Jeudi 8 juin 2023
La séance est ouverte à huit heures.
(Présidence de M. Philippe Naillet, vice-président de la commission)
Nous achevons ce matin les auditions de la commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution avec celle de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous remercie aussi de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Bruno Le Maire prête serment.)
Je suis heureux de répondre aux questions de la commission d'enquête sur un sujet qui est une priorité du Gouvernement. Pour commencer par une évidence, la vie est chère dans les îles – dans toutes les îles, quelles qu'elles soient et quelle que soit la nation concernée. Elle y est chère parce que l'éloignement, l'isolement, les difficultés de développement économique, l'absence de marché intérieur significatif rendent tous les produits plus chers et la vie économique plus difficile.
J'étais il y a deux semaines en Guadeloupe et en Martinique. Ce séjour m'a permis d'échanger avec les acteurs locaux et de dresser des constats qui permettront de répondre plus précisément aux questions et de tirer des enseignements pratiques pour les années à venir.
La vie chère est une réalité dans les territoires ultramarins. Les écarts des prix à la consommation par rapport à l'Hexagone sont significatifs : 7 % de différence pour La Réunion et Mayotte, 12 % pour les Antilles et la Guyane. Ces écarts de prix sont donc très significatifs. Les raisons, je les ai données. L'éloignement suscite des coûts de transport élevés à l'import comme à l'export, en particulier pour les territoires les plus isolés, le cumul des intermédiaires entraînant un renchérissement des prix et une très forte sensibilité à la variation des prix de l'énergie utilisée pour le transport.
D'autre part, la fiscalité mériterait d'être refondue. L'octroi de mer renchérit le prix des biens, jusqu'à 5 % parfois, et constitue le premier poste de coût dans les frais d'approche des produits importés. Par exemple, la farine est taxée à 30 % en Martinique et en Guadeloupe, contre un taux de TVA de 5,5 % dans l'Hexagone, soit un écart de 24,5 % sur un paquet de farine pour la seule fiscalité. Produit de base de l'alimentation en Martinique comme dans beaucoup d'autres endroits, le riz y est taxé à hauteur de 20 % au titre de l'octroi de mer, alors que chacun sait que les rizières ne pullulent pas en Martinique. Tout cela représente un surcoût extrêmement important.
La troisième raison est l'étroitesse des marchés, j'ai pu l'observer en tant que ministre de l'économie et, surtout, en tant que ministre de l'agriculture : le seuil de rentabilité est extrêmement difficile à atteindre pour les producteurs, cela les incite à augmenter les prix. Voilà dix ans au moins qu'on parle de l'autonomie des producteurs en Guadeloupe, à La Réunion et dans les autres territoires et départements d'outre-mer. Il leur faudrait un marché plus important pour faire baisser le seuil de rentabilité et le prix des intrants qui ont fortement augmenté. Or, dans des territoires de taille réduite, c'est compliqué.
La vie est donc plus chère dans les départements et les régions d'outre-mer. Si ce constat me paraît incontestable, je voudrais lui apporter deux nuances.
D'abord, l'inflation en 2022 a été moindre dans les outre-mer que dans le reste du pays – 4,9 % en moyenne d'inflation, soit un point de moins que la moyenne nationale –, notamment en raison des mesures prises par le Gouvernement.
Ensuite, les pouvoirs publics disposent de leviers pour limiter l'ampleur du phénomène de la vie chère et ses conséquences pour les consommateurs fragiles. Le premier levier consiste à favoriser le développement de l'économie locale de manière à augmenter le pouvoir d'achat de nos compatriotes. Ce développement, j'y insiste, doit sortir des sentiers battus, c'est-à-dire du tourisme et de l'agriculture. S'il s'agit évidemment de vecteurs de développement importants, j'ai été frappé de voir lors de mon déplacement que d'autres projets très structurants étaient en train de voir le jour dans le secteur industriel ou dans celui du transport, avec, par exemple, l'agrandissement des ports de la Martinique et de la Guadeloupe. Ils créent des emplois à plus forte valeur ajoutée, ce qui est une réponse sous forme de travail mieux rémunérés aux problèmes rencontrés par nos compatriotes dans ces départements.
Je crois donc qu'il faut que nous élargissions la question du développement économique local au-delà des seules filières régulièrement mentionnées, car il y a des potentiels extraordinaires sur ces territoires, qui sont parfois sous-utilisés. C'est pourquoi le projet de loi relatif à l'industrie verte devra comporter des dispositions visant à dynamiser l'industrie dans les territoires ultramarins, en vue de produire des biens à forte valeur ajoutée. Je ne vois pas pourquoi la logique que nous appliquons dans l'Hexagone et qui fonctionne – à savoir, créer des emplois industriels mieux rémunérés que les emplois de service – ne s'appliquerait pas à la Guadeloupe, la Martinique et à tous les territoires d'outre-mer où se montent des projets industriels performants, novateurs et créateurs de valeur ajoutée.
Je souhaite que nous poursuivions dans cette voie du développement industriel dans ces territoires et que l'État continue à soutenir des projets d'infrastructures stratégiques pour le développement de ces territoires et leur intégration régionale, dans le cadre de contrats de convergence et de transformation (CCT) portant sur les routes, les ports et les aéroports. Je souhaite rompre avec l'habitude d'enfermer ces territoires dans des logiques de développement un peu désuètes pour les orienter vers des démarches plus ambitieuses, qui intègrent les infrastructures et le développement industriel. C'est un des points que je défendrai lors du comité interministériel des outre-mer (Ciom), qui se tiendra le 3 juillet prochain.
Nous examinons aussi la possibilité d'une réforme en profondeur de l'octroi de mer. Il s'agit d'un axe de réflexion essentiel. L'objectif principal serait la baisse du prix des produits importés au bénéfice des consommateurs et des entreprises manufacturières. Je l'ai dit à plusieurs reprises lors de mon déplacement : je ne suis pas favorable à la suppression de l'octroi de mer, mais je ne suis pas favorable non plus au statu quo. Je pense que la bonne ligne est celle d'une réforme en profondeur, produit par produit, afin de voir quels produits méritent d'être taxés, parce qu'ils sont déjà sur le territoire et par conséquent il faut éviter qu'une concurrence défavorable ne soit créée. En revanche, pour d'autres produits, nous pourrions établir des droits plus faibles.
Deuxième levier : assurer la concurrence sur les marchés. J'ai, à plusieurs reprises, alerté l'Autorité de la concurrence et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) quant à la nécessité d'amplifier nos efforts pour garantir la concurrence sur ces territoires.
