régiments entiers complètement prêts, plutôt que de ne rien retarder et d'arriver au résultat que nous connaissons avec nos hélicoptères dont, faute de crédits pour le maintien en condition opérationnelle ou de capacité, parfois aucun ne décolle. Certes, la cible se dilate de 2030 vers 2032, et nous assumons ce chevauchement sur le début de la prochaine LPM car, en contrepartie, lorsqu'un régiment sera « scorpionisé », il sera en complète capacité de marche.
Quant à l'inflation, elle existe, c'est un fait. Nul ne sait comment elle évoluera au fil de la programmation mais nous estimons son coût global à 30 milliards d'euros. Vous dites qu'il n'y a pas de clause de sauvegarde ; je vous trouve bien sévère. J'en ai obtenu et non des moindres. D'une part, les clauses sur le carburant opérationnel, conquises de haute lutte par les députés lors des LPM précédentes, sont conservées : en cas de variations importantes sur le prix du Brent, les armées obtiennent des crédits nouveaux, de façon à éviter les restrictions sur le terrain. Cela permet d'absorber une bonne part de l'inflation. D'autre part, le ministère peut aussi jouer sur les reports de charges. Ces techniques de trésorerie permettent de décaisser les crédits de paiement lorsque l'inflation diminue. Les précédentes LPM ont permis d'y recourir dans les faits mais j'ai souhaité, pour des raisons démocratiques et de transparence, les inscrire dans la programmation militaire, pour que les parlementaires puissent le constater chaque année, lors de la discussion du projet de loi de finances.
Enfin, s'il est un ministère où l'inflation est totalement gérée, c'est bien celui des armées : tout retard sur ce que l'on appelle le « physique » – la livraison d'un système d'armes ou la réalisation de travaux dans un régiment dans une base aérienne –, me conduit à demander des crédits supplémentaires à Bercy, puis en collectif budgétaire. Je le ferai encore cette année, en proposant d'ouvrir 1,5 milliard d'euros de crédits supplémentaires, afin de traiter quelques urgences liées à l'Ukraine, la lutte anti-drones ou les Jeux olympiques, ainsi que la question de l'inflation. Mes collègues chargés de la justice, de l'éducation nationale ou de l'intérieur ne bénéficient pas de tels dispositifs. C'est ainsi que je peux vous dire, qu'en 2022-2023, c'est-à-dire depuis que je suis ministre des armées, aucun programme n'a pris de retard à cause de l'inflation.
Quant à ce que vous qualifiez de « camouflet en Chine », je ne suis pas d'accord avec vous mais j'y reviendrai peut-être.
Il n'y a pas de défense sans stratégie, ni de stratégie sans vision de l'état du monde et du rôle de la France en son sein.
Le projet de LPM a pour principaux objectifs la consolidation de notre autonomie stratégique et la construction, en parallèle, d'une autonomie stratégique européenne. Je m'interroge sur leur compatibilité en 2023. Il est en effet illusoire de croire que l'Union européenne s'émancipera de l'OTAN à un horizon visible. Certains pays de l'Union européenne pensent que les États-Unis interviendraient sur un théâtre européen en cas de nécessité : c'est une erreur et, précisément, la raison pour laquelle le général de Gaulle avait fait le choix de retirer la France du commandement militaire intégré de l'OTAN.
À l'inverse, l'appartenance au commandement intégré nous oblige à nous aligner sur certains des objectifs de l'OTAN, qui sont, à nos yeux, contradictoires avec la volonté d'autonomie stratégique et avec la clarté même de notre stratégie. Nous en avons deux exemples récents : l'Ukraine, à propos de laquelle le président Macron a avancé l'idée de bon sens que, tôt ou tard, nous serons bien obligés de négocier avec des ennemis, et la Chine, sur laquelle il a eu des propos lucides. Dans les deux cas, il semble être conscient qu'une stratégie purement militaire, qui va de pair avec l'expansion permanente des théâtres d'opérations de l'OTAN, est à la fois dangereuse pour la paix et nuisible à notre indépendance.
Le problème, c'est que ces déclarations sont suivies de rétropédalages pour cause de gêne de la majorité. Quand, à des moments cruciaux, le président affirme la volonté d'une indépendance et d'un équilibre – cette « équidistance » que nous préférons appeler un « non-alignement » –, par une sorte de retour de balancier, il est obligé de se justifier, ce qui nuit à une stratégie claire. Qu'en est-il ?
Étant de confession gaulliste, il n'est pas question de balancier pour moi et j'espère vous convaincre de la stabilité de la position française.
Dans C'était de Gaulle, Alain Peyrefitte retrace la période de 1960 à 1966, qui reste d'une actualité éblouissante s'agissant de la relation que la plupart de nos partenaires européens – nos amis, nos alliés, nos voisins –, entretiennent avec Washington. Pour le ministre des armées que je suis, il est évident que le rapport aux États-Unis dimensionne bien des choses au sein de l'Union européenne et de l'OTAN. Et le fait d'être une puissance européenne dotée de l'arme nucléaire est tout à fait différenciant. Sur la route qui va de Paris en Europe centrale, dès l'Allemagne, les opinions publiques ne sont pas seulement inquiètes de la situation en Ukraine, elles ont peur. Et les Parlements relaient cette peur, qui oriente leurs choix en matière d'armement, pour monter en puissance, pour atteindre les deux points de produit intérieur brut (PIB) chers aux instances otaniennes, ou encore pour le parapluie nucléaire américain. En juillet dernier, la presse française a qualifié de « camouflet terrible pour la France » la décision de l'Allemagne d'acheter des F35 américains : les Allemands avaient-ils d'autre choix dès lors qu'ils se mettent sous le parapluie nucléaire des États-Unis et que la bombe américaine est emportée par les avions américains ? Nous n'usons évidemment pas de la même diplomatie puisque nous revenons à notre propre dissuasion. À nous d'expliquer aux Allemands, comme de Gaulle avait tenté d'en persuader Peyrefitte, qu'ils auraient plutôt intérêt à se mettre avec nous plutôt que de croire à l'intervention systématique américaine. D'ailleurs, nous aurons à bien redessiner les contours de nos partenariats en distinguant ce qui, pour nous, est clé et non négociable : pour le dire vite, le spatial, le char du futur et le système de combat aérien du futur (SCAF).
L'OTAN, au fil du temps, est devenue une alliance très politique et diplomatique mais elle reste ce qu'elle était au départ, avant tout une coalition militaire capable de travailler en interopérabilité, qu'il s'agisse de faire fonctionner ensemble les dons en équipements à l'Ukraine, de planifier des entraînements communs en fonction d'un risque identifié ensemble et d'en créer les conditions pratiques. La Méditerranée est un exemple de ce que l'OTAN fait de bien sur le plan militaire. Les commissaires aux affaires étrangères sont autant les bienvenus sur le porte-avions Charles de Gaulle et dans nos emprises militaires que les commissaires à la défense. Lorsque les marins du groupe aéronaval expliquent les enjeux de sécurité en Méditerranée, ce n'est pas l'OTAN politique que l'on découvre, c'est l'OTAN militaire, celui des soldats qui prennent des décisions d'état-major et planifient des opérations concrètes.
