La réunion

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La séance est ouverte à quatorze heures.

La commission auditionne M. Romain Molina, journaliste.

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Monsieur Molina, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendu disponible rapidement pour répondre à nos questions. Nous avons entamé ce matin les travaux de notre commission d'enquête sur l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif.

Vous le savez, à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de divers scandales judiciaires, l'Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d'enquête dont les travaux vont se décliner autour de trois axes :

- l'identification des violences sexuelles, physiques ou psychologiques dans le sport ;

- l'identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ;

- l'identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d'une délégation de service public.

Nous avons souhaité vous auditionner en tant qu'expert de l'investigation sur ces trois sujets. Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous puissiez nous exposer brièvement les résultats de vos investigations à l'encontre des fédérations françaises de football et de rugby sur lesquelles vous avez publié de nombreux articles. Dans un second temps, la rapporteure, mes collègues et moi-même aurons certainement des questions complémentaires pour connaître votre appréciation des mesures prises en France pour lutter contre les violences et les discriminations dans le sport.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Romain Molina prête serment).

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Romain Molina, journaliste

Je tiens à remercier toutes les personnes à l'initiative de cette commission d'enquête parlementaire. Bien souvent, dans la vie politique française, si dense, le monde du sport passe au second plan par rapport à d'autres sujets, ce qui permet à beaucoup de dirigeants et de fédérations sportives d'évoluer « tranquillement ». Mais, quand on y réfléchit, il s'agit là d'une industrie qui fait rêver des millions de Français et des milliards de personnes dans le monde.

Quand j'étais jeune enfant en Isère, je m'imaginais un jour être au milieu des plus grands basketteurs. Ce rêve d'enfant m'a conduit à arpenter depuis maintenant plus de dix ans les dédales malheureusement assez obscurs du sport. Au début, j'abordais ce milieu avec naïveté et candeur, car le sport représentait pour moi des valeurs que j'entendais répéter ici et là.

J'exerce mon métier de journaliste d'investigation depuis plus de dix ans désormais. J'ai publié des articles pour le New York Times, The Guardian, la BBC, CNN, Blast, et j'ai également publié sept livres, principalement autour des coulisses du sport, essentiellement du football et du basketball. Je publierai bientôt sur les sports de combat, domaine où chaque jour je prends davantage peur devant l'ampleur des dégâts.

Mes enquêtes, menées principalement au niveau international, ont permis qu'une vingtaine de dirigeants sportifs soient bannis ou arrêtés. Il y a eu des cas en Haïti, jusqu'à l'ancien ministre des sports, M. Evans Lescouflai, qui a été arrêté par Interpol pour pédocriminalité. Au Gabon, le président de la République a réagi dès le lendemain de la publication de mes articles dans The Guardian, qui ont permis l'arrestation de cinq personnes dans les milieux du taekwondo, du tennis et du football, également pour des actes de pédocriminalité. Il en a été de même en Côte d'Ivoire, au Mali, au Zimbabwe, en Zambie et en Mongolie. D'autres enquêtes sont en cours, notamment au Salvador, au Costa Rica et en Colombie.

Si je ne suis pas présent physiquement parmi vous aujourd'hui, c'est parce que des menaces pèsent sur moi. Certaines personnes bénéficient en effet d'une grande impunité dans le sport. J'ai beaucoup publié au sujet de la fédération française de football (FFF), depuis plusieurs années, principalement dans le New York Times, où j'ai relaté la culture toxique en place à la fédération. Quelle ne fut pas ma surprise de constater l'omerta incroyable dès que l'on touche à la FFF ! Personne ne voulait me parler pendant des années, d'autres personnes se rétractaient. Or, sans témoignage ou sans base suffisamment solide au niveau légal, il n'est pas possible de publier, ce qui conduit à ronger son frein. Il en va de même pour d'autres fédérations, notamment dans le basket et les sports de combat.

Certes, des évènements sont intervenus ces derniers mois, dont un rapport d'audit commandé par le ministère des sports. Nous pourrons en reparler, puisque ce rapport est tout de même assez biaisé dès le début. Cela m'a beaucoup peiné que l'on ne veuille pas, à cette occasion, aller au fond des choses. En France, on s'est toujours attaqué à une personne en particulier, souvent les présidents de fédérations : M. Laporte dans le rugby et M. Le Graët dans le football. Mais à aucun moment on ne s'attaque au système, comme si une seule personne était responsable de toute la mélasse, de toute la crasse. Soit on prend les gens pour des imbéciles, soit il s'agit d'un manque de connaissance, mais dans les deux cas, cela ne réglera pas les problèmes. On a sauvegardé des systèmes déficitaires, qui ont fermé les yeux sur des actes abominables, sans jamais s'attaquer au fond du problème.

À titre d'exemple concret, de nombreux jeunes Gabonais rêveraient de jouer en France, qui est la vitrine d'une excellence sportive, qu'il s'agisse du handball, du volleyball ou du football, pour ne citer que ces disciplines. Cette vitrine sert notamment à rassurer les politiques grâce aux titres glanés, avec le sous-entendu que « ça travaille bien » dans les fédérations. Une histoire absolument terrible montre à quel point la politique de l'autruche peut être pratiquée dans ce milieu. Les mots que je vais employer seront assez forts, mais je suis obligé de le faire. Il existe en France un célèbre tournoi de jeunes footballeurs organisé en Vendée, à Montaigu, qui est internationalement connu et dont la FFF fait la promotion sur son site internet à l'occasion du cinquantenaire de cet évènement. Le « Mondial de Montaigu » est une référence au niveau international.

Il y a une quinzaine d'années, de jeunes Gabonais sont allés à Montaigu en rêvant d'être repérés et de jouer en France. Des personnes de leur équipe technique abusaient d'eux, dans des proportions inimaginables, à la fois sur le sol gabonais et sur le sol français. Sur un groupe de vingt joueurs, au moins 80 % ont reçu la « présence d'esprit », terme par lequel le coach, M. Patrick Assoumou Eyi, aujourd'hui incarcéré à Libreville à la suite de nos enquêtes, désignait le fait de sodomiser ces jeunes enfants au « jardin d'Eden », le surnom de sa maison. Il était aidé en cela par un agent franco-gabonais, M. Guy Mandarano, qui faisait des fellations aux jeunes joueurs et gardait leur sperme dans des bocaux.

Ces actes ont aussi été commis sur le territoire français, à Montaigu. Je me rappelle une discussion avec un des « rescapés » de Montaigu qui rêvait d'aller en France. On parle d'un homme, aujourd'hui père de famille, dont la vie a été brisée à un point dont vous n'avez pas idée. Or, il y a quelques mois, alors que la presse internationale avait fait déclencher des enquêtes par la Fédération internationale de football (FIFA) et la justice civile gabonaise, les organisateurs du tournoi ont fièrement annoncé avoir réinvité l'équipe du Gabon, avec la même équipe dirigeante – dont le président de la fédération, M. Pierre-Alain Mounguengui, accusé d'avoir couvert un réseau pédocriminel, qui se trouvait en prison. Ce dernier est actuellement en liberté conditionnelle dans l'attente de son procès à Libreville.

La victime qui m'a écrit, et dont je tairai le nom par mesure de sécurité, m'a dit : « C'est comme si on me violait une deuxième fois ». J'ai essayé de contacter les autorités pour comprendre s'il était possible de savoir comment un scandale aussi énorme, s'étant en partie déroulé le territoire français, ne connaisse pas de suites judicaires chez nous. La justice sportive existe pourtant, mais ferme toujours les yeux. Il est plus que jamais temps que la justice civile et la justice sportive s'allient et disent non à l'impunité.

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Je vous remercie pour votre témoignage, qui est particulièrement déstabilisant. Il l'est encore plus pour moi dans la mesure où je suis élue de la Vendée.

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Romain Molina, journaliste

Je précise que j'ai tous les éléments en main et que la justice gabonaise a agi. Théoriquement, il existe également des accords de coopération entre la France et le Gabon. Malheureusement, lorsque j'ai contacté les autorités pour évoquer le sujet, j'ai reçu une fin de non-recevoir. Cela est à la fois troublant et problématique, dans la mesure où ce n'est pas la première fois que je rapporte des faits liés au football, et notamment des viols sur mineurs. J'avais déjà dénoncé les viols commis par M. Yves Jeanbart, l'ancien président de la fédération haïtienne de football, lors de la coupe du monde féminine 2018 qui s'était déroulée en France. On m'avait rétorqué : « Ce n'est pas notre boulot ».

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Romain Molina, journaliste

Des policiers. Ils m'avaient appelé, parce que M. Jeanbart m'avait attaqué pour diffamation à la suite des articles que nous avions publiés dans The Guardian. Lors de cette conversation, je leur avais indiqué que je souhaitais les mettre en contact avec les personnes concernées. Quand j'ai réessayé, notamment auprès de la juge, j'ai reçu une fin de non-recevoir. Peut-être aurais-je dû effectuer un signalement auprès du procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale. Mais je vis dans un milieu tellement criminalisé que je devrais « faire » des articles 40 tous les jours. Si cette commission peut aider dans ce domaine, vous n'imaginez pas combien serait élevée la gratitude de tous ceux qui ont souffert par la faute de dirigeants sportifs.

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Je vous remercie pour votre témoignage. Il recoupe un grand nombre d'éléments qui nous ont été rapportés sur l'omerta qui peut régner et sur le fait que très peu de personnes osent briser la loi du silence, qu'il s'agisse des victimes ou des personnes qui ont connaissance des faits et ne les rapportent pas, par peur des représailles ou pour d'autres raisons.

Vous intervenez de manière prédominante dans le monde du football, mais pas seulement. Comment qualifieriez-vous la situation du football français sur les questions qui nous regardent, à savoir les violences dans le sport, le racisme et l'éthique financière ?

Vous avez également évoqué des menaces qui pèsent sur vous et qui vous empêchent d'être sur le territoire français aujourd'hui, si j'ai bien compris. Pouvez-vous nous en dire plus ?

