COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 11 octobre 2023
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission,
La séance est ouverte à 13 heures 30.
I. Sécurité énergétique et réforme du marché de l'énergie : examen du rapport d'information (Mmes Pascale BOYER et Nathalie OZIOL, rapporteures)
Mes chers collègues, je veux réitérer notre solidarité avec le peuple israélien et notre condamnation sans équivoque des effroyables actes terroristes en Israël depuis samedi. Des centaines, peut être des milliers de victimes civiles ont été lâchement abattues par des terroristes du Hamas, parce que juives. Parmi elles, des femmes, des enfants, des bébés, des vieillards, des jeunes qui participaient à un festival de musique, des citoyens français et d'autres de nombreuses nationalités. Nos pensées vont évidemment aux victimes, à leurs proches et aux otages. Je veux redire dans ce moment tragique que nous sommes aux côtés des familles endeuillées et de toutes les victimes de ces attaques barbares. Nous sommes tous animés par une volonté commune de ne laisser aucune place au terrorisme et de créer les conditions d'une paix durable au Moyen Orient.
Je viens tout de suite à l'ordre du jour de notre réunion qui appelle l'examen de deux rapports d'information. Le premier porte sur la réforme du marché de l'énergie et la sécurité énergétique que vont nous présenter nos collègues Pascale Boyer et Nathalie Oziol. Nous avons un défi de court terme qui est notre compétitivité énergétique. Nous avons aussi à bâtir un modèle à moyen terme qui doit nous permettre d'aller vers la neutralité carbone à l'horizon 2050 en partant de modèles nationaux extrêmes différents au sein de l'Union européenne. Pour y parvenir, je crois que nous avons besoin de plus de renouvelable, de plus de nucléaire et de plus d'intégration électrique en Europe. Nous ne sommes évidemment pas tous d'accord sur cet agenda, ni au sein des 27 États membres, ni au sein de cette commission. Il va donc falloir démultiplier les efforts.
Je pense que ce serait une erreur historique de nous priver du nucléaire. Notre priorité au sein de l'Union n'est pas de nous diviser sur des modèles énergétiques différents mais de renforcer l'intégration du réseau électrique européen, ce qui est indispensable car nous allons devoir électrifier de plus en plus. À cet égard, des discussions ont eu lieu lundi et hier à Hambourg entre les gouvernements français et allemands, entre le chancelier Scholz et le Président Emmanuel Macron et qui ont acté l'importance de conclure d'ici à la fin du mois un accord sur ces sujets.
Je sors de ces neuf mois de travail sur le rapport d'information avec un sentiment de fierté de l'UE d'avoir su abolir ses mantras et agir rapidement pour la protection des consommateurs. Même si beaucoup reste à faire en matière de sécurité énergétique face à la volatilité des prix de l'énergie, l'Europe a en effet su jouer un rôle protecteur pour les citoyens et les entreprises durant l'année écoulée. Remémorons-nous un instant le mois d'octobre 2022. Il y a un an, à l'approche de l'hiver nous craignions des périodes de black-out, avec des possibles périodes de délestage lors des pics de consommation d'électricité. Souvenons-nous aussi de notre crainte de financer l'effort de guerre russe par l'achat de quantités massives de gaz à Gazprom. Souvenons-nous enfin des efforts demandés aux consommateurs qui malgré l'instauration d‘un bouclier tarifaire efficace au niveau national, ont vu leur facture d'énergie augmenter. Un an après, tout n'est pas résolu, mais l'Union, tout comme la France ont agi. Des mesures d'urgence ont permis à l'Union, de diviser par cinq les importations de gaz russe dans l'UE, de remplir les stocks de gaz en prévision de l'hiver prochain et de financer les dispositifs de protection des consommateurs par l'instauration d'une taxe sur les producteurs inframarginaux d'électricité ou une contribution exceptionnelle de solidarité sur les producteurs d'énergie fossile. Au-delà de ces mesures d'urgence, les objectifs de la politique énergétique ont évolué, se sont renforcés et ne sont plus contestés. Ma co-rapporteure et moi-même les partageons d'ailleurs, ce qui nous a permis de vous soumettre avec ce rapport une dizaine de recommandations consensuelles.
Ce sont toutefois les moyens à mobiliser pour atteindre ces objectifs qui font l'objet d'un désaccord entre nous, dessinant ainsi deux projets, deux trajectoires de ce que doit être la politique de l'énergie au niveau national et européen.
Le premier objectif est le verdissement du mix énergétique. L'Europe que nous avons bâtie est le continent le plus ambitieux pour la décarbonation du mix énergétique. Ces sujets me tiennent particulièrement à cœur, notamment en tant que présidente du groupe d'étude Énergie durable et hydrogène à l'Assemblée Nationale. Pour y parvenir, l'Union déploie une série de textes dans le cadre du pacte vert pour l'Europe et le paquet Fit for 55. La directive Red III, récemment adoptée relève ainsi la part d'énergies renouvelables à 42.5 % dans le mix énergétique de l'Union à l'horizon 2030, au lieu de 32 % précédemment. Je crois toutefois que l'atteinte de l'objectif de décarbonation du mix ne peut reposer uniquement sur les énergies renouvelables ; naturellement, l'hydrogène est un vecteur formidable d'espoir pour décarboner plusieurs secteurs comme les mobilités lourdes.
Mais pour la production d'électricité, nous ne pouvons pas envisager un mix sans une part de nucléaire qui est une technologie décarbonée pilotable et peu chère. Je suis toujours étonnée de voir que durant les quinze dernières années aucun texte relatif au nucléaire n'a été adopté au niveau européen, et que le pacte vert pour l'Europe ne mentionne quasiment pas ces technologies d'avenir. Aux opposants du nucléaire je pose une question simple : pourquoi se priver du moyen de production le plus sûr et pilotable, à l'heure où nous avons des efforts considérables à déployer pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 ? Le mix énergétique européen a besoin du nucléaire pour atteindre ses objectifs. C'est un des axes forts de ma contribution au rapport.
Le second objectif de la politique énergétique est l'indépendance du mix. Nous ne pouvons en tant qu'Européens pactiser avec des pays tiers peu fiables pour l'importation de notre énergie. Nous avons ainsi réussi à réduire fortement notre dépendance vis-à-vis de la Russie. Pourtant, les récents évènements avec le Haut Karabakh nous rappellent tristement que l'Azerbaïdjan, avec laquelle l'Union a pourtant signé un partenariat énergétique à l'été 2022, ne peut être un associé fiable pour l'importation de gaz. Les régimes illibéraux ou autoritaires doivent ainsi être bannis de toute conclusion de partenariats avec l'UE. Le plan Repower EU prévoit une diversification des approvisionnements et sa mise en œuvre a permis de trouver des partenaires crédibles. Je tiens à souligner que la Norvège, où je me suis rendue dans le cadre de ce rapport présente toutes les garanties de fiabilité nécessaire.
Le troisième objectif est celui au cœur de notre actualité européenne depuis le début de l'année 2023 : la réforme du marché de l'électricité. Depuis sa création, ce marché a joué son rôle de marché permettant une allocation optimale des ressources. Mais, la volatilité des prix à court terme a provoqué des situations inacceptables qui doivent aujourd'hui être corrigées. Nous devons absolument rapprocher les prix des coûts de production, notamment en France où les coûts de fonctionnement du nucléaire et des énergies renouvelables sont faibles. Pour cela, la Commission Européenne propose une solution : le développement d'un marché de long terme européen. La logique est la suivante : si les prix sur le marché de court terme sont imprévisibles et sujets à des envolées soudaines, il est alors nécessaire de protéger les consommateurs en leur procurant un prix fixe sur le moyen terme.
C'est tout l'objectif des deux types de contrats promus par la Commission européenne. Le premier type de contrats est les « PPA », qui sont des contrats de gré à gré entre particuliers. Une usine d'acier pourra ainsi traiter directement avec un producteur d'électricité décarbonée pour s'assurer pendant 4 ou 5 ans une fourniture d'électricité à un prix fixe et négocié. Le second type de contrat est des contrats pour la différence qui fixent un prix plancher et un prix plafond, garantis par l'État, entre le producteur et le consommateur. Par exemple, si le prix plafond fixé par le contrat est de 70 euros par MWh et que le prix journalier de marché est de 100 euros, les producteurs devront reverser 30 euros à l'État pour chaque MWh produit pendant cette heure. C'est ce second type de contrat qui est au cœur des négociations bruxelloises en ce moment. Ce rapport est également un moyen de soutenir pleinement, en mon nom propre et au nom du groupe renaissance, la position française qui souhaite inclure l'ensemble des installations existantes dans ces contrats, notamment notre nucléaire ancien. Je souhaite également que la redistribution des recettes issues des contrats pour la différence puisse se faire librement, et que chaque État puisse décider de leur utilisation pour protéger les consommateurs. Je le répète : le marché n'est pas le problème, il a fonctionné correctement pendant la crise. Toute solution de sortie du marché serait non seulement un signal profondément antieuropéen envoyé par la France, mais aussi une solution simpliste, irréalisable, qui nous priverait sans doute d'un mécanisme performant d'échanges avec nos voisins.
Il serait complètement utopique, même dangereux pour notre sécurité d'approvisionnement, de vouloir en même temps sortir du nucléaire et sortir du marché européen. Simplement, le fonctionnement normal du marché doit être complété pour protéger nos consommateurs, et je soutiens ainsi le principe de la réforme portée par la Commission européenne. Simplement, cette réforme doit inclure l'ensemble des technologies décarbonées, y compris les installations nucléaires existantes, pour atteindre le triple objectif de décarbonation, d'autonomie stratégique et de protection des consommateurs. Et j'ai confiance dans notre Union européenne pour atteindre ces objectifs et poursuivre le travail ambitieux engagé depuis plus d'un an maintenant.
Vous l'aurez compris, nous défendons deux projets différents, qui reposent sur deux aspects principaux. Le premier est celui des prix de l'énergie (de l'électricité en particulier) qui pose, par conséquent, la question de rester ou non dans le cadre du marché européen. Le deuxième aspect est celui de la composition du mix énergétique français et européen à horizon 2050. Sur ces deux questions majeures, ma vision et celle de ma co-rapporteure sont opposées. Nous regrettons toutefois toutes les deux le refus de débat sur ces sujets en plénière du Parlement européen.
La première question fondamentale est la méthode de fixation des prix.