Pour ce faire, nous disposons d'outils de mise en œuvre du droit de la c concurrent qui sont adaptés, qui ont été récemment renforcés et qui sont efficaces. À la suite de l'avis de l'Autorité de la concurrence de 2019, des mesures concrètes ont été prises : interdiction du géoblocage injustifié des consommateurs ultramarins par les sites internet hexagonaux – problème qui nous avait été signalé par des députés ultramarins –, renforcement du rôle des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), assouplissement des modalités de mise en œuvre de l'injonction structurelle, qui permet à l'Autorité de la concurrence d'intervenir lorsqu'une situation d'abus de position dominante est soupçonnée et de réduire le niveau de concentration économique sur un marché. Cette fermeté en matière de droit de la concurrence se traduit dans les bilans d'activité de l'Autorité de la concurrence et de la DGCCRF, avec une activité très forte de mise en œuvre des règles. Par exemple, l'Autorité de la concurrence a rendu, depuis 2008, vingt-neuf décisions en matière de pratiques anticoncurrentielles dans les outre-mer, pour un montant total d'amendes de plus de 162 millions d'euros. S'agissant de la DGCCRF, les indices de pratiques anticoncurrentielles établis en 2022 représentaient 18% du total national, soit une part supérieure à celle que représente la part de la population.
Troisième levier : soutenir de manière spécifique le pouvoir d'achat de nos compatriotes ultramarins. L'État prend toute sa part dans cet effort, avec des montants, justifiés, qui sont extrêmement élevés. La puissance publique joue de ce point de vue un rôle clé pour protéger le pouvoir d'achat de nos compatriotes d'outre-mer.
Des moyens financiers importants sont d'abord mobilisés pour diminuer de façon structurelle le prix des biens et services. Les taux de TVA sont plus faibles que dans l'Hexagone : de 8,5 % et 2,1 % en Guadeloupe, à la Martinique et La Réunion, contre 20 % et 5,5 % dans l'Hexagone – ce qui est un écart significatif. Je rappelle par ailleurs qu'il n'y a de TVA ni en Guyane ni à Mayotte. Ces mesures de taux de TVA préférentiel représentent un coût total de 4 milliards par an pour l'État.
Deuxième exemple de soutien financier : le tarif réglementé de vente d'électricité (TRVE), qui permet aux Ultramarins de payer le même prix que dans l'Hexagone, alors que les coûts de la production locale sont de trois à quatre fois supérieurs. Ce TRVE est accessible à toutes les entreprises et à toutes les collectivités, pour un coût de 1,7 milliard par an pour l'État.
Enfin, l'État ne perçoit aucune taxe sur les carburants consommés en outre-mer, ils sont donc plus faiblement taxés qu'en Hexagone pour compenser des prix régulés hors taxes plus élevés et donner des prix à la pompe proches des prix hexagonaux. Le coût pour l'État est de 1,5 milliard d'euros.
Ces trois mesures représentent donc à elles seules environ 7 milliards d'euros de dépenses budgétaires annuelles pour l'État.
Je rappelle qu'un bouclier qualité-prix (BQP) a été mis en place, avec un accord de modération du prix portant sur une centaine de produits de première nécessité, qui est négocié chaque année et qui a été étendu à de nouveaux secteurs. J'ai pu constater sur place l'efficacité de ce dispositif. Certains souhaiteraient aller plus loin, mais je pense que cette une première réponse sur les prix à la consommation qui est utile.
Enfin, nous avons pris des mesures de nature conjoncturelle, comme, à l'été 2022, le paquet sur le pouvoir d'achat, avec le plafonnement plus strict de la hausse du montant des loyers ou la revalorisation du montant des subventions accordées aux collectivités ultramarines. Au total, 19 millions d'euros ont été mobilisés pour la seule aide alimentaire exceptionnelle aux ménages fragilisés. Nous avons en outre obtenu en août 2022 une réduction de 750 euros par conteneur des taux de fret de CMA CGM pour la totalité des importations en outre-mer. Cette mesure était initialement prévue pour une durée d'un an mais, à la demande du Gouvernement, le président Rodolphe Saadé a accepté de la prolonger jusqu'au 31 décembre 2023. Je l'en remercie.
En résumé, la vie chère est un fait économique incontestable dans les outre-mer. Nous y avons apporté des réponses structurelles, sous la forme de dépenses publiques, d'une baisse des taux de TVA et d'avantages fiscaux. Nous y avons aussi apporté des réponses conjoncturelles, en lien avec la crise inflationniste des derniers mois. Je pense qu'il convient désormais d'engager une réflexion plus structurelle, qui porterait à la fois sur l'octroi de mer, le modèle économique que nous souhaitons développer dans ces territoires et le droit de la concurrence. Il s'agit selon moi des trois pistes structurelles les plus porteuses.
Lors de votre voyage aux Antilles, vous avez déclaré, le 24 mai dernier : « Je ferai la transparence sur les marges ». Pourquoi ?
Parce que la transparence est le début de la vérité des prix. Si on n'a pas la transparence sur les marges, il est impossible d'établir la vérité des prix et une concurrence juste et efficace. Cela vaut pour tous les territoires.
Durant mon déplacement aux Antilles, j'ai été très frappé d'entendre les acteurs se renvoyer les responsabilités : chacun dit qu'il fait très peu de marge, qu'il peut tout juste survivre, que son activité n'est pas profitable… La seule façon d'y voir clair, c'est de faire la transparence et de montrer la réalité des marges. Évidemment, nous le ferons non pas commerce par commerce, mais secteur d'activité par secteur d'activité, afin que nos compatriotes puissent se faire une idée juste de qui fait des marges et qui n'en fait pas.
Monsieur le ministre, nos compatriotes souffrent de l'inflation. Alors imaginez la souffrance des Ultramarins, qui étaient confrontés à la vie chère avant même l'inflation ! Dans les outre-mer, le panier de la ménagère est de 20 % à 60 % supérieur à celui de la métropole.
Lors de votre déplacement aux Antilles, vous avez dit être prêt à une réforme en profondeur de l'octroi de mer, tout en précisant que son abandon serait une erreur. Cette taxe, qui représente un surcoût de près de 15 % sur les taxes déjà applicables, doit être réservée aux produits entrant en concurrence avec ceux fabriqués localement et aux produits importés des pays non-membres de l'Union européenne. C'est du bon sens. Néanmoins, les collectivités d'outre-mer ne doivent pas être les grandes perdantes de la réforme. Il convient donc de compenser à l'euro près la perte de recettes pour les collectivités locales, par le biais de la dotation globale de fonctionnement. Le coût annuel est estimé à environ 1 milliard : c'est réaliste, et c'est attendu par nos compatriotes ultramarins.