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Vous avez également dit que « beaucoup de grands journaux pourraient faire sauter la FFF demain ».

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Romain Molina, journaliste

C'est exact. L'Équip e en premier lieu. Il y a des gens très bien à L'Équip e, mais d'autres protègent telle ou telle source au profit de règlements de compte. Il s'agit là d'un véritable problème. Un très grand quotidien français avait aussi bloqué des publications liées à M. Al-Khelaïfi. Or il s'avère que la personne qui a bloqué la publication dispose notamment d'une loge au carré VIP du Parc des Princes.

Dans notre milieu, il y a de moins en moins de journalistes, mais de plus en plus de communication – et de règlements de compte. Les agences de communication ou certaines sociétés d'intelligence économique aident à la rédaction de certains papiers. En effet, nous sommes dans un milieu où « la soupe est tellement bonne » que des personnes ne veulent surtout pas quitter leur piédestal. Un grand nombre ont un bilan catastrophique, mais ils sont relativement protégés par la presse du fait qu'ils « balancent » ici et là.

Parfois, des journalistes arrivent à produire de grandes enquêtes. France Télévisions a par exemple réalisé un travail remarquable sur la fédération française de gymnastique. On peut également citer Mediapart à propos du tennis, ainsi que la rubrique rugby de L'Équipe. Cela permet aux politiques de se rendre compte qu'il existe un problème. J'ai oublié de citer les scandales déjà dénoncés il y a quelques années concernant l'équitation et les sports de glace. Je vous parlerai ensuite des fédérations de sport de combat. Ce qui s'y passe est tellement grave que je ne sais par où commencer. J'ai même contacté le conseiller sport de M. Macron tant je me sentais dépassé.

Dans le milieu du football, il y a énormément d'enjeux d'argent et de pouvoir politique, que ce soit dans les petits ou les grands clubs. Des élus s'associent personnellement à la réussite des clubs de football et y consacrent de nombreuses subventions. Officiellement, ces subventions sont accordées « pour les jeunes » mais en réalité tout est orienté vers l'équipe première. La ville de Chartres, par exemple, accorde plus de 1,2 million d'euros de subventions au club de football, mais cette subvention sert surtout à verser des salaires aux joueurs professionnels du club, qui dispute la quatrième division française, dans l'espoir que le club monte. Ce double discours, accompagné d'une « folie des grandeurs », est toujours présent.

L'état du football français est abyssal. Un exemple est, à ce titre, très illustratif ; je l'avais d'ailleurs donné aux inspecteurs du ministère des sports et il pourra vous être confirmé par des témoins à la FFF. Une personne de la fédération se chargeait de ramener des prostituées à des cadres de la FFF. Cette personne a été exfiltrée du Brésil lors de la coupe du monde 2014 car certains joueurs s'étaient rendu compte qu'elle avait escroqué leurs familles dans le cadre de locations saisonnières. Cette personne les aidait à avoir un appartement, mais en doublait le prix. Une enquête a supposément été lancée en interne, qui n'a jamais réellement eu lieu, et cet homme a finalement bénéficié d'une promotion. Il a notamment travaillé sur la coupe du monde féminine en 2019. N'est-ce pas ironique ?

Ce cynisme est ambiant ; je pourrais vous citer de bien nombreux exemples. Le racisme est également un problème qui dépasse le football français. Lorsque M. Gianni Infantino est arrivé à la tête de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), sa première mesure a consisté à supprimer la task force de la fédération dédiée au racisme.

En matière de violences sexuelles, on touche le fond. Les publications le dénoncent depuis 2020 dans le New York Times. Lorsque la FFF a été éclaboussée, elle a immédiatement sollicité des cabinets de conseil de crise pour faire établir soi-disant un rapport d'audit qu'elle n'a jamais révélé. Selon les documents que nous avons obtenus et qui ont été publiés dans la presse, Mme Roujas, une des responsables du pôle féminin à Clairefontaine a été licenciée, car la fédération lui reprochait d'entretenir des relations intimes, notamment avec une mineure. Elle n'a pas contesté son licenciement à l'époque. M. San José, responsable éducatif à Clairefontaine, a été licencié en catimini pour avoir adressé des textos inappropriés à un jeune de 13 ans, de ce genre : « Je t'aime, tu me manques mon bello, je t'aime, je t'aime, je t'aime ».

Mme Gaëlle Dumas a été condamnée récemment en première instance pour harcèlement moral au pôle Espoirs de Blagnac, qui appartient à la FFF. Dans les années 1980, l'ancien sélectionneur de l'équipe de France féminine, M. Coché, désormais décédé, avait été « dégagé » en catimini, car les joueuses devaient coucher avec lui pour pouvoir jouer. Mme Loisel vient de quitter la FFF. Son avocat dit qu'elle n'a rien fait, mais nous avons publié un procès-verbal de M. Gérard Prêcheur dans lequel il expliquait à la police que Mme Loisel faisait ses choix selon l'orientation sexuelle des joueuses. M. Prêcheur prétend aujourd'hui ne plus s'en souvenir.

Dans le domaine de l'arbitrage, M. Galletti envoyait des messages – notamment sur Facebook – en disant qu'il pouvait faire des fellations à des jeunes et à des adultes en échange de promotions dans l'arbitrage. L'ancien arbitre, M. Nicolas Pottier, a également fait des révélations dans So Foot récemment.

Toutes ces personnes qui ont été écartées de la FFF – qui estiment qu'elles sont un danger – ont néanmoins conservé leurs diplômes et leurs licences, alors que selon les statuts de la FFF, ceux-ci peuvent leur être enlevés. Aujourd'hui, le rapport de l'inspection générale du ministère des sports constate « un lourd passif en matière de violences sexuelles ». Comment expliquer qu'aucune sanction n'ait été prise et que les poursuites se soient heurtées à des prescriptions ? Comment expliquer que ces personnes demeurent dans le milieu du football, conservent leurs diplômes, et que la seule personne qui est actuellement en danger, à la suite de trois plaintes, est celle qui a dénoncé les faits, c'est-à-dire moi ?

Dans le Larousse, il est indiqué que la mafia est « un groupe occulte de personnes qui se soutiennent dans leurs intérêts par toutes sortes de moyens ». Nous avons sous nos yeux la définition d'une entreprise mafieuse.

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À votre connaissance, toutes les personnes que vous venez de citer ne font pas l'objet d'interdiction d'exercer auprès de mineurs ?

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Romain Molina, journaliste

Non. Un président de ligue – dont je retrouverai le nom – a demandé à la fédération si les diplômes pouvaient leur être retirés, puisque les statuts prévoient cette possibilité lorsqu'il y a atteinte à la morale, mais le directeur juridique de la FFF, M. Lapeyre, a refusé. Il faut savoir que M. Lapeyre supervisait en 2017 des élections à la ligue de La Réunion où, parmi les votants, figuraient des gens pourtant suspendus. Lorsqu'on en vient à truquer des élections pour faire gagner « les copains », à couvrir des affaires pendant des années, ne s'agit-il pas plutôt d'une fédération française du crime ? Cette question mérite d'être posée, de même que celle qui consiste à savoir si cette fédération devrait être considérée comme une organisation de type mafieux.

À la Réunion, le président de la ligue depuis quarante ans, M. Ethève, a dit qu'il n'y avait « que des salopes à la fédération ». Les inspecteurs du ministère des sports ont les documents entre leurs mains, qu'ils jugent d'ailleurs « terribles » ou « affligeants ». Mais aucune mesure n'a été prise contre la ligue de la Réunion, dont le directeur technique est également incarcéré pour violences sexuelles.

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Je me suis permise de vous le faire préciser car je trouve extrêmement grave que des personnes ayant été remerciés pour des faits d'une telle gravité soient aujourd'hui au contact d'enfants dans d'autres clubs ou fédérations.

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Romain Molina, journaliste

Je dispose des documents ; je peux vous les envoyer.

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Nous sommes preneurs de tous les documents que vous pouvez transmettre. Par ailleurs, vous avez révélé de nombreux scandales sexuels et de pédocriminalité dans le football. Selon vous, les organes de gouvernance mondiale (FIFA) et nationale (FFF) de ce sport sont-ils coupables de négligence ? Ferment-elles volontairement les yeux ?

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Romain Molina, journaliste

La France n'est pas le seul pays concerné. Au Canada, de nombreuses enquêtes sont menées actuellement dans différents sports, notamment sur les violences sexuelles exercées sur des jeunes. En Islande, quand il a été avéré qu'un viol avait été couvert par la fédération, l'intégralité du comité de direction avait démissionné. En France, personne n'a démissionné pour ces faits, et je suis la seule personne incriminée.

La Fifa souhaite développer depuis deux ans, avec l'ONU, un centre international contre les abus, en se fondant notamment sur les enquêtes que différents journalistes comme Suzy Wrackou, Ed Aarons ou moi-même avions menées pour The Guardian. Je tiens à aider les athlètes haïtiens ou gabonais qui font preuve d'un courage incroyable, et permettre de libérer la parole ; mais de son côté, la FIFA n'a toujours pas réalisé ce centre. Le projet tarde.

J'ai témoigné devant le tribunal arbitral du sport. À chaque fois, une ingérence politique intervient, car chaque fédération représente une voix à la Fifa. Dans le cadre de cette terrible affaire haïtienne dans un centre FIFA, j'ai révélé que l'ancien président de la FIFA, M. Joseph Blatter, avait reçu un cadeau sexuel en arrivant en Haïti : une employée de la fédération avait été forcée de coucher avec lui. M. Blatter ne m'a jamais attaqué et la FIFA n'a déclenché aucune procédure. Plusieurs victimes leur ont pourtant rapporté que le vice-président de la fédération haïtienne « donnait » des prostituées à des officiels de la FIFA et de la Confédération de football d'Amérique du Nord, d'Amérique centrale et des Caraïbes (Concacaf).

