Je suis heureux de répondre aux questions de la commission d'enquête sur un sujet qui est une priorité du Gouvernement. Pour commencer par une évidence, la vie est chère dans les îles – dans toutes les îles, quelles qu'elles soient et quelle que soit la nation concernée. Elle y est chère parce que l'éloignement, l'isolement, les difficultés de développement économique, l'absence de marché intérieur significatif rendent tous les produits plus chers et la vie économique plus difficile.
J'étais il y a deux semaines en Guadeloupe et en Martinique. Ce séjour m'a permis d'échanger avec les acteurs locaux et de dresser des constats qui permettront de répondre plus précisément aux questions et de tirer des enseignements pratiques pour les années à venir.
La vie chère est une réalité dans les territoires ultramarins. Les écarts des prix à la consommation par rapport à l'Hexagone sont significatifs : 7 % de différence pour La Réunion et Mayotte, 12 % pour les Antilles et la Guyane. Ces écarts de prix sont donc très significatifs. Les raisons, je les ai données. L'éloignement suscite des coûts de transport élevés à l'import comme à l'export, en particulier pour les territoires les plus isolés, le cumul des intermédiaires entraînant un renchérissement des prix et une très forte sensibilité à la variation des prix de l'énergie utilisée pour le transport.
D'autre part, la fiscalité mériterait d'être refondue. L'octroi de mer renchérit le prix des biens, jusqu'à 5 % parfois, et constitue le premier poste de coût dans les frais d'approche des produits importés. Par exemple, la farine est taxée à 30 % en Martinique et en Guadeloupe, contre un taux de TVA de 5,5 % dans l'Hexagone, soit un écart de 24,5 % sur un paquet de farine pour la seule fiscalité. Produit de base de l'alimentation en Martinique comme dans beaucoup d'autres endroits, le riz y est taxé à hauteur de 20 % au titre de l'octroi de mer, alors que chacun sait que les rizières ne pullulent pas en Martinique. Tout cela représente un surcoût extrêmement important.
La troisième raison est l'étroitesse des marchés, j'ai pu l'observer en tant que ministre de l'économie et, surtout, en tant que ministre de l'agriculture : le seuil de rentabilité est extrêmement difficile à atteindre pour les producteurs, cela les incite à augmenter les prix. Voilà dix ans au moins qu'on parle de l'autonomie des producteurs en Guadeloupe, à La Réunion et dans les autres territoires et départements d'outre-mer. Il leur faudrait un marché plus important pour faire baisser le seuil de rentabilité et le prix des intrants qui ont fortement augmenté. Or, dans des territoires de taille réduite, c'est compliqué.
La vie est donc plus chère dans les départements et les régions d'outre-mer. Si ce constat me paraît incontestable, je voudrais lui apporter deux nuances.
D'abord, l'inflation en 2022 a été moindre dans les outre-mer que dans le reste du pays – 4,9 % en moyenne d'inflation, soit un point de moins que la moyenne nationale –, notamment en raison des mesures prises par le Gouvernement.
Ensuite, les pouvoirs publics disposent de leviers pour limiter l'ampleur du phénomène de la vie chère et ses conséquences pour les consommateurs fragiles. Le premier levier consiste à favoriser le développement de l'économie locale de manière à augmenter le pouvoir d'achat de nos compatriotes. Ce développement, j'y insiste, doit sortir des sentiers battus, c'est-à-dire du tourisme et de l'agriculture. S'il s'agit évidemment de vecteurs de développement importants, j'ai été frappé de voir lors de mon déplacement que d'autres projets très structurants étaient en train de voir le jour dans le secteur industriel ou dans celui du transport, avec, par exemple, l'agrandissement des ports de la Martinique et de la Guadeloupe. Ils créent des emplois à plus forte valeur ajoutée, ce qui est une réponse sous forme de travail mieux rémunérés aux problèmes rencontrés par nos compatriotes dans ces départements.
Je crois donc qu'il faut que nous élargissions la question du développement économique local au-delà des seules filières régulièrement mentionnées, car il y a des potentiels extraordinaires sur ces territoires, qui sont parfois sous-utilisés. C'est pourquoi le projet de loi relatif à l'industrie verte devra comporter des dispositions visant à dynamiser l'industrie dans les territoires ultramarins, en vue de produire des biens à forte valeur ajoutée. Je ne vois pas pourquoi la logique que nous appliquons dans l'Hexagone et qui fonctionne – à savoir, créer des emplois industriels mieux rémunérés que les emplois de service – ne s'appliquerait pas à la Guadeloupe, la Martinique et à tous les territoires d'outre-mer où se montent des projets industriels performants, novateurs et créateurs de valeur ajoutée.
Je souhaite que nous poursuivions dans cette voie du développement industriel dans ces territoires et que l'État continue à soutenir des projets d'infrastructures stratégiques pour le développement de ces territoires et leur intégration régionale, dans le cadre de contrats de convergence et de transformation (CCT) portant sur les routes, les ports et les aéroports. Je souhaite rompre avec l'habitude d'enfermer ces territoires dans des logiques de développement un peu désuètes pour les orienter vers des démarches plus ambitieuses, qui intègrent les infrastructures et le développement industriel. C'est un des points que je défendrai lors du comité interministériel des outre-mer (Ciom), qui se tiendra le 3 juillet prochain.