Que comptez-vous faire ? Dans votre propos liminaire, vous avez semblé vouloir aller dans ce sens. Cette réforme, issue du programme présidentiel de Marine Le Pen, répondrait à une attente forte de nos compatriotes. Pourquoi ne pas reconnaître que Marine Le Pen a raison sur le sujet depuis longtemps ? Pourriez-vous préciser les actions que vous allez mener en la matière.
Je ne suis pas là pour distribuer les bons ou les mauvais points aux responsables politiques, mais pour répondre aux questions des parlementaires sur la situation en outre-mer. Je l'ai dit : il est évident que l'octroi de mer doit faire partie des réponses structurelles à la question de la vie chère en outre-mer ; évacuer ce sujet reviendrait à ne pas remarquer l'éléphant dans la pièce.
Néanmoins, je ne pense pas qu'il soit sage de prendre des décisions sur l'octroi de mer contre l'avis de la plupart des responsables politiques locaux – j'en ai été un pendant des années. Je ne peux pas dire, dans l'Hexagone, qu'il faut écouter les élus locaux parce qu'ils connaissent la réalité locale et, aux Antilles, que nous savons mieux qu'eux ce qui est bien pour eux. Or tous les élus locaux que j'ai rencontrés – aucun ne faisant partie, je le précise, de ma famille politique – m'ont demandé de conserver l'octroi de mer. Aucun élu local ou national que j'ai rencontré ne m'a dit qu'il faut tirer un trait sur l'octroi de mer. J'en déduis que le supprimer n'est sans doute pas la bonne option. Je ne crois jamais qu'il soit bon de prendre des décisions qui vont contre l'unanimité, ou presque, des élus locaux.
En revanche, je pense qu'il faut modifier en profondeur ce système complètement baroque, qui ne marche pas. Cela demande un travail technique très lourd et très complexe : des milliers de produits sont concernés, les systèmes de taxation sont parfois différents d'un produit à l'autre. Les sommes en jeu sont extrêmement élevées : le produit de l'octroi de mer est passé, de 2019 à 2022, de 1,2 à 1,47 milliard d'euros. On ne parle donc pas d'une redistribution de petites sommes. Enfin, quand on fait une réforme, il vaut mieux viser un objectif, et un seul. Le mien est de baisser les prix.
Lors du conseil interministériel des outre-mer (Ciom), quelle méthode vais-je suggérer d'employer ? D'abord, associer tous les élus locaux à la réforme. Ensuite, poursuivre le travail technique que nous avons engagé produit par produit, en mettant la taxation en regard de la production locale. L'octroi de mer est intéressant sur les seuls produits fabriqués dans ces territoires : c'est une protection. Les outre-mer ont besoin de cette protection tarifaire – j'assume le terme. En revanche, pour les produits qui n'en sont pas issus, comme le riz – il existe des projets de développement de la riziculture, mais très modestes au regard de la consommation de riz – je suis favorable à une baisse de la taxation, de façon que nos compatriotes payent le juste prix. Enfin, il faudra effectivement trouver un moyen de compenser la baisse de recettes pour les collectivités locales.
Je ne propose pas la suppression de l'octroi de mer parce que je pense que le remède serait pire que le mal, notamment parce que l'on mettrait en grandes difficultés beaucoup de collectivités locales. En revanche, il faut donc examiner la question type de produit par type de produit, en conservant un dispositif de protection tarifaire pour ceux qui sont fabriqués dans ces territoires et en levant toutes les taxes sur les produits qui ne sont pas disponibles sur ces territoires, tout en veillant à compenser la baisse de recettes pour les collectivités.
Monsieur le ministre, vous avez surtout fait de la prospective, nous présentant ce que vous comptiez faire pour réformer un système, l'octroi de mer, que vous qualifiez vous-même de baroque. Si personne ici n'envisage de le supprimer, ses aberrations sont connues de longue date par vos services. La directrice générale des outre-mer, que nous avons récemment auditionnée, en a énuméré un certain nombre. La plus choquante du point de vue économique est que cette taxe, initialement destinée à protéger les produits locaux, s'est étendue à tous les produits, y compris ceux qui ne sont pas fabriqués sur place. Ce qui est une aberration économique. De surcroît, l'octroi de mer s'exerce d'un territoire à l'autre, ce qui fait qu'un exportateur guyanais voit ses produits taxés lorsqu'ils arrivent dans les Antilles.
Notre commission d'enquête se réjouit que son action puisse avoir des effets dans le futur, mais elle a aussi pour objectif d'établir les causes et les responsabilités politiques de la situation actuelle. Or nos compatriotes d'outre-mer souffrent sur le plan tant social qu'économique. Nous souhaitons dessiner l'arbre des causes de cet état de fait.
Cela fait six ans que vous occupez ce poste ministériel. Quand vous êtes arrivé, probablement avez-vous trouvé sur votre bureau les recommandations de l'Autorité de la concurrence, qui – je les ai sous les yeux – préconisait déjà trois mesures simples pour remédier aux principales aberrations de l'octroi de mer : premièrement, simplifier la grille des taux et la rendre cohérente entre territoires géographiquement proches ; deuxièmement, réexaminer les taux applicables aux produits importés pour lesquels il n'existe pas d'équivalent dans la production locale ; troisièmement, simplifier le système d'exonération des intrants. Pourquoi n'avez-vous pas engagé la réforme de l'octroi de mer dès votre prise de fonctions ou dans les mois qui l'ont suivie ? Pourquoi avoir attendu six ans pour soulever la question devant le Ciom ?
Les raisons sont simples.
Nombre des mesures proposées par l'Autorité de la concurrence relèvent des collectivités locales, en particulier tout ce qui concerne la simplification. Ce sont elles qui fixent les grilles et les taux. Ce qui est nouveau, c'est de voir la possibilité d'un accord avec les collectivités locales : un consensus se dégage en faveur d'une réforme en profondeur de l'octroi de mer.
Je le répète, sa suppression pure et simple provoquerait beaucoup de déception et de colère dans les territoires. Le statu quo aussi. Pour la première fois, un consensus semble se dégager en faveur des mesures préconisées par l'Autorité de la concurrence : simplification de la grille des taux, réexamen des règles de fonctionnement, simplification des échanges avec les collectivités locales. Nous devons saisir cette occasion historique, celui d'avoir un compromis avec les collectivités locales.