L'omerta est internationale, car beaucoup en ont bénéficié. Le niveau de dépravation est absolument incroyable. Je tiens à signaler – et je peux vous transmettre les documents – que la Fifa m'avait contacté pour me demander des informations liées à deux personnes de la FFF soupçonnées d'abus sexuels.

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Vous pouvez naturellement nous envoyer tous les documents en votre possession, si vous le souhaitez.

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Vous avez cosigné il y a deux ans une enquête dans le New York Times sur la FFF évoquant des accusations de responsables, encore en poste ou en poste par le passé, « de comportements inappropriés à l'égard du personnel féminin, de harcèlement de la part de la directrice générale de l'organisation, et de l'existence d'une culture toxique entretenue par des hommes qui emploieraient systématiquement un langage ouvertement sexiste ». Quelles ont été les conséquences de cette enquête ? Les récents changements à la tête de la FFF sont-ils selon vous de nature à corriger ces graves dysfonctionnements ?

Dans une autre enquête, publiée par le New York Times, vous évoquez le cas d'un ancien encadrant de la FFF, M. David San José, démis de ses fonctions à plusieurs reprises pour comportements problématiques à l'égard d'enfants (pesées sans sous-vêtements, SMS inappropriés, invitation à passer la nuit chez lui) mais qui n'a jamais été interdit d'exercer. Dans votre enquête publiée en septembre dernier, vous dénonciez l'inertie de la FFF qui aurait couvert des cas d'abus sexuels sur des enfants depuis les années 1980.

Enfin, dans une enquête publiée par Josimar intitulée « 40 ans de silence », vous pointez du doigt la responsabilité de cadres de la FFF dans la non-dénonciation d'agressions sexuelles et d'abus sur mineurs. M. Noël le Graët, mais aussi l'ensemble du Comex et les directeurs généraux ou simples de directeurs de cette fédération, que nous auditionnerons, semblent avoir été au contact de ces informations. Pensez-vous que le ministère des sports, averti à chaque fois de ces cas, a joué son rôle de contrôle ?

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Romain Molina, journaliste

Je vais vous adresser les lettres de licenciement et les constats. M. Le Graët avait soulevé un article 40 à l'encontre de Mme Roujas, qui n'avait pas été finalement été condamnée car son cas relevait de la prescription. Une autre affaire doit être mentionnée : l'affaire Fortépaule. M. Jacky Fortépaule, ancien président de la Ligue du Centre de football, a été condamné en appel pour harcèlement moral et sexuel. Quand des plaintes ont eu lieu à son égard, la FFF s'est empressée de produire des attestations qui lui étaient favorables.

Parmi les attestations figurait celle de Mme Régine Henriques, alors responsable du développement du football féminin de la FFF, dont elle est devenue ensuite la vice-présidente, avant de présider le comité national olympique sportif français (CNOSF). Un procès-verbal de gendarmerie porte sur l'audition de Mme Henriques qui prétend n'avoir jamais été alertée des potentielles agressions commises par M. Fortépaule. Le journal L'Equipe a pourtant révélé que Mme Henriques avait été avertie au moins deux fois. Elle l'a pourtant nié devant les gendarmes et dit aujourd'hui ne plus se souvenir avoir été contactée. Pourtant, selon l'un des procès-verbaux de gendarmerie, l'une des victimes l'avait alertée et Mme Henriques lui avait répondu qu'elle ne pouvait rien faire car une enquête était alors en cours. S'ils ne sont pas avertis, comment les clubs amateurs peuvent-ils savoir que cette personne a été licenciée de Clairefontaine pour comportements inappropriés à l'égard de mineurs ? Nous sommes au-delà de la négligence ! La responsabilité de la FFF est engagée, alors que tous ces gens seraient tenus de saisir le procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale.

De son côté, que fait le ministère des sports lorsqu'il reçoit des signalements ? J'ai donné aux inspecteurs du ministère des sports les contacts de certaines victimes, mais – je le dis haut et fort – celles-ci n'ont pas été contactées. Lorsque j'ai été interrogé par les inspecteurs du ministère, M. Bruno Béthune et son équipe, on m'a dit : « Monsieur Molina, on ne peut pas sanctionner tout le monde ». Finalement, personne au ministère n'a réalisé un signalement auprès du procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale. À la Ligue de la Réunion, des employées se font traiter de « salopes », mais rien ne se passe non plus. Comme je vous le disais plus tôt, je peux envoyer les documents prouvant que les élections à cette ligue ont été truquées et que le directeur juridique de la FFF les avait malgré tout validées.

Dans le football, les organes de contrôle ne sont pas indépendants. Je pourrais également vous parler de la Ligue de football et la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) du football.

Le 27 mai 2015, Mme Loretta Lynch, ministre américaine de la justice, avait effectué une conférence de presse expliquant la corruption endémique, systémique et profondément enracinée dans le football, à l'étranger et aux États-Unis, notamment en lien avec les droits de télévision. Plus d'une cinquantaine de personnes ont été mises en examen aux États-Unis et dans une vingtaine de pays différents.

En France, aucune commission ne vérifie les deux principales sources d'argent dans le football : à savoir les transferts et les droits de télévision, qui génèrent des centaines et des centaines de millions d'euros. L'impunité est donc générale. Le club de Sochaux, institution du football, est en train de mourir parce que des dirigeants ont profité d'un train de vie délirant sans que les instances ne réagissent. La même mésaventure est intervenue à Sedan et à Cherbourg. Nous assistons aujourd'hui à la faillite du football français.

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Pourrez-vous nous transmettre les différents éléments dont vous nous avez parlé ?

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Romain Molina, journaliste

Je vous transmettrai non seulement les documents, mais également les numéros des personnes en question. Une lettre manuscrite avait été rédigée il y a dix ou quinze ans par des anciens responsables de Tracfin. Cette lettre expliquait qu'ils n'avaient pas été saisis par le ministre des finances, mais qu'ils s'étaient rendu compte que les rétrocommissions et surfacturations étaient devenues un modèle économique, et qu'un tiers des présidents des clubs de Ligue 1 pourraient « terminer derrière les barreaux » si on les laissait travailler. De mémoire, cette lettre avait été, me semble-t-il, été envoyée à M. Michel Platini. La situation est identique aujourd'hui, mais à une échelle encore plus importante, compte tenu des sommes plus élevées qu'à l'époque. Il suffit de voir le nombre d'affaires de racket, de tentatives de meurtre ou d'extorsion. Un pugilat se prépare et les instances ferment les yeux.

Sur les quarante clubs professionnels en France, trente-huit sont en déficit structurel avant les transferts. Les pertes s'élevaient à plus de 600 millions d'euros l'année dernière, en dépit des aides exceptionnelles de l'État. Il n'existe pas une autre industrie qui perde autant d'argent, qui bénéficie d'autant d'aides, qui refuse de modifier son modèle économique et qui soit à peine contrôlée. Dans un an, le football français va entrer en faillite absolue et les présidents de clubs iront frapper à la porte des autorités publiques. Il est temps que tout le monde rende des comptes, notamment les organes de contrôle. Les bilans ne sont pas transparents et posent beaucoup de questions. La situation est encore pire dans les petits clubs.

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Vous nous indiquez avoir transmis les noms de victimes aux inspecteurs généraux du ministère des sports. Dans quels domaines ?

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Romain Molina, journaliste

Dans le domaine de l'arbitrage.

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Vous avez fait émerger un scandale autour de M. Christophe Galtier, l'ex-entraîneur du Paris Saint-Germain (PSG), qui lui vaut d'être convoqué devant le tribunal correctionnel de Nice, le 15 décembre 2023. Il y sera jugé des chefs d'inculpation de harcèlement moral et discrimination à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race ou religion déterminée. Que pouvez-vous nous dire de cette affaire ? Est-elle représentative du football français ?

Dans un portrait publié par Libération l'année dernière, vous déclariez : « Beaucoup de grands journaux pourraient faire sauter la FFF demain, avec les infos qu'ils ont. Je ne comprends pas pourquoi ils ne les sortent pas, alors qu'on parle de dossiers liés à la protection de l'enfance. Un jour, je balancerai tous ceux qui ont couvert ». Auriez-vous aujourd'hui des éléments précis à nous communiquer ?

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Romain Molina, journaliste

Je vais vous envoyer en privé les informations dont dispose L'Equipe sur certains dossiers. Les informations sont précises ; ce ne sont pas des « on dit ». Les pages n'ont jamais été publiées. Il est temps de parler.

Par ailleurs, toute la profession est au courant qu'un entraîneur français, qui était consultant pour BeIN Sports, a été licencié manu miltari mais très discrètement lors d'une coupe d'Afrique des nations. Il avait en effet été accusé par un prêtre d'avoir eu des relations sexuelles avec deux très jeunes Gabonaises, au diocèse d'Oyem. J'ai pu retrouver le prêtre, dont le témoignage est accablant. Toute la profession est au courant, notamment M. Jacques Vendroux, dont le fils était sur place. Pourtant, personne n'a dénoncé cet homme. Ce manque de courage abominable de la profession me sidère.

Certains journalistes font très bien leur travail, comme MM. Alban Traquet, Antoine Bourlon ou Rémi Dupré, mais j'ignore s'ils ont la liberté d'aller jusqu'au bout.

Le racisme est omniprésent dans le football. J'ai déjà entendu gens dire : « On va recruter du noir, le noir ça se vend bien. ». Un club de quatrième division française a l'habitude d'employer des joueurs sans papiers et prétend vouloir les aider. Quand le joueur ne marque plus de buts, il ne le paye plus, en menaçant de le dénoncer.

Le racisme est ambiant dans le football, mais tout le monde se tait, y compris les joueurs. Un joueur a été traité de « terroriste » parce qu'il avait fait sa prière. Le racisme est aussi débridé à la FFF, où certains patriarches se permettaient des commentaires incroyables. Il en va de même pour le sexisme. En plein comex ou comité de direction de la FFF, on a dit « Toi, ta gueule » à Mme Laura Georges, parce qu'elle avait osé parler. Plusieurs personnes du comité de direction de la FFF m'ont avoué que dans cette fédération, il faut avoir un dossier sur l'un et sur l'autre pour être tranquille. Si vous auditionniez certaines personnes, vous tomberiez de votre chaise.

