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Intervention de Muriel Domenach

Réunion du mercredi 19 juillet 2023 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Muriel Domenach, ambassadrice, représentante permanente de la France au conseil de l'Atlantique Nord :

À l'Otan, la France a quatre postures de négociation : « oui » ; « oui, si » ; « non, sauf » ; « non ». Sur l'ouverture d'un bureau de liaison à Tokyo, c'était non. Nous avons dit de façon très claire, dès le début de la négociation du communiqué, que la France ne donnerait pas son accord à cette initiative. La discussion à ce sujet a dû occuper 1 % du temps consacré à la préparation du sommet. Les Américains ont rapidement compris que cette position était ferme. La presse en a beaucoup plus parlé que les alliés.

Il s'agit d'une initiative institutionnelle, et non américaine à l'origine, prise par les structures de l'Otan, sans doute pour épouser la priorité stratégique américaine. Le problème de l'Otan – qui est même une question existentielle, que Vladimir Poutine a tranchée – est de rester pertinente pour ses membres, notamment pour le plus important d'entre eux. Dès lors que les priorités stratégiques américaines changent d'orientation, il est naturel que l'institution cherche à « étendre son bureau » – pour employer une notion de la théorie des choix publics – sur les sujets d'intérêt pour les Etats-Unis. Comme ceux-ci renforcement leur partenariat avec le Japon, l'OTAN veut le faire aussi, d'autant que la Japon est demandeur – comme l'Australie.

Malheureusement, cette proposition a été formulée aux Japonais avant même d'être discutée entre alliés et a fortiori approuvée. Elle a de surcroît été divulguée et commentée au Japon, ce qui a suscité des réactions chinoises et alimenté la désinformation selon laquelle l'Otan envisage un élargissement au Japon. L'affaire était mal partie sur la procédure, sur le fond et sur la communication.

Nous avons donc indiqué de façon très claire que l'Otan n'a pas vocation à développer une présence physique en Asie-Pacifique. D'abord, sa zone de compétence est l'Atlantique Nord, comme l'indique le nom du traité. Ensuite, sa mission, s'agissant d'une alliance d'abord militaire, est la défense et la dissuasion dans le périmètre défini par l'article 6 du traité de l'Atlantique nord, soit les espaces situés au nord du Tropique du Cancer. Les territoires français situés hors de cette zone – nos alliés y ont veillé au moment de la signature du Traité – ne sont pas couverts. Nous l'avons toujours su et avons organisé notre défense en conséquence.

Il importe de distinguer le nécessaire partenariat avec les pays précités, qui relève de l'Otan, et ce qui n'en relève pas. Le travail de l'Otan est la dissuasion et la défense dans la zone euro-atlantique et dans l'Atlantique Nord. Cela suppose des plans exigeants, des moyens – comptés – et de la crédibilité. Prétendre, en tant qu'alliance militaire, assurer la dissuasion et la défense dans l'Asie-Pacifique nous fera perdre en crédibilité, je le crains, dans l'Atlantique Nord.

Je le dis en tant que représentante d'un pays qui fait partie de ceux ayant les moyens militaires et les capacités d'action, bien moins que les Américains mais devant les autres alliés, dans l'Asie-Pacifique. Ces capacités d'action n'ont pas vocation à opérer dans le cadre de l'Alliance Atlantique, mais à coopérer et à faire respecter la liberté de navigation, pour des raisons relatives à nos intérêts économiques et au respect de la liberté de navigation indispensable à une puissance nucléaire. Dans ce cadre, nous avons mené, très loin de nos côtes, des missions exigeantes, partiellement en partenariat avec les États Unis, en mettant en œuvre de robustes moyens de patrouille là où il n'est pas facile de les engager.

Notre position est donc la suivante : non à la présence physique de l'Otan dans l'Asie-Pacifique ; non à la moindre ambiguïté sur l'extension à cette zone de la mission de défense et de dissuasion de l'Otan ; oui – ô combien ! – à la coopération militaire bilatérale, dans laquelle la France est le pays le plus engagé ; oui à un partenariat de l'Otan avec certains pays de la zone, centré sur ce que nous avons en commun, notamment l'implication dans le soutien à l'Ukraine – le président de la Corée du Sud s'est rendu à Kiev et nous avons besoin des capacités industrielles de son pays pour soutenir notre potentiel de livraison à l'Ukraine ; oui à la défense, en Asie-Pacifique et ailleurs, d'un ordre international fondé sur le droit, qui est notre intérêt général. Dans ce contexte, j'appelle l'attention des membres de l'AP-Otan sur le rôle de point de contact joué par les ambassades des pays alliés qui sont dans chaque pays partenaire, ont la responsabilité d'expliquer l'action de l'OTAN, sans qu'il ne soit besoin d'un bureau de liaison. Il se trouve que l'ambassade de France exerce cette responsabilité en Corée du Sud.

S'agissant de l'Inde, elle n'est pas demandeuse d'un rapprochement avec l'Otan. Sans doute, parmi les alliés, la Turquie lierait tout partenariat avec le Pakistan, ce qui n'irait pas de soi. Notre partenariat à titre national avec elle n'en est pas moins indispensable, dimensionnant pour nous et nécessaire si nous voulons progresser vers une solution négociée en Ukraine aux termes de celles-ci, ce qui suppose de dialoguer et de coopérer avec les principaux membres de la communauté internationale.

Pour conclure, une note d'ambiance sur la session Asie Pacifique du sommet de Vilnius : si la discussion avec nos partenaires de l'Asie-Pacifique était dépourvue de tension pendant le sommet, chacun sentait que l'approfondissement des partenariats de l'Otan dans la région n'était pas le cœur du sujet. L'attention des alliés portait clairement sur la situation en Ukraine et la relation avec l'Ukraine.

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