S'agissant de l'octroi de mer, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Il faut certes réfléchir à son impact sur les prix, mais sans oublier que son objet premier est de protéger et d'encourager la production locale. Comme l'a rappelé M. le ministre, la cherté de la vie sur nos territoires tient aussi à la faiblesse des revenus, notamment ceux du travail. Il faut donc créer de l'activité. À La Réunion, dans certaines filières comme celles de la viande porcine, du lapin ou de la volaille, la production locale couvre 100 % du marché de frais, en partie grâce à l'octroi de mer. Ne tombons donc pas dans le simplisme. Je me réjouis de penser, après avoir entendu M. le ministre, qu'une évolution en la matière ne se fera pas sans l'accord des présidents des collectivités. D'ailleurs, alors que tout le monde prône plus de différenciation pour nos territoires ultramarins, l'octroi de mer est en quelque sorte le seul outil fiscal qui soit à la main des élus locaux.
J'en viens à mes questions. Vous avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, qu'il fallait encourager le développement économique en sortant des sentiers battus. M. Carenco, que nous avons auditionné hier, a évoqué les zones franches globales, dont nous connaissons tous les avantages, mais surtout les inconvénients, pour ne pas dire les aubaines qu'elles créent, notamment en termes de rapport entre les emplois créés et le coût de l'emploi. Dans nos territoires ultramarins, l'avenir passe par des secteurs d'activité comme l'économie circulaire, la production de la biodiversité et l'aide à la personne. Qu'entendez-vous en disant qu'il faut sortir des sentiers battus ?
Comment expliquez-vous, par ailleurs, que le pouvoir d'injonction structurelle de l'Autorité de la concurrence ne soit pas davantage appliqué ?
Les normes européennes rendent impossible aux Ultramarins d'accéder à certains matériaux, en particulier pour la construction de logements, qui est actuellement en panne sur nos territoires. De fait, les logements reviennent plus cher dans les outre-mer que dans l'Hexagone, pour une population de locataires dont les revenus sont inférieurs. Ne faut-il pas revoir ces normes afin de faire baisser les coûts de construction ? Le cadre commercial européen limite également, pour les territoires ultramarins, le développement des échanges dans un cadre régional. Que peut faire l'État ? Comment résoudre le problème d'équivalence des normes et lever les obstacles à l'accès au marché et à la coopération régionale ?
Sur l'équivalence des normes, dont l'importance a été soulignée plusieurs fois par les acteurs économiques que j'ai rencontrés à la Guadeloupe et à la Martinique, nous avons engagé un travail qui doit impérativement aboutir. D'une manière plus générale, l'équivalence des normes porte aussi en elle la question des choix géopolitiques que peuvent faire certains territoires. Ainsi, il existe aux Antilles des perspectives considérables de développement en direction du continent américain, ce qui passe notamment par des normes plus rigoureusement respectées. Nous avons la possibilité historique non seulement de donner aux Antilles accès à une partie du marché unique européen, mais aussi de leur permettre de se réorienter dans les flux logistiques de marchandises vers l'Amérique du Sud. Il n'est pas normal que le café du Brésil arrive en Martinique en passant par Le Havre, comme c'est encore le cas. Le développement de nouvelles chaînes de transport à la faveur d'une mondialisation plus régionalisée est une opportunité considérable pour ces territoires.
En matière de concurrence, le pouvoir d'injonction est un pouvoir exceptionnel et doit le rester, car il emporte des conséquences lourdes et de niveau constitutionnel.
Je partage vos réserves à propos des zones franches, qui passent toujours pour une solution miracle alors que les inconvénients l'emportent souvent sur les avantages.
Enfin, je souscris pleinement à votre première remarque. Trop souvent, nous avons le réflexe de penser qu'il faut impérativement faire baisser les prix. Il faut en effet s'engager dans cette voie, par la concurrence et par la réforme de l'octroi de mer, qui peut faire consensus entre nous, mais il faut également augmenter le revenu de ces territoires. Les ressources économiques considérables de l'outre-mer sont une chance pour la nation française, mais ne sont pas suffisamment exploitées.
Il va donc falloir faire preuve de beaucoup plus d'imagination. Il faudra d'abord, je le redis, réorienter les flux. Dans l'Indo-Pacifique, La Réunion peut jouer un rôle absolument clé. Beaucoup plus à l'est, la Nouvelle-Calédonie peut développer son commerce des métaux rares. Quant aux Antilles, il serait très intéressant de réorienter les flux de telle sorte qu'ils ne soient pas exclusivement tournés vers le continent européen, mais également vers le continent américain.
Deuxième remarque : il existe de la valeur qui peut être davantage valorisée. La biodiversité, notamment, est un trésor dont le prix ne fera que s'accroître au XXIe siècle. Nous n'en sommes aujourd'hui qu'aux balbutiements de son exploitation : on peut en tirer une valeur bien supérieure et assurer une meilleure rémunération de nos compatriotes sur ces territoires.
En troisième lieu, je me garderai bien d'exclure l'industrie de nos réflexions. Dans cette perspective, il faut investir dans les infrastructures. Selon moi, la priorité est essentiellement le développement portuaire dans les Antilles. La route côtière qui a été réalisée à La Réunion est aussi un avantage considérable, et tout ce qui nous assurera des infrastructures de qualité, plus puissantes et plus efficaces, permettra d'avoir, en bout de chaîne, des salaires plus élevés. Je le répète : les projets que je soutiens le plus aux Antilles concernent les ports. L'agrandissement du port de la Guadeloupe et celui de la Martinique sont deux projets structurants qui changeront la donne économique dans ces territoires.
Dans le domaine industriel encore, j'ai rencontré de jeunes entrepreneurs qui ont des projets révolutionnaires et réalistes. Produire de l'hydrogène vert en Martinique est envisageable. Même si cela paraît très complexe du fait de l'installation d'électrolyse très coûteuse et très lourde qu'il nécessite, ce projet me semble tenir la route et mériter d'être examiné, car il peut créer des dizaines et, indirectement, des centaines d'emplois beaucoup mieux rémunérés que les emplois de services.
Nous sommes ravis d'entendre que le ministre de l'économie est favorable à une forme de protectionnisme. Puisse cela vous inspirer pour l'Hexagone ! J'irai dans le sens de M. Naillet pour ce qui concerne l'octroi de mer, qui a un effet très positif sur la création d'emplois – environ 20 000 à La Réunion – et qui requiert toute notre vigilance. Vous avez donné des réponses très claires et très précises à propos de votre projet de réforme de l'octroi de mer, et je vous en remercie. Mais pouvez-vous en préciser le calendrier, sachant que le Conseil de l'Union européenne a adopté la décision relative au régime de l'octroi de mer pour la période 2022-2027 ? En d'autres termes, comment allez-vous vous débrouiller avec l'Union européenne si vous voulez réformer avant 2027 ?