Je souhaite que nous conservions notre autonomie au sein de l'OTAN. Cela signifie qu'il faut accepter d'être parfois critiqués, de susciter de l'inquiétude et redoubler d'efforts sur le plan bilatéral pour expliquer ce que nous souhaitons faire. Être une puissance dotée, c'est aussi avoir des devoirs. J'ai passé beaucoup de temps à expliquer à mes homologues qu'il était normal que le président de la République dialogue avec Vladimir Poutine et que moi-même je discute avec le ministre de la défense de la Fédération de Russie, Sergueï Choïgou. En tant que puissance dotée, nous avons le devoir de parler avec tout le monde, cela fait partie de la dissuasion et des fondamentaux de notre histoire.
Enfin, dans l'OTAN, si on est faible, on suit. Les coupes budgétaires de ces dernières années ne nous ont certes pas aidés à être forts. Avec la LPM que nous vous proposons, nous voulons affirmer la capacité de la France d'agir seule sur beaucoup de fonctions stratégiques. Cela impliquera, comme peu de pays seront capables d'en faire autant sur le plateau européen, que la France soit écoutée sur certains segments.
Le vrai risque au sein de l'OTAN, c'est qu'on peut s'occuper très vite des affaires « à l'ancienne » mais qu'on parle peu du cyber, des enjeux spatiaux – plutôt abordés entre les trois Etats membres dotés (P3) – ou de l'hybridité de la guerre. Il est pourtant difficile de ne pas voir dans la guerre en Ukraine le chantage aux matières premières agricoles et à l'énergie. Sur ces menaces nouvelles, plus hybrides, la France doit être capable d'apports plus significatifs à l'Alliance atlantique, tant au niveau de l'exécutif et des chefs d'État qu'au niveau des parlementaires qui siègent dans les différentes instances. À mon avis d'ailleurs, les peuples devraient reprendre plus de place dans les grandes décisions.
Le groupe Les Républicains a déploré la brièveté singulière de l'étude d'impact. Ne le prenez pas mal mais seulement sept pages pour aborder les dispositions financières d'une LPM de 413 milliards d'euros, cela paraissait un peu bref. C'est un sentiment que pourraient partager nos compatriotes.
Les programmes de coopération industrielle européenne de défense SCAF, Système principal de combat terrestre (MGCS) et Eurodrone sont stratégiques pour l'avenir de nos armées et celles de nos partenaires. Par le passé, de tels projets ont connu des difficultés majeures de mise en œuvre, sur le plan aussi bien technique que politique, provoquant des retards de livraison importants, comme cela a été le cas pour l'Airbus A400M. L'étude d'impact ne fait pas mention de ces éventuels risques. Comment le ministère des armées se prépare-t-il, dans le cadre de la LPM, à d'éventuelles difficultés majeures ?
Malgré une augmentation des crédits, les cibles d'équipement entre la précédente LPM et le projet que vous nous présentez pour la période 2024-2030 ont de quoi surprendre : les véhicules blindés Griffon passent de 1872 à 1345, les frégates de défense et d'intervention de cinq à trois, et les Rafale Air de 185 à 137. Présentant, le 20 janvier dernier, ses vœux aux armées, le président de la République souhaitait « une armée prête au péril du siècle » et « disposant d'une guerre d'avance ». Ces cibles étonnamment revues à la baisse vous semblent-elles cohérentes avec les objectifs annoncés à Mont-de-Marsan par le chef de l'État ?
J'ai déjà commencé à répondre au dernier aspect de votre question et vous propose de compléter avec des documents écrits.
S'agissant de la cohérence, je soutiens le point de vue des armées : on sait bien qu'il ne suffit pas d'acheter des équipements pour en disposer, et c'est particulièrement vrai pour l'armée de terre. La progression se fera par tranches cohérentes ; il n'y a pas renoncement, mais des étalements. Par ailleurs, certains gains sont déjà actés, comme l'irréversibilité du programme Scorpion. L'armée de terre a commencé à intégrer les enjeux de demain dans cette LPM : la guerre électronique, avec le brouillage électromagnétique des champs de bataille ; le développement des régiments de transmission de demain ; les frappes dans la profondeur, domaine crucial dans lequel la guerre en Ukraine fournit un important retour d'expérience.
L'étalement n'abîme pas nos capacités d'agir ; ce qui compte, c'est d'avoir des équipements prêts à l'emploi. Pardon pour la comparaison, mais que peut-on faire avec énormément de machines Nespresso, sans électricité, ni eau, ni capsule ? Avec moins de machines à café, on peut avoir du stock de capsules et des personnes formées pour s'en occuper. Le chef d'état-major des armées et le chef d'état-major de l'armée de terre pourront vous faire la démonstration de cette clé de cohérence.
Avec davantage de milliards chaque année, les choses iraient-elles plus vite ? Pas pour tous les programmes. Certaines chaînes de production sont limitées par des engagements pris à l'exportation et certains programmes de très grande ampleur par les inerties qui leur sont propres. Vous n'obtiendrez pas un SNLE de troisième génération ou un satellite plus rapidement en augmentant sensiblement le budget.
Au sujet de l'étude d'impact, la première ministre a saisi le Conseil constitutionnel. Cette étude a été rédigée avec les équipes du ministère, notamment la direction des affaires juridiques et l'état-major des armées, et elle est – quoi qu'on en dise – plus dense et solide que les précédentes. Reste qu'elle ne se prononce, par définition, que sur les résultats que peut fournir une étude d'impact. Peut-être est-ce le moment de rappeler à la représentation nationale que nous devons assumer les risques politiques des choix que nous faisons ? Il y a forcément des paris à prendre et, sur les modèles d'armées, on s'est trompés de nombreuses fois. Au fond, les écrits du général de Gaulle ne sont-ils pas la plus belle étude d'impact sur celui de 1940 ?
Les choix politiques que je dois assumer devant vous sont fondés sur des décisions militaires. Il y a dix jours, à l'hôtel de Brienne, j'ai expliqué pendant près d'une heure et demie au président Marleix les raisons pour lesquelles nous étions certains de l'impact militaire de nos choix à cinq et dix ans. Ce n'est ni le Conseil d'État ni le Conseil constitutionnel, à la décision duquel je me plierai néanmoins, qui garantira cet impact. En tout cas, je serai toujours à votre disposition pour vous expliquer comment nous construisons et prenons nos décisions.
