J'ai déjà commencé à répondre au dernier aspect de votre question et vous propose de compléter avec des documents écrits.
S'agissant de la cohérence, je soutiens le point de vue des armées : on sait bien qu'il ne suffit pas d'acheter des équipements pour en disposer, et c'est particulièrement vrai pour l'armée de terre. La progression se fera par tranches cohérentes ; il n'y a pas renoncement, mais des étalements. Par ailleurs, certains gains sont déjà actés, comme l'irréversibilité du programme Scorpion. L'armée de terre a commencé à intégrer les enjeux de demain dans cette LPM : la guerre électronique, avec le brouillage électromagnétique des champs de bataille ; le développement des régiments de transmission de demain ; les frappes dans la profondeur, domaine crucial dans lequel la guerre en Ukraine fournit un important retour d'expérience.
L'étalement n'abîme pas nos capacités d'agir ; ce qui compte, c'est d'avoir des équipements prêts à l'emploi. Pardon pour la comparaison, mais que peut-on faire avec énormément de machines Nespresso, sans électricité, ni eau, ni capsule ? Avec moins de machines à café, on peut avoir du stock de capsules et des personnes formées pour s'en occuper. Le chef d'état-major des armées et le chef d'état-major de l'armée de terre pourront vous faire la démonstration de cette clé de cohérence.
Avec davantage de milliards chaque année, les choses iraient-elles plus vite ? Pas pour tous les programmes. Certaines chaînes de production sont limitées par des engagements pris à l'exportation et certains programmes de très grande ampleur par les inerties qui leur sont propres. Vous n'obtiendrez pas un SNLE de troisième génération ou un satellite plus rapidement en augmentant sensiblement le budget.
Au sujet de l'étude d'impact, la première ministre a saisi le Conseil constitutionnel. Cette étude a été rédigée avec les équipes du ministère, notamment la direction des affaires juridiques et l'état-major des armées, et elle est – quoi qu'on en dise – plus dense et solide que les précédentes. Reste qu'elle ne se prononce, par définition, que sur les résultats que peut fournir une étude d'impact. Peut-être est-ce le moment de rappeler à la représentation nationale que nous devons assumer les risques politiques des choix que nous faisons ? Il y a forcément des paris à prendre et, sur les modèles d'armées, on s'est trompés de nombreuses fois. Au fond, les écrits du général de Gaulle ne sont-ils pas la plus belle étude d'impact sur celui de 1940 ?
Les choix politiques que je dois assumer devant vous sont fondés sur des décisions militaires. Il y a dix jours, à l'hôtel de Brienne, j'ai expliqué pendant près d'une heure et demie au président Marleix les raisons pour lesquelles nous étions certains de l'impact militaire de nos choix à cinq et dix ans. Ce n'est ni le Conseil d'État ni le Conseil constitutionnel, à la décision duquel je me plierai néanmoins, qui garantira cet impact. En tout cas, je serai toujours à votre disposition pour vous expliquer comment nous construisons et prenons nos décisions.
Un projet de LPM est toujours particulier. Il tire son sens du fin fond même des armées, du retour d'expérience de soldats qui ont participé récemment à des opérations, de ceux qui ont une expérience au sein de l'OTAN ou rentrent de l'opération Barkhane, ou encore d'aviateurs. Sur le terrain politique, je suis capable de rendre raison des choix qui ont été faits et d'en montrer l'impact. Je suis entièrement à la disposition du Parlement tant qu'il le faudra, et j'ai dit au président Marleix que je pouvais me rendre aux réunions de son groupe et participer à de nouvelles auditions en commission.
Je ne veux pas renvoyer sur les techniciens la responsabilité, qui incombe à la représentation nationale et au politique, de définir les grandes orientations pour nos armées. Au reste, je ne prétends pas que cette copie est parfaite ; une LPM comporte de si nombreux aspects et est susceptible de connaître tant d'aléas techniques, industriels ou sécuritaires qu'elle constitue un bel exercice d'humilité. Il est important que chaque sensibilité politique puisse s'exprimer sur ses attendus militaires. On peut aborder la question uniquement par le prisme industriel des carnets de commandes mais puisque l'état d'esprit de la commission est de partir des risques, il faut les appréhender de manière complète et opérante.