Je souhaite vous interroger aussi sur le coût de l'assurance. Vous avez lancé une mission d'étude sur l'assurabilité des risques climatiques. Dans les outre-mer, les ménages sont plus exposés aux épisodes climatiques extrêmes et aux catastrophes naturelles qu'en France métropolitaine, avec une augmentation prévue de 20 % du nombre de sinistres graves à l'horizon 2050. Mais ces ménages ultramarins sont nettement moins nombreux à être assurés, que ce soit à cause de l'insalubrité de leurs logements, qui les rend non assurables, ou du coût de l'assurance – c'est une forme de double peine. Le fonds de secours outre-mer destiné à indemniser les non assurés sera-t-il maintenu, abondé ? Par ailleurs, sans préjuger des conclusions de la mission, pouvez-vous prendre l'engagement que le coût des assurances restera stable dans les territoires ultramarins ?
Troisièmement, que comptez-vous faire pour que nos territoires soient suffisamment bien assurés pour sortir de la dichotomie entre surexposition et sous-assurance ? Enfin, envisagez-vous d'inscrire la question de l'assurance dans le bouclier qualité prix ?
Sur les revenus enfin, les réponses que nous a faites hier le ministre des outre-mer n'étaient globalement pas satisfaisantes. Je m'interroge surtout sur l'évaluation des dispositifs d'allègements fiscaux et de défiscalisation qui s'appliquent pour les outre-mer depuis trente ans : sur quels rapports, quelles évaluations se fonde l'État pour affirmer que ces dispositifs d'allègements fiscaux fonctionnent et créent des emplois ?
Je n'ai pas employé le terme de protectionnisme, mais celui de protection, ce qui est déjà un pas dans le bon sens. Je n'hésite pas à dire que nous avons développé cette protection pour toute la nation française, pour les territoires et départements d'outre-mer comme pour l'Hexagone. Je crois très profondément à la nécessité de protéger nos emplois, nos investissements et nos technologies. Lorsque nous décidons, par exemple, de réorienter le bonus électrique sur les seuls véhicules produits en Europe, c'est une façon de protéger notre industrie automobile. La responsabilité d'un politique est précisément de protéger ses compatriotes et son économie.
Sur la réforme de l'octroi de mer, vous avez parfaitement raison, le régime a été accordé pour les cinq années 2022-2027, mais je ne compte pas attendre 2027 pour introduire les premières étapes de la réforme de l'octroi de mer. Tout ce qui permettra d'avancer rapidement sur cette voie aura mon soutien : nous pourrons notifier à la Commission européenne le changement de régime que nous aurons adopté. Je plaide donc pour que nous avancions rapidement et puissions enregistrer des premiers progrès dans les mois qui viennent, que des étapes soient franchies avant 2027, et qu'elles soient notifiées à la Commission européenne.
Quant à l'assurance, il s'agit en effet de l'un des problèmes les plus difficiles et les plus importants que nous ayons à traiter dans les années qui viennent. La première nécessité, que vous avez vous-même soulignée, est que nos compatriotes outre-mer s'assurent : ils sont actuellement beaucoup moins nombreux à le faire, tant pour leur voiture que pour leur habitation. J'ai signalé ce problème aux assureurs, que j'ai rencontrés durant mon déplacement, en les invitant à se mobiliser pour inciter nos compatriotes à s'assurer davantage.
J'ai également engagé une réflexion sur ces questions dans le cadre de la mission que j'ai confiée voilà quelques jours, avec Christophe Béchu, à un spécialiste de l'assurance, à un chercheur et à une spécialiste du climat, qui étudieront l'évolution des régimes d'assurance face à la nouvelle donne climatique, notamment pour des territoires touchés par des éléments climatiques lourds, en particulier les cyclones. Si nous n'y prenons pas garde, le risque existe que des millions de nos compatriotes ne soient plus assurés dans les années qui viennent. En effet, les assureurs assurent un risque, pas une certitude : si les cyclones et autres événements climatiques extrêmes deviennent une certitude, il ne sera plus question pour eux d'assurer des maisons dont la destruction est certaine. Il est donc indispensable de mener une réflexion approfondie sur cette question.
J'ai lancé en début d'année une mission sur la défiscalisation et nous devrions en connaître les résultats dans le courant de l'été. Nous évaluerons les dispositifs de défiscalisation avec beaucoup de rigueur en étudiant l'option de verdir cette dépense fiscale. Conformément à une orientation que nous avons fixée avec le Président de la République et la Première ministre, toute dépense fiscale doit désormais obéir à une logique climatique. Nous ne pouvons pas continuer à chercher de l'argent pour la transition climatique tout en maintenant des avantages fiscaux pour des pratiques nuisibles au climat. C'est donc à cette aune que je jugerai l'efficacité de la défiscalisation en outre-mer et la possibilité de réorienter cette dépense fiscale.
Monsieur le ministre, je partage votre orientation en matière de création de valeur. La meilleure solution pour lutter contre la vie chère est en effet de donner du travail bien rémunéré à nos ressortissants.
Je vous engage à intégrer la Nouvelle-Calédonie dans votre projet de loi industrie verte. Ce territoire possède un quart des ressources mondiales de nickel mais le prix de l'énergie, qui est aujourd'hui le fioul, rend notre filière peu compétitive. Nous sommes donc en train de passer d'une énergie carbonée à des énergies renouvelables pour alimenter nos usines de nickel et l'accompagnement de l'État sera nécessaire en la matière.
Ma deuxième question porte sur le financement bancaire. Les taux d'intérêt remontent en Europe, la Banque centrale européenne et la Banque de France diminuent les liquidités pour réduire l'inflation. La Nouvelle-Calédonie, qui a perdu 10 % de sa population depuis les trois référendums – comme si la France métropolitaine avait perdu 6 millions d'habitants, qui consomment et paient de l'impôt ! – a besoin d'un refinancement des banques et d'une baisse des taux d'intérêt pour que l'investissement et la création d'emplois reprennent. Il y a là une contradiction avec la politique monétaire menée en Europe et en France métropolitaine, et une intervention s'impose.
S'agissant de la défiscalisation, je remercie le contribuable métropolitain d'accompagner le développement des territoires ultramarins et remercie également mes collègues députés d'avoir prolongé jusqu'en 2029 la défiscalisation dans les outre-mer. Je sais qu'une mission de l'Inspection générale des finances s'emploie à retravailler les dispositifs de défiscalisation que nous avons prolongés. Cette mission pourrait-elle venir en Nouvelle-Calédonie pour nous écouter et comprendre les particularités de notre territoire en la matière ?