Un projet de LPM est toujours particulier. Il tire son sens du fin fond même des armées, du retour d'expérience de soldats qui ont participé récemment à des opérations, de ceux qui ont une expérience au sein de l'OTAN ou rentrent de l'opération Barkhane, ou encore d'aviateurs. Sur le terrain politique, je suis capable de rendre raison des choix qui ont été faits et d'en montrer l'impact. Je suis entièrement à la disposition du Parlement tant qu'il le faudra, et j'ai dit au président Marleix que je pouvais me rendre aux réunions de son groupe et participer à de nouvelles auditions en commission.
Je ne veux pas renvoyer sur les techniciens la responsabilité, qui incombe à la représentation nationale et au politique, de définir les grandes orientations pour nos armées. Au reste, je ne prétends pas que cette copie est parfaite ; une LPM comporte de si nombreux aspects et est susceptible de connaître tant d'aléas techniques, industriels ou sécuritaires qu'elle constitue un bel exercice d'humilité. Il est important que chaque sensibilité politique puisse s'exprimer sur ses attendus militaires. On peut aborder la question uniquement par le prisme industriel des carnets de commandes mais puisque l'état d'esprit de la commission est de partir des risques, il faut les appréhender de manière complète et opérante.
Le projet de LPM pour les années 2024 à 2030 prévoit 413 milliards d'euros en faveur de nos armées. Nous saluons cet important effort financier, alors que des temps incertains s'ouvrent. Le retour de la guerre en Europe nous oblige à moderniser notre défense en renforçant la dissuasion nucléaire, l'industrie nationale et européenne, ainsi que les investissements dans le cyber, le renseignement, l'espace et les fonds marins.
Notre groupe se félicite de ce projet de LPM, qui répond aux crises actuelles.
Notre politique de coopération en matière de défense s'appuie de manière importante sur nos partenaires tout en développant l'autonomie stratégique de l'Union européenne. Certains de nos alliés, comme la Pologne, ont passé des commandes massives de chars américains et coréens. Ce pays n'est pas une puissance nucléaire et il craint une invasion par l'Est. Il a donc choisi de développer une armée de masse, à la différence de la France qui a décidé de ne pas acquérir de nouveaux chars et de rénover son parc. Cette rénovation concernera 19 chars à la fin de 2023, 160 à la fin de 2030 et 200 à l'horizon 2035. Cette différence de stratégie est-elle le fruit d'une coordination avec nos alliés ? Sommes-nous, d'une certaine manière, complémentaires ?
Peut-on envisager une autonomie stratégique européenne quand nos alliés sont tournés vers l'Est de l'Europe, alors que la France entend avoir son mot à dire plus largement, notamment dans la zone indopacifique ? Le groupe Démocrate considère que la coopération européenne est fondamentale pour assurer la souveraineté du continent.
La question de la coopération européenne a été trop souvent caricaturée. On voit bien que des bonds en avant spectaculaires ont été faits depuis un an. La facilité européenne pour la paix (FEP) a permis à de nombreux États de donner des armes à l'Ukraine car ils avaient la garantie de pouvoir reconstituer leurs stocks grâce à ce filet de sécurité. Nous n'y serions pas arrivés par mer calme. La FEP existait déjà mais, désormais, elle fonctionne. Si la Pologne a donné autant d'armes à l'Ukraine, c'est grâce à cet instrument.
J'y suis très favorable mais la Commission européenne a eu une interprétation excessive. La Pologne donne des armes qu'elle a en stock, se les fait rembourser au prix du neuf et se rééquipe en achetant du matériel américain et coréen. Il y a tout de même un petit problème de suivi de la part des instances européennes. Le système est très bon mais on devrait prévoir un minimum de retour pour les industries européennes.
C'est la raison pour laquelle les critères évoluent assez vite en fonction des paquets d'aide. Les premiers ont donné lieu à des critiques – y compris envers nous – car le mécanisme permettait d'acquérir des nouveaux matériels en remplacement des anciens. Des discussions ont lieu à bon niveau et je tiens à remercier le commissaire Thierry Breton et Josep Borrell, qui ont œuvré pour que la FEP fonctionne de manière complètement européenne.
Il ne faut pas oublier que la France contribue beaucoup à la FEP : avec presque 1 milliard d'euros, nous sommes le deuxième contributeur. L'effort européen est concret et significatif.
L'Union européenne a plusieurs cordes à son arc. Elle peut, en premier lieu, s'appuyer sur la passation en commun de marchés. On a bien vu leur effet de levier pour l'acquisition de vaccins lors de la crise de la Covid. Le même effet peut être obtenu pour les stocks stratégiques, sans porter atteinte à notre souveraineté. La mutualisation de l'acquisition de poudre pourrait ainsi permettre à chacun de continuer à produire ses propres obus de 155 millimètres. Il faut reconnaître que la poudre est malheureusement devenue une denrée rare et l'Union européenne a évidemment un rôle à jouer en la matière.
J'en viens au SCAF, qui renvoie aux coopérations européennes, ce qui me permet aussi de répondre à la question de M. Herbillon. Ce dossier pouvant faire l'objet de débats politiques lors de l'examen du projet de LPM en séance publique, je m'y attarde pour décrire les principes suivis par l'exécutif. Cette grille de lecture peut être consensuelle.
Premièrement, nous ne partagerons jamais certains éléments du programme SCAF. Tout ce qui a trait à la dissuasion nucléaire restera intégralement français.
Deuxième principe : nous pouvons faire à plusieurs ce qu'il aurait été impossible de faire de manière isolée, parce que cela permet de réduire les coûts.
Le SCAF repose sur plusieurs piliers – le cloud, les drones et l'avion de combat – et se décompose en plusieurs phases. Nous sommes actuellement dans la phase 1B, qui consiste à réaliser un démonstrateur, pour un coût global d'un peu moins de 3 milliards d'euros. Selon certains experts, sa réalisation dans un cadre national aurait coûté un peu moins cher au total. Mais comme le programme comprend trois partenaires – on oublie trop souvent l'Espagne –, cette phase coûte environ 1 milliard à la France. On peut évaluer l'économie à au moins 1 milliard. La mutualisation est une bonne manière de gérer l'argent des contribuables et il faut se poser la question de l'élargissement du programme à d'autres partenaires, pourvu que cela présente un intérêt industriel et militaire.
Par-delà les aspects financiers, les programmes d'équipement en commun permettent de faire progresser l'interopérabilité. On a pu le voir lors de l'évacuation de Kaboul avec l'utilisation des A400M. Cette interopérabilité sera encore plus grande en ce qui concerne l'aviation de chasse et conduit à se poser les bonnes questions dès le début du programme.
