La séance est ouverte à neuf heures quatre.
Nous auditionnons Mme Muriel Domenach, représentante permanente de la France au Conseil de l'Atlantique Nord.
Madame l'ambassadrice, vous avez été nommée à ce poste en 2019, après avoir exercé des fonctions à la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des armées, au Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et au cabinet d'Alain Richard lorsqu'il était ministre de la défense.
Votre audition a lieu après le sommet de l'Otan tenu à Vilnius les 11 et 12 juillet. Parmi les sujets abordés figurait l'adhésion de l'Ukraine, laquelle, contrairement à ce qu'elle espérait, n'a pas été invitée à rejoindre l'Otan. Toutefois, le communiqué final des chefs d'État et de gouvernement indique : « L'avenir de l'Ukraine est dans l'Ota n ».
Nous souhaitons mieux comprendre les positions des uns et des autres, au sein de l'Otan, au sujet de cette adhésion et des conditions auxquelles elle est subordonnée. Nous souhaitons aussi mieux comprendre la position française, désormais assez dynamique en ce sens, et les conséquences que pourrait avoir l'adhésion de l'Ukraine sur l'architecture de sécurité européenne.
Par ailleurs, le sommet de Vilnius a réaffirmé l'engagement de l'Otan à soutenir l'Ukraine. Quel soutien l'Otan apporte-t-elle à l'Ukraine en sus des aides particulières de chacun de ses membres ? Comment ce soutien s'articule-t-il avec celui de l'Union européenne (UE) ?
À Vilnius a également été abordée l'adhésion de la Suède à l'Otan, bloquée depuis un an par la Turquie, qui a levé son veto, ouvrant la voie à une adhésion rapide. Cette évolution offre l'occasion d'évoquer l'adhésion de la Finlande, ainsi que la place particulière de la Turquie au sein de l'Alliance et les problèmes qu'elle soulève vis-à-vis de la Grèce.
La place de la France au sein du commandement intégré de l'Otan, dans lequel elle est revenue en 2009, a suscité de nombreux débats lors de l'examen du projet de loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030. Nous aimerions vous entendre au sujet des avantages et des inconvénients, pour notre pays, de cette réintégration – débat auquel le ministre des armées s'est montré très favorable.
Je vous remercie de m'avoir invitée à restituer « à chaud » les résultats du sommet de Vilnius devant la commission de la défense nationale et des forces armées de la représentation nationale. J'y vois la mise en œuvre de la démarche menée sous l'autorité du Président de la République, sous deux aspects : la transformation de notre diplomatie par la ministre de l'Europe et des affaires étrangères – aller vers la représentation nationale, restituer, faire preuve de redevabilité, aller vers la société ; l'adoption définitive d'une nouvelle LPM, pour laquelle le ministre des armées est spécialement rentré de Vilnius. Cette restitution est saine et utile, mais dépourvue de recul. Mes propos doivent donc être entendus comme ceux tenus « à chaud » par quelqu'un qui a été témoin et acteur. Ils sont aussi ceux d'une diplomate et d'une technicienne, non d'une femme politique, tenus à huis clos, ce qui offre une liberté d'échange accrue.
Les résultats de Vilnius sont significatifs sur trois points principaux : l'Ukraine ; la posture de dissuasion et de défense ; l'adhésion de la Suède. Nous avons l'habitude, à l'Otan, de qualifier les sommets d'historiques. Celui de Vilnius l'était vraiment, en raison de sa date – dans une contre-offensive ukrainienne dont nous souhaitons le succès mais qui n'est pas facile –, de sa localisation – à 35 kilomètres de la Biélorussie, où la présence de Wagner et le déploiement annoncé mais non confirmé d'armes tactiques russes signalent une intégration militaire, et à quelques kilomètres du corridor de Suwalki, qui fragilise les États baltes.
Des trois points précités, l'Ukraine a concentré l'essentiel de la tension, qui était très forte, tant dans la préparation du communiqué publié par les chefs d'État et de gouvernement que dans la conduite des discussions, en raison de la présence du président Zelensky et de la frustration dont il a fait part, par avance de phase, sur le communiqué tel qu'il allait être approuvé. Je ne dirai pas que la partie du sommet portant sur l'Ukraine s'est déroulée dans la sérénité, ni que le point d'équilibre final satisfait tous les points de vue exprimés au sein de l'Alliance.
Il s'agit d'un compromis significatif pour l'Ukraine, qui obtient des assurances de sécurité substantielles – réitérées le 12 juillet dans le cadre du G7 –, notamment un soutien militaire à moyen et long terme, qui lui donnera les moyens de se défendre. Il ne s'agit pas de belligérance, mais de soutien à la légitime défense. L'Ukraine obtient également la réaffirmation très claire de la perspective d'adhésion à l'Otan – « La place de l'Ukraine est dans l'Otan », dit le communiqué – et la mention d'une invitation lorsque les conditions en seront réunies.
Elle obtient un cadre de coopération avec l'Otan : le Conseil Otan-Ukraine. Cela signifie que les échanges avec l'Ukraine ne s'inscrivent plus dans un format 31+1 – bientôt 32+1 – mais dans un format où elle est pleinement assise autour de la table. Elle obtient aussi la levée, significative sur le chemin de l'adhésion, du plan d'accès à l'adhésion (MAP), fixé comme une étape, qui d'ailleurs n'a pas été atteinte, au compromis de Bucarest de 2008. Celui-ci offrait à l'Ukraine et à la Géorgie la perspective de l'adhésion sous réserve que les conditions du MAP soient préalablement remplies, ce qui, comme l'a dit le Président de la République, était à la fois trop et trop peu.
La France a œuvré activement à une solution en faveur de l'Ukraine au cours du sommet, jusque dans les derniers mètres de la négociation, qui ont été tendus, en raison notamment de ce que nous savons par expérience : la Russie n'est prête ni à un dialogue stratégique ni un dialogue sur la paix en Ukraine – ce n'est pas faute d'avoir essayé. Elle mène une guerre d'agression qui ne laisse aucun espace de discussion ni de fiabilité. Elle exige la remise en cause de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine, ainsi que de sa liberté de choix en matière d'arrangements de sécurité.
Outre ce constat, nous en dressons d'autres : il est dans l'intérêt de notre sécurité que l'Ukraine non seulement ne perde pas, mais que l'agression russe soit défaite ; l'Ukraine, en se battant avec le courage dont elle fait preuve, nous offre des garanties de sécurité ; elle sera un acteur de sécurité majeur sur le continent européen et doit être insérée dans les mécanismes de sécurité multilatéraux ; son adhésion à l'UE prendra du temps ; considérer, comme nos alliés d'Europe centrale et orientale, qu'il est dans l'intérêt de notre sécurité que l'Ukraine gagne, le reconnaître et le dire, est un enjeu de leadership en matière de sécurité européenne, tant nous ne construirons pas la défense européenne sans eux, et tant le leadership européen de la France tient à notre capacité à endosser et à soutenir les préoccupations de sécurité de ceux qui en ont le plus.