Un mot, enfin, sur l'octroi de mer. La Nouvelle-Calédonie, qui dispose depuis très longtemps de l'autonomie fiscale, appliquait le même système de protection tarifaire à l'entrée sur l'ensemble des produits. Lorsque nous avons supprimé cette protection tarifaire pour les produits que nous ne produisions pas, en portant à 0 % le taux de cette taxe sur ces produits, la baisse ne s'est pas répercutée sur le pouvoir d'achat des consommateurs, car les importateurs et grossistes ont gardé pour eux la marge ainsi dégagée. Si donc vous deviez revoir les règles de l'octroi de mer et réduire certaines taxes à l'entrée, n'oubliez pas de contrôler les importateurs et les grossistes, faute de quoi cette mesure n'aura pas d'effet sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens.
Je souhaite que le projet de loi industrie verte comporte des dispositions spécifiques à l'outre-mer, qui porteront évidemment aussi sur la Nouvelle-Calédonie, notamment le secteur du nickel. À ma demande, BPIFrance, la Banque publique d'investissement, a créé des dispositifs destinés à aider les entreprises à s'alimenter en énergies renouvelables plutôt qu'en énergies fossiles. Nous avons ainsi instauré une garantie publique qui couvre les contrats de long terme pour toutes les usines qui se réorientent vers des énergies renouvelables. Ce dispositif sera opérationnel en septembre et, évidemment, ouvert à la Nouvelle-Calédonie.
Pour ce qui est du financement bancaire, si grands que soient les pouvoirs du ministre des finances, ils ne concernent pas les taux d'intérêt, qui relèvent de la politique monétaire indépendante de la Banque centrale européenne. Dans ce domaine, mes moyens d'action sont nuls.
La baisse de la population est en effet l'un des défis considérables auxquels sont confrontés certains territoires ultramarins. La Martinique perd 4 000 personnes par an, ce qui est un vrai sujet de préoccupation. Pour retenir les jeunes qui partent faire leur avenir ailleurs, il faut impérativement créer des emplois qualifiés, bien rémunérés, et des perspectives économiques dans ces territoires.
Pour rebondir sur la baisse de la population : c'est un défi considérable. C'est notamment vrai en Martinique, avec 4 000 personnes en moins par an. C'est un vrai sujet de préoccupation : les jeunes partent en se disant qu'ils vont faire leur avenir ailleurs. Il faut impérativement consacrer des emplois qualifiés et bien rémunérés, ainsi que des perspectives économiques dans ces territoires.
Je m'assurerai que la mission sur la défiscalisation se rendra en Nouvelle-Calédonie et je serai très heureux de l'accompagner sur ce territoire magnifique où je me suis rendu à plusieurs reprises.
Pour ce qui est, enfin, de l'octroi de mer, vous soulignez un point très important. J'ai toujours été très réservé sur les baisses de taux de TVA sur les prix à la consommation, car elles ne finissent en général jamais dans la poche du consommateur. Il faut intégrer ce grand défi dans nos réflexions : si nous baissons l'octroi de mer sur le riz, ce ne doit pas être le grossiste ou l'opérateur qui conserve la marge.
Avez-vous des éléments précis à propos de l'accumulation des marges ? Quelles mesures le ministère de l'économie et des finances a-t-il pu instaurer en matière de concentration des oligopoles et des monopoles dans ces territoires, où une moindre concurrence se traduit par une plus grande concentration, donc une consolidation de ces concentrations tant verticales qu'horizontales ?
Je nuancerai vos propos relatifs à l'inflation : si cette dernière est moindre dans nos territoires, c'est parce que nous ne partons pas de la même base de référence. En effet, lorsque l'inflation est nulle en France hexagonale, elle est déjà structurellement de 40 % dans les territoires d'outre-mer. Au premier problème, qui est, comme vous l'avez dit, structurel, il faut donc ajouter l'inflation conjoncturelle, qui ajoute un surcoût excessif, comme on le constate dans nos territoires.
Vous avez évoqué l'idée de garantir la concurrence mais, faute de moyens, les OPMR ne disposent d'aucun élément relatif aux marges et aux revenus. Le délégué interministériel à la concurrence, isolé, ne peut rien faire. Quant à l'injonction structurelle, elle est très insuffisamment utilisée. Il n'y a donc, malgré les indicateurs que vous avez donnés, pas de moyens concrets pour actualiser notre connaissance de la réalité de tous les mécanismes de transferts de marges, de surmarges et, surtout, d'accumulation de marges. Que comptez-vous faire concrètement pour régler ce problème ?
D'autre part, la fiscalité ne se limite pas à l'octroi de mer : il faut compter aussi avec la TVA. On pourrait récolter 1 milliard d'euros de TVA correspondant à une richesse créée sur les territoires ultramarins, mais qui échappe à ces derniers. Comment, dans la réforme que vous allez proposer et qui doit exprimer une vision globale de la situation, comptez-vous faire pour que l'argent récupéré au titre de la TVA puisse rester et être injecté dans ces territoires ?
Enfin, en vue d'augmenter la concurrence, qui est faible dans quasiment tous les domaines, pouvez-vous soutenir le projet de création d'une quatrième compagnie aérienne que nous avons proposé, avec certains députés, au titre de la continuité territoriale ? Plus de compagnies, cela fait plus de places, ce qui peut faire baisser les coûts, ou du moins les prix de vente. Cette proposition très concrète a fait l'objet d'une fiche déposée dans le cadre du comité interministériel des outre-mer.
Nous partageons pleinement la volonté de développer la concurrence dans les territoires d'outre-mer et d'éviter les phénomènes de concentration, qui conduisent nécessairement à des surcoûts. En la matière, le nécessaire est fait, même si nous pouvons toujours faire davantage. D'abord, nous disposons, en matière de transparence des marges, d'une analyse ciblée et ponctuelle, aussi approfondie que possible, effectuée par l'observatoire des prix et des marges. Nous pouvons lui demander d'accélérer son travail et d'aller encore plus loin : je prends note de votre remarque et nous ferons le nécessaire pour que ces analyses soient plus approfondies.
Nous avons, par ailleurs, donné des instructions très claires à la DGCCRF pour qu'elle exerce une vigilance accrue à l'endroit de toutes les pratiques anticoncurrentielles. Ce rôle est aussi celui de l'Autorité de la concurrence qui, depuis 2008, c'est-à-dire depuis quinze ans, a pris soixante-huit décisions de contrôle des concentrations en outre-mer, ce qui est important.
Enfin, je rappelle que le seuil applicable pour le contrôle des concentrations a été abaissé en outre-mer, où il est désormais de 5 millions d'euros, contre 15 millions dans l'Hexagone. Je partage la volonté de développer la concurrence, car c'est ce qui fait baisser les prix. Beaucoup de choses ont déjà été faites et nous sommes évidemment ouverts à toutes les améliorations et à tous les renforcements possibles.
