Je n'ai peut-être pas assez évoqué dans mon propos liminaire la présence militaire en Afrique, les questions d'influence et les réseaux y afférents. Il faut reconnaître clairement que notre présence en Afrique n'est plus complètement adaptée, et cela pour de nombreuses raisons. La première est que, parmi les diminutions budgétaires de ces vingt dernières années, on a fermé de nombreuses capacités de formation ouvertes aux armées africaines. Vous qui connaissez bien les armées savez que les écoles de Salon-de-Provence et de Saint-Cyr Coëtquidan, ainsi que l'École navale – pour ne parler que des écoles d'officiers, mais celles des sous-officiers étaient aussi concernées –, avaient jadis d'importantes capacités d'accueil et il était tout à fait normal d'y trouver des élèves issus d'armées africaines partenaires et amies, venant apprendre le métier pendant une année ou deux sous les drapeaux.
Je ne parle même pas de la coopération, durement touchée par la fin du service militaire. Au Cameroun, par exemple, qui pouvait accueillir une centaine de coopérants, c'est-à-dire de militaires français servant sous l'uniforme de l'armée camerounaise, on en compte aujourd'hui moins de dix. Nous payons cher la disparition de cette intimité humaine, qui n'avait pas de prix et offrait des capacités de formation par le haut, y compris sur des segments de combat où les capacités n'allaient pas toujours de soi.
Avec le temps, nous nous sommes également installés dans une sorte de routine. Hors Djibouti, la France dispose en Afrique de deux bases pratiquant la formation et le combat – Port Bouët, à Abidjan, et N'Djamena, au Tchad – et de deux bases ne pratiquant que la formation, au Gabon et au Sénégal. Sur ces deux dernières bases, on a pris des habitudes de formation très généralistes, qui ne sont plus toujours adaptées aux partenaires. Ainsi, alors que nous proposons au Sénégal – dont je recevais le ministre de la défense à l'hôtel de Brienne juste avant cette audition – des offres de formation pour la prise en main de l'infanterie, c'est de drones que ce pays a besoin. Lorsque nos propositions portent sur les techniques de combat, nos partenaires nous disent qu'ils veulent développer une aviation de chasse ou reconquérir des espaces maritimes nouveaux. Nous avons d'ailleurs commencé à perdre des parts de marché face à des offres israéliennes ou turques qui prévoient des solutions de financement autour d'objets capacitaires et concernent des drones, pour les uns, et d'autres systèmes, pour les autres.
Il fallait que nous réagissions car, dans une relation synallagmatique, les deux parties doivent trouver leur compte – ce qui était le cas pour nous, mais pas pour nos partenaires. Nous sommes donc en train de réarticuler cette relation avec une diminution des forces présentes en permanence dans ces bases car nous aurons davantage de forces tournantes, avec un catalogue de formations fixes à l'année, avec des séjours longs pour nos militaires et leurs familles et avec des offres de formations beaucoup plus courtes, sur la base d'un catalogue que nous sommes en train d'élaborer et portant, par exemple, sur la défense sol-air, les fonctions d'état-major, le renseignement et la guerre électronique, ainsi que sur les questions spatiales. Nous aurons beaucoup plus de forces tournantes, actives ou réservistes, ce qui permettra de durcir et de muscler notre capacité en termes de formation.
Dans l'Hexagone, où nous avons trop réduit le nombre d'élèves en formation, je proposerai de multiplier par deux le nombre d'élèves accueillis depuis le continent africain. Pour les seuls pays avec lesquels nous avons des accords, le nombre est actuellement d'environ 300 par an. Il s'agirait donc de remonter très rapidement ce chiffre pour parvenir à 600 élèves, sans nous limiter aux officiers car les sous-officiers sont une cible tout aussi importante.
Le troisième volet est l'enjeu industriel et capacitaire. Pour le dire en termes diplomatiques en tant que ministre en charge de la BITD, nos industriels ont parfois trop regardé les grands arbres, comme aurait dit Malraux, et beaucoup trop peu nos partenaires africains. Les équipements terrestres représentent en effet un enjeu et j'ai été très surpris, à ce propos, par un article récent sur Arquus car mes homologues africains me disent constamment qu'ils ont besoin d'équipements de transport de troupes. Il y a donc là des perspectives d'export, avec les formations afférentes.
J'ai pris l'exemple de l'Afrique pour répondre d'une manière globale à votre question qui l'était encore plus mais nous devons rester ce que nous sommes. Les armées françaises sont des armées d'emploi et nous sommes capables de projeter, s'il le faut, des éléments de combat, par exemple contre le terrorisme – comme nous le faisons au Niger –, mais le besoin de formation est énorme sur le territoire national comme dans les pays concernés, où nous avons parfois été décevants. Quant au volet industriel et capacitaire, il est clair que nous devons pouvoir faire mieux, surtout lorsque d'autres pays commencent à créer des concurrences auxquelles nos industriels n'étaient, il faut le reconnaître, pas toujours habitués et face auxquelles j'essaie de les stimuler. La notion d'influence pourrait se développer de manière plus globale mais je me suis limité à un exemple concret.