Le sexisme est institutionnalisé. Bien souvent, dans ce milieu, pour une femme, c'est « Sois belle et ferme-la ». Le pire est qu'il n'existe pas de solidarité féminine. À la FFF, les femmes se sont fait la guerre pour des enjeux de pouvoir. Celles qui aiment le football ou sont présentes pour bien agir se font « éjecter ». Il existe une ambiance clanique, sexiste et délétère, sans que rien ne se passe. Seuls M. Le Graët et Mme Hardouin ont démissionné. Tous les autres, qui ont permis à ce système de fonctionner, sont toujours en poste.

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Dans votre courriel de réponse à cette invitation, vous avez mentionné une enquête à paraître dans le secteur des sports de combat et disciplines associées. Vous indiquez que les faits et allégations sont « tellement graves » et concernent un « système de prostitution implantée auprès des mamans des jeunes combattants ». Pourriez-vous nous en dire davantage aujourd'hui ?

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Romain Molina, journaliste

Il s'agit de la fédération française de kick boxing, muaythaï et disciplines associées (FFKMDA), dont le président, M. Nadir Allouache, est membre du comité de direction du CNOSF. Dans cette fédération, les méfaits sont très nombreux. Je ne parlerai pas de tous les gens fichés au grand banditisme qui appartiennent à cette fédération. Ces curriculum vitae sont utilisés pour impressionner les potentiels opposants.

S'agissant du système de prostitution, cela se passe à Aulnay-sous-Bois. Il existe un tableau Excel – que je peux vous envoyer - qui associe des noms à des fellations : ceux des mères des jeunes combattantes ou jeunes combattants, qui doivent faire des fellations aux responsables. Le tableau Excel comporte même des appréciations : « Doit faire ses preuves », « Favorable », et indique le nombre de fellations encore à réaliser pour que les enfants aillent au gala ou intègrent l'équipe de France. Le mail qui avait été adressé à cet homme l'a été par une femme qui, en réalité, sondait les mères pour voir si elles étaient disponibles. Le mail dit notamment ceci : « Ci-joint le tableau amélioré, avec avis de madames et planning à la semaine. Crois-moi, avec ça, elles vont te la gérer comme personne, ta petite bite ». Je n'avais jamais vu cela de ma vie. Le pire est que ces gens s'en vantent ! Ils sont fiers d'eux.

Les faits sont tellement graves ! Cette fédération compte parmi ses licenciés un certain nombre de personnes issues des autorités, notamment M. Serge Castello, l'ancien patron de la direction territoriale de la sécurité publique de Seine-Saint-Denis. M. Castello, vice-président référent honorabilité, m'a juré qu'il n'avait jamais outrepassé ses fonctions. Pourtant, certaines informations sont assez troublantes. Toute la fédération se vante quand M. Castello a « passé un coup de téléphone ». Un licencié de la fédération a été arrêté pour vols de parfums, puis libéré à l'issue d'une garde à vue sans se voir confisquer le produit de son vol. Par ailleurs, la fédération a récupéré des papiers provenant de la préfecture de Nanterre pour l'un de ses licenciés, alors que ce dernier n'est pas de nationalité française. J'ai d'ailleurs transmis le document à M. Cyril Mourin, le conseiller sport d'Emmanuel Macron, et Mme Bourdais, directrice des sports au ministère des sports. Ce genre de document est en vente à la fédération. La fédération est également secouée par des affaires de harcèlement et de chantage sexuel qu'elle a couvertes. Elle a également institutionnalisé un système de rétrocommissions. De nombreuses démissions interviennent actuellement car les gens n'en peuvent plus.

Le 26 février 2023, à l'occasion du championnat de France K1 au Palais des Sports de Bondy, M. Sofiane Allouche, le frère du président de la FFKMDA, responsable des équipes de France, a agressé physiquement un homme, dans le dos, à l'aide d'un étranglement de mixed martial arts (MMA), en présence de son père – le président – et d'autres personnes. Cet homme a ensuite été roué de coups et menacé. Dimanche 22 janvier 2023, un homme âgé qui prenait des photos a été violenté physiquement au centre omnisports de Beauchamp devant les yeux du président de la FFKMDA, qui n'a rien dit. En juin 2023, après la finale du championnat de France de K1, M. Gérard Bonio du SBC Sarcelles a porté plainte pour propos injurieux, calomnies, menaces de mort et menaces contre sa famille contre M. Nadir Allouache qui lui aurait dit « Je vais te tuer, toi et ta famille » devant de nombreux témoins.

En interne, une autre histoire secoue la fédération. Des directeurs techniques nationaux (DTN), des cadres fédéraux, ont passé des soirées en Thaïlande avec des prostituées. Certaines photos ont été prises, qui ont ensuite permis de les faire chanter. Selon de multiples sources, un membre du ministère des sports est ainsi « tenu » car des dirigeants de la fédération détiennent une vidéo le montrant en compagnie de très jeunes femmes en Thaïlande. Lundi dernier, cette personne a d'ailleurs eu un rendez-vous secret avec le président de la fédération, à la suite des questions que nous lui avons posées.

D'autres signalements – que je peux vous adresser – établissent un lien avec du trafic d'armes, du trafic de drogue et des détournements d'argent. Deux autres DTN de la fédération sont recherchés en Chine pour viol. Mais aucune suite n'a eu lieu. Que fait le ministère des sports, d'autant plus que les problèmes dépassent la FFKMDA pour concerner également le taekwondo, le karaté et le MMA ?

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Pouvez-vous nous transmettre vos échanges avec le conseiller sports et la ministre des sports ? Avez-vous eu des retours ?

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Romain Molina, journaliste

Je peux vous transmettre un grand nombre de noms, notamment de personnes qui ont le courage de se porter partie civile. Je n'ai pas eu de retour. Une personne a demandé depuis le mois de mars à avoir un entretien physique avec Mme Bourdais, sans l'obtenir. J'ai été opportunément contacté hier, la veille de mon passage devant votre commission.

Dans cette fédération, les docteurs sont payés en liquide, car ils doivent rétrocéder une partie des sommes au président. J'ajoute qu'une personne victime d'un arrêt cardiaque lors d'un gala est morte, faute de soins médicaux. Par ailleurs, la fédération a embauché une personne, M. Stambouli, pour « gérer » mon cas. Le droit de cuissage a par ailleurs été institutionnalisé à la fédération, sans parler des orgies sexuelles ou des soirées organisées pour les dirigeants avec des prostituées en Algérie, en Azerbaïdjan et en Thaïlande. Ils ont même envoyé des photos compromettantes à la femme de l'un de leurs hommes de main en Thaïlande.

À la fédération, ils me disent ne pas être au courant de ces faits, qui auraient eu lieu sous l'ancienne direction. Pour autant, rien n'est fait. Sur les réseaux sociaux de la fédération, il avait ainsi été demandé aux licenciés de la FFKMDA de soutenir la candidature de Mme Pécresse, alors que la fédération est censée rester apolitique. Le président de la fédération appelait lui-même certaines personnes pour leur demander d'assister à des meetings.

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Vous avez également travaillé sur les paris truqués. Selon vous, la commission devrait-elle s'emparer de ce sujet ?

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Romain Molina, journaliste

Oui. L'association Global Lottery Monitoring System (GLMS), basée à Copenhague il me semble, se charge de suivre les paris sportifs. Cette instance est, comme d'autres organismes de contrôle, employée par différentes fédérations. Il y a quelques années, elle avait émis une « alerte rouge » (match truqué, d'après la détection par ses algorithmes) au sujet d'un match de Ligue 1. Par ailleurs, M. Le Graët avait été appelé il y a quelques années pour un match truqué en troisième division française, mais il n'avait rien fait.

Je signale que M. Segalen, le directeur intégrité de l'Autorité nationale des jeux, fait de son mieux pour lutter contre les matchs truqués, et que la France a été pionnière dans certains de ces aspects. Néanmoins, je déplore une complaisance et un manque d'envie des institutions internationales à poursuivre les responsables des matchs truqués, dont certains peuvent se dérouler sur le sol français. De façon générale, les fédérations sportives agissent peu contre les matchs truqués.

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Où êtes-vous ? Êtes-vous caché quelque part ?

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Romain Molina, journaliste

Je ne suis pas caché, je vis en Andalousie. Mon avocat soulèvera bientôt les menaces de mort et les tentatives d'atteinte à ma vie dont j'ai fait l'objet, en particulier par l'un des dirigeants du football français. Certaines autorités françaises ont ces éléments en main, puisqu'il s'agit d'éléments écrits. De mémoire, cette personne était prête à payer un million de dollars pour que je sois éliminé. Certaines autorités françaises et services le savaient, mais ils ne m'avaient pas averti.

Je n'en suis pas totalement surpris, compte tenu de la compromission de certains services des autorités avec les dirigeants de sport, notamment du football. S'agissant du Paris Saint-Germain, on peut prendre peur vis-à-vis de la compromission de certains services du ministère de l'intérieur. Je pense notamment à la brigade de répression du banditisme (BRB) de Versailles, à la brigade des stupéfiants, à la police aux frontières et à la police judiciaire (PJ) du 36. En échange de cartes de séjour, de points de permis ou d'escortes policières, certains policiers obtiennent des places de matchs, des tickets VIP ou des maillots. On peut parler, me semble-t-il, en ce cas, de trafic d'influence.