Cela m'amène à nos lignes rouges. Comme je l'ai indiqué très clairement à notre partenaire allemand, la première d'entre elles concerne les exportations. Il ne sera pas possible de vendre des avions de combat de nouvelle génération à des pays qui ne sont membres ni de l'Union européenne, ni de l'OTAN – comme l'Indonésie, l'Inde ou les Émirats arabes unis – si cela doit également faire l'objet d'un accord préalable du Bundestag. C'est contraire à toute la politique que nous avons menée depuis les années 1960 pour financer de manière souveraine notre BITD. L'exécutif français décide des exportations d'armes françaises, sous le contrôle du Parlement. Cela ne se partage pas.
De toute façon, ce n'est pas négociable.
La deuxième ligne rouge est plus exigeante. Il s'agit de savoir ce que l'on attend de l'avion de combat, y compris au sein de nos armées, où les approches peuvent encore diverger. Après la phase de démonstration technologique, il va falloir faire des choix avant de se lancer dans le développement et la production : des discussions interviendront avec notre partenaire allemand. Ces choix concerneront notamment le poids de l'avion, qui conditionne ses performances. Nos amis allemands sont davantage attachés à la défense aérienne, alors que la France est plus attentive au rayon d'action nécessaire pour mener un raid nucléaire. La question de la dissuasion revient toujours et fait partie de la grille de lecture des choix militaires et industriels effectués sous l'autorité du président de la République. Nos partenaires allemands le savent car nous sommes clairs avec eux.
Il me revient, au cours des deux années qui viennent, de mener les discussions avec l'armée de l'air et de l'espace pour déterminer un cahier des charges du futur avion aussi consensuel que possible dans nos armées.
Si l'on est de bonne foi, il est trop tôt pour être contre le SCAF, car nous connaîtrons la vérité des prix dans deux ans. La question du SCAF a été un peu trop politisée à mon goût, en tout cas si l'on considère la phase dans laquelle nous sommes.
En revanche, les choses sont plus délicates en ce qui concerne le système principal de combat terrestre. Nous aurons besoin de remplacer le char Leclerc bien avant de devoir remplacer le Rafale.
L'Allemagne est chef de file pour le char, tandis que la France l'est pour le SCAF avec Dassault, qui joue le rôle de maître d'œuvre de ce programme.
La phase 1B a été signée.
Dassault est dans son rôle lorsqu'il s'agit de protéger sa propriété intellectuelle, dont je suis aussi le garant. Bien entendu, nous pourrions réaliser seuls un démonstrateur, ce qui nous ramène à ma démonstration sur les économies réalisées dans le cadre du partenariat. Le dialogue avec Dassault est d'une extraordinaire qualité et cela se passe bien.
L'Allemagne est chef de file du programme MGCS. Pour dire les choses de manière diplomatique, il existe quelques difficultés entre industriels allemands. Cela n'a pas d'effet sur le projet de LPM car, quoi qu'il arrive, je vous demanderai des crédits pour réfléchir au successeur du Leclerc.
Dans le contexte actuel marqué par des conflits, il est nécessaire de renforcer nos armées et nous sommes globalement favorables aux augmentations de crédits proposées par ce projet ambitieux de LPM.
Mais la sécurité internationale repose aussi sur l'action diplomatique. Il serait nécessaire de prévoir une loi de programmation pour celle-ci car le ministère chargé des affaires étrangères a subi des coupes extrêmement importantes depuis trente ans, lesquelles ne sont pas compensées par l'ouverture récente d'une centaine de postes.
Lors de votre audition par la commission de la défense, certains membres de mon groupe, dont la présidente Châtelain, vous ont fait part de nos interrogations sur la dissuasion nucléaire et sur la construction d'un porte-avions. Mais nous voyons bien l'importance qu'il y a à renforcer considérablement notre équipement militaire, notamment pour les combats au sol. On voit bien ce qui se passe en Ukraine – et je profite de cette occasion pour saluer le courage des combattants ukrainiens et rappeler l'importance que mon groupe attache à leur soutien. Que pensez-vous de nos capacités dans le domaine terrestre ? Que serions-nous capables de faire dans le cas, heureusement peu probable, où un conflit de ce type aurait lieu sur notre sol ?
On entend beaucoup parler des risques de conflit de haute intensité. Quelle est votre vision de ces menaces ?
Vous avez évoqué rapidement le renseignement, qui est pour nous central. Le projet de LPM va dans le bon sens. Pourriez-vous y revenir davantage ?
J'en termine avec la question de notre présence en Afrique, qui me tient à cœur. Notre échec au Sahel, dû en grande part à l'intervention en Libye, a entraîné de graves difficultés. Il y a eu un certain nombre de ratés sur le plan militaire. Nos valeurs ne seront pas portées principalement dans cette région du monde par nos armées. Cela pose la question de l'utilité des bases militaires installées à Abidjan et à Dakar. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Je suis également à la disposition de votre groupe pour approfondir nos échanges. J'ai déjà répondu aux questions de M. Bayou sur les évolutions de la doctrine nucléaire et sur le porte-avions. Ce dernier est un instrument qui permet d'associer différents États partenaires lors d'opérations. Sa réalisation permet aussi de garantir le maintien de savoir-faire, notamment en matière de propulsion nucléaire. C'est donc également un enjeu de souveraineté.
Le président de la République a conclu les états-généraux de la diplomatie en annonçant une inversion de tendance en ce qui concerne les crédits et les effectifs du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Je ne suis pas le mieux placé pour aborder les questions diplomatiques et je laisse le soin à ma collègue Catherine Colonna de vous en parler.
J'en viens aux conflits de haute intensité. On a tort de faire des comparaisons entre les modèles d'armées de pays très différents. Les situations ne sont pas les mêmes en fonction de leurs positions géographiques, de leurs alliances et selon qu'ils disposent de l'arme nucléaire ou de territoires outre-mer. Nous faisons face à des risques qui nous sont propres mais qui sont bel et bien réels, en matière cyber ou dans le spatial, et prennent des formes hybrides qui peuvent contourner la dissuasion nucléaire. Le terrorisme en fait malheureusement toujours partie. On peut aussi évoquer les différents effets du réchauffement climatique, y compris outre-mer.
La notion de haute intensité doit être interprétée en fonction de la situation particulière de la France. Nous avons été les premiers à nous mettre en marche en tant que nation-cadre pour aider la Roumanie. Nous devons pouvoir répondre à court et moyen termes à des demandes d'assistance d'un État partenaire déstabilisé par un puissant voisin et où se trouvent un grand nombre de nos ressortissants. Cela suppose de pouvoir intervenir d'abord seul, puis dans la durée dans le cadre d'une coalition.