La France a donc joué une partition, avec très peu d'agenda « défensif » (c'est inhabituel) et une posture consistant à rechercher le compromis jusqu'au dernier moment. Les termes du communiqué sont des gains pour Zelensky, qui est rentré à Kiev avec une perspective claire, à défaut d'une invitation nette, même différée.
Il arrive souvent, à l'Otan, que la France dise aux Américains « non » – assorti d'un « nous ne sommes pas convaincus » ou « pas en notre nom ». Il n'est pas facile, nous le savons d'expérience, de résister à ce que veulent les Américains – la France n'est pas aligné ; elle le fait donc si nécessaire. Il est encore plus difficile de d'imposer aux Américains ce dont ils ne veulent pas. Peut-être aurons-nous l'occasion d'aborder la question quo vadis, America ? Quoi qu'il en soit, l'Amérique est prête à maintenir son niveau d'engagement en Europe mais pas à faire plus. Elle exclut d'y augmenter des forces permanentes, ce qui a suscité des tensions avec les États baltes et la Pologne, et d'accorder dès à présent une automaticité à l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan, parce qu'elle a d'autres préoccupations, à la fois internes et externes, et doit opérer militairement un pivot vers la Chine.
S'agissant de la posture de dissuasion et de défense, le sommet a procédé à la révision de l'architecture des plans de l'Otan, qui est fondamentale pour nos militaires. La France a concouru de façon très constructive à ce travail. Tel est le bénéfice de notre présence au sein de la structure militaire intégrée : nous avons pu influencer ce travail en amont et veiller à ce qu'il soit robuste, tout en conservant un dispositif suffisamment flexible pour ne pas immobiliser inutilement des forces.
La France entretient 2 400 personnels sur le front oriental. Nous avons la responsabilité de la présence avancée de l'Otan en Roumanie, que nous assurons avec des unités de l'armée de terre, et nous participons aux opérations de défense aérienne en mer Noire, ainsi qu'à la police du ciel dans les États baltes. À ce titre, nous avons concouru à la sécurisation du sommet de Vilnius par des moyens aériens, des canons Caesar et la mobilisation d'une compagnie de la Brigade franco-allemande (BFA).
Dès lors que la France prend des responsabilités majeures en matière de réassurance de nos alliés européens les plus exposés à la pression russe, il serait paradoxal que, contribuant de façon aussi significative, elle ne figure pas dans la chaîne de commandement. L'hypothèse contraire nous contraindrait ou bien à nous démettre, donc à renoncer à cette présence utile et dimensionnante pour notre leadership et qui permet de développer des partenariats stratégiques avec la Roumanie, l'Estonie et la Lituanie, ou bien à nous soumettre à une chaîne de commandement dont nous serions absents.
Parce que les besoins en matière de posture, d'architecture et de plans sont importants, les alliés ont pris l'engagement de faire du chiffre de 2 % du PIB un plancher de leurs dépenses de défense. Cela n'a pas été facile : certains États ont d'autres priorités et le disent, d'autres en sont loin – les Canadiens ont dit avec franchise que leur effort de défense n'atteindra pas 2 % du PIB. Quant à la Turquie, elle a voulu lier l'approbation de ce seuil à un engagement des Américains à lever les barrières en matière d'exportation – les États-Unis, en raison de la livraison de missiles S-400 russes à la Turquie, ont pris la décision de ne pas lui livrer de F-35, ce que les Turcs considèrent comme une sanction. En fin de compte, le débat sur les 2 % a été obscurci par un débat turco-américain.
Dans ce contexte, nous avons fait valoir les efforts consentis au sein de l'UE, à l'initiative du commissaire Breton, pour stimuler, dynamiser et massifier notre production industrielle, au bénéfice de notre tissu économique. Le communiqué reconnaît donc sans ambiguïté l'apport de la défense européenne à la sécurité de l'Alliance atlantique. Il est d'ailleurs significatif que les initiatives sur les munitions aient été formulées par la Première ministre estonienne Kaja Kallas.
S'agissant de la finalisation du processus de ratification de la Suède, suspendu à l'approbation d'Ankara et de Budapest, le Premier ministre suédois, avec lequel le Président de la République s'était entretenu le samedi 8 juillet. Le secrétaire général de l'Otan a rencontré, lundi 10 au soir, à la veille du sommet, le premier ministre suédois et le président turc, qui a levé son veto politique dans la mesure où il s'est engagé à transmettre la loi de ratification à la Grande Assemblée nationale de Turquie. Nous pouvons nous appuyer sur cet engagement pour encourager la Turquie à une ratification rapide. Lors d'une conférence de presse tenue à l'issue du sommet, le président turc a indiqué que, les travaux du Parlement étant suspendus pour l'été, la ratification n'aura sans doute pas lieu avant le mois d'octobre, même si la commission des affaires étrangères continue à travailler.
Quant à la Hongrie, elle a indiqué qu'elle ne sera pas la dernière à approuver l'adhésion de la Suède. Elle semble donc s'aligner sur la Turquie.
La France, au sein de l'Alliance, occupe une position originale, faisant preuve d'une liberté de ton essentielle sans compromettre les avancées qui s'imposent.
L'Indo-Pacifique n'apparaît qu'au point 85 du long communiqué de Vilnius, qui reprend les divers points du concept stratégique de l'Otan. La Chine, en revanche, est très fréquemment citée. Le Président de la République, faisant part récemment de l'opposition de la France à l'ouverture d'un bureau de liaison de l'Otan à Tokyo, a dit de celle-ci qu'elle est « une organisation du traité de l'Atlantique Nord », ajoutant : « L'Indo-Pacifique n'est pas l'Atlantique Nord ». Or l'Assemblée parlementaire de l'Otan (AP-Otan), où siègent plusieurs d'entre nous, a prévu – j'ai sur ce choix un avis réservé – d'envoyer à l'automne une délégation en Indo-Pacifique, notamment en Australie.