Depuis plus de trente ans, l'Union européenne applique une doctrine libérale qui a conduit à l'ouverture à la concurrence nationale et européenne de la production et de la commercialisation de l'électricité, tandis que le transport et la distribution relèvent de monopoles régulés. Cette politique a conduit EDF à céder des parts de marché à des fournisseurs alternatifs sur l'activité de commercialisation et à faire une place aux producteurs privés. La promesse initiale était une baisse des prix pour les consommateurs et des investissements massifs d'acteurs privés pour la promotion de nouveaux moyens de production.
Quel est le bilan aujourd'hui ? On a compté jusqu'à 80 fournisseurs alternatifs en France, mais leur nombre a chuté avec la crise. À ce jour, 44 % du volume d'électricité est vendu par ces fournisseurs et 15 % du parc de production est exploité par des acteurs privés. La mise en place du marché de gros à l'échelle européenne a conduit à ce que le prix de l'électricité soit déterminé par le coût marginal de la dernière unité appelée (c'est-à-dire la plus chère) ; c'est donc le plus souvent corrélé au coût du gaz dont les prix sont extrêmement volatils, incontrôlables et sans lien avec le coût réel de production de l'électricité.
Les écarts entre les prix de marché et le coût de l'électricité ont provoqué une succession de crises depuis l'ouverture des marchés, si bien que tantôt c'est l'équilibre économique des producteurs qui s'est retrouvé en danger lorsque le prix était inférieur aux coûts, tantôt c'est le porte-monnaie des consommateurs qui l'a été lorsque le prix était supérieur. Et, depuis l'été 2021, les prix du gaz se sont envolés, entraînant aussi celle des prix de l'électricité tandis que les coûts de production, eux, n'étaient pas impactés dans les mêmes proportions. Ainsi, tandis que le coût de production moyen d'un mégawattheure reste inférieur à 100 euros en France, les prix de marché ont dépassé les 1 000 euros à l'été 2022. Les familles, artisans, TPE, PME, collectivités, industries, ont vu leurs factures d'électricité multipliées par 3, par 4, jusqu'à 10. Du côté de l'offre, très peu d'acteurs privés sont réellement intéressés pour investir dans le secteur de la production d'électricité, puisque les revenus sont rendus incertains par le fonctionnement même des marchés.
Au-delà du marché de l'électricité d'ailleurs, les seuls à avoir tiré profit des règles libérales et de la très timide taxation des superprofits sont les grandes entreprises comme Total qui a vu ses profits augmenter de 41 % en 2022, par l'exploitation de ressources fossiles et par les bénéfices tirés de la guerre en Ukraine.
Lorsque nous avons auditionné la Commission européenne durant notre déplacement à Bruxelles au mois de septembre, l'unique solution envisagée était le renforcement du marché, sans jamais de bilan des échecs du marché. Or, le marché est incapable de proposer des prix de l'électricité qui assurent une stabilité de la rémunération pour les producteurs et de la tarification pour les consommateurs. La triple contrainte pour une lecture transparente des prix, pour un recouvrement des coûts de production et pour une équité de traitement dans l'accès à un bien essentiel ne peut être respectée que par la mise en place de tarifs réglementés pour tous les consommateurs. Or, la fixation des tarifs est un outil de politique publique qui doit répondre à des attentes politiques, écologiques et sociales. Évidemment, la mise en place d'une grille tarifaire basée sur les coûts de production implique de se passer des fournisseurs, qui pratiquent l'achat et la revente d'électricité, souvent au détriment des consommateurs.
C'est pourquoi je porte dans ce rapport la position d'une sortie du marché et de la concurrence pour confier l'exploitation du système électrique français à un acteur public centralisé. En fait, l'exploitation du système électrique nécessite de définir le niveau de production de chaque centrale à chaque heure, de manière à minimiser les coûts d'exploitation de l'ensemble du parc européen, dans la logique de l'élaboration du programme d'appel. En effet, il est indispensable de donner aux investisseurs une visibilité sur la rémunération des centrales sur l'ensemble de leur durée de vie. Cela nécessite la mise en place de contrats de long terme garantissant une rémunération qui couvre l'ensemble des coûts de production de chaque centrale, indépendamment des prix de marché. Cela se fait en France pour le photovoltaïque ou l'éolien par exemple. Mais alors il est impossible d'inciter financièrement les producteurs à produire au meilleur moment pour le système électrique, sauf à accepter que cette incitation financière s'ajoute à la rémunération garantie par un contrat long terme. Nous nous retrouvons alors face à l'impasse théorique du marché puisqu'un même prix ne peut pas à la fois rémunérer les installations et inciter à produire au meilleur moment. Cette inadaptation du marché a des conséquences sociales, économiques et en termes de capacité à mener la nécessaire transition énergétique.
Dès lors, l'exploitation du parc par un acteur centralisé à l'échelle européenne disposant des informations complètes sur le parc permettrait d'optimiser l'utilisation du réseau et la coordination des centrales. En réalité, sa mise en place à l'échelle française permettrait déjà d'améliorer cette optimisation sans pour autant remettre en cause ni la solidarité européenne ni les choix des autres États membres contrairement aux arguments qui sont souvent avancés pour dissuader d'une sortie du marché. Et pour cause, les interconnexions existaient déjà avant la mise en place des marchés : EDF les utilisait par exemple pour échanger avec les autres pays européens. Et j'ajouterai que la France n'a pas connu d'évolution majeure des volumes exportés depuis l'ouverture des marchés. Enfin, cette solution peut être mise en œuvre immédiatement à la condition de déroger aux règles européennes, ce que plusieurs pays de l'Union européenne font déjà face aux dysfonctionnements du marché. La France ne ferait donc pas tant que cela figure d'exception parmi les États membres.
Sortir du marché n'est donc non seulement pas synonyme d'autarcie, c'est la solution la plus protectrice pour l'ensemble des consommateurs, avec la possibilité de rétablir des tarifs réglementés de vente, calculés selon les coûts de production et de réseau. Et, du point de vue des producteurs, c'est la garantie d'avoir un modèle pilotable avec une visibilité sur l'ensemble des moyens de production. L'avantage est également énorme pour les investissements : un opérateur public est la condition d'existence d'une véritable planification de la construction de nouveaux moyens de production décarbonés.
Au contraire, la solution prônée par la Commission européenne et en cours de discussion va à l'inverse de cette solution et libéralise encore un peu plus le marché, en restreignant davantage encore le recours aux tarifs réglementés de vente, et en encourageant la décentralisation de la production pour affaiblir encore un peu plus l'opérateur historique.
La deuxième question de la composition du mix énergétique n'est pas nouvelle, elle a fait l'objet de plusieurs débats à l'Assemblée et dans plusieurs commissions. À La France Insoumise, nous souhaitons sortir le plus rapidement possible des énergies fossiles. Je défends dans le rapport l'idée d'un mix énergétique basé à 100 % sur les énergies renouvelables. Plusieurs scénarios envisagent la faisabilité de ce mix (NegaWatt, RTE, ADEME). Le recarénage et la construction de nouvelles centrales représentent des milliards d'euros qui pourraient être investis dans la recherche et la construction de nouvelles sources de production d'électricité : l'éolien onshore et offshore, le solaire, mais aussi la géothermie par exemple, les énergies marémotrices également. Autant de pistes qui sont écartées systématiquement par le gouvernement notamment. Pour compenser l'intermittence des énergies renouvelables, nous pouvons compter sur l'hydraulique, mais aussi sur les avancées en matière de stockage d'électricité, ou sur le développement de l'hydrogène vert.
Je porte un regard plus critique que ma co-rapporteure sur le rôle du gaz dans la transition énergétique. Le gaz est une énergie fossile, donc par définition polluante. Le gaz n'est pas non plus produit sur le sol de l'Union européenne, et les quantités de biogaz sont bien insuffisantes pour jouer un rôle quelconque dans la transition. Je tiens également à signaler qu'outre la Norvège, les États-Unis sont un partenaire privilégié pour l'importation de gaz dans l'Union européenne. Je me suis rendue à Washington dans le cadre de mes travaux personnels sur cette mission : la plupart du gaz importé des États-Unis est issu du gaz de schiste, extrêmement polluant et dangereux pour la santé de ceux qui l'extraient. Le taux de cancer à Freeport au Texas est par exemple deux fois plus élevé que dans le reste de l'État. L'Europe ne peut pas prétendre lutter contre le changement climatique et la protection des droits, se tourner vers de nouvelles formes d'énergies vertes et ignorer les problématiques que pose l'extraction du gaz de schiste.
En conclusion, sortir le système électrique français de la concurrence est possible et nécessaire pour protéger l'économie européenne, l'économie française et enclencher les investissements à la transition énergétique entravés par la logique du marché. On peut et il faut apporter une réponse claire aux dysfonctionnements du marché, refonder un pôle public de l'électricité, seul capable de répondre aux enjeux économiques, écologiques et sociaux.
Le groupe Renaissance souhaite féliciter les rapporteurs pour la qualité de leurs travaux qui vont nous éclairer sur les améliorations nécessaires pour élaborer une politique de l'énergie correspondant à valeurs et à nos objectifs. Le changement climatique et la dégradation de l'environnement constituent une menace existentielle tant pour l'Europe que pour le monde. Pour relever ces défis, l'Union européenne a vocation à favoriser l'émergence d'une économie efficace et compétitive dans l'utilisation de ces ressources.
L'une des propositions que vous avancez dans votre rapport pour atteindre une décarbonation du mix énergétique est l'adoption d'une véritable stratégie européenne de réduction intelligente et rationnelle de la consommation d'énergie. Pourriez-vous apporter des précisions sur l'adoption de cette stratégie et en préciser le calendrier ?
Permettez-moi, Monsieur le président, au nom du groupe Rassemblement national, de m'associer à vos mots de soutien au peuple israélien qui a été victime, ces derniers jours, d'attaques terroristes ignobles.
Pour revenir à la réforme du marché européen de l'électricité : il s'agit d'un engagement de Marine Le Pen depuis de nombreuses années et nous sommes contraints de discuter d'un système qui s'avère défaillant, tout le monde le sait.
Mme Boyer, vous affirmez dans le rapport que ce système aurait bien fonctionné durant la crise et aurait préservé le pouvoir d'achat de nos concitoyens. Mes chers collègues de la majorité, je vous invite à ouvrir les yeux.
Où se trouve la protection de nos concitoyens quand leurs factures ont augmenté deux fois, de 15 % puis de 10 % en moins d'un an et que d'autres hausses sont déjà annoncées ? Où se trouve la protection de nos artisans, de nos boulangers, de nos bouchers, lorsqu'ils ont vu leur facture exploser, parfois multipliées par dix ? En plus d'accepter des hausses tarifaires complètement folles, l'État a dû débourser plus de 85 milliards d'euros pour limiter l'impact d'un mode de fixation des prix complètement dépassé.