Monsieur le ministre, vous vous dites favorable à une plus grande concurrence, mais il y a une grande différence entre ce que vous dites et ce qui est fait. À l'issue de la crise des gilets jaunes – et c'était tout un symbole pour nous – l'État a en effet donné son aval pour que le groupe Bernard Hayot rachète le groupe Vindémia, ce qui met La Réunion en situation duopolistique.
Je tiens à dire à M. Metzdorf, qui nous demande de remercier le contribuable hexagonal, qu'il y a aussi des contribuables dans les outre-mer. Et, pour en revenir à l'histoire, nous avons jadis payé des impôts avec notre sang et notre sueur.
J'en viens à ma question. J'ai déjà interpellé, voilà un mois, Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme, à propos des prix de la grande distribution, en évoquant notamment le BQP et le BQP+, qui ont reçu un accueil assez modeste – la montagne a accouché d'une souris. Mme Grégoire a reconnu avec beaucoup de sincérité qu'elle ne pouvait pas répondre en deux minutes à cette demande et un rendez-vous a été fixé.
D'ici là, monsieur le ministre, aux grands maux les grands remèdes ! Ne pourriez-vous pas prendre une décision d'urgence face aux coûts induits par l'inflation ? Je rejoins en cela mon collègue Hajjar : alors que vous découvrez l'inflation dans l'Hexagone, voilà déjà vingt ou vingt-cinq ans, sinon même quarante, que nous y sommes !
Régler la question du coût des produits d'alimentation ne réglera pas le problème de la cherté dans nos pays d'outre-mer. Ai-je besoin de rappeler qu'à La Réunion, le tarif des frais bancaires est 65 % plus élevé qu'en métropole ? C'est du vol ! Les communications coûtent 12 % de plus, les voitures électriques sont nettement plus chères.
Entendez ce message qui vient tout droit des outre-mer : nous ne voulons plus nous faire voler quand nous achetons à manger, quand nous nous habillons, quand nous communiquons, quand nous nous déplaçons – car c'est ainsi que nous le vivons. Il faut prendre des mesures d'urgence, puis des mesures de long terme, car nous sommes en train de crever la bouche ouverte.
La seule vraie mesure contre l'inflation est la conjonction d'une politique monétaire efficace et d'une politique budgétaire responsable. C'est la ligne à laquelle nous nous sommes tenus depuis deux ans, en y ajoutant des mesures de protection.
La politique monétaire s'impose car, si les prix explosent, c'est à cause d'un problème d'énergie, renforcé par la guerre en Ukraine et par les goulets d'étranglement que connaissent les chaînes de valeur et qui touchent particulièrement les territoires ultramarins, notamment La Réunion. Si nous voulons éviter que l'inflation persiste, voire augmente, il faut que l'argent soit plus cher. Il faut donc agir sur les taux d'intérêt, avec les conséquences que cela peut avoir sur l'activité économique : un juste dosage doit être trouvé Il faut aussi éviter une politique budgétaire expansionniste qui alimente l'inflation, ce qui n'exclut pas les mesures de protection que vous avez évoquées, comme le BQP et le BQP+. J'ai demandé à Olivia Grégoire un rapport très précis sur l'efficacité du BQP+ dans les territoires ultramarins et elle reviendra vers vous à ce propos.
Chacun des points que vous avez mentionnés – frais bancaires, véhicules électriques – mérite l'examen, secteur par secteur. S'il y a une difficulté spécifique, sur les frais bancaires par exemple, il me sera facile de convoquer la Fédération bancaire française pour traiter le sujet.
Je vais vous parler de la Guyane et de ses paradoxes.
Dans la balance commerciale guyanaise, il y a 90 % d'importations et quasiment pas d'exportation. Sur la question des prix, il y a un équilibre à trouver : seul le développement d'une économie endogène permettra de résoudre les problèmes structurels de la Guyane. Or celle-ci possède des ressources énormes.
On le sait, le plateau maritime des Guyanes, y compris la zone économique exclusive au large de la Guyane, recèle du pétrole et du gaz. Le Guyana les exploite et, selon le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, son PIB par habitant dépassera dans trois ans celui de la France. Mais pour nous, la loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement, dite « loi Hulot », interdit toute exploitation des hydrocarbures, au nom de la protection de l'environnement. Pendant ce temps, une multinationale française, Total, exploite dans les eaux de nos voisins – le paradoxe est d'autant plus fort que la Guyane serait immédiatement touchée par un quelconque problème de sûreté lié à l'exploitation. Petrobras, avec d'autres consortiums, s'apprête aussi à exploiter du pétrole et du gaz dans le Nordeste au Brésil.
Que pensez-vous de l'organisation d'une conférence spécifique sur l'économie de la Guyane ? Alors que nous devrions nous appuyer sur nos multiples ressources – car il y a aussi la biodiversité, la forêt – toutes les politiques publiques ont jusqu'à présent mis sous cloche le territoire.
Autre paradoxe, pendant que nous n'exploitons pas nos ressources, les garimpeiros extraient depuis près de quarante ans 10,5 tonnes d'or chaque année, soit l'équivalent du budget de la collectivité territoriale. Dans le domaine de la pêche, l'activité illégale fait autant de dégâts sans que nous n'en récoltions le moindre fruit. Il ne reste que quinze des cent cinquante opérateurs miniers, et six des deux cents chalutiers qui pêchaient notamment la crevette destinée aux marchés des États-Unis, du Japon et de la Corée.
Les réalités guyanaises sont totalement différentes de celles des autres territoires d'outre-mer. Il est indispensable que les politiques publiques prennent en considération tous les atouts dont dispose la Guyane. Nous sommes arrivés au bout du schéma de l'économie sous perfusion et de la commande publique.
De surcroît, le territoire connaît une croissance démographique hors norme. La population officielle actuelle, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), est d'environ 300 000 habitants, sachant que le vrai chiffre serait plus proche de 450 000 d'après les données agrégées des collectivités locales. Ces dernières souffrent de cet écart puisqu'elles ne reçoivent pas les dotations de l'État correspondantes pour financer les politiques et les équipements nécessaires. Quoi qu'il en soit, en 2040, le nombre d'habitants devrait atteindre 570 000 selon les prévisions officielles.
Des décisions doivent donc être prises urgemment pour, à l'inverse de ce qui a été fait jusqu'à présent, développer une économie endogène, garante de la redistribution et d'un équilibre entre les enjeux environnementaux et les nécessités de l'aménagement du territoire.
Je partage tout ce que vous avez dit.