Quatre pays de la zone indo-pacifique – l'Australie, la Nouvelle Zélande, le Japon et la Corée du Sud – sont partenaires de l'Alliance et y contribuent sur plusieurs fronts. Faut-il maintenir et renforcer ces partenariats pour assurer la sécurité de l'Alliance ? À lire le communiqué de Vilnius et le communiqué conjoint France-Inde qui vient d'être publié dans le cadre du renouvellement du partenariat stratégique entre la France et l'Inde, laquelle n'est pas un partenaire de l'Otan et s'en tient en marge, les mots employés, l'ambition déployée et les valeurs communes évoquées sont très proches – tel est aussi le cas de la stratégie française en Indo-Pacifique. Même s'il est peu probable que l'Inde se rapproche de l'Otan dans l'éventualité d'un renforcement de ces partenariats, il serait intéressant d'entendre votre avis à ce sujet. Faut-il envisager une alliance de sécurité tout à fait différente dans cette zone, telle qu'une organisation du traité de l'Indo-Pacifique, pour assurer sa sécurité dans la situation de confrontation croissante et hybride que nous connaissons ?
À l'Otan, la France a quatre postures de négociation : « oui » ; « oui, si » ; « non, sauf » ; « non ». Sur l'ouverture d'un bureau de liaison à Tokyo, c'était non. Nous avons dit de façon très claire, dès le début de la négociation du communiqué, que la France ne donnerait pas son accord à cette initiative. La discussion à ce sujet a dû occuper 1 % du temps consacré à la préparation du sommet. Les Américains ont rapidement compris que cette position était ferme. La presse en a beaucoup plus parlé que les alliés.
Il s'agit d'une initiative institutionnelle, et non américaine à l'origine, prise par les structures de l'Otan, sans doute pour épouser la priorité stratégique américaine. Le problème de l'Otan – qui est même une question existentielle, que Vladimir Poutine a tranchée – est de rester pertinente pour ses membres, notamment pour le plus important d'entre eux. Dès lors que les priorités stratégiques américaines changent d'orientation, il est naturel que l'institution cherche à « étendre son bureau » – pour employer une notion de la théorie des choix publics – sur les sujets d'intérêt pour les Etats-Unis. Comme ceux-ci renforcement leur partenariat avec le Japon, l'OTAN veut le faire aussi, d'autant que la Japon est demandeur – comme l'Australie.
Malheureusement, cette proposition a été formulée aux Japonais avant même d'être discutée entre alliés et a fortiori approuvée. Elle a de surcroît été divulguée et commentée au Japon, ce qui a suscité des réactions chinoises et alimenté la désinformation selon laquelle l'Otan envisage un élargissement au Japon. L'affaire était mal partie sur la procédure, sur le fond et sur la communication.
Nous avons donc indiqué de façon très claire que l'Otan n'a pas vocation à développer une présence physique en Asie-Pacifique. D'abord, sa zone de compétence est l'Atlantique Nord, comme l'indique le nom du traité. Ensuite, sa mission, s'agissant d'une alliance d'abord militaire, est la défense et la dissuasion dans le périmètre défini par l'article 6 du traité de l'Atlantique nord, soit les espaces situés au nord du Tropique du Cancer. Les territoires français situés hors de cette zone – nos alliés y ont veillé au moment de la signature du Traité – ne sont pas couverts. Nous l'avons toujours su et avons organisé notre défense en conséquence.
Il importe de distinguer le nécessaire partenariat avec les pays précités, qui relève de l'Otan, et ce qui n'en relève pas. Le travail de l'Otan est la dissuasion et la défense dans la zone euro-atlantique et dans l'Atlantique Nord. Cela suppose des plans exigeants, des moyens – comptés – et de la crédibilité. Prétendre, en tant qu'alliance militaire, assurer la dissuasion et la défense dans l'Asie-Pacifique nous fera perdre en crédibilité, je le crains, dans l'Atlantique Nord.
Je le dis en tant que représentante d'un pays qui fait partie de ceux ayant les moyens militaires et les capacités d'action, bien moins que les Américains mais devant les autres alliés, dans l'Asie-Pacifique. Ces capacités d'action n'ont pas vocation à opérer dans le cadre de l'Alliance Atlantique, mais à coopérer et à faire respecter la liberté de navigation, pour des raisons relatives à nos intérêts économiques et au respect de la liberté de navigation indispensable à une puissance nucléaire. Dans ce cadre, nous avons mené, très loin de nos côtes, des missions exigeantes, partiellement en partenariat avec les États Unis, en mettant en œuvre de robustes moyens de patrouille là où il n'est pas facile de les engager.
Notre position est donc la suivante : non à la présence physique de l'Otan dans l'Asie-Pacifique ; non à la moindre ambiguïté sur l'extension à cette zone de la mission de défense et de dissuasion de l'Otan ; oui – ô combien ! – à la coopération militaire bilatérale, dans laquelle la France est le pays le plus engagé ; oui à un partenariat de l'Otan avec certains pays de la zone, centré sur ce que nous avons en commun, notamment l'implication dans le soutien à l'Ukraine – le président de la Corée du Sud s'est rendu à Kiev et nous avons besoin des capacités industrielles de son pays pour soutenir notre potentiel de livraison à l'Ukraine ; oui à la défense, en Asie-Pacifique et ailleurs, d'un ordre international fondé sur le droit, qui est notre intérêt général. Dans ce contexte, j'appelle l'attention des membres de l'AP-Otan sur le rôle de point de contact joué par les ambassades des pays alliés qui sont dans chaque pays partenaire, ont la responsabilité d'expliquer l'action de l'OTAN, sans qu'il ne soit besoin d'un bureau de liaison. Il se trouve que l'ambassade de France exerce cette responsabilité en Corée du Sud.
S'agissant de l'Inde, elle n'est pas demandeuse d'un rapprochement avec l'Otan. Sans doute, parmi les alliés, la Turquie lierait tout partenariat avec le Pakistan, ce qui n'irait pas de soi. Notre partenariat à titre national avec elle n'en est pas moins indispensable, dimensionnant pour nous et nécessaire si nous voulons progresser vers une solution négociée en Ukraine aux termes de celles-ci, ce qui suppose de dialoguer et de coopérer avec les principaux membres de la communauté internationale.
Pour conclure, une note d'ambiance sur la session Asie Pacifique du sommet de Vilnius : si la discussion avec nos partenaires de l'Asie-Pacifique était dépourvue de tension pendant le sommet, chacun sentait que l'approfondissement des partenariats de l'Otan dans la région n'était pas le cœur du sujet. L'attention des alliés portait clairement sur la situation en Ukraine et la relation avec l'Ukraine.
Madame l'Ambassadeur, ou si vous préférez, et si vous y tenez, Madame l'Ambassadrice, l'accord donné par la Turquie à l'adhésion de la Suède à l'Otan a été donné après une année de blocage obstiné du président Erdogan. Avant de soutenir la candidature de la Suède, le dirigeant turc faisait dépendre cette décision de l'adhésion de son pays à l'UE. Comment expliquer une telle volte-face ? Peut-on l'expliquer par la conclusion d'un accord douanier ou par la simplification de la politique d'obtention de visas ?
