Dès lors que l'article 5 nous oblige, l'adhésion immédiate de l'Ukraine nous placerait dans une situation de confrontation avec la Russie. Telle n'est pas notre intention, ni celle de l'administration Biden, qui fait preuve, depuis le début du conflit, d'une prudence extrême. Jusqu'au bout, elle a cherché comme nous à dialoguer avec la Russie.
Il n'est pas inintéressant d'observer que le récit de l'aggravation de la crise, dans les articles de la presse américaine occulte cette phase de dialogue, au cours de laquelle les Américains sont allés assez loin dans leurs propositions en matière de stabilité stratégique, qui auraient bénéficié à la sécurité de la Russie. Les réponses des États Unis comme de l'OTAN aux demandes quasi comminatoires formulées par la Russie en décembre 2021 ont malheureusement fuité et sont désormais du domaine public. Si le régime russe, singulièrement son président, avait eu, au cours de cette discussion, la préoccupation des intérêts de sécurité de la Russie, il aurait obtenu de nombreuses garanties de sécurité, y compris en matière limitation de la fréquence, de la localisation et de l'ampleur de certains exercices. C'est d'ailleurs parce que les Etats-Unis ont essayé le dialogue qu'ils ont ensuite été si fermes sur la dissuasion et la défense des alliés dès l'agression russe.
Rien n'est donc plus faut que le tableau d‘une administration américaine belliciste. Si les États-Unis font partie des alliés les plus prudents au sujet de l'adhésion de l'Ukraine, c'est précisément pour ne pas prendre le risque d'une confrontation majeure par l'application de l'article 5 à l'Ukraine.
Certes certaines réflexions s'appuient sur le précédent de l'Allemagne de l'Ouest, admise à l'Otan en 1954 et incluse seule dans le champ d'application de l'article 5 en 1955. Quoi qu'il en soit, nul ne cherche la confrontation avec la Russie. La France, puissance nucléaire, a bien conscience des équilibres stratégiques. La perspective de l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan est une perspective de stabilité visant à donner davantage de prévisibilité, absolument pas la perspective de l'ouverture d'un conflit avec la Russie.
Au demeurant, tel est aussi le cas des adhésions de la Suède et de la Finlande, la seconde ayant doublé le kilométrage de frontière entre les pays de l'Otan et la Russie. Nous constatons que la fermeté, la transparence et la prévisibilité, avec la Russie, sont une bonne façon de fonctionner. Sur la Finlande, nous avons clairement dit les choses aux Russes ; nous avons constaté une rhétorique agressive limitée. La transparence, associée à la fermeté et à la sérénité, donne des résultats en matière de stabilité, fût-ce dans un rapport de force choisi avec la Russie.
Le compromis obtenu est le point d'équilibre entre les alliés. Il ne fait pas de doute que le débat, avec l'Ukraine et avec les alliés d'Europe centrale et orientale, n'est pas clos. La France restera dans la ligne constructive adoptée dès la préparation du sommet.