Les enseignements du conflit ukrainien ne sont pas directement transposables, principalement parce que nous avons la dissuasion nucléaire. Mais nous pouvons être confrontés à un conflit de haute intensité dans le bas du spectre, avec par exemple des cyberattaques massives ou bien un déni d'accès maritime pour les exportations de matières premières agricoles ou les importations d'hydrocarbures, dont les conséquences sociales seraient particulièrement dures.
Les véritables études d'impact sont constituées par des cas pratiques en matière de sécurité, sur lesquels il faut faire des paris. Il ne s'agit pas de jouer à se faire peur. Je vois bien que la tentation est parfois forte pour certains de se dire que le conflit ukrainien est une bonne occasion de remplir les hangars de stocks d'armements. Mais pour quelle doctrine et quelles missions ? Il faut étudier avec lucidité ces cas pratiques car il s'agit malheureusement de risques bel et bien réels.
Le ministère des armées exerce la tutelle de trois services de renseignement.
Très peu connue, la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) lutte contre les ingérences étrangères au sein de l'appareil de défense, industries de défense comprises. Il peut s'agir d'espionnage, de sabotage ou de subversion. Cette direction a précédemment beaucoup travaillé sur les risques de terrorisme islamiste. Elle remet l'accent sur le contre-espionnage et des moyens importants vont lui être accordés.
La direction du renseignement militaire, que j'ai déjà évoquée, contribue à notre capacité souveraine à comprendre ce qui se passe sur un théâtre d'opérations. Sans renseignement, il n'y a pas de diplomatie possible. Les lacunes constatées lors de la guerre du Golfe – durant laquelle nous étions dépendants des Américains – et il y a encore dix ans – par exemple au Levant – sont derrière nous grâce aux décisions successives en faveur des investissements de la DRM. Il faut bien entendu continuer, particulièrement en matière de moyens spatiaux.
La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) continue à lutter contre le terrorisme, domaine dans lequel elle partage beaucoup d'informations avec ses partenaires, ce qu'elle fait naturellement moins en matière d'espionnage et de contre-espionnage. Elle protège nos intérêts économiques et se penche sur des sujets comme la prolifération nucléaire ou les menaces hybrides. À cet égard, on voit bien l'enjeu que constitue le groupe Wagner et nous allons accorder plus de moyens à la DGSE.
Le renseignement est au service de la présidence de la République et de l'interministériel, puisqu'il permet, par exemple, au ministère de l'économie de mieux suivre les sujets énergétiques et industriels.
En ce qui concerne nos bases en Afrique, nous disposons à Abidjan et à N'Djamena de deux bases mixtes, destinées aussi bien à la formation qu'au combat. Je mets à part le cas de notre implantation à Djibouti, davantage tournée vers l'Indopacifique et qui obéit à une logique et à des accords de défense différents. Les deux bases situées au Gabon et au Sénégal ont uniquement une vocation de formation. Nos offres en la matière sont de qualité mais elles commencent à être dépassées. Il faut les adapter et réduire la présence de nos forces permanentes, chargées du tronc commun de formation, en organisant davantage de rotations de militaires d'active et de réservistes à l'occasion de formations plus ciblées – par exemple en matière de drones et de cyber. Les armées locales ont progressé de manière spectaculaire et leurs demandes ont évolué. Si nous ne nous mettons pas à leur niveau, d'autres puissances feront des offres de formation et nous nous en mordrons les doigts.
Nous disposons d'unités de combat au Tchad et à Abidjan. La menace terroriste persiste dans le Nord de la Côte d'Ivoire et les forces françaises accompagnent parfois l'armée ivoirienne. Beaucoup de nos compatriotes pensent que de telles unités de combat sont également présentes au Gabon et au Sénégal, ce qui n'est absolument pas le cas.
Lorsque le président de la République a annoncé un réaménagement des bases françaises en Afrique, beaucoup se sont dit que nous en partions. C'est erroné car il s'agit tout simplement de moderniser notre offre de formation. Or un plan de formation sur les drones ne nécessite pas la même présence. Nous allons nous orienter davantage vers la programmation d'événements et de rotations. Les bases au Gabon et au Sénégal sont exclusivement consacrées à la formation des armées locales et ne servent pas à l'entraînement de nos propres forces.
Tel n'est pas le cas à Djibouti, où nos armées s'entraînent avec celles de ce pays. Au Niger, nos forces n'interviennent qu'à la demande de l'armée nigérienne. Nous tirons les leçons de ce qui s'est passé au Mali : il faut respecter la souveraineté du pays qui nous accueille, ne pas se substituer aux autorités locales et ne faire que ce qui nous est demandé.
Si vous le souhaitez, je pourrai revenir devant votre commission pour présenter l'état d'avancement des réflexions au sujet du réaménagement de notre dispositif militaire en Afrique.
Nous en sommes très désireux.
Je le dis avec toute l'admiration et le respect que j'ai pour nos armées mais nous avons quand même le sentiment que la situation est d'une assez grande précarité. Les tensions sociales locales peuvent conduire à des poussées antifrançaises – probablement davantage au Sénégal, en raison de l'incertitude politique, qu'en Côte d'Ivoire. Notre base de Dakar pourrait constituer une cible.
D'où l'importance d'expliquer de nouveau le rôle joué par les forces françaises. Il s'agit de forces prépositionnées qui ont pour mission de dispenser des formations et, dans certains pays, de participer à la lutte contre le terrorisme.
C'est le problème de la routine : ces bases sont installées depuis tellement longtemps – en vertu des accords de défense signés après les indépendances – que l'on a fini par perdre de vue quel est leur rôle et que nous ne l'avons pas suffisamment expliqué. Ces bases sont naturellement ouvertes aux commissaires s'ils souhaitent mieux comprendre leurs enjeux.
La France va passer un cap symbolique puisqu'elle dépensera 69 milliards pour les armées en 2030, soit plus que pour l'éducation primaire et secondaire. Certains seuils sont révélateurs.
Vous avez indiqué que 13 % des crédits seront consacrés à la dissuasion nucléaire. Ce sera peut-être davantage mais nous ne le saurons pas car presque toutes les informations sont classifiées. Cela représente environ 9 milliards par an d'ici à 2030, soit 24,6 millions par jour. Cette augmentation va à l'encontre des engagements que nous avons pris en signant le traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Pourquoi s'acharner à garder ces armes illégales et inutiles ? Nous devrions en réduire le nombre et travailler à une suppression de l'arme nucléaire dans un cadre multilatéral.
Elle a toujours été présentée comme un instrument qui préserve la paix. Or dans nombre d'interventions, dont la vôtre, on estime que c'est le fait de posséder l'arme nucléaire qui permet à Poutine de continuer à faire la guerre car il n'est pas possible de franchir certaines de ses lignes rouges. Cela démontre que l'arme nucléaire est inutile.