Le président Erdogan aurait obtenu des garanties de l'administration américaine au sujet de la modernisation de son aviation de combat. La Turquie ferait l'acquisition de quarante avions F-16 de dernière génération et de kits de rénovation pour quatre-vingts autres, pour un total de 20 milliards de dollars. Par ailleurs, le Congrès américain a indiqué qu'il n'autorisera pas cette vente avant qu'Ankara ne ratifie l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'Otan.
Je m'adresse à l'ancienne consule générale de France à Istanbul que vous êtes : selon votre expertise, qu'auraient pu céder les alliés au président Erdogan en échange de son revirement soudain ? Ces considérations vous semblent-elles plausibles compte tenu du contexte géopolitique ?
Je répondrai en tant qu'ambassadrice, conformément au décret portant ma nomination, n'ayant, comme tout un chacun sans doute, aucune autre préférence que l'application du droit.
Le président turc, pendant le sommet, a clairement voulu éviter d'ouvrir une crise. Tel est, me semble-t-il, le sens de cet accord de la veille au soir. Qu'obtient-il ? Rien en ce qui concerne l'UE. D'abord, l'Otan n'est pas le bon cadre pour en discuter. Ensuite, plusieurs d'entre nous ont clairement indiqué, après ses déclarations du dimanche 9 juillet, que la relance du processus d'adhésion de la Turquie à l'UE n'entrait pas dans le champ de la discussion sur l'adhésion de la Suède à l'Otan. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a été clair lui aussi sur les conditions d'adhésion à l'UE.
Il a obtenu des perspectives, notamment celle de la compensation de la non-livraison de F-35, qui, pour la Turquie, crée un déficit capacitaire dans la mesure où nous avons livré des Rafale à la Grèce, laquelle monte en puissance, notamment en mer Égée. La Turquie demande donc la livraison de F-16 supplémentaires et la modernisation de ceux qu'elle a déjà pour conserver une armée de l'air efficace. Jusqu'à présent, la perspective de modernisation et de cession de F-16 était bloquée au Congrès. L'administration Biden s'est engagée à faire tous ses efforts pour que le Congrès lui donne son accord dans la mesure où la Turquie ratifierait l'adhésion de la Suède à l'Otan.
Le calendrier envisagé, qui reporte la ratification de l'adhésion à octobre, permet-il de donner corps à cette perspective ? Je l'ignore.
La Turquie ne cherchait-elle pas une voie de sortie honorable ? Erdogan peut dire qu'il a obtenu une perspective, même s'il la sait fragile. Sans être lui-même convaincu de la viabilité de l'engagement américain, il obtient une voie de sortie politique. En fin de compte, jouer le rapport de force aura jeté le discrédit sur la Turquie sans lui rapporter un gain substantiel.
Ainsi s'explique le choix de ne pas jouer la crise pendant le sommet.
La livraison de missiles Scalp français a été annoncée dans le contexte du sommet de Vilnius. Cela ne contribue-t-il pas à brouiller le message de réserve et de retenue de l'Otan, s'agissant d'un choix strictement français ?
Comment gérez-vous les changements de position français ? L'adhésion de l'Ukraine a fait l'objet d'un changement de pied assez visible de la part du Président de la République. Comment de tels revirements sont-ils perçus par nos partenaires au sein de l'Alliance ?
Comment se porte la francophonie dans l'Alliance ? Y a-t-elle des perspectives ?
S'agissant du déploiement d'armes nucléaires tactiques russes, vous avez dit qu'il est annoncé mais pas confirmé. J'imagine que ce genre d'information ne se reçoit pas par télégramme. Sur quelles sources vous fondez-vous ?
S'agissant de l'annonce de la livraison de missiles Scalp dans le contexte du sommet de Vilnius, l'Alliance en tant que telle ne joue aucun rôle dans la livraison, la coordination et la formation des militaires ukrainiens. Les décisions sont prises à titre national. Ce point a tôt fait l'objet d'un accord entre les principaux alliés. Certains en ressentent de la frustration, mais ce point d'équilibre ne changera pas.
Nous avons annoncé cette livraison dans le contexte du sommet de Vilnius pour deux raisons.
D'abord, elle était effective au moment où les chefs d'État et de gouvernement se réunissaient. Pour autant que je le sache, son calendrier est lié à la contre-offensive ukrainienne. Cette arme, en raison de sa précision, de sa portée et de sa capacité à toucher des objectifs durcis, constitue un véritable changement de donne sur le terrain, d'autant qu'elle est plus sûre, car moins vulnérable, que des avions de chasse.
Ensuite, cette décision respecte les trois conditions que nous avons fixées depuis le début à notre soutien militaire : l'utilité ; le caractère non-escalatoire, assuré par certaines conditions d'emploi ; l'absence d'affaiblissement de notre capacité à nous défendre.
La mise en œuvre opérationnelle de ce missile a exigé du temps, car il est tiré à partir d'avions de fabrication non occidentale, ce qui a nécessité des formations. Il est susceptible de changer véritablement la donne sur le terrain, en offrant aux Ukrainiens des gains dans la contre-offensive, qui leur permettront de négocier sur leurs termes.
Nous avons annoncé sa livraison parce qu'il était en cours de déploiement, parce qu'il joue un rôle important dans la contre-offensive, parce que Zelensky participait au sommet et parce que l'objectif était de lui donner suffisamment de soutien politique dans la période décisive que nous traversons. Il n'en reste pas moins que l'Alliance, contrairement à l'UE, ne joue aucun rôle en tant que telle dans le soutien militaire à l'Ukraine.
L'évolution du Président de la République sur l'Ukraine est très bien accueillie, notamment par ceux qui sont le plus soumis à la pression russe. En tant que représentante de la France, je suis fière qu il ait dit, dans son discours de Bratislava, le 31 mai, que nous aurions gagné les écouter davantage dans notre histoire récente.
De façon générale, je fais partie des diplomates – et des fonctionnaires – qui considèrent que l'on ne parle bien que si l'on entend les autres, et que la diplomatie est un exercice de décentrage. Cela vaut notamment pour le dialogue que nous menons sur l'Ukraine avec nos autres partenaires de la communauté internationale, parfois rassemblés sous l'appellation « Sud global ». En Europe, la France exerce un leadership d'autant plus efficace qu'elle entend les attentes en matière de sécurité de ceux qui sont le plus sous pression, ce qui ne signifie pas que nous devions leur donner quitus sur certains sujets à propos desquels ils ne jouent pas le jeu de la solidarité européenne.
