La séance est ouverte à dix heures.
La commission procède à l'audition, en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, de Mme Caroline Semaille, dont la nomination aux fonctions de directrice générale de Santé publique France est envisagée.
Par courrier en date du 19 janvier, Mme la Première ministre a fait savoir à Mme la Présidente de l'Assemblée nationale qu'il était envisagé de désigner Mme Caroline Semaille aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale de santé publique, autrement dit Santé publique France.
En application des dispositions de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, il revient à notre commission, madame Semaille, de vous entendre préalablement à votre nomination, qui intervient par décret pour une durée de trois ans renouvelable une fois. Je rappelle que ces fonctions ont été exercées jusqu'en octobre dernier par Mme Geneviève Chêne.
Ai-je besoin de préciser les compétences de cette agence sanitaire dont chacun a pu mesurer le rôle essentiel pour maîtriser l'épidémie de covid ?
Conscients de l'ampleur des responsabilités auxquelles vous êtes promise, nous attendons, après une brève présentation de votre parcours, que vous nous indiquiez dans quelles conditions vous entendez exercer vos fonctions.
Ma candidature à la direction de Santé publique France me donne l'honneur d'être entendue par votre commission qui a produit de nombreux travaux sur les agences et sur des enjeux majeurs de santé publique.
J'ai eu la chance de contribuer au développement de trois grands opérateurs de notre écosystème sanitaire. Directrice générale adjointe depuis presque deux ans à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), j'ai acquis, au cours des vingt dernières années, au sein de trois agences sanitaires, une vaste expérience de la gestion de crise, des politiques de santé publique, de la démocratie sanitaire, du management et de la gestion d'établissements publics à vocation d'expertise dans le domaine de la santé et de l'environnement. Cette expérience et mon parcours professionnel fondent ma candidature au poste de directrice générale de Santé publique France.
Je suis médecin de santé publique, praticien hospitalier, épidémiologiste. J'ai consacré les dix premières années de ma vie professionnelle aux maladies infectieuses, en particulier à la lutte contre le VIH afin de soutenir des projets en prévention ou dans le cadre de missions d'appui ou de missions humanitaires. Après quinze ans d'activité clinique, j'ai rejoint en 2000 l'Institut de veille sanitaire (InVS), devenu Santé publique France, en tant que médecin épidémiologiste en charge de la surveillance du VIH, des infections sexuellement transmissibles et des hépatites. Pendant dix ans, j'ai animé une équipe à la croisée de la surveillance et de la recherche, développé des systèmes de surveillance innovants et mis en place des enquêtes auprès de populations vulnérables – je pense en particulier aux usagers de drogue ou à la population carcérale. Je suis très attachée à cette approche populationnelle.
Titulaire d'une habilitation à diriger des recherches, j'ai conservé des fonctions d'encadrement et d'enseignement pendant plusieurs années. Dans le cadre de mes fonctions, j'ai également été très engagée dès le début des années 2000 dans le dialogue avec les associations de patients mais aussi avec Aides et Act Up, un dialogue précurseur de l'ouverture à la société civile que nous connaissons aujourd'hui.
En décembre 2013, j'ai rejoint l'ANSM en tant que directrice produit. À la tête d'une équipe pluridisciplinaire, j'ai notamment participé en 2018 à définir les conditions de réussite de la politique vaccinale chez les nourrissons. Concertation publique et information transparente ont contribué à restaurer la confiance et l'adhésion des familles à cette politique de santé publique.
J'ai toujours conservé un lien avec l'expertise en santé publique ainsi qu'une sensibilité aux questions déontologiques. J'ai ainsi été membre du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et j'ai participé aux travaux de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement.
Forte de ces expériences en matière de santé humaine et de management, j'ai été nommée en 2019 directrice générale déléguée à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Je dirigeais alors une équipe de trois cent cinquante personnes chargée de l'évaluation des produits phytopharmaceutiques biocides et je supervisais également l'Agence nationale du médicament vétérinaire. Les dossiers que j'ai eus à traiter à l'Anses mêlaient intimement santé publique, santé animale et santé environnementale. Je retiens de cette expérience l'importance du dialogue avec les parties prenantes, notamment sur les sujets de controverse, ainsi que du concept « One Health ».
J'ai été confrontée à de nombreuses crises sanitaires : le SRAS en 2003, H1N1 en 2008, MERS-CoV en 2013, Ebola en 2014 et bien entendu covid-19. Dès mars 2020, je suis venue en appui à la recherche auprès du consortium REACTing de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), devenu, depuis sa fusion avec l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), l'ANRS-Maladies infectieuses émergentes (Mie) –, un partenaire privilégié de Santé publique France.
C'est en pleine crise sanitaire, en avril 2021, que j'ai rejoint mes anciens collègues de l'ANSM au poste de directrice général adjointe, responsable d'une équipe de huit cents personnes. Outre les enjeux liés à l'évaluation et à la surveillance en vie réelle des vaccins et des traitements contre le covid, l'ANSM est la garante de la cohérence et de l'exigence de chacune des 80 000 décisions prises chaque année grâce à la collégialité de l'expertise, à un cadre déontologique strict, à une transparence et un dialogue permanent avec les parties prenantes.