Le rapport annexé indique qu'une capacité d'action dans l'espace sera développée. J'ai été le co-rapporteur d'une mission d'information sur l'espace et nous avions montré à cette occasion qu'en cas d'attaque contre des satellites, tous ceux qui sont en orbite seraient détruits par les débris. Il vaudrait beaucoup mieux œuvrer contre l'arsenalisation de l'espace, conformément au droit international.
La revue nationale stratégique érige l'influence en fonction stratégique. À ce titre, la diplomatie française est intégrée dans la réflexion militaire et stratégique. Si l'articulation entre défense et diplomatie n'est pas nouvelle, penser la diplomatie comme un outil au service de la stratégie militaire est tout de même inquiétant. Cela peut conduire à une militarisation des esprits et des tâches des diplomates. C'est peut-être d'ailleurs pour cette raison qu'on a souhaité supprimer les corps diplomatiques. La feuille de route de l'influence de la diplomatie française présentée en décembre 2021 nous avait alertés sur ce tournant. Nous en voyons désormais les effets concrets. C'est aussi l'occasion de rappeler qu'avec 3,5 milliards d'euros, le budget du Quai d'Orsay est près de vingt fois inférieur à celui prévu pour les armées en 2030. Encore un symbole qui nous semble, lui aussi, très grave.
Lors de ses vœux aux armées, le président de la République a indiqué qu'il présenterait une stratégie ultramarine avant le projet de LPM. Il semble que cette occasion a été manquée puisque cette stratégie n'a pas été dévoilée. Quel sera son objectif ?
Le projet de LPM aborde-t-il les questions liées à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires, qui est encore attendue. Le dossier avance en Polynésie mais il faut aussi prendre en compte les victimes algériennes. Comment devront-elles présenter leur dossier d'indemnisation ? Un véritable travail reste à faire avec votre homologue algérien et la diplomatie peut faire avancer les choses.
Enfin, j'ai l'impression que nous envoyons nos missiles obsolètes en Ukraine. Ce n'est pas la première fois qu'un ministre des armées nous indique qu'une intervention ne coûte rien car les armes utilisées auraient dû, de toute manière, être détruites et remplacées.
Il faut s'accorder sur ce que l'on entend par armes obsolètes. L'honneur de la France est de ne donner que des matériels qui fonctionnent et ne présentent pas de risques pour les servants ukrainiens. Ce n'est pas le cas de tous les pays. Les missiles Crotale sont un bon exemple, puisque pratiquement tous les tirs ont permis de réaliser une interception.
Parce qu'ils sont destinés à être remplacés par une nouvelle génération, avec le missile Mica VL. Notre modèle de souveraineté industrielle repose sur l'anticipation du remplacement des matériels. Le Crotale devait en tout état de cause être retiré du service en 2026 ou 2027. Ce missile est encore en service dans nos forces et il servira d'ailleurs pour protéger les Jeux olympiques. La notion d'obsolescence doit donc être relativisée.
Comme nous n'achetons pas nos matériels sur étagère à Washington, Pékin ou Moscou, nous organisons la succession des générations. Cela nous permet aussi de mener des actions diplomatiques. Le cas de l'Ukraine est à part mais les matériels anciens de l'armée de terre ont aussi permis de faire progresser des armées africaines partenaires et amies en leur donnant des armements de qualité, et je parle bien de capacités de défense et non d'attaque.
Pour revenir aux comparaisons entre modèles d'armées, certains ont comparé de manière incroyable nos stocks d'armes avec ceux de la Russie, comme si nos intentions étaient les mêmes…
Je n'espère pas vous convaincre au sujet de la dissuasion nucléaire. Il faut reconnaître que le Parti communiste français (PCF) a toujours eu une position cohérente sur ce point depuis les années 1960 et les premières LPM.
Pour ma part, je n'opposerai pas les budgets entre eux. Si nous n'avions pas la dissuasion, nos forces conventionnelles seraient beaucoup plus massives. Il suffit pour s'en convaincre de considérer le volume de nos armées avant la mise en place de la dissuasion. Cette dernière a également permis de suspendre le service national plus rapidement que dans d'autres pays. La dissuasion a aussi pour effet de réduire certaines dépenses.
J'ai vu dans quelques tweets des comparaisons surréalistes entre l'effort de défense et la protection sociale. Nous parlons d'arriver à 2 % du PIB pour le premier tandis que la seconde en représente 30 %. Ceux qui portent l'uniforme risquent leur vie. La nation a donc le devoir de les équiper convenablement. D'autres pays se posent moins de questions et les pertes ne sont pas les mêmes. Je ne veux pas brandir systématiquement cet argument mais les militaires vivent mal certaines comparaisons – que vous n'avez pas effectuées, Monsieur Lecoq, et qui sont le fait d'autres composantes de la NUPES. Je ne vois pas très bien comment on pourrait maintenir un modèle social vertueux si nous subissions une dégradation majeure de la sécurité du pays. On peut débattre du contenu de ce projet de loi et de sa soutenabilité financière mais il ne faut pas opposer les budgets entre eux.
Le désarmement doit être multilatéral et la position de la France en la matière est connue. Comme je l'ai dit dans mon propos introductif, le moment ne semble pas encore venu de désarmer. Il suffit pour cela de regarder le comportement d'États proliférants comme la Corée du Nord et l'Iran, qui vont poser des défis de sécurité absolument majeurs aux pays occidentaux. La France doit continuer à dissuader les autres compétiteurs en les assurant de sa capacité à défendre ses intérêts vitaux.
J'ai beaucoup milité en faveur de l'indemnisation des essais nucléaires lorsque j'étais ministre des outre-mer. Ces essais ont eu des effets géologiques. Ils n'ont eu d'effets sanitaires que lorsqu'ils ont été réalisés dans l'atmosphère jusqu'en 1974, en Algérie puis à Mururoa et à Fangataufa. Nous devons indemniser. Les moyens du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) sont préservés. Comme vous le savez, l'enjeu n'est pas seulement l'indemnisation individuelle mais aussi celui de la transparence et de l'accès aux archives. Avec Florence Parly, nous avons ouvert beaucoup d'archives, notamment à des historiens, pour permettre aux associations d'accomplir un devoir de vérité. Je continuerai à le faire et je souhaite aussi que l'atoll de Mururoa soit le plus ouvert possible aux habitants de la Polynésie. Il n'y a pas de question taboue et ce sujet mérite la plus grande transparence.
Les essais ont été atmosphériques en Algérie puis à Mururoa et Fangataufa jusqu'en 1974. Ils ont ensuite été souterrains jusqu'à leur suspension par le président Mitterrand. Leur reprise en 1995 n'a pas eu d'effets sur la santé humaine. Le CIVEN étudie les dossiers d'indemnisation des personnes qui ont été exposées à des essais atmosphériques. Il examine aussi les demandes d'indemnisation au titre des essais menés en Algérie, à Reggane et In Ecker. Des comités ad hoc étudient les demandes de dépollution formulées par l'État algérien.