Le français, à l'Otan, est l'une des deux langues officielles. La délégation française, comme les autres délégations francophones, parle uniquement français. Nous refusons toute réunion et toute procédure ne donnant pas lieu à une traduction en français. Même si l'Alliance n'est pas construite autour de la francophonie, mon adjoint et moi-même avons chacun dans notre bureau une instruction dactylographiée du président de Gaulle préconisant de proscrire les termes étrangers « chaque fois qu'un vocable français peut être employé », ainsi complétée à la main : « c'est-à-dire dans tous les cas ».
Les informations relatives au déploiement d'armes tactiques en Biélorussie sont classées secret-défense. Lors du sommet de Vilnius, nous avons redouté l'annonce d'un tel déploiement, même s'il n'avait pas lieu, compte tenu de la difficulté, pour les Russes, de le contrôler, faute de faire confiance aux Biélorusses, dès lors que Loukachenko joue une partie qui n'est pas exactement celle de Poutine et que la société biélorusse est très hostile à la ligne du régime, au point que certains jugent que positionner de telles armes en Biélorussie pourrait faire naître un point de vulnérabilité pour les Russes. Même si le déploiement n'était pas confirmé, nous craignions qu'il donne lieu à une communication agressive, notamment en images. Tel n'a pas été le cas.
Au nom des membres de la délégation française à l'AP-Otan, notamment Anne Genetet, sa présidente, je vous remercie de votre accompagnement au long cours. L'AP-Otan a toute son importance pour la robustesse de l'Alliance, en raison des documents, des rapports et des déclarations qu'elle élabore, et encore davantage de l'espace de sociabilité qu'elle ouvre entre parlementaires des pays de l'Alliance. Au fil des années, je ne puis que constater à quel point ce rôle est important, singulièrement dans le contexte de la crise ukrainienne.
La France a procédé à un revirement assez spectaculaire, passant en quelques mois du refus d'humilier la Russie au soutien à l'accession de l'Ukraine à l'Otan. Sur cette question, ma position est claire et ferme depuis longtemps : j'étais favorable à l'accession non seulement de la Suède et de la Finlande mais aussi de l'Ukraine dès avant février 2022, pour décourager toute agression russe ; je le suis depuis le début de la guerre d'agression, afin d'éviter une escalade.
Du côté de l'exécutif, les choses évoluent de façon assez forte, ce que je ne peux que saluer. Je confirme le très bon accueil réservé à cette évolution parmi les parlementaires des pays de l'Est, dont je considère qu'aucun n'est un petit pays et que tous sont essentiels à la solidité du pilier européen de l'Alliance.
La question de la compréhension de son sens profond n'en demeure pas moins. S'agit-il pour la France, dès lors que les États-Unis regardent de plus en plus vers la Chine – certains congressmen américains considèrent que l'Ukraine est une forme d'anomalie dans le paysage et que le vrai sujet est la grande confrontation avec la Chine à venir –, de retrouver un rôle moteur pour ancrer l'action de l'Alliance dans l'Atlantique Nord et sur le continent européen ? S'agit-il d'une évolution de l'appréciation de la situation militaire et politique de l'Ukraine ?
La présidente de l'AP-Otan est utilement intervenue au cours du sommet. C'est toute l'importance de la diplomatie parlementaire à un moment où nous avons besoin, en sus de la force de nos armées, de celle de nos sociétés et de nos représentations nationales, dès lors que le jeu du président russe consiste à parier sur notre lassitude et sur le hasard des élections. Dans ce contexte, il est indispensable de construire du consensus.
Il est également indispensable d'encourager et d'interroger les parlementaires hongrois. En effet, le Parlement hongrois, saisi du projet de loi de ratification de l'adhésion de la Suède à l'Otan, ne se prononce pas depuis plusieurs mois. Cette question me semble mériter une discussion entre parlementaires. Les députés turcs sont dans une situation un peu différente, et n'ont pas encore été saisis.
Le fait est que les Américains ne se détournent pas de la sécurité de l'Europe. Ils ont 100 000 personnels sur le territoire européen ; si le soutien à l'Ukraine est possible dans son ampleur, c'est grâce à l'engagement de l'administration Biden. Plusieurs alliés d'Europe centrale et orientale regrettaient, pendant le sommet de Vilnius, que l'administration Biden ne soit pas allée assez loin dans l'invitation de l'Ukraine à l'Otan, mais il faut saluer que fait cette administration en matière de soutien américain à l'Ukraine.
Mais pour les Américains, et pas seulement pour les républicains les plus radicaux, il est clair que la confrontation se joue avec la Chine et sur le terrain de la politique intérieure.
S'agissant de l'engagement pris à Vilnius de porter l'effort de défense à 2 % du PIB, a-t-il fait l'objet de délais ou s'agit-il d'une affirmation de principe ?
S'agissant de l'adoption des plans régionaux préparés par le comité des plans de défense (DPC), je ne vous demanderai pas ce qu'il y a dedans puisque vous ne pouvez pas nous le dire, mais je souhaite savoir si les propositions de contribution présentées par les différents pays étaient globalement conformes aux analyses et aux attentes de la France. Les Américains devaient annoncer leur contribution après celles des autres alliés. Que pouvez-vous nous en dire ?
Nos alliés vous semblent-ils inquiets de l'éventualité de l'élection en 2024 de Trump ou d'un iso-Trump, même plus modéré ? Les Baltes disent : « Quoi qu'il arrive, le Congrès ne laissera pas faire, le retour des trumpistes n'est donc pas si grave ». Je n'en suis pas convaincu.
L'engagement de porter l'effort de défense à 2 % du PIB ne fait l'objet d'aucun délai et s'applique dès à présent. Il s'agissait d'un objectif plafond ; c'est désormais un objectif plancher, ce qui nous convient, la LPM qui vient d'être adoptée nous plaçant structurellement au-dessus de 2 %.
S'agissant des plans régionaux, le processus de génération de force est en cours. Les États-Unis sont prêts à contribuer et contribueront. L'apport des plans régionaux est l'insertion des États-Unis, qui ont en Europe une planification nationale, dans un cadre collectif. En cas de conflit en Europe, mieux vaut disposer d'une planification collective que devoir compter sur un plan américain dont nous ne sommes pas partie prenante.
Il n'en reste pas moins que, dans certains domaines, la contribution des autres alliés est insuffisante. Tel est notamment le cas en matière de défense aérienne. Dans le modèle expéditionnaire adopté après la guerre froide, face à des adversaires n'ayant pas la maîtrise du ciel, au premier rang desquels les terroristes, le recours à ces capacités coûteuses était limité. Le développement des capacités de défense aérienne a donc été moins investi. La France s'est beaucoup impliquée en la matière. Nous avons réuni le 19 juin une conférence sur la défense aérienne, qui s'est tenue en présence du Président de la République. Nous avons alimenté une discussion stratégique, capacitaire et industrielle sur les termes de l'engagement pour accélérer le développement de nos moyens en la matière.