Je vous propose de me rendre en Guyane dans les prochains mois pour discuter de son avenir économique. Le territoire guyanais possède des particularités qui la distinguent nettement des autres outre-mer : des voisins puissants ; la porosité de la frontière avec le Suriname – à Papaichton, où je me suis rendu, on comprend qu'elle est inexistante ; et une croissance démographique exponentielle.
J'entends le sentiment d'injustice que peut susciter l'exploitation des hydrocarbures. Cependant, le choix qu'a fait la nation française de mettre fin à toute recherche et toute exploitation dans ce domaine engage tous nos compatriotes, sur quelque territoire qu'ils soient. Il y a plus de valeur à trouver dans l'accompagnement de la transition climatique et la valorisation d'autres ressources de la Guyane que dans l'exploitation de champs d'hydrocarbures qui détruisent la planète. Ce sont des choix structurants.
Je vous rejoins sur le développement endogène. La mise sous cloche ne marche pas, pas plus en Guyane qu'ailleurs outre-mer. D'abord, c'est presque injurieux pour les territoires, qui savent parfaitement de quelle manière ils veulent se développer. J'ai été très frappé, lors de mon dernier déplacement dans les Antilles, de constater que les territoires non seulement regorgeaient de projets, mais que ceux-ci étaient structurants pour le XXIe siècle. Il s'agit d'une véritable réorientation géopolitique des choix économiques – l'ouverture vers l'Amérique, la réorientation des flux, le partage entre le transit maritime et le cabotage.
Une réflexion similaire doit être menée en Guyane. Je suis prêt à examiner avec vous les perspectives de développement et les dispositifs dont vous avez besoin. La puissance publique doit accompagner vos choix, pas les faire à votre place, car c'est voué à l'échec. La pêche et la biodiversité, que vous avez évoquées, sont évidemment des perspectives intéressantes pour la Guyane. Comment favoriser ce développement ? Combien ça coûte ? Quels sont les problèmes de formation et de qualification ? Quels sont les investissements nécessaires ? Ce sont autant de questions à se poser et, je le répète, je suis prêt à venir sur place pour en discuter avec les acteurs locaux.
Les comptes des grands groupes ne sont pas publiés. Que comptez-vous faire pour obtenir des grands groupes qu'ils publient leurs comptes, ainsi qu'ils en ont l'obligation légale ?
Les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) n'ont ni la compétence, ni le pouvoir d'accéder aux marges et aux revenus. Quelle solution proposez-vous ?
S'agissant de la consolidation des concentrations, vous n'avez pas répondu précisément. Vous semblez satisfait du niveau de contrôle des indicateurs, mais les moyens dédiés sont très faibles. Envisagez-vous de les augmenter, pour permettre à l'État d'assurer la transparence et la visibilité nécessaires et de réaliser la mesure actualisée de la consolidation des concentrations verticales et horizontales de territoires insulaires qui sont captifs ?
Vous n'avez pas dit si vous étiez favorable à la création d'une quatrième compagnie aérienne pour stimuler la concurrence.
Avez-vous l'intention de recevoir le délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer ? De quels moyens le doterez-vous pour qu'il puisse assumer pleinement sa mission ?
Je suis tout à fait favorable à la publication des comptes des grands groupes, mais cela relève des tribunaux de commerce.
S'agissant de l'information sur les prix, la DGCCRF est seule à avoir accès à d'autres sources que les comptes, notamment les liasses fiscales. À la suite de l'audition, je lui demanderai de faire preuve de la plus grande diligence dans l'examen des liasses fiscales afin que les éléments sur les prix vous soient transmis.
S'agissant de la consolidation des entreprises, je peux solliciter le président de l'Autorité de la concurrence pour trouver les moyens d'améliorer la situation.
En ce qui concerne les observatoires, ma question portait sur les marges et les revenus, et non sur les prix. Les OPMR disposent de la compétence mais pas du pouvoir de les contrôler : c'est une aberration.
Je vous ai également interrogé sur le délégué interministériel à la concurrence, et non sur l'Autorité de la concurrence, ainsi que sur la quatrième compagnie aérienne.
La difficulté sur les marges est qu'elles relèvent du secret des affaires. C'est très compliqué d'aller donner les marges des entreprises. On n'a pas la possibilité de divulguer les marges des entreprises car c'est ce qui fait leur prospérité. On peut contrôler les prix et les marges, mais pas les rendre publiques. Faisons attention car un excès de transparence risque de mettre en péril l'activité économique.
S'agissant du transport aérien, l'actualité est plutôt à chercher à éviter la disparition d'une compagnie. Qu'il s'agisse de Corsair ou d'Air Austral, nous avons fait tout le nécessaire, et même plus, pour les sauver. Les pouvoirs publics sont allés très loin – certains diraient trop : 300 millions d'argent public pour ces entreprises qui, sans le soutien de l'État depuis 2020, auraient disparu. Nous avons maintenu une défiscalisation qui permet d'aider à l'acquisition d'avions.
J'ai dit à l'actionnaire de Corsair qu'il était hors de question de remettre de l'argent public si l'actionnaire n'en faisait pas de même. Il n'est pas acceptable que des compagnies aériennes soient financées par le contribuable si l'actionnaire ne participe pas à leur redressement. Je pense que le message a été parfaitement entendu.
Il n'est pas nécessaire, monsieur le président, de faire la leçon aux commissaires du Rassemblement national sur l'octroi de mer. Personne ne veut le supprimer. Nous voulons simplement en corriger les aberrations et savoir pourquoi elles ne l'ont pas été précédemment.
Monsieur le ministre, l'État soutient la continuité territoriale à hauteur de 45 millions pour les outre-mer, contre 190 millions pour la Corse. Pouvez-vous expliquer cette distorsion ?
Cette question sera examinée lors du comité interministériel des outre-mer. Je rappelle toutefois les 300 millions d'euros qui ont été investis dans le sauvetage de Corsair et Air austral, et non pour la Corse.
Le 28 janvier 2022, le Gouvernement a confié à l'Inspection générale des finances une mission sur la régulation des prix des carburants et du gaz dans les départements d'outre-mer. En dépit de nos nombreuses demandes, nous n'avons jamais obtenu communication de ses conclusions.
L'audition s'achève à neuf heures vingt.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Roger Chudeau, M. Perceval Gaillard, M. Yoann Gillet, M. Johnny Hajjar, M. Frédéric Maillot, M. Nicolas Metzdorf, M. Philippe Naillet.
Excusés. – M. Philippe Gosselin, M. Frantz Gumbs, M. Mansour Kamardine, Mme Claire Pitollat, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Mikaele Seo, Mme Estelle Youssouffa.
Assistait également à la réunion. – M. Jean-Victor Castor.