À la fin qui paie ? Ce sont toujours les Français qui paient, ceux qui « bossent ».
Tous le savent, la France est un pays puissant, qui produit de l'électricité à bas prix, grâce à une filière nucléaire solide, même si celle-ci a connu des difficultés, filière qui contribue grandement à la sécurité énergétique du continent. Malgré un coût de production d'environ 60 euros du MWh selon les chiffres de la CRE que vous reprenez dans votre rapport, la France est l'otage d'un système qui l'oblige à racheter cette électricité deux à trois fois plus cher autour de 120 euros le MWh actuellement.
Les Français ont déjà payé pour des infrastructures efficaces, ils n'ont pas à payer pour les centrales à gaz allemandes ou pour les erreurs stratégiques de nos voisins d'outre-Rhin. Aucun pays au monde, aucun peuple au monde n'accepterait une telle situation. L'exception ibérique, en Espagne ou au Portugal, prouve qu'avec de la volonté politique, il est possible de reprendre le contrôle des prix afin de protéger le pouvoir d'achat de ces compatriotes sans mettre fin aux interconnexions. Dans votre rapport, vous proposez un mécanisme similaire de dérogation provisoire aux règles du marché européen de l'électricité, avec je cite, « la possibilité de recourir à un régime de crise ». Quelles sont les modalités d'application concrètes de ce régime de crise ? Plus globalement tant le président de la République que le Gouvernement ont réitéré dernièrement leur proposition de réformer ce marché européen de l'électricité en reprenant une proposition du Rassemblement national formulée depuis plusieurs années : que de temps et d'argent perdus !
À quelle échéance pourrons-nous obtenir une réforme du marché de l'électricité ? Pouvez-vous expliquer pourquoi le président de la République, M. Emmanuel Macron, n'a pas été capable, alors que la France présidait le Conseil de l'Union européenne, de mettre ce sujet à l'agenda de la présidence française ? Les réticences de l'Allemagne, qui tire grand profit de ce marché européen, en sont-elles les causes ?
Le marché européen de l'énergie est incapable d'assurer une stabilité des prix de l'électricité pour les entreprises comme pour les particuliers. Selon l'INSEE, le prix annuel moyen du MWh a augmenté de 45 % en 2022, pour atteindre 113 euros, après une hausse de 21 % l'année précédente. Le prix du MWh a ainsi presque doublé depuis 2020, où il atteignait 64 euros. De telles hausses des prix ont des conséquences majeures sur notre économie et sur le niveau de vie de nos concitoyens. Ces hausses des prix se répercutent sur les biens et services et contribuent à alimenter la spirale inflationniste qui ne nous lâche plus depuis deux ans. Nos concitoyens sont confrontés, dans ma circonscription comme dans le reste de la France, à des factures d'électricité exorbitantes. Les témoignages d'artisans, de commerçants, en particulier de boulangers pris à la gorge, se multiplient depuis plusieurs mois. L'Association des maires de France et l'ensemble des collectivités territoriales appellent à un retour des tarifs réglementés. Comme le rappelle la Cour des Comptes, dans son rapport de 2022 sur l'organisation des marchés de l'électricité, ceux qui ont mis en œuvre la libéralisation du marché de l'électricité pensaient que le libre jeu de la concurrence serait le plus à même de satisfaire la demande énergétique au moindre coût. Force est de constater, près de trente ans après, que soit ils avaient tort, soit ils mentaient. En définissant le prix de l'électricité par rapport à celui de la centrale la plus chère en Europe, nous nous condamnons à nous aligner sur le coût du gaz dont les prix sont très volatils et éloignés du coût de production de l'électricité.
Se référer à ce prix du marché n'a aucun intérêt, ni pour la rémunération des producteurs, ni pour la tarification des consommateurs. Il est plus qu'urgent de revenir à des tarifs réglementés, calculés en fonction du coût de production, avec une part réservée à l'investissement dans la planification écologique. Le coût de production de l'électricité en France étant bien inférieur à celui du marché européen, nous soulagerions ainsi le porte-monnaie de millions de consommateurs, de petites entreprises ainsi que le budget des collectivités territoriales. En même temps le producteur bénéficiera d'une visibilité à long terme et d'une stabilité des prix. Telle est la position que le groupe La France insoumise défend.
Je vous remercie pour votre rapport, intéressant parce que contradictoire, qui met en évidence les différences que chacun porte, au nom du peuple français. Plus que l'aspect prix de l'électricité, ce qui m'intéresse est la question relative à la souveraineté énergétique, qui ne répond pas à la même temporalité. Au préalable, je souhaiterais apporter quelques précisions. Concernant la géothermie, source inépuisable d'énergie, elle ne fait pas d'électricité toute seule : une turbine est nécessaire. Toutefois, la géothermie permet d'économiser de l'énergie, notamment celle que nous gaspillons dans les locaux avec des réseaux de chaleur. J'ai senti une légère confusion entre électricité et énergie qu'il m'importait de rectifier.
Par ailleurs, le CO2 n'est pas un polluant, l'extraction de gaz de schiste l'est. Produire du CO2 n'est pas polluant, cela crée un effet de serre qu'il faut contrôler. Toutefois heureusement que nous produisons un peu de CO2 pour que les arbres puissent vivre ! Je m'attache à ce que l'on utilise les mots exacts lorsque nous sommes regardés par nos concitoyens.
Pour revenir au rapport, vous avez présenté une approche plutôt consensuelle sur la centralisation de la gestion des réseaux. Je suis assez surpris parce qu'une telle centralisation existe en France ! En effet, tous les réseaux sont gérés de manière centralisée, en France, excepté dans certains pays tel que l'Allemagne. En revanche, je sens une imprécision sur la notion d'interconnexion qui n'est pas une gestion centralisée des réseaux. À l'inverse, la gestion des interconnexions crée plutôt la pagaille.
Je suis en faveur d'une avancée à l'échelle européenne sur la gestion des réseaux, ce qui nécessitera des investissements car aujourd'hui le réseau allemand ne peut pas aider le réseau européen à travailler. Autre précision ce n'est pas le contribuable français qui paie l'électricité mais le consommateur. Soyons précis ! Je ne partage pas non plus votre analyse sur l'ensemble des scénarii à 100 % d'énergies renouvelables, présentés pour 2050 : ces scénarii ne sont pas complets car ils imposent un effort de recherche dont nous attendons encore les résultats !
S'agissant des recommandations faites et des perspectives envisagées, le rapport présente deux versions différentes, ce qui apparaît adapté à la situation actuelle.
La directive RED III approuvée par le Parlement européen et le Conseil relève considérablement les objectifs de l'Union européenne initialement prévus en matière d'énergies renouvelables, en exigeant que 42,5 % de l'énergie de l'Union européenne soit d'origine renouvelable d'ici 2030. La part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique de l'Union européenne s'élevant actuellement à 22,1 %, cela signifie qu'il faudra pratiquement doubler cette part d'ici 2030, principalement en augmentant la capacité de production d'énergies éoliennes et solaires.
La France bénéficie d'une dérogation permettant aux pays disposant d'un bouquet d'électricité décarbonée, notamment grâce au nucléaire, de satisfaire à des exigences moindres en matière d'hydrogène renouvelable. Plusieurs États ont fait valoir que cela amoindrirait le développement des énergies renouvelables solaires et éoliennes. Il y a donc une difficulté à débrancher le système énergétique actuel dans une optique de transition, et les avantages longtemps donnés à la supériorité du système français par son nucléaire ont été mis à mal ces dernières années.
De façon constructive, je pense que nous pourrions soutenir trois éléments. D'abord, la création d'une communauté d'experts européens sur le coût de la décarbonation et la prise en compte des effets et des coûts du nucléaire sur la biodiversité et la santé. Ensuite, la détermination consensuelle de ressources énergétiques durables permettant de mieux articuler décarbonisation et énergies réellement renouvelables. Enfin, faire en sorte que l'enjeu du traitement des filières industrielles des énergies puisse être un élément de réflexion et d'évaluation pris en compte dans les analyses.
S'agissant du prix de l'énergie et de la sécurité de l'approvisionnement, comment nos principaux voisins européens voient-ils l'évolution pour leurs consommateurs et leur souveraineté ? Cela nous permettrait d'avoir un point de positionnement des autres États.
Comme vous l'avez rappelé et comme l'indique la nouvelle directive sur les énergies renouvelables, ainsi que le plan « Repower EU », il s'agit de développer massivement les énergies renouvelables pour atteindre nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % à l'horizon 2030. Cela ne peut se faire aux dépens des installations nucléaires existantes, qui garantissent une énergie décarbonée et pilotable, tout aussi essentielle pour préserver notre souveraineté énergétique.
Vous l'avez souligné dans votre rapport, la position de la Commission européenne sur le sujet ne va pas dans le sens de l'intégration du nucléaire dans le mix, puisqu'il est le grand absent du plan Fit for 55, paquet de 13 propositions législatives publié par la Commission européenne en juillet 2021 et proposant des actions concrètes pour accomplir les objectifs de l'Union européenne de réduction des gaz à effet de serre de 55 % au moins en 2030 par rapport à 1990.
Pensez-vous que l'énergie nucléaire est essentielle à l'autonomie stratégique de l'Europe en matière énergétique ? Si oui, comment convaincre nos homologues, et particulièrement nos amis allemands, d'aller dans ce sens ?
J'aurais quatre remarques. D'abord, la réforme du marché européen de l'électricité conduit par la Commission européenne ne constitue qu'un approfondissement des outils de marché pour essayer de pallier les défaillances du marché, si cher aux adeptes du néolibéralisme. Les nouvelles règles ne s'attaquent pas au fond du problème, qui est l'indispensable décorrélation des prix de l'électricité de celui des combustibles fossiles et du gaz. Aucune garantie sérieuse n'est apportée sur ce point. Ce doit être la première ligne rouge de la France dans cette réforme.
Deuxième remarque. Il n'est pas acceptable que cette réforme se transforme en outil déguisé pour couvrir des choix d'investissement passés qui ont contribué à accroître notre dépendance aux fossiles. Les Européens et les Français n'ont pas à compenser les errements énergétiques et géopolitiques de l'Allemagne comme d'autres partenaires européens, qui se sont littéralement vautrés dans la frénésie gazière. C'est une deuxième ligne rouge.