S'agissant du risque que Donald Trump ou un « iso Donald Trump » arrive au pouvoir, il suscite une réelle inquiétude parmi nos alliés, naturellement, mais nous n'en parlons pas formellement.
La France assume ce qu'elle a toujours dit : nous ne pouvons pas nous en remettre au vote de l'électeur américain. Je me souviendrai toujours de cette nuit de 2020 passée avec mes collègues à suivre le dépouillement des votes, majoritairement républicains, des électeurs d'origine cubaine de la banlieue de Miami. La finesse de la connaissance de la géographie électorale américaine de mes collègues avait quelque chose d'inquiétant. Dans ces moments-là on se félicite que La France ne dépende pas, pour son assurance-vie, de la garantie de sécurité américaine, donc de l'électeur américain, et que vous, représentants de la nation, faites bien de soutenir la dissuasion nucléaire et d'en expliquer à nos compatriotes les tenants et les aboutissants.
Cela fait partir de nos échanges informels avec nos collègues des alliés d'Europe centrale, tels que la Pologne, qui ont une haute idée de leur souveraineté et nourrissent pour elle de grandes ambitions, tant ils se sont construits dans son recouvrement. De notre côté, nous sommes clairs sur le fait que notre agenda et notre ambition européens n'ont pas vocation à remplacer la garantie de sécurité américaine, mais à être de meilleurs partenaires des Américains, ce qui est d'autant plus nécessaire que, quelles que soient les futures administrations américaines, les États-Unis resteront notre allié et que nous devrons être à même de peser dans la discussion avec eux.
Nos collègues Fabien Lainé, membre de l'AP-Otan, et Sabine Thillaye, très engagée en faveur de l'Europe, ne peuvent assister à cette audition et m'ont demandé d'être leur porte-parole.
Le communiqué du sommet de Vilnius a le mérite d'être clair : « L'avenir de l'Ukraine est dans l'Otan ». Il entre dans le détail en précisant : « Le pays a déjà suffisamment avancé sur la voie de l'intégration euro-atlantique pleine et entière pour qu'un plan d'action pour l'adhésion (MAP) ne soit plus une nécessité ». Cette procédure facilitée récompense les efforts de l'Ukraine en matière de réformes politiques et d'interopérabilité de son armée avec les standards de l'Otan. Le secrétaire général Jens Stoltenberg a donc annoncé que le processus d'adhésion de l'Ukraine aura lieu en une étape et non deux.
Si ce communiqué nous donne beaucoup d'espoir s'agissant de l'adhésion prochaine de l'Ukraine à l'Otan, il nous laisse sans réponse s'agissant des conditions officieuses de celle-ci. L'avenir de l'Ukraine dans l'Otan dépend-il de sa contre-offensive contre la Russie et de la sécurisation de ses frontières ? Il est parfaitement compréhensible qu'une admission de l'Ukraine dans l'Otan trop précoce, c'est-à-dire avant la fin de la guerre avec la Russie, obligerait l'Alliance à agir, conformément à l'article 5 du traité de l'Atlantique nord. Nous entrerions alors dans l'inconnu, l'Otan n'étant jamais entrée en conflit direct avec son ennemi originel, qui par ailleurs détient environ 6 000 ogives nucléaires.
Dès lors que l'article 5 nous oblige, l'adhésion immédiate de l'Ukraine nous placerait dans une situation de confrontation avec la Russie. Telle n'est pas notre intention, ni celle de l'administration Biden, qui fait preuve, depuis le début du conflit, d'une prudence extrême. Jusqu'au bout, elle a cherché comme nous à dialoguer avec la Russie.
Il n'est pas inintéressant d'observer que le récit de l'aggravation de la crise, dans les articles de la presse américaine occulte cette phase de dialogue, au cours de laquelle les Américains sont allés assez loin dans leurs propositions en matière de stabilité stratégique, qui auraient bénéficié à la sécurité de la Russie. Les réponses des États Unis comme de l'OTAN aux demandes quasi comminatoires formulées par la Russie en décembre 2021 ont malheureusement fuité et sont désormais du domaine public. Si le régime russe, singulièrement son président, avait eu, au cours de cette discussion, la préoccupation des intérêts de sécurité de la Russie, il aurait obtenu de nombreuses garanties de sécurité, y compris en matière limitation de la fréquence, de la localisation et de l'ampleur de certains exercices. C'est d'ailleurs parce que les Etats-Unis ont essayé le dialogue qu'ils ont ensuite été si fermes sur la dissuasion et la défense des alliés dès l'agression russe.
Rien n'est donc plus faut que le tableau d‘une administration américaine belliciste. Si les États-Unis font partie des alliés les plus prudents au sujet de l'adhésion de l'Ukraine, c'est précisément pour ne pas prendre le risque d'une confrontation majeure par l'application de l'article 5 à l'Ukraine.
Certes certaines réflexions s'appuient sur le précédent de l'Allemagne de l'Ouest, admise à l'Otan en 1954 et incluse seule dans le champ d'application de l'article 5 en 1955. Quoi qu'il en soit, nul ne cherche la confrontation avec la Russie. La France, puissance nucléaire, a bien conscience des équilibres stratégiques. La perspective de l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan est une perspective de stabilité visant à donner davantage de prévisibilité, absolument pas la perspective de l'ouverture d'un conflit avec la Russie.
Au demeurant, tel est aussi le cas des adhésions de la Suède et de la Finlande, la seconde ayant doublé le kilométrage de frontière entre les pays de l'Otan et la Russie. Nous constatons que la fermeté, la transparence et la prévisibilité, avec la Russie, sont une bonne façon de fonctionner. Sur la Finlande, nous avons clairement dit les choses aux Russes ; nous avons constaté une rhétorique agressive limitée. La transparence, associée à la fermeté et à la sérénité, donne des résultats en matière de stabilité, fût-ce dans un rapport de force choisi avec la Russie.
Le compromis obtenu est le point d'équilibre entre les alliés. Il ne fait pas de doute que le débat, avec l'Ukraine et avec les alliés d'Europe centrale et orientale, n'est pas clos. La France restera dans la ligne constructive adoptée dès la préparation du sommet.
Tenir un sommet de l'Otan dans la capitale d'un État qui, il y a à peine plus de trente ans, était une subdivision territoriale de l'URSS est un message fort à l'heure où la Russie agresse l'Ukraine depuis plus d'un an. Un tel symbole doit être accompagné de déclarations tout aussi fortes ; ce sommet en a comporté. La plus importante d'entre elles est la fin de l'opposition turque à l'entrée de la Suède dans l'Otan.