S'agissant de la feuille de route pour l'outre-mer, c'est le président de la République qui la présentera.
Notre discussion sur le projet de LPM est télescopée par les menaces officielles des Comores contre Mayotte, qui confirment votre diagnostic sur la nécessité de protéger les territoires ultramarins vulnérables.
Cette semaine, le président Azali Assoumanizali a une nouvelle fois remis en question la souveraineté de la France à Mayotte. Les Comores osent carrément s'ingérer dans nos affaires intérieures en appelant à l'annulation de l'opération Wuambushu, qui doit permettre dans les prochains jours de détruire des bidonvilles. On constate un déferlement de haine antifrançaise et une escalade comorienne alarmante avec, sur les réseaux sociaux, des appels à envahir Mayotte avec des bateaux remplis de migrants et à massacrer les Français.
L'OTAN et l'Union européenne définissent l'instrumentalisation des flux migratoires comme une menace hybride. Mayotte la subit depuis des années, avec la déstabilisation organisée par les Comores par l'envoi massif de ses ressortissants sur notre territoire.
En tant que ministre des armées, comment réagissez-vous à ce risque majeur et immédiat pour la sécurité de Mayotte et pour notre souveraineté ? En quoi le projet de LPM va-t-il permettre d'améliorer la défense du département de Mayotte et faire reculer les menaces qui risquent de le faire définitivement basculer ?
Mayotte est la seule terre française habitée qui est activement revendiquée par un État voisin. Elle est aussi la seule terre française dans le canal du Mozambique, qui regorge d'immenses richesses gazières, minières et halieutiques, critiques pour la sécurité énergétique et la souveraineté économique européennes.
Tout d'abord, j'appelle au calme face aux escalades verbales. Les alimenter n'apporte pas de solution et ce que veulent nos concitoyens de Mayotte, ce sont des résultats. Malheureusement, ces difficultés se cumulent avec la pression sécuritaire et le risque terroriste présents de l'autre côté, au Mozambique, ainsi qu'avec des enjeux maritimes de sécurité, de pêche illégale et de libertés d'accès.
Jusqu'à présent, trop de moyens militaires dépendaient de l'Hexagone. Je vais vous proposer, dans la LPM, d'affecter des moyens, soit mutualisés entre les forces armées dans la zone Sud de l'océan indien (FAZSOI) à La Réunion et à Mayotte, soit installés à demeure à Mayotte, ce qui serait une première. Je souhaite aussi que l'on accomplisse un saut technologique ; nous devons progresser en matière de drones et d'avions de patrouille maritime pour la surveillance aérienne. Nous en reparlerons plus précisément au cours d'une prochaine réunion. Certains moyens nouveaux demanderont un peu de temps pour être déployés car il faudra les mettre en production – j'espère qu'ils seront votés et budgétés. D'autres équipements arriveront plus rapidement, soit à Mayotte, soit sur la plateforme FAZSOI.
Le 23 janvier dernier, le Burkina Faso demandait le retrait des forces françaises, après que nos troupes aient déjà quitté le Mali et la Centrafrique ; dans le même temps, l'Inde installait une base militaire à Maurice. Je regrette profondément notre départ de M'Poko alors que, si je ne me trompe, il n'avait pas été demandé par le président Touadéra. Il est difficile de ne pas voir dans les discours hostiles à la France une manière pour des militaires arrivés au pouvoir par la force de s'y maintenir en désignant un responsable aux difficultés de leur pays.
Fin février, le président de la République a annoncé les nouvelles orientations du partenariat Afrique-France. Le volet militaire de celui-ci repose sur une nouvelle logique : des bases militaires cogérées par la France et les États africains concernés, ce qui se traduira par une diminution des effectifs. Le projet de LPM prévoit de porter l'effort national de défense à hauteur de 2 % du PIB en 2025 mais la dotation couvrant les missions extérieures est revue à la baisse. De quelle manière le nouveau partenariat militaire entre la France et le continent africain est-il pris en compte ? Comment seront allouées les ressources supplémentaires prévues ? Comment garantir la sécurité de nos armées sur les bases cogérées avec les armées africaines en cas de soulèvement contre nous ?
Les États dont vous parlez sont souverains, quand bien même les tenants du pouvoir n'y sont pas arrivés par des procédures tout à fait démocratiques. Pour être clair, nous n'y sommes pas chez nous. Au Burkina Faso, nous avons dû nous plier à la demande des autorités. En Centrafrique, il ne restait que des militaires en soutien de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA). Nous n'y disposions plus de capacités de combat, ni de protection. C'est ce qui a motivé notre décision de partir car nous devons garantir l'intégrité des forces présentes dans chaque pays.
S'agissant des OPEX, je veux vous rassurer : il ne s'agit que de provisions. L'activité ne sera pas contrainte par le budget ; c'est elle qui déterminera l'abondement budgétaire. C'est également le cas pour les opérations intérieures, comme Sentinelle. En outre, toutes les missions extérieures ne sont pas financées de la même façon. Une mission de formation au Gabon ou au Sénégal, par exemple, où il n'y a pas de combats, ne relève pas des crédits des OPEX.
Je suis prêt à revenir devant vous pour évoquer des points spécifiques à chaque pays africain. Nos plans d'entraînement prévoient des exercices d'évacuation de nos ressortissants (Resevac) dans les pays faisant l'objet d'une déstabilisation. Nous sommes aidés en cela par la technologie. À titre d'exemple, les capacités d'élongation de l'A400M nous permettent d'envisager les évacuations depuis l'Hexagone, là où il fallait parfois prépositionner des forces pour rayonner dans une zone. C'est pourquoi le projet de LPM vous propose de passer de 22 à au moins 35 avions de ce type.
Les bouleversements géopolitiques à l'œuvre depuis un an et la réorientation de nos capacités militaires vers l'Europe de l'Est obligent évidemment notre armée de terre à sortir du modèle des opérations extérieures dans lequel elle évolue depuis les années 1960. Comment, dans un tel contexte, envisagez-vous de remplacer les opérations en Afrique, et surtout au Mali, qui constituaient la plupart des missions de nos soldats ? Il s'agit d'une question de tout premier ordre car les seules missions encore disponibles ne peuvent plus concerner que du maintien de la paix, nos armées et notre pays n'ayant évidemment pas vocation à s'engager directement dans le conflit à l'Est de l'Europe. Dans le cadre de cette augmentation des crédits militaires, comment comptez-vous articuler l'accroissement des moyens de nos armées avec la réduction des missions proposées à nos soldats, et donc de leur capacité à développer et entretenir leurs compétences ?