Troisième remarque. La priorité en termes d'investissement doit être donnée au renforcement des capacités des États à sécuriser, maîtriser et décarboner leurs propres systèmes électriques. À ce titre, l'incontournable énergie nucléaire doit impérativement pouvoir bénéficier des mêmes mesures de soutien que les énergies renouvelables, en particulier pour les outils de financement de long terme qui pourraient être mis en place pour favoriser la transition énergétique et la neutralité carbone. Nous avons impérativement besoin de sécuriser les outils de production décarbonés et, surtout, pilotables. C'est une troisième ligne rouge, sur laquelle la France ne peut transiger.
Quatrième remarque. La France doit définir elle-même, au plus vite, les modalités les plus efficaces pour répondre aux enjeux de sa propre souveraineté énergétique, sans attendre que la Commission européenne ou que les pressions d'autres États et des requins de la rente électrique ne dictent leurs conditions. Le travail d'analyse et de proposition parlementaire n'a jamais été aussi fourni : commission d'enquête parlementaire sur la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, mission d'information sénatoriale sur les conditions d'utilisation de l'ARENH (accès régulé à l'énergie nucléaire historique), le rapport d'information qui nous est présenté aujourd'hui, etc. Il est temps de sortir du scandale d'État de l'ARENH avec une sécurisation des investissements durables d'EDF, un renforcement des sanctions, voire l'interdiction d'activités des opérateurs opportunistes sans foi ni loi.
La priorité doit-elle être de maintenir artificiellement des opérateurs commerciaux qui spéculent sur le dos des usagers et d'EDF ou de reconstruire un vrai service public unifié de l'électricité autour d'EDF désormais renationalisé ? La priorité doit-elle être d'entretenir une concurrence factice et la spéculation sur la rente électrique, ou d'assurer des prix réglementés pour tous couvrant des vrais coûts de production d'EDF ?
Pour répondre à Mme Le Peih, la directive relative à l'efficacité énergétique a objectif de diminuer de 11,7 % la consommation finale d'énergie à l'horizon 2030. Chaque État pourra devra soumettre un plan de réduction de la consommation à la Commission, qui rendra un avis sur ce document.
En ce qui concerne la question de M. Ménagé, l'aide aux consommateurs pour 2022 en ce qui concerne le gaz a été de 6,7 milliards d'euros, et, s'agissant de l'électricité, de 18,2 milliards d'euros. Pour l'année 2023, l'aide en ce qui concerne le gaz a été de 2,3 milliards d'euros et, pour l'électricité, de 29,3 milliards d'euros. Au total, en 2022, les mesures de protection nous ont coûté environ 43 milliards d'euros, et, en 2023, 45 milliards d'euros. Effectivement, cela se rapproche de 85 milliards d'euros.
Néanmoins, le choix du gouvernement a été de protéger tous les Français. Si l'on avait appliqué une baisse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), nous n'aurions pas protégé tous les Français, mais nous aurions protégé les fournisseurs. Je pense qu'il était tout de même plus important, plus intéressant et plus judicieux de protéger tous les Français, sans condition de baisse de consommation, et de protéger davantage les personnes les plus précaires avec le chèque énergie. Je pense qu'il est difficile de dire que le gouvernement français, à l'époque, n'a pas protégé les Français et qu'il a permis la multiplication par dix des factures. Nous sommes l'État membre qui a été quasiment le plus protecteur pour le pouvoir d'achat des Français. Il est donc difficile d'admettre qu'aucune mesure sur les prix n'a été adoptée. Il y a justement eu une moindre augmentation de l'inflation grâce à toutes les mesures gouvernementales qui ont été prises, non seulement sur l'énergie mais aussi sur tous les produits hors énergie. Nous avons préservé le pouvoir d'achat des Français et nous continuons à le préserver.
En ce qui concerne le futur de la protection des consommateurs, nous souhaitons que les contrats à long terme Power Purchase Agreement (PPA) et contrats pour la différence (CFD) puissent garantir les prix sur plusieurs années. Le gouvernement, et en premier lieu la Ministre de la transition énergétique, travaille actuellement au Conseil pour définir le périmètre de ces contrats à long terme.
Pour répondre à la question sur le calendrier, un Conseil aura lieu le 17 octobre. En cas d'accord, un trilogue débutera dès le 19 octobre au matin. Tout le monde partage la volonté d'aller vite pour mettre en œuvre des mesures qui permettront de protéger les consommateurs et de garantir l'approvisionnement de notre énergie. Cela nous permettrait dans le même temps de ne pas avoir à ajuster en dernière minute les budgets des États membres.
Concernant les contrats pour la différence, la France veut que la redistribution des contrats soit uniforme et concerne autant les particuliers que les industries. Il y a là un désaccord avec d'autres États membres, dont l'Allemagne, qui souhaiterait avoir le choix de la redistribution des recettes liées à ces contrats. Cela mettrait en danger l'économie française du fait d'une distorsion de la concurrence. La ministre de la transition énergétique s'implique dans les négociations européennes pour préserver les intérêts de la France.
Sur le régime de crise, en cas d'envolée des prix, la proposition de règlement permet de recourir à des tarifs réglementés. Notre recommandation, formulée par Mme Oziol et moi-même, est de permettre à chaque État membre de déclencher ce régime de crise. Le déclenchement du régime de crise ne serait alors pas laissé aux seules mains de la Commission européenne.
En ce qui concerne la question de M. Frédéric Petit relative à la géothermie, un rapport d'initiative parlementaire est en cours d'élaboration au Parlement européen. Concernant les réseaux et les investissements, il nous faut investir massivement dans les réseaux et promouvoir l'interconnexion. Il nous faut rester dans le cadre européen, et pour cela, il nous faut prendre part aux négociations concernant les réformes du marché énergétique et renforcer dans le même temps notre réseau de transport de l'électricité. L'enjeu de l'interconnexion et du renforcement des réseaux est fréquemment ressorti dans les auditions que nous avons menées. C'est un enjeu perceptible au niveau national, notamment dans les territoires ruraux, mais aussi au niveau européen. Ce réseau interconnecté a d'ailleurs permis pendant la crise énergétique de garantir l'approvisionnement de tous les États membres en énergie.
Pour répondre à Mme Karamanli, on peut distinguer deux groupes d'États membres au sein de l'Union. Le premier groupe comporte des États membres favorables à l'énergie nucléaire. Le deuxième comporte les États membres favorables aux énergies renouvelables. La France fait partie de ces deux groupes. Il y a de fortes divergences entre l'Allemagne et la France sur le sujet, et il y a ici un enjeu de compétitivité de l'économie française. En effet, comme dit précédemment, l'Allemagne souhaite conserver le choix de la redistribution des recettes liées notamment aux contrats à long terme pour éventuellement ne redistribuer que sur son économie, là où la France défend la possibilité de redistribuer les recettes à tous les consommateurs, qu'ils soient des particuliers, des entreprises ou des collectivités territoriales.
Concernant la question de Mme Gérard, nous souhaitons, dans notre mix énergétique et pour atteindre les objectifs que l'Union s'est fixé, avoir un moyen de production qui permette un mix énergétique stable, avec une garantie d'approvisionnement en électricité. Le nucléaire permet cela, même si nous reconnaissons les soucis relatifs à la corrosion sous contrainte rencontrés en octobre 2022 sur certains réacteurs. Le nucléaire est une énergie bas carbone, peu coûteuse, et qui permet une production stable, notamment par rapport aux renouvelables soumis à des conditions climatiques. Je remarque par ailleurs que l'hydroélectricité est la seule énergie renouvelable à permettre un stockage de l'électricité de grande ampleur.
On peut regretter que le nucléaire n'ait pas fait l'objet d'un texte spécifique dans le cadre du paquet Fit for 55. Au niveau du Conseil, des discussions concernant les possibilités de financement des opérations d'augmentation de la production des centrales existantes.
Finalement, pour répondre à M. Chassaigne, je pense que sortir du marché européen nous limiterait dans notre capacité à faire face à une crise comme celle de 2022. Les temps ont changé et le marché de l'électricité ne fonctionne plus de la même manière qu'il y a plusieurs décennies. Il ressort des discussions avec nos partenaires et de l'actualité malheureusement désastreuse, que rester uni sur des politiques régaliennes comme l'énergie nous coûterait certainement plus cher que ce que cela nous rapporterait. Sortir du marché européen pourrait satisfaire certains d'entre nous, mais ne protégerait pas les Français, ne protégerait pas l'approvisionnement énergétique du pays.
Mes éléments de réponse seront souvent différents de ceux qui viennent d'être donnés par ma co-rapporteure.
Concernant la trajectoire de réduction de la consommation d'énergie, on peut estimer que l'on pourrait être plus ambitieux que l'objectif de réduction de 11,7 % de la consommation d'ici à 2030 prévue par les textes. Les différents débats que l'on a eus à l'Assemblée nationale ont exploré des voies de réduction de la consommation d'énergie, par exemple, par la rénovation énergétique des bâtiments, chiffrée à 12 milliards d'euros : un amendement au projet de loi de finances 2023 avait été adopté pour ce financement. De même, notre proposition d'amendement sur la politique de transport, que je trouve insuffisante, avait été adoptée pour un montant de 3 milliards d'euros. Ces deux mesures ont finalement été exclues du fait des modalités d'adoption du projet de loi de finances de l'an passé.
Par ailleurs, les investissements des industriels pour électrifier les usages nécessitent une incitation permise par une visibilité sur les prix. La capacité de tous les consommateurs comme des producteurs à investir en faveur de la réduction de la consommation, en faveur de la décarbonation, passe par une meilleure visibilité sur les prix.
Plusieurs allusions ont été faites à la nécessité de revenir à un tarif réglementé. J'appuie notamment la remarque de M. Amard sur le sujet. Le retour à un tarif réglementé est une nécessité pour atteindre les trois objectifs que j'ai mentionnés précédemment, à savoir le recouvrement des coûts de production, la visibilité sur les prix, et l'équité de traitement entre les consommateurs. Je ne pense pas que les mécanismes de protection qui ont été mis en place en France soient suffisants ou satisfaisants, dans la mesure où des commerces mettent encore la clef sous la porte, des industries se délocalisent encore, et des consommateurs continuent à alerter, notamment des députés, sur la hausse de leurs factures d'électricité. Mais pour faire mieux, il nous faut faire des arbitrages, qui sont économiques, écologiques et sociaux. Il y a des questions à se poser, notamment sur le financement des mesures, et ces questions doivent être tranchées par un débat public.