Toutefois, dans ce contexte de guerre russo-ukrainienne, l'Otan a manqué d'une parole forte sur l'Ukraine, lui opposant plusieurs réticences autres que son statut actuel de pays en guerre. L'enthousiasme de la France, qui a donné un fort signal positif à l'Ukraine, n'est pas partagé par tous les pays de l'Alliance, ni par tous ceux qui sont aussi membres du G7, notamment l'Allemagne et les États-Unis. Pourquoi ces États montrent-ils si peu d'entrain à propos de l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan ? Cette différence d'appréciation entre nos pays à ce sujet a-t-elle des conséquences sur nos autres relations diplomatiques ?
Par ailleurs, la France, depuis le début du conflit, prend clairement position du côté de l'Ukraine et dénonce la Russie comme un État agresseur tout en s'efforçant de maintenir un dialogue avec Moscou. En quoi les débats et les décisions du sommet de Vilnius, notamment au sujet de la Suède et l'Ukraine, influencent-ils la relation franco-russe ?
S'agissant de la position allemande, il me semble qu'il est intéressant de poursuivre le dialogue inter parlementaire y compris avec le SPD
Nous avons pour notre part des échanges très denses avec les Allemands, qui, à l'Otan, siègent à côté de nous. Qu'il s'agisse des ambassadeurs, des ministres ou des chefs d'État et de gouvernement, la France et l'Allemagne siègent côte à côte.
Dans nos interactions avec les jeunes que nous invitons à l'Otan pour qu'ils comprennent comment elle fonctionne et comment elle parvient au consensus, nous organisons des jeux de rôle au cours desquels l'audience la plus pacifiste que nous ayons eue était formée par les jeunes des lycées franco-allemands, sans doute par conscience du passé, et de ce que l'historien Stéphane Audouin-Rouzeau appelle « le risque oublié de la guerre ».
Mais, si l'Allemagne est prudente, il faut bien avoir conscience que le Zeitenwende a fait de l'Allemagne le premier soutien de l'Ukraine en Europe. Le chancelier Scholz a annoncé, dans le cadre des assurances de sécurité, un soutien de 17 milliards d'euros.
Sur la relation avec la Russie, nous avons poursuivi le dialogue sur des sujets précis, tels que la sécurité de la centrale nucléaire de Zaporijia. Nous nous heurtons à la difficulté que chacun peut constater : nos interlocuteurs russes sont enfermés dans une fuite en avant, au point de soulever des questions d'ordre cognitif sur leur mode de fonctionnement. Sur la grammaire nucléaire, du moins, il me semble que nous nous comprenons.
Le sommet de l'Otan à Vilnius a été celui de la cohésion, celle des alliés pour assurer notre sécurité collective, et celle qui entoure l'Ukraine. À bien des égards, il s'inscrit dans la droite ligne de la posture de fermeté adoptée l'an dernier à Madrid. Comme d'autres, nous considérons que son bilan est indéniablement positif.
La décision américaine de livrer, de façon unilatérale, des bombes à sous-munitions à l'Ukraine a fait l'objet de nombreuses critiques, émises par plusieurs signataires de la Convention sur les armes à sous-munitions et par des ONG, notamment Amnesty International. Quel accueil les alliés ont-ils fait à l'annonce de cette livraison ? Quelle est la position de la France sur ce point ? Cet unilatéralisme tranche avec l'unité promue lors du sommet.
C'est d'autant plus regrettable que, parmi les innovations adoptées à Vilnius, on compte la création du Conseil Otan-Ukraine, laquelle envoie un signal positif en conférant un statut privilégié à l'Ukraine sans prendre acte de son adhésion. Cette solution équilibrée va dans le bon sens. Toutefois, les symboles ne sont pas tout. Le Conseil s'est réuni pour la première fois le 12 juillet. Comment se sont déroulés les échanges ? A-t-il vocation, à l'avenir, à organiser et à encadrer l'action des alliés pour et autour de l'Ukraine ?
S'agissant des armes à sous-munitions, les États-Unis avaient consulté la France. Une fois la décision annoncée, ils ont informé les alliés de ces conséquences. Par ailleurs, l'Otan, alliance militaire, peut certes héberger un dialogue politique, mais n'a pas vocation – la France défend fermement cette position – à se substituer aux enceintes pertinentes en matière de désarmement ni aux enceintes politiques dans lesquelles nous construisons une politique étrangère commune, telles que l'UE.
Par conséquent, s'il existe une position commune de l'UE à ce sujet, il n'existe pas de position commune des membres de l'Otan. La plupart sont signataires de la convention d'Oslo ; certains, dont les États-Unis, ne le sont pas. L'Ukraine ne l'est pas non plus. La décision des États-Unis est souveraine ; elle n'est pas une violation du droit international. Les Américains l'expliquent par la plus-value apportée sur le terrain dans une situation de pénurie de munitions.
La position de la France consiste à dire : « Nous sommes signataires de la Convention d'Oslo et y restons impliqués. =Toutefois, nous comprenons certaines des raisons qui ont amené les États-Unis et l'Ukraine la prendre ». À Vilnius, le débat sur ce point n'a pas été très actif.
S'agissant du Conseil Otan-Ukraine, l'Ukraine, ne siégeait pas en plus des trente-et-un alliés, mais parmi eux, à côté du Royaume-Uni en raison de l'ordre alphabétique. Dans le cadre d'un calendrier commun de coopération, nous insisterons aussi sur les réformes que l'Ukraine doit poursuivre en matière de lutte contre la corruption et de gouvernance.
Pays voisin de l'Ukraine et proche de la mer Noire, la Moldavie est directement affectée par le conflit en cours. Depuis son début, nonobstant son statut de neutralité inscrit à l'article 11 de la Constitution, elle renforce ses capacités de défense, modernise ses infrastructures et développe ses compétences militaires. Dans cette perspective, en dépit de la réticence de l'opinion publique, elle cherche à développer des relations plus étroites avec l'Otan, notamment pour bénéficier de l'expertise et des ressources de l'Otan installées depuis peu à Chisinau.
Comment cette coopération contribue-t-elle à renforcer la sécurité et la stabilité de la région ? Quels sont les principaux domaines de coopération ? Quelle est la position de la France à l'égard de la possibilité de l'adhésion de la Moldavie à l'Otan ?
Les ministres des affaires étrangères ont rencontré, en marge du sommet de Vilnius, les ministres des affaires étrangères moldave, géorgien et bosnien, représentant nos partenaires vulnérables à la pression russe.
La coopération de l'Otan et de la Moldavie en est au stade du dialogue politique. Il n'existe ni bureau de liaison à Chisinau ni présence de l'Otan en Moldavie. Une mission civile de l'UE travaille sur la résilience du secteur de la sécurité, mais il n'y a aucune présence militaire. Il existe un bureau de liaison de l'OTAN qui garde un profil relativement discret. La fonction de liaison est assurée également par l'ambassade de Roumanie. Sur cette base, la Moldavie fait preuve d'une volonté de coopération avec l'Otan. La France contribue au paquet de renforcement des capacités de défense, notamment aérienne.