Certaines affaires ne sortent jamais, mais je pourrai vous transmettre les documents. M. Nasser Al-Khelaïfi, président du PSG, est propriétaire avec son frère de la société qatarie Oryx, qui a passé un accord avec la société Sphinx Group Manpower Provider, Inc, basée aux Philippines. Je pourrai d'ailleurs vous envoyer le contrat. Par l'intermédiaire d'Oryx, des domestiques philippins sont disséminés dans les pays du Golfe. M. Nasser al-Khelaïfi a également des domestiques de maison dans ses propriétés en Angleterre et en France. Ces domestiques viennent sur la base de visas touristiques d'une durée de trois mois. Leurs passeports sont immédiatement placés dans un coffre de l'hôtel Intercontinental par un des intendants de M. Al-Khelaïfi. Ces femmes se trouvent en France, mais elles vivent donc sans papier. Elles vivent dans des conditions qui dépassent l'entendement, ayant droit à un appel par semaine et à une bouteille de shampoing par mois. Certaines ont été battues ou violentées sexuellement par des membres de la famille, au point de fuir la maison.

Les autorités françaises ont entre leurs mains les messages depuis deux ans, mais n'ont pas ouvert d'enquêtes. J'ai donc alerté personnellement une ancienne membre du département de justice américain, qui travaille à Human Rights Watch, ainsi que la division Trafic humain du département de la justice américain. Quel est le destin de ces femmes, qui ont été maltraitées et qui ont dû fuir, terrorisées ? C'est la raison pour laquelle je parle de compromission de certains services du ministère de l'intérieur.

Un procès-verbal comporte ainsi la photo d'une femme philippine ensanglantée, mais là aussi, aucune enquête n'a été diligentée. M. Al-Khelaïfi et toute la voyoucratie qui l'entoure doivent faire la lumière sur le sort de ces personnes. Plus vous êtes importants dans le milieu du sport, plus vous bénéficiez d'accès – d'ordre politique, médiatique ou autre. Il est plus que temps de dire stop à cette impunité. En disant cela, je m'expose à beaucoup d'ennuis. Mais j'ai juré de dire la vérité à votre commission, et il est de notre devoir aujourd'hui de protéger la dignité humaine.

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Selon vous, le ministère des sports et celui de l'intérieur sont-ils informés des liens entre les clubs professionnels, dont le PSG, et certains policiers, qui leur rendent des services officieux ? Et ont-ils sévi ?

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Romain Molina, journaliste

Il y a deux ans et demi, à l'occasion de la publication d'un livre d'Alex Jordanov sur la DGSI, des perquisitions ont eu lieu. Certaines d'entre elles ont permis de récupérer des données liées au PSG, dans le cadre des accusations d'enlèvement, de séquestration et de torture au Qatar de M. Tayeb Benabderrahmane, qui visent notamment le patron du PSG, Nasser Al-Khelaïfi. Le téléphone de M. Jean-Martial Ribes, l'ancien directeur de la communication du PSG, a également été saisi, et l'extraction de ces données a fait l'objet de procès-verbaux que vous pourrez, je pense, consulter. Ces phénomènes « d'affaires qui ne sortent pas », bien qu'entièrement documentées, se produisent aussi dans d'autres clubs moins prestigieux.

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Je suis étonnée que le ministère des sports ne se soit pas saisi de ces informations, qui étaient sorties par ailleurs dans la presse, notamment dans Mediapart.

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Romain Molina, journaliste

On s'attaque à chaque fois à une personne en particulier. Au ministère des sports, on raconte l'histoire d'un président de fédération, membre du CNOSF, qui est interdit de territoire au Maroc pour une affaire de viol ; mais nous ne parvenons pas à avoir le papier. Madame la ministre, pour qui j'ai beaucoup de respect par ailleurs, mène un combat contre les violences féminines, mais elle a accueilli au ministère M. Fernand Lopez, l'autoproclamé patron du MMA français, condamné pour avoir étranglé la mère de sa femme, et pour l'avoir battue au visage.

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Je suis assez sidérée. La tâche semble colossale. De quelle manière faudrait-il procéder selon vous ? Par quel bout ? Pour qu'il y ait des déclenchements d'article 40, que des plaintes soient menées jusqu'à terme, et que les auteurs de crimes et toutes les personnes susceptibles de nuire au milieu sportif soient écartés ?

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Romain Molina, journaliste

Votre commission constitue déjà un très bon début. Il faudrait ensuite disposer de commissions réellement indépendantes. Les DNCG, notamment au basket, ne font pas correctement leur travail, notamment vis-à-vis des abus du droit à l'image, utilisé pour payer des joueurs dans des structures à l'étranger et d'échapper en partie au système fiscal français.

Au niveau européen, il faudra se poser la question de savoir comment ces fédérations ont été criminalisées. Europol et Interpol ont conduit des opérations en République tchèque et à Chypre, en lien avec des matchs truqués par des groupes mafieux. Il faudrait également mettre en place des commissions pour étudier les rachats de clubs professionnels. Je rappelle que le rachat avorté du club de Béziers, dans le rugby, a provoqué la mort, par suicide, de M. Christophe Dominici. On parle ici de vies humaines.

La justice américaine enquête par exemple actuellement sur un trafic de drogue dont serait responsable un groupe, qui détient aujourd'hui un club de football en France. L'ancien juge, M. Éric Halphen avait indiqué en 2016 que les filières bancaires et les paradis fiscaux utilisés pour la corruption dans le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP), le trafic d'armes ou de stupéfiants, étaient également utilisés dans bon nombre de transferts sportifs.

Il faut sans doute aussi réformer le rôle du ministère des sports et, au-delà, dire non à l'impunité. Aujourd'hui, le système est trop laxiste. Les juges doivent pouvoir juger à partir de vrais dossiers.

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Les modalités d'élection des présidents de fédération ont changé récemment. Cela peut-il être une solution pour sortir de l'entre-soi et donner la parole aux clubs ?

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Romain Molina, journaliste

Vous avez raison de souligner la notion d'entre-soi. À la FFF, ceux qui votaient pour le président étaient de tous les voyages quand l'équipe de France se déplaçait. Normalement, le ministère est censé contrôler cela. Le train de vie de la Ligue de football professionnel pose aussi question. Un immeuble a été racheté pour un montant de 140 millions d'euros alors qu'il valait 50 millions trois ans auparavant.

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Je tiens à vous remercier pour votre témoignage et le travail que vous avez réalisé depuis plusieurs années, malgré l'omerta qui règne dans le monde sportif. Nous aurons peut-être l'occasion de vous solliciter pour une deuxième audition.

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Romain Molina, journaliste

Je vais vous ennoyer les documents et les contacts dont je dispose. Je sais qu'en parlant comme je l'ai fait aujourd'hui, je m'expose, ainsi que mes proches ; mais il est nécessaire d'agir avec courage aujourd'hui. J'ai enquêté dans de nombreux pays, mais je n'ai jamais autant rencontré autant d'omerta qu'en France. Votre commission d'enquête est en quelque sorte la récompense de dix ans de travail et constitue un message d'espoir pour toutes ces petites voix qui m'ont parlé. Je garde la foi.

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Les prochaines auditions seront publiques et vous pourrez donc les suivre. De notre côté, nous attendons vos retours et les détails dont vous nous avez parlé. N'hésitez pas à revenir vers nous.

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Romain Molina, journaliste

Je reviendrai vers vous dans la journée.

La commission auditionne M. Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile.

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Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendu disponible rapidement pour répondre à nos questions. Nous avons entamé ce matin les travaux de notre commission d'enquête sur l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif.

Vous le savez, à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de divers scandales judiciaires, l'Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d'enquête dont les travaux vont se décliner autour de trois axes :

- l'identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ;

- l'identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ;

- l'identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d'une délégation de service public.

Nous avons souhaité vous auditionner en tant qu'ancien rugbyman de haut niveau, victime de violences, et fondateur en 2013 de l'association Colosse aux pieds d'argile. Reconnue d'utilité publique, l'association œuvre en faveur de la prévention aux risques de violences sexuelles, de bizutage et de harcèlement en milieu sportif, ainsi qu'en faveur de la formation des professionnels ainsi que de l'accompagnement et de l'aide aux victimes.

Dans un premier temps, nous souhaiterions donc que vous puissiez nous faire part de votre témoignage concernant les violences dans le milieu sportif que vous avez subies et que vous présentiez les actions engagées par votre association, et leurs résultats depuis dix ans. Dans un second temps, la rapporteure, mes collègues et moi-même aurons certainement des questions complémentaires à vous soumettre pour connaître votre appréciation des mesures prises en France pour lutter contre les violences et les discriminations dans le sport.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Sébastien Boueilh prête serment).

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Je suis très honoré de pouvoir contribuer à vos travaux. S'agissant de mon expérience personnelle, j'ai été violé de l'âge de 11 à 16 ans, mais je n'ai pu en parler que dix-huit ans plus tard, en discutant avec un copain d'enfance, qui jouait au rugby avec moi dans les Landes. Cet ami avait suivi une hypnose partielle qui avait permis de révéler qu'il avait subi des viols les mercredis après-midi pendant un été entier. Le lendemain, je l'ai rappelé pour lui dire que j'avais été violé par la même personne pendant quatre ans, laquelle a aussi abusé de mon cousin. J'ai ensuite porté plainte.

Avant de s'en prendre à nous, ce prédateur avait gagné la confiance de mes parents, qui me confiaient à lui pour revenir des entraînements ou des répétitions de musique. Le procès a eu lieu à Mont-de-Marsan, condamnant l'agresseur à dix ans de prison. Il en a purgé quatre ans et sept mois. Je suis inquiet, car à l'issue de sa libération, il est parti travailler dans un camping.

À l'issue de ce procès, j'ai décidé de créer Colosse aux pieds d'argile pour lutter contre les violences sexuelles, le bizutage et le harcèlement en milieu sportif. Peu à peu, mon combat a pris de l'ampleur. Je suis une victime atypique dans le sens où lorsque l'on parle de victime, on se représente souvent une personne fragile. Pour ma part, je mesure 1,82 mètre et pèse 100 kg. Mes premières actions ont été suivies par les médias, notamment TF1, qui a effectué un reportage sur mon association six mois après sa création. Ce reportage a été diffusé dans le journal de Claire Chazal, touchant 6 millions de téléspectateurs. Mon combat a très vite dépassé le cadre de la côte basque et des Landes pour s'élargir à tout le territoire, tant les témoignages de victimes affluaient.