Pour répondre à M. Petit, Mme. Marina Mesure est en charge d'un travail sur la géothermie au Parlement européen, puisqu'elle a été nommée rapporteure sur le déploiement de la géothermie en Europe pour le groupe The Left. Ce secteur a manqué d'investissement, puisqu'il n'a pas été jugé assez rentable par les acteurs privés notamment. Si l'on veut pouvoir connaître la faisabilité et la rentabilité de la géothermie, il nous faut investir dans le domaine, ce qui nécessite un choix politique.
Il y a eu plusieurs questions sur la manière de coordonner l'action de la France avec les autres États membres, et notamment l'Allemagne. Il est clair que les avis et les choix divergent entre les différents États membres. La critique du marché s'étend à un nombre croissant d'États, et la défense de ce dernier se resserre de plus en plus autour de l'Allemagne, du gouvernement français et de certains autres pays.
Par ailleurs, les interconnexions entre réseaux existaient avant la naissance du marché européen. Il est tout à fait envisageable que la France, par exemple, choisisse un autre système que le marché, puisqu'EDF fonctionnait déjà en interconnexion avec d'autres pays européens avant la libéralisation. L'exploitant public français interviendrait alors comme n'importe quel acteur dans ce système européen. Les volumes d'échange d'électricité continueraient à être payés au prix de marché, mais l'impact d'une solution avec un pilotage public serait une amélioration du programme d'appel français et européen par le regroupement de producteurs multiples au sein d'un même acteur public. Cela permettrait une meilleure coordination à l'échelle française et à l'échelle européenne.
Certains voudraient persuader d'autres pays d'utiliser le nucléaire. Même en France, le débat de l'usage du nucléaire n'est pas tranché. On ne peut pas ignorer les voix qui s'élèvent pour dire qu'il est temps de passer à une autre énergie. Reconnaître cela ne nous empêche pas de souligner que le nucléaire a permis à la France d'atteindre une certaine souveraineté, et qu'il a été une force de production essentielle pour le développement de l'économie française. Mais si nous avons été capables d'entrer dans une force aussi dynamique, nous devons être capables aussi d'inventer autre chose. Par ailleurs, on ne peut pas balayer d'un revers de main les débats qui existent sur la façon dont on traite les déchets nucléaires. Personne ne sait traiter ces déchets, et personne ne souhaite vivre avec des déchets nucléaires sous son sol, comme le montrent les protestations à Bure. Il nous faut savoir proposer d'autres solutions, et nous ne sommes pas obligés de rester enfermés dans un unique modèle, qui a certes été puissant, mais qui suscite des critiques. Même si l'insécurité nucléaire est rare, cette rareté ne doit pas justifier la fin du débat sur la nécessité de passer à autre chose.
Pour conclure, sur la sortie du marché, je voudrais souligner que La France Insoumise est la seule à proposer des scénarios alternatifs, à donner des pistes et à émettre des critiques. Dans toutes les auditions que nous avons faites et dans les éléments mis en avant dans cette commission, il n'y a jamais d'argumentation sur les raisons d'un maintien dans le marché. Il n'y a pas d'argument solide montrant que cela permet d'apporter des solutions. On ne peut pas rester face au constat de dysfonctionnement du marché comme si de rien n'était, puisqu'il en va de la vie de nos concitoyens. Nous avons l'impression de faire face à une idéologie aveugle, dans le déni de ce qui se passe. Nous proposons un autre modèle, mais il n'y a jamais d'autres solutions concrètes où de contre-arguments solides apportés à ce que nous développons.
Ce rapport ressemble à un timide commencement de prise de conscience que le marché de l'électricité, tel qu'il est conçu par l'Union européenne, est incohérent, et s'adosse principalement aux capacités de production de la France tout en lui nuisant et en nuisant aux Français. Je partage nombre de réserves que Mesdames les rapporteures apportent vis-à-vis de l'ARENH. Cependant, les perspectives envisagées par l'Union européenne sont frappées par une politique obsessionnelle du recours à l'accélération du développement de l'énergie produite par les énergies renouvelables. Ma question est donc double : quels sont les engagements qui peuvent être pris pour stopper le mécanisme actuel de l'ARENH et le réorienter vers l'intérêt de la France et des Français ? Par ailleurs, avez-vous l'intention d'amender cette obsession pour le recours aux installations d'éoliennes intermittentes et nuisibles à une distribution stable de l'électricité ?
Au sujet de l'arrivée du marché sur les réseaux, cela a causé de nombreux problèmes. Aujourd'hui, on ne peut pas à la fois appeler à une gestion européenne centralisée des réseaux, et à la fois demander dans chaque endroit de ces réseaux un mécanisme de prix qui sera complètement indépendant et autonome. Le fait de demander plus d'interconnexions et une gestion du réseau intelligente au niveau européen, nécessite que nous ayons des mécanismes de prix communs.
Les failles du marché européen de l'énergie n'ont pas été révélées par la crise russo-ukrainienne. En une décennie, les prix de l'électricité avaient déjà augmenté de 50 %. Dans cette réforme, rien n'est fait pour remettre en cause le mécanisme de fixation des prix, puisque Berlin s'y oppose. Aucune piste non plus pour mettre fin à la concurrence totalement artificielle et faussée, car la Commission de Bruxelles s'y oppose. Je voudrais rappeler plusieurs points. Premièrement, la réforme du marché et l'intégration électrique n'ont absolument pas rien à voir : l'une est politique et l'autre est logistique. Deuxièmement, il faut réviser le mécanisme de fixation des prix car les Français ne paient pas le vrai prix de l'électricité. Troisièmement, je vous rappelle que pour défendre réellement nos intérêts, ceux de la France et ceux des Français, il faudrait déjà commencer par les défendre au niveau européen. Tous les partis politiques à Bruxelles ont voté pour les textes qui excluaient le nucléaire. Je vous appelle à faire des actions positives pour défendre le nucléaire, notre souveraineté, les Français et la France d'abord.
Sur la question de l'ARENH, le retour à un tarif réglementé résoudrait le problème et les constats qui ont été faits sur l'ARENH. Notre engagement c'est de revenir à un tarif réglementé pour tous et par une production publique. Autrement dit, revenir à la propriété publique des moyens de production. Par ailleurs, dans les scénarios envisagés par RTE, comme la bifurcation vers du 100 % renouvelables, on se passe du nucléaire, ce qui prouve que c'est réalisable. Ce scénario permet notamment d'avoir en une visibilité sur les prix.
En ce qui concerne la question de l'ARENH, il y a des négociations pour réévaluer l'ARENH, ce qui correspondrait à l'équivalent de contrats à long terme. Cet ARENH serait réévalué entre 60 et 70 euros le mégawatt, ce qui permettrait d'avoir un réajustement pour l'entreprise EDF.
En ce qui concerne l'implantation des éoliennes, nous avons voté une loi sur l'accélération des énergies renouvelables qui permet aussi de définir des zones d'accélération avec des concertations avec la population, avec une implication des élus locaux dans le lieu choix des implantations des énergies renouvelables, en parallèle de la participation citoyenne. Je vous amène à vous référer à la loi d'accélération des énergies renouvelables en ce qui concerne l'implantation des éoliennes sur notre territoire.
Effectivement, Monsieur Petit, on ne peut pas dire d'un côté qu'on veut développer l'interconnection des réseaux et rester connecter au réseau et de l'autre vouloir faire ce qui nous plaît avec les prix du marché. À un moment donné il faut trancher et c'est ce que l'État français à fait : on reste connectés au réseau et on reste en même temps, connectés au marché.
En ce qui concerne le prix que les Français doivent payer, ils payeront le vrai prix avec les contrats pour la différence puisqu'il y aura un prix plafond qui permettra une redistribution aux consommateurs si le prix de marché est plus élevé. À l'inverse, si le prix de marché est plus faible que le prix plancher, l'État reversera la différence au producteur. On ne peut donc pas trouver un moyen plus protecteur pour les consommateurs français que ce type de contrats.
En ce qui concerne les PPA, ce sont des contrats de gré à gré entre une entreprise et un producteur. Ce dont besoin les entreprises ont besoin, c'est de la prévisibilité sur du long terme. Donc avec des contrats d'une durée de 5 ans, les entreprises connaîtront à l'avance le prix de leur énergie, et ne seront pas soumises à ces fluctuations que nous avons connues, notamment à l'automne dernier.
Concernant le nucléaire, nous allons avoir une augmentation des besoins en électrification. Nous avons dans ce mix énergétique une grande part d'énergies renouvelables, mais on le sait tous, les énergies renouvelables ne pourront pas assumer tous les besoins en électrification que nous aurons. Avec le nucléaire, nous avons un moyen décarboné et qui a un coût de production raisonnable. Oui il y a des déchets, mais en même temps je pense que les déchets nucléaires sont les déchets les mieux traités, et les nouvelles technologies vont permettre de les valoriser.
Quand on voit le Japon qui revient sur sa décision de fermer ses centrales et qui est en cours de réflexion pour relancer le nucléaire sur son territoire, il y a des questions à se poser quand on ne dit qu'il ne faut pas de nucléaire dans notre mix énergétique.
En ce qui concerne le biogaz, il servira dans la transition énergétique de notre pays, et je pense que l'hydrogène aura également toute sa place dans cette transition énergétique.
Enfin, je tiens à souligner qu'au Parlement européen, les eurodéputés du groupe ID n'ont pas voté la directive sur les énergies renouvelables RED III, n'ont pas voté la directive sur l'organisation du marché de l'électricité de l'Union ou se sont abstenus, n'ont pas voté la directive sur les carburants durables pour l'aviation, n'ont pas voté la directive sur l'utilisation des carburants renouvelables et bas carbone dans le transport maritime, n'ont pas voté ou se sont abstenus sur le déploiement des infrastructures pour carburants alternatifs. Ils n'ont pas voté pour la directive sur l'efficacité énergétique, ils n'ont pas voté pour la refonte de la directive performance énergétique des bâtiments, ils n'ont pas voté pour la réduction des émissions de méthane dans le secteur de l'énergie, ils n'ont pas voté pour certains chapitres du plan RePowerEU, des plans pour la reprise et la résilience. Et je vous passe le volet sur les industries. Donc nous n'avons pas de leçons à recevoir.
Je regrette de devoir quitter la réunion de la commission car se déroule au même moment un débat et un vote important en séance publique sur l'article 5 du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique. Je demande donc une suspension de la réunion de commission, le temps du débat en séance.