Nous examinons aussi la possibilité d'une réforme en profondeur de l'octroi de mer. Il s'agit d'un axe de réflexion essentiel. L'objectif principal serait la baisse du prix des produits importés au bénéfice des consommateurs et des entreprises manufacturières. Je l'ai dit à plusieurs reprises lors de mon déplacement : je ne suis pas favorable à la suppression de l'octroi de mer, mais je ne suis pas favorable non plus au statu quo. Je pense que la bonne ligne est celle d'une réforme en profondeur, produit par produit, afin de voir quels produits méritent d'être taxés, parce qu'ils sont déjà sur le territoire et par conséquent il faut éviter qu'une concurrence défavorable ne soit créée. En revanche, pour d'autres produits, nous pourrions établir des droits plus faibles.
Deuxième levier : assurer la concurrence sur les marchés. J'ai, à plusieurs reprises, alerté l'Autorité de la concurrence et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) quant à la nécessité d'amplifier nos efforts pour garantir la concurrence sur ces territoires.
Pour ce faire, nous disposons d'outils de mise en œuvre du droit de la c concurrent qui sont adaptés, qui ont été récemment renforcés et qui sont efficaces. À la suite de l'avis de l'Autorité de la concurrence de 2019, des mesures concrètes ont été prises : interdiction du géoblocage injustifié des consommateurs ultramarins par les sites internet hexagonaux – problème qui nous avait été signalé par des députés ultramarins –, renforcement du rôle des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), assouplissement des modalités de mise en œuvre de l'injonction structurelle, qui permet à l'Autorité de la concurrence d'intervenir lorsqu'une situation d'abus de position dominante est soupçonnée et de réduire le niveau de concentration économique sur un marché. Cette fermeté en matière de droit de la concurrence se traduit dans les bilans d'activité de l'Autorité de la concurrence et de la DGCCRF, avec une activité très forte de mise en œuvre des règles. Par exemple, l'Autorité de la concurrence a rendu, depuis 2008, vingt-neuf décisions en matière de pratiques anticoncurrentielles dans les outre-mer, pour un montant total d'amendes de plus de 162 millions d'euros. S'agissant de la DGCCRF, les indices de pratiques anticoncurrentielles établis en 2022 représentaient 18% du total national, soit une part supérieure à celle que représente la part de la population.
Troisième levier : soutenir de manière spécifique le pouvoir d'achat de nos compatriotes ultramarins. L'État prend toute sa part dans cet effort, avec des montants, justifiés, qui sont extrêmement élevés. La puissance publique joue de ce point de vue un rôle clé pour protéger le pouvoir d'achat de nos compatriotes d'outre-mer.
Des moyens financiers importants sont d'abord mobilisés pour diminuer de façon structurelle le prix des biens et services. Les taux de TVA sont plus faibles que dans l'Hexagone : de 8,5 % et 2,1 % en Guadeloupe, à la Martinique et La Réunion, contre 20 % et 5,5 % dans l'Hexagone – ce qui est un écart significatif. Je rappelle par ailleurs qu'il n'y a de TVA ni en Guyane ni à Mayotte. Ces mesures de taux de TVA préférentiel représentent un coût total de 4 milliards par an pour l'État.
Deuxième exemple de soutien financier : le tarif réglementé de vente d'électricité (TRVE), qui permet aux Ultramarins de payer le même prix que dans l'Hexagone, alors que les coûts de la production locale sont de trois à quatre fois supérieurs. Ce TRVE est accessible à toutes les entreprises et à toutes les collectivités, pour un coût de 1,7 milliard par an pour l'État.
Enfin, l'État ne perçoit aucune taxe sur les carburants consommés en outre-mer, ils sont donc plus faiblement taxés qu'en Hexagone pour compenser des prix régulés hors taxes plus élevés et donner des prix à la pompe proches des prix hexagonaux. Le coût pour l'État est de 1,5 milliard d'euros.
Ces trois mesures représentent donc à elles seules environ 7 milliards d'euros de dépenses budgétaires annuelles pour l'État.
Je rappelle qu'un bouclier qualité-prix (BQP) a été mis en place, avec un accord de modération du prix portant sur une centaine de produits de première nécessité, qui est négocié chaque année et qui a été étendu à de nouveaux secteurs. J'ai pu constater sur place l'efficacité de ce dispositif. Certains souhaiteraient aller plus loin, mais je pense que cette une première réponse sur les prix à la consommation qui est utile.
Enfin, nous avons pris des mesures de nature conjoncturelle, comme, à l'été 2022, le paquet sur le pouvoir d'achat, avec le plafonnement plus strict de la hausse du montant des loyers ou la revalorisation du montant des subventions accordées aux collectivités ultramarines. Au total, 19 millions d'euros ont été mobilisés pour la seule aide alimentaire exceptionnelle aux ménages fragilisés. Nous avons en outre obtenu en août 2022 une réduction de 750 euros par conteneur des taux de fret de CMA CGM pour la totalité des importations en outre-mer. Cette mesure était initialement prévue pour une durée d'un an mais, à la demande du Gouvernement, le président Rodolphe Saadé a accepté de la prolonger jusqu'au 31 décembre 2023. Je l'en remercie.
En résumé, la vie chère est un fait économique incontestable dans les outre-mer. Nous y avons apporté des réponses structurelles, sous la forme de dépenses publiques, d'une baisse des taux de TVA et d'avantages fiscaux. Nous y avons aussi apporté des réponses conjoncturelles, en lien avec la crise inflationniste des derniers mois. Je pense qu'il convient désormais d'engager une réflexion plus structurelle, qui porterait à la fois sur l'octroi de mer, le modèle économique que nous souhaitons développer dans ces territoires et le droit de la concurrence. Il s'agit selon moi des trois pistes structurelles les plus porteuses.