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Intervention de Romain Molina

Réunion du jeudi 20 juillet 2023 à 14h00
Commission d'enquête relative à l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public

Romain Molina, journaliste :

Je tiens à remercier toutes les personnes à l'initiative de cette commission d'enquête parlementaire. Bien souvent, dans la vie politique française, si dense, le monde du sport passe au second plan par rapport à d'autres sujets, ce qui permet à beaucoup de dirigeants et de fédérations sportives d'évoluer « tranquillement ». Mais, quand on y réfléchit, il s'agit là d'une industrie qui fait rêver des millions de Français et des milliards de personnes dans le monde.

Quand j'étais jeune enfant en Isère, je m'imaginais un jour être au milieu des plus grands basketteurs. Ce rêve d'enfant m'a conduit à arpenter depuis maintenant plus de dix ans les dédales malheureusement assez obscurs du sport. Au début, j'abordais ce milieu avec naïveté et candeur, car le sport représentait pour moi des valeurs que j'entendais répéter ici et là.

J'exerce mon métier de journaliste d'investigation depuis plus de dix ans désormais. J'ai publié des articles pour le New York Times, The Guardian, la BBC, CNN, Blast, et j'ai également publié sept livres, principalement autour des coulisses du sport, essentiellement du football et du basketball. Je publierai bientôt sur les sports de combat, domaine où chaque jour je prends davantage peur devant l'ampleur des dégâts.

Mes enquêtes, menées principalement au niveau international, ont permis qu'une vingtaine de dirigeants sportifs soient bannis ou arrêtés. Il y a eu des cas en Haïti, jusqu'à l'ancien ministre des sports, M. Evans Lescouflai, qui a été arrêté par Interpol pour pédocriminalité. Au Gabon, le président de la République a réagi dès le lendemain de la publication de mes articles dans The Guardian, qui ont permis l'arrestation de cinq personnes dans les milieux du taekwondo, du tennis et du football, également pour des actes de pédocriminalité. Il en a été de même en Côte d'Ivoire, au Mali, au Zimbabwe, en Zambie et en Mongolie. D'autres enquêtes sont en cours, notamment au Salvador, au Costa Rica et en Colombie.

Si je ne suis pas présent physiquement parmi vous aujourd'hui, c'est parce que des menaces pèsent sur moi. Certaines personnes bénéficient en effet d'une grande impunité dans le sport. J'ai beaucoup publié au sujet de la fédération française de football (FFF), depuis plusieurs années, principalement dans le New York Times, où j'ai relaté la culture toxique en place à la fédération. Quelle ne fut pas ma surprise de constater l'omerta incroyable dès que l'on touche à la FFF ! Personne ne voulait me parler pendant des années, d'autres personnes se rétractaient. Or, sans témoignage ou sans base suffisamment solide au niveau légal, il n'est pas possible de publier, ce qui conduit à ronger son frein. Il en va de même pour d'autres fédérations, notamment dans le basket et les sports de combat.

Certes, des évènements sont intervenus ces derniers mois, dont un rapport d'audit commandé par le ministère des sports. Nous pourrons en reparler, puisque ce rapport est tout de même assez biaisé dès le début. Cela m'a beaucoup peiné que l'on ne veuille pas, à cette occasion, aller au fond des choses. En France, on s'est toujours attaqué à une personne en particulier, souvent les présidents de fédérations : M. Laporte dans le rugby et M. Le Graët dans le football. Mais à aucun moment on ne s'attaque au système, comme si une seule personne était responsable de toute la mélasse, de toute la crasse. Soit on prend les gens pour des imbéciles, soit il s'agit d'un manque de connaissance, mais dans les deux cas, cela ne réglera pas les problèmes. On a sauvegardé des systèmes déficitaires, qui ont fermé les yeux sur des actes abominables, sans jamais s'attaquer au fond du problème.

À titre d'exemple concret, de nombreux jeunes Gabonais rêveraient de jouer en France, qui est la vitrine d'une excellence sportive, qu'il s'agisse du handball, du volleyball ou du football, pour ne citer que ces disciplines. Cette vitrine sert notamment à rassurer les politiques grâce aux titres glanés, avec le sous-entendu que « ça travaille bien » dans les fédérations. Une histoire absolument terrible montre à quel point la politique de l'autruche peut être pratiquée dans ce milieu. Les mots que je vais employer seront assez forts, mais je suis obligé de le faire. Il existe en France un célèbre tournoi de jeunes footballeurs organisé en Vendée, à Montaigu, qui est internationalement connu et dont la FFF fait la promotion sur son site internet à l'occasion du cinquantenaire de cet évènement. Le « Mondial de Montaigu » est une référence au niveau international.

Il y a une quinzaine d'années, de jeunes Gabonais sont allés à Montaigu en rêvant d'être repérés et de jouer en France. Des personnes de leur équipe technique abusaient d'eux, dans des proportions inimaginables, à la fois sur le sol gabonais et sur le sol français. Sur un groupe de vingt joueurs, au moins 80 % ont reçu la « présence d'esprit », terme par lequel le coach, M. Patrick Assoumou Eyi, aujourd'hui incarcéré à Libreville à la suite de nos enquêtes, désignait le fait de sodomiser ces jeunes enfants au « jardin d'Eden », le surnom de sa maison. Il était aidé en cela par un agent franco-gabonais, M. Guy Mandarano, qui faisait des fellations aux jeunes joueurs et gardait leur sperme dans des bocaux.

Ces actes ont aussi été commis sur le territoire français, à Montaigu. Je me rappelle une discussion avec un des « rescapés » de Montaigu qui rêvait d'aller en France. On parle d'un homme, aujourd'hui père de famille, dont la vie a été brisée à un point dont vous n'avez pas idée. Or, il y a quelques mois, alors que la presse internationale avait fait déclencher des enquêtes par la Fédération internationale de football (FIFA) et la justice civile gabonaise, les organisateurs du tournoi ont fièrement annoncé avoir réinvité l'équipe du Gabon, avec la même équipe dirigeante – dont le président de la fédération, M. Pierre-Alain Mounguengui, accusé d'avoir couvert un réseau pédocriminel, qui se trouvait en prison. Ce dernier est actuellement en liberté conditionnelle dans l'attente de son procès à Libreville.

La victime qui m'a écrit, et dont je tairai le nom par mesure de sécurité, m'a dit : « C'est comme si on me violait une deuxième fois ». J'ai essayé de contacter les autorités pour comprendre s'il était possible de savoir comment un scandale aussi énorme, s'étant en partie déroulé le territoire français, ne connaisse pas de suites judicaires chez nous. La justice sportive existe pourtant, mais ferme toujours les yeux. Il est plus que jamais temps que la justice civile et la justice sportive s'allient et disent non à l'impunité.

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