Je vous rappelle que la commission des affaires européennes est une commission non permanente qui se réunit lorsque cela est possible. Je ne peux malheureusement pas suspendre la réunion compte tenu des contraintes des rapporteurs.
Je tenais simplement à rappeler que dans le contexte inflationniste actuel, nous votons contre tout ce qui remet en question notre filière nucléaire et qui fragilise le pouvoir d'achat.
La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.
Je suis heureuse de vous présenter les résultats de nos travaux sur la réforme des règles budgétaires du Pacte de stabilité et de croissance.
L'exercice s'est avéré technique mais passionnant. Il nous a surtout paru indispensable de le réaliser avec mon collègue Alexandre Holroyd : en effet, si des règles européennes sont nécessaires, elles limitent toutefois nos marges de manœuvre budgétaires et donc, in fine, les politiques publiques que nous pouvons mettre en œuvre. Leur définition est donc éminemment politique !
Ce rapport a été l'occasion pour nous de nombreux échanges. En France tout d'abord, où nous avons rencontré plusieurs économistes et administrations. À l'étranger ensuite, à Bruxelles et à Berlin. Les discussions à Berlin sont probablement celles qui se sont avérées les plus intéressantes pour nous avec les auditions d'un haut fonctionnaire du Ministère des Finances, de chercheurs et de représentants politiques. Sur ce dernier point, nous avons veillé à échanger avec l'ensemble des sensibilités représentées dans la coalition gouvernementale, mais aussi avec des membres de l'opposition.
Si rédiger ce rapport d'information a donc donné lieu à des auditions particulièrement stimulantes, ce travail a aussi été marqué – et je veux le dire ici – par des rapports avec l'administration française compliqués. Selon l'article 24 de la Constitution, l'une des missions du Parlement est de contrôler l'action du Gouvernement. Les rapports d'information s'inscrivent dans cette mission et permettent, le plus souvent, à des parlementaires de faire l'évaluation d'une politique publique ou de contribuer à sa définition. C'était notre ambition. Or, il nous a été impossible de nous appuyer sur des documents dont disposait l'administration et qui s'avéraient pourtant essentiels à nos travaux, malgré nos demandes répétées à l'administration de nous les fournir. Les choses sont différentes dans beaucoup d'autres pays, comme en Allemagne, où les parlementaires ont accès aux documents budgétaires.
Certes, nous ne bénéficions d'aucun pouvoir de contrôle sur pièce et sur place, ni celui d'exiger des documents, et l'administration était dans son droit. Toutefois, nous aurions grandement apprécié une plus grande collaboration avec la représentation nationale que nous incarnons. Cette attitude nous conduit à formuler plusieurs recommandations sur lesquelles je reviendrai plus tard.
Avant cela, je me permets de vous présenter brièvement la réforme des règles budgétaires. Nous pensons que nous avons besoin de ces règles, et je pense que cette idée est partagée ici. Leur objectif est de s'assurer que chaque État membre a une politique budgétaire responsable et d'éviter l'accumulation des déficits ou l'explosion des dettes publiques qui seraient incompatibles avec un taux d'intérêt unique dans l'Union européenne. Mais les règles actuelles doivent être révisées et sont aujourd'hui considérées comme injustes, ayant affecté de façon différente les États qui les ont appliquées. En particulier, ceux qui ont historiquement peu de protection sociale peuvent plus difficilement rattraper leur retard.
Le second élément tient au contexte. La crise du Covid et la guerre en Ukraine ont eu un impact majeur sur les finances publiques des États membres et ces crises successives ont accentué l'écart entre les pays du Sud et les pays du Nord, ce qui rend encore plus clivants les débats sur la soutenabilité des finances publiques. En mars 2020, la clause dérogatoire générale prévue par le pacte de stabilité et de croissance a été appliquée. Les mesures d'urgences sont possibles mais le cadre est maintenu.
Il y a donc des non-dits qui doivent être levés. D'abord l'endettement, qui devra rester sur une pente descendante pendant dix ans. Cet objectif est inatteignable. Les sanctions liées aux critères seront pratiquement appliquées à tous les pays et demanderont des ajustements impossibles pour certains d'entre eux. Il faut également revoir l'architecture budgétaire des traités en allant plus loin que les ratios actuels.
L'idée centrale et bienvenue de la réforme est de permettre aux États de suivre des trajectoires différenciées. La nouvelle architecture reposera sur des plans budgétaires et structurels à moyen terme. Ces plans débuteront par une période d'ajustement qui durera entre quatre et sept ans. La flexibilité permet d'alléger l'effort budgétaire en cas de réformes structurelles ou pour permettre des investissements publics. À l'issue de cette période d'ajustement, la dette publique devra avoir diminué. En outre, à la fin de la période d'ajustement, la trajectoire sur dix ans devra être telle que la dette publique diminue ou soit maintenue à des niveaux prudents. D'autres « garde-fous » sont prévus : le déficit des États, lorsqu'il sera supérieur à 3 % du PIB, devra diminuer de 0,5 point de PIB par an et une règle en dépenses devra faire en sorte que la croissance des dépenses sur la période couverte par le plan soit inférieure à la croissance de la production, par exemple. Voilà pour l'essentiel.
Sur la base de cette proposition de réforme, nous formulons avec mon collègue plusieurs recommandations. Certaines portent directement sur la réforme, d'autres sur les relations entre le Parlement et le Gouvernement.
En ce qui concerne la réforme, dans la mesure où son but est précisément de permettre à chaque pays d'adopter une trajectoire propre, il nous paraît aberrant de trouver dans la proposition de la Commission un objectif numérique de réduction du déficit identique pour tous les États dont le déficit excéderait 3 % du PIB. Nous appelons donc la France à s'opposer à la réintroduction de tout critère d'ajustement commun dans les nouvelles règles budgétaires européennes et à supprimer ce critère de réduction annuelle de 0,5 % du PIB. Nous poussons également les différents gouvernements à œuvrer à l'adoption d'un compromis avant les élections européennes de 2024, afin d'éviter que les règles européennes actuelles, qui ne nous satisfont plus, ne s'appliquent à nouveau.
En ce qui concerne l'Assemblée nationale, ce sujet devrait tous nous préoccuper, puisque les règles européennes conditionneront les dépenses que nous aurons la possibilité de voter lors de l'élaboration du budget. Nous demandons donc au Gouvernement d'organiser un débat à l'Assemblée nationale sur la révision du Pacte de stabilité.
Enfin, à titre personnel, j'émets le souhait que l'on puisse exclure du calcul des différents seuils certaines dépenses d'investissements publics dont, en priorité, les investissements verts. Étant donné l'ampleur des investissements à réaliser pour financer la transition écologique, une telle règle d'or me paraît indispensable, et pourrait être dupliquée à des investissements d'autres types, comme ceux dans la défense ou la recherche dans des domaines jugés prioritaires, par exemple la santé humaine.
Enfin, la question d'une règle d'or préservant certaines dépenses jugées stratégiques par l'Union européenne et qui seraient exclues du calcul des différents seuils doit, en tout état de cause, être mise en perspective avec celle de la création de ressources nouvelles, provenant par exemple de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, ou d'une fiscalité réellement progressive à l'égard de tous.
Monsieur le Président, mes chers collègues, Marietta Karamanli vous a présenté les contours du cadre qui devrait peu ou prou être adopté au cours des prochains mois.
J'aimerais donc utiliser le temps qui m'est donné non pas pour revenir moi aussi sur ce cadre mais plutôt pour m'intéresser aux conséquences d'une telle procédure pour notre Assemblée si elle devait être mise en œuvre. Cela me semble un élément déterminant de cette réforme sur lequel la commission des Finances devrait notamment se pencher.
Comme cela a été expliqué, les plans nationaux seront au cœur du nouveau dispositif. Cela constitue un progrès indéniable car, comme leur nom l'indique, ces plans seront nationaux et chaque État pourra, par conséquent, avancer à un rythme qui lui est propre. Toutefois, ces plans budgétaires et structurels à moyen terme seront définis par le Gouvernement, dans un dialogue avec la Commission européenne. Or, de tels plans conditionneront le volume des dépenses qu'il nous sera possible d'adopter au moment de l'examen annuel de chaque projet de loi de finances pour les années couvertes par le plan. Notre marge de manœuvre, à nous parlementaires, sera donc contrainte et déterminée dans un dialogue dont nous serons exclus. Quelle que soit notre orientation politique, cela devrait tous nous préoccuper en ce que le vote du budget reste une prérogative forte du Parlement. C'est la raison pour laquelle, avec ma collègue, nous appelons, non pas à être associés directement aux négociations, mais, au moins, à avoir connaissance de l'ensemble de leur contenu, notamment des documents échangés entre Paris et Bruxelles dans ce cadre. Cela nous évitera d'être placés devant le fait accompli une fois les négociations terminées et de devoir composer avec une trajectoire sur laquelle nous n'aurions pas eu notre mot à dire. Pour cela, il nous paraît opportun de profiter de la prochaine révision de la Constitution envisagée par le président de la République la semaine dernière pour introduire dans la Constitution une disposition faisant obligation au Gouvernement de transmettre sans délai au Parlement tous les documents reçus des institutions européennes et sujettes à discussions entre eux. Cela se fait dans l'immense majorité des États membres, pourquoi cela ne serait-il pas le cas en France ?
Vous remarquerez que nous ne limitons d'ailleurs pas notre recommandation au seul cadre des règles budgétaires, mais que nous l'étendons à l'ensemble des sujets faisant l'objet de négociations entre le Gouvernement et les institutions européennes.
Avoir accès aux documents n'est toutefois n'est pas suffisant. Dans le cadre de ce rapport nous avons demandé au Trésor un document, le Trésor nous en a refusé l'accès et nous avons obtenu ce document par des collègues d'un autre parlement national, ce qui délégitime notre institution et notre travail. Cet état de fait ne peut être satisfaisant pour personne. Derrière ces documents se cache un outil très ingénieux et intéressant, l'analyse de soutenabilité de la dette, ou modèle DSA, qui vise à vérifier à quel point la dette publique est soutenable. Il est donc nécessaire que nous puissions non seulement disposer de ces documents, mais que nous puissions également les analyser. C'est pourquoi nous avons besoin de compétences supplémentaires à l'Assemblée nationale afin que nous soyons véritablement en mesure d'évaluer les enjeux de telles négociations. Il est donc indispensable que l'Assemblée nationale et la commission des Affaires européennes aient la capacité humaine et matérielle d'analyser ces documents et d'en tirer les conclusions souhaitées par chacun des élus. Plusieurs possibilités s'offrent à nous : soit recruter directement des économistes à l'Assemblée nationale, qui nous seraient d'ailleurs utiles pour réaliser d'autres types de travaux – le chiffrage de nos amendements, par exemple – soit s'appuyer sur des laboratoires de recherche qui effectueraient, à titre ponctuel, des missions d'assistance et d'expertise à notre demande.