En 2016, j'ai décidé de professionnaliser notre action. L'association compte aujourd'hui 40 salariés sur la France métropolitaine et La Réunion. Nous sommes quotidiennement sur le terrain, ce qui nous permet de formuler des propositions pragmatiques auprès des ministres. L'année dernière, nous avons réalisé 1 700 interventions, qui ont touché 70 000 bénéficiaires, répartis à égalité entre majeurs et mineurs. Depuis le début de l'année 2023, nous avons conduit 1 700 interventions. Nous finirons vraisemblablement l'année à 3 000 interventions, qui auront concerné 100 000 personnes.

Aujourd'hui, nous travaillons avec 50 fédérations et six ministères. Nous avons une antenne en Argentine et en Espagne. Nous formons également les professionnels qui encadrent les enfants, notamment pour détecter les victimes. Nous nous servons du sport comme d'un levier libérateur et nous intervenons dans les écoles et les lycées. Nous avons aussi fait le choix d'intervenir face aux auteurs de violences sexuelles, qu'ils soient majeurs ou mineurs, notamment en lien avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ce travail cherche ainsi à éviter la récidive. Aujourd'hui, nous élargissons nos actions.

Mme la présidente Béatrice Bellamy doit quitter la séance, elle est remplacée par Mme Sophie Mette, vice-présidente.

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Je vous informe de l'arrivée en visioconférence de M. Simon Latournerie, directeur adjoint de Colosse aux pieds d'argile.

Monsieur Latournerie, je vous souhaite la bienvenue et vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ». Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. ».

(M. Simon Latournerie prête serment).

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

L'association Colosse aux pieds d'argile agit aujourd'hui dans le domaine de la prévention des violences en milieu sportif et éducatif, et dans le domaine de l'accompagnement des victimes et des victimes collatérales. L'année de dernière, nous avons investi 200 000 euros dans ces actions d'accompagnement, qui sont proposées gratuitement aux mineurs et aux majeurs. Nous avons également mis en place des programmes de résilience à travers le sport dans lesquels nous accueillons des victimes, notamment mineures. Le prochain objectif consiste à ouvrir une maison d'accueil et de résidence par le sport. Nous avons également mis en place des groupes de parole, pour les différents types de victimes.

En compagnie de l'association Contre les violences sur les mineurs (CVM), nous avons élargi notre champ de compétences afin de lutter contre l'exploitation sexuelle des mineurs. Désormais, nos intervenants régionaux ont été également formés pour intervenir auprès du public en situation de handicap. Seuls des salariés interviennent : l'association n'a pas de bénévoles.

Depuis dix ans que j'interviens sur le terrain, à chaque réunion, je rencontre des victimes. Nous sommes formés à l'accueil de la parole de la victime dans un premier temps, mais nous menons également bien évidemment ensuite un travail d'accompagnement de la structure, de la famille et de la victime.

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Pouvez-vous dresser un état des lieux ? Dans quels départements intervenez-vous ?

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Nous sommes présents sur tout le territoire. Chaque région est dotée d'au minimum deux salariés (appelés les « colosses »), ce chiffre pouvant aller jusqu'à quatre pour la région Île-de-France. Il y a deux salariés à La Réunion et à Mayotte. Dans les autres outre-mer, nous menons des missions de dix jours pour multiplier les actions. En janvier, nous nous trouvions en Guyane, où nous avons effectué soixante interventions en neuf jours. Nous menons également un travail avec les collectivités locales et les agents de l'État, qui montent en compétence en suivant nos formations. Nous intervenons auprès du plus grand nombre de mineurs possible. Enfin, notre conseil d'administration est composé de vingt professionnels, et chaque commission est pilotée par des spécialistes de chaque métier.

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Je vous remercie de partager avec nous ce témoignage. Cela n'est jamais facile, quand on connaît l'omerta qui peut régner dans les fédérations et clubs en matière de violences sexuelles. Je vous remercie également du travail conduit avec votre association depuis dix ans. Lorsque j'ai entendu votre témoignage, j'ai pensé au témoignage de Sarah Abitbol, à qui il a aussi fallu plusieurs années pour témoigner de son viol. Quelle préconisation formulez-vous pour permettre de raccourcir ce délai de libération de la parole ? Dans son livre, Sarah Abitbol indique que tout le monde était visiblement au courant, y compris le ministère des sports. De votre côté, avez-vous constaté que des personnes informées de ces pratiques n'ont pas signalé des cas ?

Sachant que vous intervenez depuis une dizaine d'années, avez-vous constaté que les phénomènes de violences sexuelles seraient davantage présents dans certaines fédérations que dans d'autres ? Enfin, vous nous avez dit qu'à chaque fois que vous interveniez, vous aviez face à vous une victime. Vous nous avez indiqué avoir effectué des signalements. Qu'ont-ils donné ? Continuez-vous à suivre les victimes qui vous sollicitent ?

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Les enjeux de la prévention sont immenses. Plus tôt nous intervenons sur un public jeune, plus tôt nous lui apprenons à se protéger des prédateurs et des prédatrices, mais aussi des violences de leurs pairs, car dans le sport, de nombreuses violences sont aussi commises par des mineurs sur des mineurs. En intervenant dès le plus jeune âge, nous permettons qu'un traumatisme ne s'enfouisse pas chez une victime, pour libérer sa parole. Surtout, libérer la parole rapidement permet d'éviter que la victime ne devienne prédateur ou prédatrice à son tour. Il faut souligner que 30 % des hommes pédocriminels ont eux-mêmes été victimes dans leur enfance. Chez les femmes, ce taux est de 90 %.

D'autres enjeux existent en matière de formation. Nous intervenons auprès des encadrants pour les aider à détecter des signaux faibles et forts chez les victimes.

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À partir de quel âge intervenez-vous chez les jeunes ?

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Nous intervenons à partir de l'âge de cinq ans et nous travaillons pour établir des modules dès la maternelle. Les clubs accueillent en effet désormais du public à partir de trois ans avec les sections « babies ».

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Simon Latournerie, directeur adjoint de l'association Colosse aux pieds d'argile

Il est nécessaire de s'adresser aux jeunes, aux adultes, mais aussi de travailler sur le taux de récidive, qui est très élevé (30 à 40 %) chez les auteurs. Il faut donc aller au bout des enquêtes administratives et judiciaires, pour lever l'omerta. Il faut également renforcer l'interdiction d'exercer auprès des mineurs lorsque les auteurs sont condamnés, au sein de leur propre fédération, mais aussi au sein de fédérations voisines ou toute structure en lien avec la jeunesse, comme l'animation. Le code du sport pourrait ainsi peut-être s'inspirer de celui de l'action sociale et des familles, dont les dispositifs sont parfois plus protecteurs et culturellement bien suivis. Le tissu associatif doit également être soutenu sur l'ensemble du territoire, tant il est nécessaire pour protéger et accompagner les victimes de ces situations.

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Le mouvement sportif a pris un virage en 2018, grâce à la ministre Roxana Maracineanu. Elle a ainsi repris l'idée d'un contrôle d'honorabilité des bénévoles, dont nous lui avions parlé, qui a d'abord été expérimenté en Val de Loire. Désormais, trois millions de bénévoles doivent être filtrés.

Fin 2018, l'enquête du média Disclose a révélé des dysfonctionnements dans les fédérations qui enterraient les affaires « pour ne pas salir » leur image. Une prise de conscience a vu le jour par la suite et des actions ont été mises en place. Beaucoup reste à faire, mais nous partions de loin. On peut souligner le continuum de l'action du gouvernement puisqu'au-delà du contrôle d'honorabilité, ont été mis en place les éléments suivants :

- un plan de lutte nationale ;

- une cellule de signalement au sein du ministère des sports ;

- une déléguée ministérielle en charge des violences sexuelles, :

- l'obligation pour les fédérations de se doter d'un référent aux violences sexuelles.

Aujourd'hui, nous sommes confrontés à des victimes qui veulent intervenir au sein de notre association, mais sont encore en colère et n'ont pas tout réglé. Elles sont dans une démarche de « chasse à la sorcière », dans un combat souvent genré. Cela ne nous convient pas : nous menons un combat qui dérange, mais qui ne devrait pas être genré. Je suis en quelque sorte un porte-parole des victimes masculines : malheureusement, dans le modèle patriarcal d'éducation que nous recevons, un homme disparaît du champ des victimes quand il devient majeur. Pourtant, le soir même de la diffusion sur TF1 du téléfilm qui retrace mon histoire, plus de 500 hommes nous ont sollicités. Le numéro 119 a aussi connu une hausse de 20 % de ses appels.

Il convient donc d'être vigilants. Les fédérations mettent en place des postes de référents aux violences sexuelles, mais les postulants sont souvent des victimes qui n'ont pas encore tout réglé. Les fédérations prennent malgré tout conscience des problèmes. Nous avons par exemple signé une convention avec la Ligue de football professionnel : nous formerons et sensibiliserons tous les joueurs et les top managers de Ligue 1 et de Ligue 2 aux violences sexuelles, mais aussi au sexisme. Fait exceptionnel, nous interviendrons également auprès des kops de supporters.

De nombreux signalements émanent de la fédération de handball, non pas parce qu'il y aurait plus d'affaires que dans d'autres sports, mais parce qu'elle communique plus que les autres. Cet engagement doit être salué.

La coordination avec l'administration et la justice en matière d'enquêtes est importante. Certaines fédérations ont également modifié leurs statuts pour pouvoir se porter partie civile, en soutien des victimes. Nous le faisons également, de notre côté.