Que la Moldavie soit sous pression russe, vous le savez mieux que quiconque. Qu'elle y résiste avec beaucoup de pertinence est une bonne nouvelle. Nous avons été rassurés par la capacité de résilience de la société moldave face aux attaques informationnelles et au chantage énergétique. La Moldavie choisira ses arrangements de sécurité et sa coopération avec l'Otan. La France y contribue et n'est pas hostile à l'ouverture d'un bureau de liaison proprio motu.
Avec la Roumanie et l'Allemagne, la France a pris la tête du groupe de soutien à la Moldavie, non sans insister sur le rôle décisif de l'UE dans le raccordement au réseau européen d'électricité et dans le soutien massif à la résilience du pays. Tel est le sens du déploiement de la mission de l'UE consacrée, de façon inédite, à la résilience du secteur de la sécurité. Pour nous, cet espace de coopération avec l'UE est prioritaire, d'autant qu'il répond au souhait d'adhésion à l'UE de la Moldavie et qu'elle n'est pas candidate à l'adhésion à l'Otan. Nous contribuons au développement d'un espace de coopération avec l'Otan en contribuant au paquet de développement des capacités de défense.
Sur le plan sécuritaire, nous sommes aussi rassurés, l'ex-XIVe armée soviétique, dont les quelque 2 000 hommes restants sont basés à Tiraspol, en Transnistrie, étant statique.
La Moldavie est sous pression. Elle a besoin de coopérer avec nous pour résister, d'autant que nous redoutions qu'elle subisse des effets collatéraux du conflit, voire son extension. L'action résolue de soutien à la Moldavie, entreprise dans le cadre de l'UE et valorisée dans le cadre de l'Otan, a porté ses fruits. Montrer à la Russie la fermeté de notre soutien et notre détermination n'est pas sans résultat.
On évoque souvent le renforcement du pilier européen au sein de l'Otan. La tâche n'est pas facile et peut même sembler impossible sans nos amis de Grande-Bretagne.
S'agissant de la non-invitation de l'Ukraine à rejoindre l'Otan lors du sommet de Vilnius, les Britanniques, qui sont pourtant en Europe les plus en pointe, avec les Polonais et les Baltes, dans le soutien à l'Ukraine, se sont ralliés à la position de prudence des États-Unis, elle-même dictée par le risque d'application de l'article 5. Concernant les Allemands, avec lesquels nous travaillons au sein de l'Assemblée parlementaire franco-allemande (APFA) et dans le cadre des échanges entre nos commissions de la défense respectives, nous savons combien le SPD est prudent et pacifiste, au point de ne pouvoir guère aller au-delà de simples échanges.
Si nous nous attendions à la prudence des Allemands, celle des Britanniques est plus surprenante. Est-il possible de les arrimer au pilier européen de la défense, dès lors qu'ils s'alignent systématiquement sur les positions américaines au sein de l'Otan et disposent peut-être, en tant que membre du Five Eyes, de renseignements que nous n'avons pas.
Par ailleurs, trois plans de défense régionaux ont été annoncés à l'issue du sommet de Vilnius. Concernent-ils la Moldavie et la mer Noire ? Disposons-nous de scénarios possibles et de règles d'engagement communes ?
La mer Noire fait partie de la zone de responsabilité du commandement suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), ce qui permet d'assurer la défense collective des pays de l'Alliance. Nous y faisons preuve d'une prudence extrême pour éviter tout risque d'accident. La Moldavie, pays neutre, n'en fait pas partie.
La Roumanie, de façon générale, promeut la robustesse de la présence de l'Otan dans la région et la coopération avec la Moldavie. Celle-ci, pour sa part, joue assez finement, adoptant un profil modeste et intelligent dans sa coopération avec l'UE.
Sur la participation du Royaume-Uni au pilier européen de l'Alliance, il est évident que les efforts européens incluent le Royaume-Uni et que l'on ne saurait travailler efficacement à la défense européenne sans lui. Toutefois, du point de vue de la politique industrielle de l'UE, le mode de Brexit, dont ils ont fait le choix et dont chacun mesure les effets, les place hors de toute coopération, ce qui est regrettable. La Norvège, qui est membre de l'Espace économique européen (EEE), bénéficie des initiatives industrielles de l'UE et concourt à leur réalisation. Le Royaume Uni aurait pu faire le choix d'un Brexit moins dur, qui l'aurait maintenu dans l'EEE.
Ces initiatives industrielles inquiètent le Royaume-Uni, en l'absence d'un marché transatlantique de l'armement, le marché américain étant très protégé. Le Royaume-Uni semble craindre tant le durcissement des barrières américaines – l'administration Biden est ferme dans la défense des intérêts des États-Unis – que l'émergence, qui accélère, d'une politique industrielle et de défense dans l'UE.
Demeurent des affinités, une coopération opérationnelle en Estonie, où nous sommes déployés ensemble, ainsi qu'une forme de gémellité et de compréhension entre puissances nucléaires. J'ai emmené une délégation du Conseil de l'Atlantique Nord à l'Île Longue pour y apprécier la façon dont nous opérons et mettons en œuvre notre doctrine ; mon homologue britannique nous a emmenés à Faslane, en Écosse. Nous avons effectué ces déplacements ensemble, en avril, dans le cadre d'une initiative franco-britannique.
Nous conservons une grande proximité opérationnelle, par exemple en Estonie où nous sommes déployés ensemble, et avons des projets de coopération industrielle qui concourent au renforcement des capacités européennes, mais le Brexit dur qu'ils ont choisi, les exclut du train, désormais parti, de la politique industrielle et de défense de l'UE proprement dit.
Madame l'ambassadrice, au nom des membres de la commission, je vous remercie pour cette audition.
La séance est levée à dix heures quarante-six.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, M. Mounir Belhamiti, M. Frédéric Boccaletti, M. Hubert Brigand, M. Jean-Marie Fiévet, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. José Gonzalez, M. Laurent Jacobelli, M. Loïc Kervran, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Delphine Lingemann, Mme Brigitte Liso, Mme Lysiane Métayer, M. Laurent Panifous, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Aurélien Saintoul, Mme Nathalie Serre, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Mélanie Thomin
Excusés. - M. Julien Bayou, M. Christophe Bex, M. Christophe Blanchet, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Yannick Favennec-Bécot, M. David Habib, M. Jean-Michel Jacques, M. Olivier Marleix, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Valérie Rabault, M. Fabien Roussel, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo