Étant de confession gaulliste, il n'est pas question de balancier pour moi et j'espère vous convaincre de la stabilité de la position française.
Dans C'était de Gaulle, Alain Peyrefitte retrace la période de 1960 à 1966, qui reste d'une actualité éblouissante s'agissant de la relation que la plupart de nos partenaires européens – nos amis, nos alliés, nos voisins –, entretiennent avec Washington. Pour le ministre des armées que je suis, il est évident que le rapport aux États-Unis dimensionne bien des choses au sein de l'Union européenne et de l'OTAN. Et le fait d'être une puissance européenne dotée de l'arme nucléaire est tout à fait différenciant. Sur la route qui va de Paris en Europe centrale, dès l'Allemagne, les opinions publiques ne sont pas seulement inquiètes de la situation en Ukraine, elles ont peur. Et les Parlements relaient cette peur, qui oriente leurs choix en matière d'armement, pour monter en puissance, pour atteindre les deux points de produit intérieur brut (PIB) chers aux instances otaniennes, ou encore pour le parapluie nucléaire américain. En juillet dernier, la presse française a qualifié de « camouflet terrible pour la France » la décision de l'Allemagne d'acheter des F35 américains : les Allemands avaient-ils d'autre choix dès lors qu'ils se mettent sous le parapluie nucléaire des États-Unis et que la bombe américaine est emportée par les avions américains ? Nous n'usons évidemment pas de la même diplomatie puisque nous revenons à notre propre dissuasion. À nous d'expliquer aux Allemands, comme de Gaulle avait tenté d'en persuader Peyrefitte, qu'ils auraient plutôt intérêt à se mettre avec nous plutôt que de croire à l'intervention systématique américaine. D'ailleurs, nous aurons à bien redessiner les contours de nos partenariats en distinguant ce qui, pour nous, est clé et non négociable : pour le dire vite, le spatial, le char du futur et le système de combat aérien du futur (SCAF).
L'OTAN, au fil du temps, est devenue une alliance très politique et diplomatique mais elle reste ce qu'elle était au départ, avant tout une coalition militaire capable de travailler en interopérabilité, qu'il s'agisse de faire fonctionner ensemble les dons en équipements à l'Ukraine, de planifier des entraînements communs en fonction d'un risque identifié ensemble et d'en créer les conditions pratiques. La Méditerranée est un exemple de ce que l'OTAN fait de bien sur le plan militaire. Les commissaires aux affaires étrangères sont autant les bienvenus sur le porte-avions Charles de Gaulle et dans nos emprises militaires que les commissaires à la défense. Lorsque les marins du groupe aéronaval expliquent les enjeux de sécurité en Méditerranée, ce n'est pas l'OTAN politique que l'on découvre, c'est l'OTAN militaire, celui des soldats qui prennent des décisions d'état-major et planifient des opérations concrètes.
Je souhaite que nous conservions notre autonomie au sein de l'OTAN. Cela signifie qu'il faut accepter d'être parfois critiqués, de susciter de l'inquiétude et redoubler d'efforts sur le plan bilatéral pour expliquer ce que nous souhaitons faire. Être une puissance dotée, c'est aussi avoir des devoirs. J'ai passé beaucoup de temps à expliquer à mes homologues qu'il était normal que le président de la République dialogue avec Vladimir Poutine et que moi-même je discute avec le ministre de la défense de la Fédération de Russie, Sergueï Choïgou. En tant que puissance dotée, nous avons le devoir de parler avec tout le monde, cela fait partie de la dissuasion et des fondamentaux de notre histoire.
Enfin, dans l'OTAN, si on est faible, on suit. Les coupes budgétaires de ces dernières années ne nous ont certes pas aidés à être forts. Avec la LPM que nous vous proposons, nous voulons affirmer la capacité de la France d'agir seule sur beaucoup de fonctions stratégiques. Cela impliquera, comme peu de pays seront capables d'en faire autant sur le plateau européen, que la France soit écoutée sur certains segments.
Le vrai risque au sein de l'OTAN, c'est qu'on peut s'occuper très vite des affaires « à l'ancienne » mais qu'on parle peu du cyber, des enjeux spatiaux – plutôt abordés entre les trois Etats membres dotés (P3) – ou de l'hybridité de la guerre. Il est pourtant difficile de ne pas voir dans la guerre en Ukraine le chantage aux matières premières agricoles et à l'énergie. Sur ces menaces nouvelles, plus hybrides, la France doit être capable d'apports plus significatifs à l'Alliance atlantique, tant au niveau de l'exécutif et des chefs d'État qu'au niveau des parlementaires qui siègent dans les différentes instances. À mon avis d'ailleurs, les peuples devraient reprendre plus de place dans les grandes décisions.