Des points d'amélioration demeurent, naturellement. Certaines disciplines permettent la mixité jusqu'à 14 ans. Nous aimerions abaisser ce seuil à dix ans, pour protéger les jeunes filles. Nous aimerions également que les photographes soient accrédités lors des compétitions. Aujourd'hui, des photographes rôdent autour des gymnases, des stades et des piscines, pour prendre en photo des mineurs. Nous proposons également le filtrage des bénévoles lors des grands évènements. Le filtrage des mineurs à partir de 13 ans constitue également un chantier important, à partir du fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et violentes (FIJAIS). Un des derniers points d'amélioration concerne le filtrage des familles d'accueil.

Des opérations « coups de poing » ont eu lieu, mais certaines fédérations reviennent à une autogestion des affaires dès que le bruit médiatique diminue. Lors de notre entretien avec M. Simon, il nous a indiqué que sa fédération souhaitait avoir accès à tous les signalements « afin de protéger l'institution » . De notre côté, nous effectuons des signalements auprès du procureur de la République, qui peut éventuellement nous autoriser à partager ce signalement avec la fédération. Certaines fédérations voudraient avoir accès à l'intégralité de nos signalements. Nous nous y opposons naturellement, pour des raisons évidentes de confidentialité.

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Pourrez-vous nous transmettre les informations relatives aux fédérations en question, par courrier électronique ?

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Je pourrai vous adresser un courriel, en toute confidentialité.

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Vous avez évoqué également le filtrage des jeunes, en laissant entendre qu'il y avait beaucoup de violences sexuelles entre mineurs. Disposez-vous de chiffres ?

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Nous pourrons vous transmettre nos chiffres, notamment après la tournée effectuée à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep). Nous y menons depuis quatre ans un plan de lutte, notamment contre le bizutage, qui est à 90 % à connotation sexuelle. Je parle bien ici de violences sexuelles commises par des mineurs sur d'autres mineurs.

Parmi les points de vigilance, nous relevons le manque de compétences dans certaines commissions disciplinaires. Par exemple, certaines fédérations ne sont pas équipées de juristes parce qu'elles n'en ont pas les moyens. Une institution comme le comité national olympique et français (CNOSF) devrait se saisir de cette question des commissions disciplinaires, selon moi. Nous allons également proposer une grille de sanctions socioéducatives, notamment pour les mineurs, aux fédérations ayant signé une convention avec nous. Aujourd'hui, une ligue ou un district peuvent émettre une sanction, mais qui sera peut-être annulée par la fédération. Nous voulons harmoniser les sanctions et surtout faire en sorte qu'elles soient socioéducatives.

Il se passe malheureusement beaucoup de choses à l'Insep depuis des années. Je l'ai indiqué aux deux dernières ministres des sports, mais aussi lors de mon audition devant une commission sénatoriale. Lors de nos interventions, de nombreux sportifs de haut niveau nous parlent de l'Insep. Malheureusement, l'omerta semble y régner. Pourtant, lors de ma dernière audition, un ancien directeur de l'Insep a confirmé mes dires. Il s'agit là d'un sujet que le ministère des sports doit prendre à bras-le-corps. En dix ans d'intervention, la seule fois où je n'ai eu aucun public devant moi, c'était à l'Insep. On peut donc se poser des questions.

Nous allons enfin renforcer notre action vis-à-vis du public vulnérable, proie facile pour des agresseurs. La fédération française de judo émet un certain nombre de signalements, mais cela est lié au fait qu'elle communique sur le sujet, au même titre que celle de handball dont je vous ai parlé précédemment. De manière générale, plus l'enfant sera dénudé lors de l'activité sportive, plus il attirera des prédateurs et prédatrices. Cela peut concerner plus particulièrement des sports comme la natation, la gymnastique ou l'athlétisme.

Aujourd'hui, nous disposons d'un pôle dédié à l'accompagnement des victimes, sur les plans juridiques et psychologiques. Notre responsable de pôle est une ancienne gendarme. Nous entretenons également un rapport assez étroit et confidentiel avec la cellule Signal-sports et le ministère de la justice. Nous pouvons ainsi informer la victime de l'avancée de l'enquête. Aujourd'hui, nos actions portent leurs fruits puisque notre prévention aboutit parfois à la tenue de procès d'assises. Aujourd'hui, les victimes sont reconnues en tant que telles par la justice.

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Notre modèle économique est assumé : pour rendre pérenne notre combat, il nous faut nous professionnaliser. Toutes nos interventions en matière de prévention sont tarifées, à un prix unique, tandis que l'accompagnement est gratuit. Nous recevons également des subventions étatiques pour aide à l'emploi, et une subvention départementale à hauteur de 10 000 euros par an, sur trois ans. Nous ne disposons pas d'aides de fonctionnement, mais nous répondons à des appels à projets : 45 % de notre budget provient de l'État au titre des actions que nous mettons en place sur le terrain, en métropole et en outre-mer. Par exemple, nous menons environ 100 actions pour le compte du ministère des sports cette année. Enfin, quelques donateurs nous soutiennent également.

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Simon Latournerie, directeur adjoint de l'association Colosse aux pieds d'argile

Nous facturons effectivement nos interventions effectuées au titre de la prévention, mais l'accompagnement des victimes est gratuit, et précisément financé grâce aux formations à la prévention des violences. Une victime, ou une victime collatérale, des formateurs ou une structure peuvent être accompagnés sur les plans juridiques et psychologiques, sans limite de fréquence, ni de temps. Le parcours judiciaire d'une victime peut en effet s'étaler sur plusieurs années et nous sommes présents tout du long, notamment pour la préparation aux auditions ou aux procès à venir.

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Jusqu'où allez-vous dans l'accompagnement des victimes ? Votre association se constitue-t-elle aussi partie civile ? Êtes-vous habilités pour accompagner un mineur et être désignés administrateurs ad hoc ?

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Nous nous portons partie civile en tant qu'association reconnue d'utilité publique. La première affaire concernait 22 victimes dans le milieu du football à Toulouse. Nous ne sommes pas habilités pour être désignés administrateurs ad hoc, mais peut-être y penserons-nous à l'avenir. Aujourd'hui, notre réseau important d'avocats nous permet d'orienter les victimes, si nous ne pouvons pas intervenir. Nous travaillons également avec d'autres associations, comme France Victimes. Enfin, nous sommes également en relation avec la police, la gendarmerie et la justice. Cela rassure les victimes.

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Simon Latournerie, directeur adjoint de l'association Colosse aux pieds d'argile

Nous sommes présents sur l'ensemble du territoire national et en rapport avec les différentes brigades, notamment la brigade des mineurs ou les maisons de protection des familles qui conduisent des enquêtes. Lorsque nous recevons des signalements ou des alertes, nous faisons le lien avec ces autorités et ces enquêteurs.

Cela permet d'une part à la victime d'être la mieux reçue possible par les services enquêteurs et cela permet d'autre part à l'officier de police judiciaire de mieux se préparer à cet entretien et de rendre cette situation plus favorable pour faire émerger la vérité. Par tous ces moyens, nous espérons obtenir une meilleure satisfaction des plaignants et des services enquêteurs.

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

À titre d'exemple, le procureur général de Pau nous a rencontrés pour connaître notre approche vis-à-vis de la justice. Ce maillage territorial permet de mieux nous connaître et de travailler en confiance.

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Travaillez-vous en collaboration avec d'autres associations qui traitent du même sujet ?

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Oui. Nous travaillons avec d'autres associations, comme Contre les violences sur les mineurs (CVM), France Victimes, L'enfant bleu. Nous travaillons avec les associations qui ont la même approche que nous. Par exemple, nous avons choisi d'être favorables aux délais de prescription. Nous parlons de toutes les victimes sans distinction de genre ou d'âge. Depuis deux ans, je confirme l'existence d'avancées colossales en matière de protection de l'enfance et de la Justice, qui agit avec ses moyens.

J'ai l'honneur d'intervenir à Paris lors de la formation continue des magistrats de l'École nationale de magistrature. Dans mon parcours de victime, j'ai eu la chance de n'avoir eu affaire qu'à des personnes compétentes, voire très compétentes. Toutes les victimes devraient bénéficier du même accueil dans les services administratifs et judiciaires. Pour moi, ce qui m'est arrivé est devenu anecdotique. C'est sans doute pour cela que j'ai pu élargir mon champ de vision et dépasser ma colère.

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La révélation entraîne souvent, pour le ou la jeune athlète, une mise à l'écart sur le plan sportif, notamment en haut niveau. Une association comme la vôtre doit nous permettre de mieux appréhender ce type de sujet. Des jeunes sportifs ou sportives qui libèrent leur parole sont-ils assurés de pouvoir poursuivre leur passion ?

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Il y a cinq ans, j'aurais conseillé à une victime de changer de club, de région, de discipline, mais aujourd'hui, le mouvement sportif est de plus en plus conscient, et les victimes ont souvent l'appui des médias. Aujourd'hui, il serait plus que malvenu qu'un club conserve un agresseur tout en excluant une victime ; il pourrait subir des sanctions. Il y a quelque temps, un président la fédération d'haltérophilie avait pourtant fait l'inverse. Or si l'on ne signale pas une agression, on est condamnable.

La situation a évolué. Lorsque les clubs nous sollicitent, nous les accompagnons pour leur communication interne, mais aussi externe. Des maladresses ont certainement été commises, mais une fois encore, la situation a changé. Il y a certes des réticences, surtout chez les plus anciens dirigeants, mais d'autres prennent souvent conscience du problème lorsqu'ils assistent à nos actions. En outre, la gouvernance du sport se rajeunit, les mentalités ont changé. Je dois cependant vous indiquer que nous craignons qu'à un an des Jeux olympiques de Paris 2024 et à l'approche des sélections, certains athlètes subissent un chantage sexuel.

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Simon Latournerie, directeur adjoint de l'association Colosse aux pieds d'argile

Nous connaissons bien les sportifs, car nous le sommes également et nous disposons aussi de divers brevets et diplômes d'État. J'ajoute par ailleurs que le traumatisme d'une victime n'est pas toujours lié à la gravité des faits. Notre compétence nous permet d'accompagner des jeunes et leurs familles. Il peut s'agir notamment de sportifs de haut niveau, par exemple originaires d'outre-mer et venant en métropole pour poursuivre leur carrière.

