Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du jeudi 13 avril 2023 à 15h35
Commission des affaires étrangères

Sébastien Lecornu, ministre :

Cela a demandé de nombreuses lois de programmation militaire mais le financement des OPEX est désormais robuste, grâce au système dit de provision : la provision est inscrite dans la LPM et est mobilisée selon l'activité des forces, OPEX comme missions intérieures – Sentinelle en est un exemple dans la perspective des Jeux olympiques. L'idée est que les armées françaises ne sauraient être contraintes par la provision des OPEX : c'est à l'intendance budgétaire de suivre l'activité des forces et celle-ci n'a pas à être « carénée » par le budget, comme dans d'autres pays. Je proposerai au Parlement de renouveler le système des provisions. Il résulte d'un consensus politico-budgétaire acquis au fil des ans et correspond à ce que veulent les militaires en termes de visibilité et de prévisibilité.

La question de l'Ukraine est à mettre en regard du « catéchisme » républicain en matière de LPM. De mon point de vue, la vocation d'une LPM, c'est de déterminer le format des armées. Peu de pays ont une LPM ; nous en avons une parce que nous avons la dissuasion. À l'époque, les gaullistes voulaient préserver les grands programmes des aléas trop forts. D'ailleurs, Pierre Messmer ne souhaitait pas que la LPM concerne l'activité des forces, il considérait qu'elle devait être réservée aux très gros programmes et à la dissuasion. Au fil des choix technocratiques des Parlements et gouvernements successifs, elle a fini par englober les programmes hors dissuasion, le maintien en condition opérationnelle et même les OPEX, s'éloignant ainsi de la pureté originelle du concept de loi de programmation militaire.

Je ne souhaitais pas, et le président de la République et la première ministre l'ont accepté, que la question de l'Ukraine soit traitée dans les ressources budgétaires de la LPM, pour des raisons démocratiques. Au début, l'urgence faisant la doctrine, nous avons prélevé des moyens sur nos forces, puis nous avons été amenés, et le serons de plus en plus, à brancher directement l'armée Ukrainienne sur notre BITD en ouvrant des crédits, pour protéger nos propres stocks. Les choses durent, et je comprends très bien que vous vous inquiétiez, tout comme nos militaires, de protéger les armées françaises. Je serais un bien mauvais ministre si je ne commençais pas à imaginer des mécanismes qui vieilliront bien, en fonction de la situation sur le terrain.

C'est ainsi que sont sortis de la LPM, non seulement les fonds de soutien auxquels l'Ukraine émarge directement, mais plus globalement toute l'aide à l'Ukraine. Par exemple, nous avons donné des missiles et des systèmes de défense antiaérienne Crotale, un dispositif de très bonne qualité mais vieillissant, dont nous nous apprêtions à arrêter l'emploi dans les armées dans les années à venir. Nous avons accéléré à la fois le retrait de ce type de missiles et l'achat de missiles Mica VL. Puisqu'il faut un « juge de paix budgétaire », le recomplètement par le Mica VL se fera en dehors des ressources budgétaires de la LPM et sera traité en annualité budgétaire, comme la plupart des budgets, y compris celui des anciens combattants.

En tant que parlementaire, Madame Le Pen, vous resterez ainsi souveraine, chaque année. Si, par le passé, les LPM ont été sous-exécutées, c'est parce qu'elles restent des lois de cadrage politique. D'où mon étonnement s'agissant des réactions suscitées par l'étude d'impact ; elle doit être appréciée en fonction de choix politiques et militaires que ni le Conseil d'État, ni le Conseil constitutionnel n'ont à approuver. Ce sera bien la loi de finances annuelle qui ouvrira les autorisations d'engagement et les crédits de paiement, en tout cas j'y veillerai jusqu'en 2027. Et si vous souhaitez, lors de l'examen de la loi de finances initiale ou du collectif budgétaire, faire l'inverse de ce que vous aurez décidé pour la LPM, vous le pourrez toujours.