Je veux maintenant parler d'une partie de la réforme qui concerne nos institutions. Une institution sur laquelle nous pouvons nous appuyer, nous parlementaires, pour contrôler l'action du Gouvernement et voter le budget en étant mieux informés est le Haut Conseil des finances publiques. La proposition de la Commission prévoit à juste titre que les compétences des IBI – les institutions budgétaires indépendantes, le HCFP en France – voient leurs compétences étendues, notamment pour produire ou endosser des analyses de soutenabilité de la dette publique ou pour rédiger un avis sur le rapport suivi annuel de la mise en œuvre du plan budgétaire et structurel de moyen terme. Les dispositions relatives aux IBI sont actuellement contenues dans les trois textes du paquet législatif présenté par la Commission, deux règlements et une directive. Il me paraît important, quand bien même les dispositions contenues dans les règlements ne feront pas l'objet de transposition, d'inclure toutes les dispositions relatives aux HCFP dans la LOLF, qui devra être révisée si jamais la proposition de la Commission était adoptée. Cela me semble en effet bienvenu de faire figurer dans un même texte toutes les missions relatives au HCFP et les règles qui régissent son activité.
C'est sûr ces considérations nationales que je voulais attirer votre attention aujourd'hui, mais je reste évidemment disponible pour répondre à vos questions sur les aspects globaux de la réforme.
D'ores et déjà, en deux mots : je crois vraiment que la proposition de la Commission part d'une bonne intention en distinguant entre les situations respectives des États membres. Toutefois, j'émets de sérieux doutes quant à sa mise en œuvre pratique, qu'il s'agisse de la méthodologie sur laquelle repose la DSA, de l'articulation des nouvelles règles avec les échéances démocratiques nationales ou encore de leur simplification. Il faudra que chaque nouveau pouvoir législatif et présidentiel puisse revoir les propositions faites par la Commission.
La Commission européenne a présenté en avril 2023 des propositions législatives visant à mettre en œuvre une réforme complète des règles de gouvernance économique de l'Union européenne, avec pour objectif de « renforcer la soutenabilité de la dette publique et promouvoir une croissance durable et inclusive dans tous les États membres au moyen de réformes et d'investissements ». L'objectif affiché est de réduire les ratios d'endettement public trop importants.
Nous déplorons cependant que l'Union européenne empiète de façon croissante sur la souveraineté des États membres en donnant encore une fois plus de pouvoir à la Commission européenne. Les nouvelles règles budgétaires proposées sont déraisonnables pour la France car elles imposeraient près de 140 milliards d'euros d'économies en quatre ans, sauf à obtenir une dérogation. Par comparaison, le gouvernement français entend réaliser 60 milliards d'euros d'économie dans la même durée en application de son programme de stabilité, ce qui semble déjà significatif. Avec cette réforme, le financement de l'Union pourrait être suspendu si un État membre ne prenait pas de mesures suivies d'effets pour corriger un déficit jugé excessif, notre ministre des finances pouvant même être convoqué devant le Parlement européen.
Comment accepter, en tant que républicain, mais surtout en tant que démocrate, que des commissaires non élus et ne rendant de comptes à personne puissent influer sur la politique budgétaire de la France ? Nous ne l'acceptons pas et nous nous battrons toujours pour une Europe des nations respectueuse de la souveraineté des États membres.
Et pourtant, nous constatons au fil des réformes qu'à mesure que cette dernière recule, les prérogatives de la Commission européenne se multiplient. Nous assistons à une mise sous tutelle de la gestion des finances publiques des États souverains. Vous indiquez d'ailleurs dans votre note à propos de l'établissement de règles budgétaires communes qu'il s'agissait également de limiter les déséquilibres au sein de l'Union économique et monétaire par la définition de cibles communes et de contribuer à assurer une convergence économique entre les États. C'est un bel objectif qui a abouti à l'inverse de ce qu'il promettait. En regardant l'indice de production en Europe entre 1970 et 2022, par exemple, nous constatons que la mise en place de ces règles communes a, au contraire, contribué à la divergence économique des États, qui jusque vers 1995 suivaient pourtant la même tendance.
Ma question concerne la méthodologie utilisée par la Commission pour calculer la croissance potentielle d'un État. Sa prévision concernant la croissance française d'ici 2030 est en effet très différente de celles faites par le FMI et l'OCDE. Or, c'est bien sur cet indicateur ne faisant pas l'objet d'un consensus que l'équilibrage de la Commission sera fait. Pourriez-vous donc nous dire d'après quelles données ces décisions seront prises, et quels recours seront mis en place ?
J'ai trouvé très habile votre présentation : vous avez beaucoup insisté sur la forme et sur la mise en œuvre de cette révision, mais n'avez-vous pas cherché à masquer une certaine bienveillance, voire pour M. Holroyd un certain enthousiasme, pour une révision qu'il salue comme un « véritable pas en avant ». La Commission européenne serait convaincue que les règles doivent changer, mais dans quel sens ? Pour permettre une nouvelle efficacité économique et le développement des capacités humaines ou pour imposer les exigences des marchés financiers aux économies européennes ? Les gouvernements, la Commission européenne et la Banque centrale européenne semblent avoir fait leur choix, qui n'est pas le mien.
La proposition présentée le 26 avril dernier par la Commission vise à imposer l'adhésion des États à une baisse de l'agrégat de dépenses publiques primaire net selon une trajectoire de dépenses sur quatre ans qui serait adoptée par le Conseil européen et deviendrait contraignante pour les États, à l'inverse des programmes pluriannuels actuels, qui ne sont qu'indicatifs.
Ces propositions doivent très bien convenir à Bruno Le Maire qui annonce le retour à l'austérité budgétaire dès le budget 2024, avec des coupes qui toucheront toutes les sphères de la dépense publique. L'Allemagne et certains autres pays réclament même des règles encore plus contraignantes.
Pourtant, tous ces gouvernements savent bien qu'ils devront y déroger dès que la prochaine crise économique menacera les profits des grands groupes ou que la prochaine grande faillite bancaire devra être épongée par un recours aux fonds publics. Sans aucun doute, ils compteront alors sur une création monétaire illimitée des banques centrales.
Le projet européen doit-il se complaire à exposer les populations aux conséquences du changement climatique, aux épidémies, à l'insécurité et au chaos politique ? C'est pourtant ce qui se passera si l'on renonce à financer le développement des services publics ainsi que la transition écologique et énergétique. Cela ne sera jamais notre vision. Les moyens financiers existent pour construire les réponses.
J'avais fait des propositions à l'occasion d'une proposition de résolution européenne relative au financement de la transition écologique avec un objectif d'une brûlante actualité : sortir du calcul du déficit des États membres de l'UE les dépenses d'investissement portant directement sur l'adaptation au changement climatique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. J'ai cru voir dans ce texte quelque chose allant dans ce sens. Pourriez-vous le préciser ?
Quant au débat que vous proposez à l'Assemblée nationale, je m'associe à cette demande. Il faut bien que je voie quelque chose de positif dans votre rapport.
Pour répondre à M. Sabatou, cette réforme ne donne pas plus de pouvoirs à la Commission européenne. Elle donne un mandat au Conseil européen, où siège le chef d'État français. Il se trouve que le Rassemblement national échoue tous les cinq ans à faire élire un chef d'État français mais, aujourd'hui, c'est un chef d'État élu démocratiquement par les Français qui siège à ce Conseil européen et qui a de facto quasiment un pouvoir de veto sur ses décisions. Deuxièmement, je trouve qu'il y a une certaine confusion dans votre position. Pourquoi est-ce que ces règles ont été édictées à l'origine ? Parce que nous avons une monnaie commune. La position du Rassemblement national sur la monnaie commune est difficile à suivre. À partir du moment où vous avez une monnaie commune, vous vous exposez à des risques financiers communs. Il paraît absolument nécessaire, et tous les économistes de la planète sont d'accord pour le dire, d'instaurer un semblant de coordination budgétaire. Certains vont même jusqu'à prôner une politique budgétaire alignée. Je pense qu'il faut que le Rassemblement national clarifie sa position. Est-ce que, comme pendant trente ans, cinquante ans il est toujours aujourd'hui contre le principe d'union économique et monétaire ou est-ce qu'il est prêt à permettre de prendre des mesures pour l'accompagner ? Nous parlons ici de règles économiques et monétaires qui permettent d'avoir une cohérence. Il est temps d'avoir une position cohérente. Vous ne pouvez pas vouloir une monnaie commune qui donne des avantages sur les marchés financiers et aucune règle. Nous sommes tous des États souverains en position de dire « non », tous en position de sortir de l'Union européenne. Les Britanniques sont sortis de l'Union européenne. Ils en ont le droit. Est-ce c'est ce que vous proposez ? Donnez-nous une indication claire sur la position du Rassemblement national.
Sur la question que vous avez posée, et qui est fondamentale, je n'ai pas une réponse parfaite à vous donner. Vous avez raison, au cœur de cette proposition réside un outil qui s'appelle l'analyse de la dette. Cet outil est basé sur toute une panoplie d'indicateurs : évidemment, si vous modifiez les paramètres cela aboutit à des résultats différents. C'est pour cela qu'il est important que le Parlement comprenne ces outils, comprenne ces paramètres – qu'il soit d'accord ou pas avec eux – et que chacun ici présents puisse en tirer les conclusions qu'il veut. Aujourd'hui je n'ai pas de visibilité sur ces paramètres, sur la manière dont ils sont fixés et qui donnera en bout de chaîne les résultats dont il est question dans cette réforme. Je suis déçu : je présente un rapport avec ma collègue Marietta Karamanli, qui est d'un autre parti, dans lequel j'indique qu'il faut que nous examinions les décisions qui sont négociées à Bruxelles, exercice de souveraineté s'il en est un et vous n'avez pas un mot pour soutenir cette proposition. C'est étonnant, vous devriez la soutenir à votre corps défendant.