Nous essayons également d'intervenir indirectement, avec les encadrants, sur la juste posture vis-à-vis de l'athlète. Elle permet à l'athlète de choisir son parcours, d'être partie prenante de son projet, et pas uniquement d'un objectif qui serait seulement fixé par son entraîneur. Notre vision assez fine issue de notre expérience nous apporte une plus-value qui est désormais reconnue par les intéressés. Le groupe de parole dédié aux sportifs de haut niveau y contribue. Il nous permet de renforcer notre compétence et notre action à destination de ces acteurs.

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Nous avons accompagné une athlète qui a été championne olympique. Nous sommes naturellement très fiers de sa réussite.

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Vous avez indiqué avoir effectué 1 500 interventions et à chaque fois avoir fait face à une victime. Cela ferait donc 1 500 victimes pour l'année qui vient de s'écouler. Est-ce bien cela ?

Je souhaite par ailleurs revenir sur les signalements, qui peuvent entraîner des sanctions administratives, notamment quand il s'agit de récidives. Les mesures d'éloignement peuvent aller jusqu'à six mois, me semble-t-il. À votre connaissance, lorsque vous avez procédé à des signalements de prédateurs ou de récidivistes, des sanctions administratives ont-elles été prises ?

Enfin, depuis ce matin, le terme omerta a beaucoup été employé. Ce silence partagé intervient quand certains redoutent d'être marginalisés s'ils témoignent, y compris les sportifs eux-mêmes. Estimez-vous que certains clubs et certaines fédérations ont fait preuve de négligence en ne signalant pas des affaires, notamment de violences sexistes ou sexuelles ?

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Je me trouve tous les jours sur le terrain, et il ne me semble plus possible de parler d'omerta dans le sport.

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Selon vous, toutes les affaires sont aujourd'hui signalées ?

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Depuis cinq ans, aucune victime des cinquante fédérations avec lesquelles nous travaillons ne nous a indiqué avoir vu son affaire étouffée par sa fédération. En étant tous les jours sur le terrain, notre vision diffère souvent de celles d'autres associations.

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Je ne pensais pas aux associations, mais à des responsables dans des fédérations qui nous ont dit ne pas vouloir s'exprimer par crainte d'être marginalisées au sein de leur fédération.

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Si nous avions fait face à de tels agissements dans une fédération, nous l'aurions signalé. Mais nous ne sommes pas confrontés à cette omerta. Je n'ai pas souvenir d'avoir reçu le témoignage d'un signalement non effectué, même si j'imagine que des défaillances ont pu intervenir.

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Il n'y a pas si longtemps, à la fédération française de football, un entraîneur a reproduit des agressions dans différents clubs. Savez-vous si, à la suite de signalements, des personnes ont été mises à l'écart ou sanctionnées administrativement ?

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

J'ai connu le cas similaire d'un entraîneur de basket récidiviste, qui avait été poursuivi dans le nord de la France, avant de commettre de nouveaux méfaits dans les Landes. Aujourd'hui, des prédateurs mis en cause dans une affaire changent de discipline et de région, et peuvent récidiver. Le contrôle d'honorabilité connaît un retard, car pour être contrôlé, il faut avoir été condamné. Mais encore une fois, nous n'avons pas été confrontés à de telles affaires ces cinq dernières années.

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Simon Latournerie, directeur adjoint de l'association Colosse aux pieds d'argile

De notre point de vue, des mesures sont malgré tout prises, même si l'on peut toujours estimer qu'il faut aller plus loin. Par ailleurs, il est possible qu'un certain nombre d'affaires soient antérieures à la coopération avec Colosse aux pieds d'argile. Lors de la mise en place de notre coopération avec une fédération, nous nous attachons à obtenir toutes les informations et nous nous montrons vigilants.

Les sanctions administratives ou fédérales sont éminemment complémentaires ; la transversalité est essentielle. Si une interdiction administrative est prononcée, telle qu'une interdiction d'exercer à titre professionnel ou bénévole auprès de mineurs, elle doit concerner tous les champs : ceux du sport, mais aussi de la jeunesse ou de la culture. Certains éducateurs interdits dans le champ du sport migrent parfois vers la culture, comme les arts du cirque ou de la danse, qui sont rattachés à un autre ministère. Face à de telles situations, les services déconcentrés des ministères sont impuissants. Les outils juridiques ne leur permettent pas d'agir aujourd'hui pour mieux protéger les jeunes.

Le code du sport indique par ailleurs que les fédérations doivent intervenir en premier, dans un délai contraint (dix semaines) pour instruire un dossier, avec un réel pouvoir d'investigation, mais sans toujours disposer des compétences nécessaires. Or si les commissions disciplinaires ou les commissions d'éthique des fédérations ne sont pas compétentes, elles peuvent, elles aussi, devenir des victimes collatérales de certaines situations. Il importe donc de faire monter en compétence ces acteurs de prise en charge, qui reçoivent et instruisent ces signalements.

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Certaines victimes ont le sentiment que leurs dossiers ne connaissent pas de suites. Lorsque nous orientons les victimes, nous leur expliquons que les procédures prennent souvent beaucoup de temps. Quand nous recevons un témoignage, nous le signalons systématiquement à la cellule Signal-sports, en toute transparence.

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Deux principes doivent cohabiter. D'un côté, il est essentiel de prendre en considération la parole d'une victime et lui permettre de la relayer auprès des autorités compétentes. D'un autre côté, le principe de la présomption d'innocence est tout autant fondamental. Certaines personnes mises en cause peuvent ainsi se trouver privées de leur emploi du jour au lendemain. Pensez-vous que la procédure est suffisamment claire et précise pour préserver les intérêts de la victime qui attend les résultats de l'enquête, mais aussi le respect de la présomption d'innocence ? Ne manque-t-on pas d'une procédure claire dans ce domaine ?

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Comme je vous l'ai indiqué, nos formations visent à la protection de l'enfant, mais également de l'éducateur. Cela consiste par exemple à éviter de se trouver dans des situations qui pourraient être mal interprétées. Les défaillances auxquelles nous sommes parfois confrontés portent sur l'incompétence d'enquêteurs administratifs, qui peuvent commettre de grosses erreurs, comme dévoiler le nom de la victime. Mais cela est heureusement marginal.

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Simon Latournerie, directeur adjoint de l'association Colosse aux pieds d'argile

Nous nous attachons à respecter simultanément la présomption d'innocence et la présomption de vérité, notamment quand elle émane d'un enfant. Le code du sport permet aux services administratifs de prendre des mesures conservatoires. Ces dernières ne condamnent pas, mais permettent de prendre les dispositions nécessaires pour auditionner et examiner une situation, en entendant les différentes parties et les témoins. Sur le principe, cette mesure d'urgence est prise par le préfet de département, qui a huit jours pour agir, soit un délai très bref. En tout état de cause, la présomption d'innocence est censée être préservée.

Une autre difficulté nous est également signalée. Elle concerne l'articulation de la bonne relation entre un club employeur d'un éducateur mis en cause et sa fédération. Les clubs aimeraient être aidés par leurs fédérations. Ils souhaiteraient qu'elles prennent les bonnes dispositions pour les aider à ne pas supporter cette situation délicate, en tant qu'employeur.

Les enjeux de prévention consistent donc notamment à éviter la survenue de telles situations. Enfin, je m'adresse aux femmes et aux hommes de loi que vous êtes : il faut faire en sorte que les lois et règlements permettent de protéger les situations – sachant que chez Colosse aux pieds d'argile, nous préférons parler de « situations » plutôt que d'auteurs et de victimes.

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Tout en étant naturellement attachée à la présomption d'innocence, j'estime qu'il faut également faire confiance à la victime. Les mensonges sont très rares quand on vient signaler des faits aussi graves. Les signalements peuvent automatiquement entraîner des mesures conservatoires, mais cela n'est pas toujours le cas, pour différentes raisons. Le temps judiciaire peut également être très long. Auprès de qui effectuez-vous vos signalements ? S'agit-il de la cellule Signal-sports ? Des clubs ou dirigeants des fédérations ? Vous est-il déjà arrivé de saisir le procureur de la République pour un signalement en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale ?

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Lorsque nous effectuons un signalement à la cellule Signal-sports, le procureur de la République est généralement en copie. Les fédérations ne sont pas systématiquement mises au courant, pour protéger l'enquête. Tout dépend des mis en cause. Nous respectons les ordres et recommandations de la justice.

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Simon Latournerie, directeur adjoint de l'association Colosse aux pieds d'argile

Nous réalisons effectivement de tels signalements auprès des procureurs. Il peut nous arriver également d'échanger avec les fédérations, dans le respect de décisions judiciaires. Lorsque nous évoquons une situation avec les fédérations, les contenus des informations transmises ne sont pas forcément complets ou exhaustifs. Enfin, nous ne stigmatisons pas le sport comme un lieu de destruction ; nous l'envisageons comme un facteur d'épanouissement. Simplement, il abrite en son sein, comme tout autre secteur, des personnes malveillantes.

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Sébastien Boueilh, directeur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Nous avons effectué 160 signalements depuis janvier 2023.

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Nous avons épuisé nos questions. Je vous remercie pour vos propos enrichissants. N'hésitez pas à nous faire parvenir des éléments complémentaires, pour pouvoir alimenter notre rapport. Je pense notamment aux conventions avec les fédérations les plus importantes.

La séance s'achève à seize heures cinquante cinq

Présents. – Mme Béatrice Bellamy, M. Stéphane Buchou, Mme Fabienne Colboc, M. Hadrien Ghomi, M. Stéphane Mazars, Mme Sophie Mette, Mme Sabrina Sebaihi

Excusés. – Mme Soumya Bourouaha, M. Stéphane Lenormand