À terme, les sommes mobilisées pour l'Ukraine peuvent être importantes : je vous ferai un état précis et consolidé des comptes définitifs pour 2022 et des perspectives pour 2023 au mois de mai, lors du débat du projet de loi ; j'en ferai un autre devant les commissions de la défense et des affaires étrangères au mois de juillet, sur les exportations d'armements. En tout état de cause, je considère qu'il est sain d'avoir sorti ce sujet des ressources budgétaires de la LPM.

S'agissant des capacités, au moment où je vous parle, il n'y a pas de renoncements : s'il devait y en avoir, ils seraient annoncés et ne sauraient intervenir brutalement avec des dépenses de 413 milliards. En revanche, avec les chefs d'état-major, nous avons fait le choix de quelques étalements, de façon à garder la cohérence chère au chef d'état-major des armées (CEMA) Thierry Burkhard.

Par exemple, pour l'armée de terre, il faut faire coller les parcs de matériel aux menaces et aux missions, et pas simplement vouloir faire de la masse, comme on le voit trop souvent. L'objectif du CEMA, c'est d'arriver, en 2027, à un carénage d'une division et deux brigades, de 10 000 à 12 000 hommes, avec un système d'armée complet, cohérent et « scorpionisé ». Les régiments qui en seront équipés seront ciblés, les militaires formés et les infrastructures adaptées. Cela demande du temps compte tenu des contraintes de production et des difficultés technologiques de mise en réseau, Scorpion étant un outil de combat collaboratif qui permet au Jaguar ou à d'autres éléments terrestres de prendre la main, lorsque le Griffon détecte quelque chose.

Nous avons donc choisi de procéder par paquets cohérents, comprenant la formation, les infrastructures, les munitions, les équipements, de façon à avoir des régiments entiers complètement prêts, plutôt que de ne rien retarder et d'arriver au résultat que nous connaissons avec nos hélicoptères dont, faute de crédits pour le maintien en condition opérationnelle ou de capacité, parfois aucun ne décolle. Certes, la cible se dilate de 2030 vers 2032, et nous assumons ce chevauchement sur le début de la prochaine LPM car, en contrepartie, lorsqu'un régiment sera « scorpionisé », il sera en complète capacité de marche.

Quant à l'inflation, elle existe, c'est un fait. Nul ne sait comment elle évoluera au fil de la programmation mais nous estimons son coût global à 30 milliards d'euros. Vous dites qu'il n'y a pas de clause de sauvegarde ; je vous trouve bien sévère. J'en ai obtenu et non des moindres. D'une part, les clauses sur le carburant opérationnel, conquises de haute lutte par les députés lors des LPM précédentes, sont conservées : en cas de variations importantes sur le prix du Brent, les armées obtiennent des crédits nouveaux, de façon à éviter les restrictions sur le terrain. Cela permet d'absorber une bonne part de l'inflation. D'autre part, le ministère peut aussi jouer sur les reports de charges. Ces techniques de trésorerie permettent de décaisser les crédits de paiement lorsque l'inflation diminue. Les précédentes LPM ont permis d'y recourir dans les faits mais j'ai souhaité, pour des raisons démocratiques et de transparence, les inscrire dans la programmation militaire, pour que les parlementaires puissent le constater chaque année, lors de la discussion du projet de loi de finances.

Enfin, s'il est un ministère où l'inflation est totalement gérée, c'est bien celui des armées : tout retard sur ce que l'on appelle le « physique » – la livraison d'un système d'armes ou la réalisation de travaux dans un régiment dans une base aérienne –, me conduit à demander des crédits supplémentaires à Bercy, puis en collectif budgétaire. Je le ferai encore cette année, en proposant d'ouvrir 1,5 milliard d'euros de crédits supplémentaires, afin de traiter quelques urgences liées à l'Ukraine, la lutte anti-drones ou les Jeux olympiques, ainsi que la question de l'inflation. Mes collègues chargés de la justice, de l'éducation nationale ou de l'intérieur ne bénéficient pas de tels dispositifs. C'est ainsi que je peux vous dire, qu'en 2022-2023, c'est-à-dire depuis que je suis ministre des armées, aucun programme n'a pris de retard à cause de l'inflation.

Quant à ce que vous qualifiez de « camouflet en Chine », je ne suis pas d'accord avec vous mais j'y reviendrai peut-être.

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