Monsieur Chassaigne, la France n'a pas équilibré un budget depuis 1974. L'austérité budgétaire existe dans votre imaginaire, pas dans la réalité telle qu'elle est perçue par les économistes. L'austérité budgétaire a en revanche été appliquée dans certains pays européens, Marietta Karamanli peut en témoigner pour la Grèce. Je suis le premier à dire que ce fut un désastre. Il n'y a pas d'austérité budgétaire en France, les dépenses croissent d'année en année. Cette année nous allons emprunter 280 milliards d'euros pour financer nos dépenses publiques. Vous dites que la Commission met en œuvre la politique des marchés financiers mais c'est un fantasme. L'Agence France Trésor s'endette directement auprès des marchés financiers. Ça ne passe pas par la Commission. La réalité c'est que l'euro réduit notre coût d'emprunt et l'exemple du Royaume-Uni nous montre que sortis de l'euro, sortis de l'Union européenne notre coût d'emprunt serait renchéri. Ces déficits ont été utilisés pour protéger les Français. Nous sortons de la période Covid avec le chômage partiel et l'indemnité énergie que vous avez votés à nos côtés. Nous avons une vision de la politique budgétaire de la France très différente, on ne va pas se voiler la face. Mais nous devrions nous retrouver derrière des propositions pour accentuer le rôle de la représentation nationale sur ces questions dans le débat européen. Un rôle que les parlements nationaux d'autres États exercent. Un dernier point sur la transition verte, pour lequel je partage un petit différend avec Marietta Karamanli, qui ne porte toutefois pas sur les objectifs. Marietta Karamanli propose d'extraire les trajectoires des investissements verts. Je ne pense pas que ce soit la bonne méthode car si l'on ouvre ce chantier, va s'ouvrir une négociation dont seuls nous Européens avons le secret pour définir ce qui est vert et ce qu'il ne l'est pas. Je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il faut investir dans le domaine de la transition verte. Chaque État membre a une feuille de route, chez nous c'est la SNBC. Donc plutôt une différence de méthodologie que d'objectifs.
Je suis en accord avec mon collègue sur le fait que notre appartenance à une communauté nous impose d'avoir des règles communes, à la fois sur les sujets européens et budgétaires. Ma proposition sur les investissements verts répond au souhait de plusieurs pays européens d'investir dans certains domaines les impactant davantage, que ce soit au niveau de la défense ou de la transition écologique. Pourquoi ne pas traiter cette question de manière différenciée si telle est la volonté de l'Europe ? Sur les règles budgétaires, il faut prendre en compte la situation des états. La Grèce par exemple, malgré l'action de ses dirigeants, est toujours en crise économique et les règles budgétaires doivent en tenir compte par solidarité pour ne pas aggraver sa situation déjà difficile. Il ne faut pas être hypocrites, la règle des 3 % de déficit et celle de 60 % d'endettement sont dépassées depuis très longtemps. Le Parlement doit être associé. Il faut également trouver des ressources pour permettre à l'État de mener ses politiques publiques. Par exemple un ISF modernisé qui pourrait toucher les fortunes à partir de 20 millions d'euros pourrait dégager 24 milliards d'euros par an. Cette mesure ou d'autres lui ressemblant pourrait générer des ressources permettant le désendettement et la conduite des politiques publiques. Nous avons mené ces travaux de manière honnête pour dire à la Commission ce que nous voulons et peser sur le débat.
Sur notre politique européenne, notre position sera clarifiée au moment des élections de juin. Je n'ai pas eu le temps de m'étendre en 3 minutes mais nous soutenons votre demande pour plus de transparence et plus de débats à l'Assemblée sur les sujets européens. À titre personnel, et au nom du groupe je crois, nous souhaiterions que la commission des affaires européennes occupe une place plus importante au sein de notre Assemblée pour pouvoir davantage s'emparer des textes discutés au niveau européen.
Je veux formuler deux observations. Il ne faut pas céder à l'idée qu'il existe une pensée unique en économie. Il existe aussi des économistes européens qui ont le même regard que nous communistes sur le marché. Par exemple, l'idée de sortir les dépenses liées à la transition écologique du calcul du déficit public est portée par de nombreux économistes qui pensent que le succès de la transition écologique en dépend car les contraintes du marché l'empêcheront. Il existe aussi des économistes qui voudraient voir la BCE financer directement des investissements sans passer par la fluctuation des marchés en créant un fonds de développement économique, écologique et social. Il n'y a pas de parti unique mais une pensée unique contre laquelle il faut lutter, notamment sur les sujets économiques et bancaires.
Je suis content que nous soyons tous d'accord sur l'importance de notre commission et sur la nécessité de discuter davantage des sujets européens. Monsieur Chassaigne, je suis d'accord, il n'y a pas de pensée unique au sein des économistes. Toutefois, très peu d'entre eux affirment qu'on peut avoir une politique monétaire efficace sans une coordination des politiques budgétaires. Sur l'exclusion des investissements du calcul du déficit, je suis d'accord avec l'esprit mais pas avec la forme : d'autres outils comme les budgets carbones me paraissent plus appropriés. La décision de la BCE de différencier ses rachats par État a déjà profondément changé le champ des possibles et il existe des possibilités conséquentes nous permettant de réfléchir au financement de notre transition. Je rappelle que le budget à venir va consacrer 40 milliards supplémentaires à la transition écologique.
Les pays nordiques ont réussi à commencer leur transition verte plus tôt que d'autres États, comme la France ou l'Allemagne. Pour cette raison, je pense que l'Europe doit avoir un fond pour soutenir la transition. Mme Chikirou m'a chargé d'indiquer qu'elle salue plusieurs recommandations de notre rapport, comme celle de refuser tout objectif numéraire identique ou celle de prévoir des dispositifs exceptionnels en case de crise. En effet, nous avons essayé d'être pragmatiques et volontaristes car nous sommes à la fois européens et attachés à notre pays.
La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.
Je vous remercie pour votre travail. La semaine prochaine Alexandre Holroyd présentera une communication avec Manuel Bompard sur le prélèvement sur recette au profit de l'Union européenne.
La séance est levée à 15 heures 40.
Intervention de Mme Sophia Chikirou sur le projet de rapport d'information relatif à la révision des règles budgétaire du Pacte de stabilité et de croissance
(Mme Sophia Chikirou ayant été empêchée de prononcer cette intervention en raison d'un vote en séance publique, elle a demandé que le présent texte soit annexé au compte rendu)
« Merci Monsieur le Président,
Madame et Monsieur les Rapporteurs,
Chers collègues,
L'austérité a échoué. Et conclure que l'austérité est efficace parce que l'on entrevoit le frémissement d'une maigre reprise fait penser au médecin du Moyen Âge qui prétendait que la saignée était un bon remède parce que le malade n'était pas encore mort. »
Voilà ce que le prix Nobel d'économie américain Joseph Stiglitz assénait dans les colonnes des Échos en octobre 2014, six ans après la propagation de la crise financière sur le continent européen.
Depuis de nombreuses années déjà, Jean-Luc Mélenchon fustigeait cette idéologie néolibérale et appelait en septembre 2012 « le peuple français à entrer en mouvement contre la politique d'austérité », alors que la France était sur le point de ratifier le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) durcissant encore les règles budgétaires européennes.
Ce n'est donc pas faute d'avoir prévenu ! Ces règles, qui fixent de manière totalement conventionnelle – mais c'est vrai que c'est toujours sympa les chiffres ronds – des seuils de 3 % du PIB pour le déficit public et de 60 % du PIB pour la dette publique, sont le symbole de l'ordolibéralisme européen.
Un prisme idéologique que nous combattons. Non pas par idéologie justement, mais parce qu'il ne résiste pas à l'épreuve des faits. Ces règles empêchent toute politique de relance contracyclique, vous le dites dans le rapport, et a mené lors de la crise de 2008 des pays dans la dépression, comme ce fut le cas de l'Espagne et de la Grèce, dont 25 % de la population et la moitié des jeunes étaient au chômage au tournant des années 2010.
En Grèce, c'est un véritable désastre humanitaire qui a été orchestré au nom de ces mêmes règles par ce qu'on appelait alors la Troïka ([1]). Un désastre pour rien : la dette grecque s'établissait à 120 % du PIB en 2010, Bruxelles a serré la visse, et elle est montée jusqu'à 200 % du PIB en 2020, sans que plus personne ne s'en préoccupe. On a saigné le malade, on s'est rendu compte que ça ne fonctionnait pas, puis on l'a laissé crever.
Des règles inefficaces, cyniques et hypocrites donc.
Mais aussi et surtout inadaptées à l'urgence climatique qui nécessite de lourds investissements. J'insiste collègues : on ne lègue pas seulement des dettes aux générations futures ! On lègue aussi des actifs, un état de l'économie et un écosystème compatible avec la vie humaine. Adopter une politique court-termiste en renonçant à soutenir la demande en cas de choc ou à financer des dépenses d'investissement dans la transition écologique peut s'avérer désastreux à long terme. La crise sanitaire de la Covid en était l'illustration parfaite.
Alors cette révision des règles tombait à pic. Sauf que, comme souvent en Europe, il faut que tout change pour que rien ne change. On nous propose de changer les règles sans changer les traités ni les seuils ! Un comble. On modifie à la marge des critères d'ajustement communs qui n'ont pas de sens et on invente de nouveaux plans budgétaires - qui viennent s'additionner à une loi de programmation des finances publiques dont on a compris qu'elle ne servait à rien.
Bref, je m'associe donc à toutes les réserves exprimées par les rapporteurs et soutiens particulièrement la recommandation 4 qui vise à refuser tout objectif numéraire (c'est quand même la moindre des choses quand on veut réformer une règle jugée trop rigide). Et la recommandation 7 permettant des dépenses exceptionnelles en cas de situation exceptionnelle (au sortir de la crise covid, cela apparaît comme une évidence). Je salue aussi la recommandation de la rapporteure Karamanli qui propose de ne pas comptabiliser les dépenses liées à la transition écologique. C'est l'urgence qui se dresse devant nous.
Mais je ne vous le cache pas, nous pensons qu'il faut aller beaucoup plus loin et abroger ces traités pour leur préférer des règles européennes d'harmonisation fiscales, sociales et écologiques. Je vous remercie »
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Gabriel Amard, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Pascale Boyer, M. André Chassaigne, Mme Sophia Chikirou, Mme Félicie Gérard, M. Alexandre Holroyd, Mme Marietta Karamanli, Mme Nicole Le Peih, Mme Yaël Menache, M. Thomas Ménagé, Mme Lysiane Métayer, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, M. Jean-Pierre Pont, M. Alexandre Sabatou, Mme Sabine Thillaye
Excusé. – M. Charles Sitzenstuhl