Cette question a donné lieu à de nombreuses discussions en interne avec les armées. Il est clair que la longévité de l'opération Barkhane, qui faisait suite à Serval, a créé un rythme d'activité soutenu pour les forces armées, singulièrement pour l'armée de terre, et – bien légitimement – nos soldats, engagés dans des armées d'emploi, sont inquiets de ce que sera leur activité dans les temps qui viennent. Une part de cette inquiétude porte évidemment sur l'entraînement car les soldats redoutent de rester dans les régiments sans plus rien faire. Le projet de loi de programmation militaire comporte donc des propositions en termes d'entraînement car il n'est pas question d'entreprendre des OPEX dans le seul but d'entraîner nos hommes – pardon pour cette formulation provocante, mais elle répond à certaines propositions que j'ai entendues. Nous devons donc être capables de proposer de l'entraînement.
En deuxième lieu, le monde n'est pas calme et, au moment où le président de la République a pris la décision de mettre fin à l'opération Barkhane, l'opération Aigle a démarré en Roumanie et, même s'il ne s'agit pas d'une OPEX comme les autres, puisqu'elle ne comporte pas d'ouverture de feu et engage une autre posture, c'est tout de même une forme d'OPEX. Nos armées ont donc des missions et je ne suis, hélas, pas très inquiet pour leur activité dans les années qui viennent, y compris pour l'armée de terre car, au vu des menaces que nous avons pu passer en revue, il y aura toujours du travail pour nos soldats, qui sont du reste également engagés dans des missions de maintien de la paix, parfois oubliées. Je tiens à citer à cet égard la Force intérimaire des Nations Unies au Liban, la FINUL, gourmande en forces et pour laquelle les régiments se succèdent par rotation tous les trois ou quatre mois pour accomplir sous bannière des Nations Unies une mission qui n'est pas tout à fait neutre, comme on l'a vu dans l'actualité libanaise la plus récente. On voit bien que la France a des engagements.
J'espère que vous m'aiderez tous à redire que ce ne sont pas les OPEX qui font le format d'armée : c'est à partir de ce format que nous nous tenons prêts à assumer des missions qui sont bonnes pour l'intérêt général du pays, en trouvant des moyens de gestion de l'activité de nos forces armées pour leur éviter de perdre en compétences et en mobilisation.
Nous avions rencontré l'année dernière au Liban, avec Mme Lakrafi, un colonel de la FINUL. Ce modèle d'opération n'est pas très courant pour les armées françaises mais elles sont toujours présentes. Cette présence française efficace, qui n'attire pas sur elle les critiques que peut parfois libérer un excès de confiance en soi, combinant présence et discrétion, doit nous faire réfléchir.
La situation politique est très compliquée sur le plan intérieur et sur le plan international. Les crédits inscrits dans le projet de loi de programmation militaire vous vaudront une double critique car, si une grande partie des membres de la commission considèrent à sa juste valeur l'effort financier consenti, certains diront que ce n'est pas assez et d'autres – sans doute plus nombreux – que c'est beaucoup trop, tandis que d'autres encore diront qu'il faut produire une étude d'impact plus étoffée. Cet effort est considérable et ce que vous avez déjà accompli est un gage de ce que vous ferez. C'est pour nous une très grande satisfaction.
Les choix que vous avez défendus sont cohérents. Toutefois, une grande partie d'entre nous, parmi lesquels je me compte, restent interrogatifs, non pas sur votre projet de loi, mais sur les conditions dans lesquelles la France est amenée à intervenir. Le problème des OPEX nous semble ainsi posé très profondément, pour des raisons géopolitiques extérieures à notre volonté. Depuis l'Afghanistan et les événements d'Afrique de l'Ouest, un peu partout, la France est assez souvent considérée comme indésirable et, quels que soient nos efforts, nous aurons des difficultés à adapter notre position aux situations auxquelles nous sommes confrontés. Il faut être conscients que ni vous ni nous n'avons la pierre philosophale et que le problème se pose des modalités de notre présence outre-mer.
D'une façon générale, votre projet de loi, conformément à la revue nationale stratégique qui a été publiée en novembre 2022, fournit bien des instruments de souveraineté. Tout a été analysé et présenté et nous voyons bien que, tout seuls, nous atteignons des limites et que nous avons un énorme besoin de coopération : en Europe d'abord, avec nos partenaires européens et, selon un modus vivendi légèrement différent, avec une Amérique qui, de toute manière, se détachera de l'Europe, même si elle est très solidaire dans la crise ukrainienne, et se centrera d'abord sur le Pacifique. Or je ne sens pas que, ni dans le projet de loi, ni dans notre état d'esprit et dans celui de nos partenaires, les conditions sont réunies pour faire véritablement ce saut en avant en matière de coopération, qui déterminerait une politique européenne beaucoup plus solidaire dans le domaine de la défense, même si je reconnais tout à fait avec vous que ce qui a été fait à l'occasion de la guerre en Ukraine est tout à fait remarquable. La crise n'est cependant pas finie et la situation peut aussi se dégrader.
Quant au Pacifique, je maintiens que nous avons une hésitation profonde. Nous avons des responsabilités, que vous avez rappelées, et des moyens, que vous avez défendus et programmés dans le projet de loi, mais nous avons l'impression que nous sommes en attente de formes de coopérations qui ne sont pas du tout définies sur le plan politique. Le rapport avec les États-Unis face à la politique chinoise n'est pas du tout assuré de façon satisfaisante et les déclarations du président de la République, assez traditionnelles pour la position française, ont suscité en Europe et ailleurs des réactions assez vives. Nous avons impression que, si le compte y est peut-être pour votre loi de programmation, nous devons inventer une nouvelle grammaire politique, ce qui demandera un travail de longue haleine relevant autant de la politique étrangère que de la politique de défense.
Monsieur le ministre, merci pour votre présentation et vos propositions de discussion et de coopération avec notre commission et les différents groupes. Nous vous sommes reconnaissants pour cette relation de très grande qualité que vous entretenez avec notre Assemblée.
La séance est levée à 18 h 05
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Pierre-Henri Dumont, M. Thibaut François, Mme Maud Gatel, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. Alexis Jolly, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Paul Lecoq, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Aurélien Taché, M. Éric Woerth, Mme Caroline Yadan, Mme Estelle Youssouffa, M. Frédéric Zgainski
Excusés. - Mme Véronique Besse, M. Louis Boyard, M. Moetai Brotherson, M. Jérôme Buisson, M. Sébastien Chenu, M. Olivier Faure, M. Michel Guiniot, M. Joris Hébrard, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Stéphanie Kochert, M. Tematai Le Gayic, M. Vincent Ledoux, M. Laurent Marcangeli, M. Nicolas Metzdorf, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Barbara Pompili, Mme Liliana Tanguy, Mme Laurence Vichnievsky, M. Christopher Weissberg