J'entends poursuivre mon engagement au service de l'intérêt général en prenant la direction de Santé publique France, qui occupe une place particulière dans notre écosystème sanitaire. C'est l'agence qui surveille et décrit la santé de 67 millions de Français ; elle identifie les risques qui la menacent ; elle accompagne les Français par des actions de prévention et de promotion de la santé afin d'agir sur les déterminants de la santé ; elle éclaire les décideurs et apporte son expertise, y compris aux autres institutions ; elle produit et met à disposition des données de santé robustes, notamment grâce à l'Observatoire cartographique Géodes – en 2021, ce sont plus de 18 millions de visiteurs qui ont consulté cette plateforme ; elle contribue aussi à soutenir le système de santé par la mobilisation de la réserve sanitaire et assure la gestion des stocks stratégiques grâce à l'établissement pharmaceutique – ce sont plus de 200 millions de doses de vaccins contre le covid qui ont été distribuées en métropole et en outre-mer.
L'agence peut compter sur des compétences variées, des équipes implantées dans toutes les régions, des dispositifs de surveillance multi-sources, des grandes enquêtes, des outils de prévention, du marketing social et des services d'aide à distance – Drogue info service, Tabac info service. Les dispositifs de surveillance multi-sources ont montré leur efficacité pendant la crise sanitaire mais il faut les moderniser, les fiabiliser et les doter d'un schéma directeur, comme l'a relevé un récent rapport de la Cour des comptes. Santé publique France et ses partenaires ont réussi à développer en un temps record des systèmes d'information pour la gestion de la crise sur lesquels il faut capitaliser pour créer des systèmes pérennes, connectés et interopérables.
Santé publique France mène aussi de grandes enquêtes dont les résultats renseignent sur l'état de santé des Français. Je pense notamment à l'enquête sur le bien-être et la santé mentale des enfants de moins de 11 ans ; je pense aussi à l'étude Kannari sur l'imprégnation de la population antillaise par le chlordécone ou encore au Baromètre santé qui, depuis trente ans, est un véritable observatoire de l'évolution des comportements des Français. Ces études sont indispensables pour nourrir les politiques publiques et évaluer leur efficacité sur les grands enjeux – santé mentale, obésité, addictions, maladies cardiovasculaires, expositions environnementales.
Les données issues des dispositifs de surveillance et des enquêtes permettent de suivre les déterminants de santé, de décrire le fardeau lié à chaque pathologie et d'orienter les mesures de prévention et de promotion de la santé. Elles illustrent le continuum de la connaissance à l'action, de la surveillance à la prévention. Santé publique France n'est pas la seule à intervenir dans le champ de la prévention ; elle fait partie d'un vaste réseau au niveau national et territorial à la tête duquel se trouve le ministère de la santé et de la prévention. L'enjeu pour l'agence est de concentrer ses efforts sur des interventions efficaces et évaluées, lesquelles peuvent être effectuées directement par l'agence – je pense en particulier au dispositif Nutri-Score. L'agence héberge aussi le répertoire français des interventions efficaces et prometteuses en prévention et promotion de la santé.
Le large périmètre de l'agence traduit la volonté de disposer d'une agence de santé publique forte sur le plan scientifique et incarnant le continuum de la connaissance à l'action, de la surveillance à la prévention. Cela confère, comme vous l'avez souligné, madame la présidente, à la direction générale une responsabilité que j'entends assumer pleinement si vous m'accordez votre confiance : éclairer la décision publique et le citoyen sur la base d'expertises et de données scientifiques ; promouvoir les environnements favorables à la santé de tous.
Pour mener à bien ses missions, l'agence a besoin de moyens. Le budget de Santé publique France a été adaptée aux besoins de la crise : il était de 4,5 milliards d'euros en 2022, dont 250 millions pour les missions socle en dehors du covid. Mais les moyens restent contraints, comme ceux de l'État, notamment en ce qui concerne les effectifs. Compte tenu des enjeux sanitaires, de son périmètre et des attentes toujours plus forte qui sont les vôtres et celle de la société civile, notamment en matière de prévention et de surveillance des émergences, les effectifs pourraient être quasiment illimités, mais nous ne savons que tel ne peut être le cas. Dès lors, l'agence doit entretenir des relations de confiance avec sa tutelle de manière à exercer ses missions eu égard aux arbitrages rendus. La direction générale doit également agir en manager attentif à ces équipes, faire des choix, hiérarchiser et préserver un équilibre entre les sujets chauds et les sujets froids.
Je souhaite rendre un hommage appuyé aux femmes et hommes de Santé publique France qui ont construit l'agence et qui, sans relâche depuis trois ans, ont lutté contre l'épidémie de covid – déploiement en temps réel de la surveillance ; production quotidienne d'indicateurs ; centaines de millions de doses de vaccins rendues disponibles en tout point du territoire ; enquêtes auprès de la population sur l'impact hors covid de la crise, notamment l'alerte donnée sur la santé mentale des Français ; affiches, dépliants, campagnes de prévention ; traque des variants ; décryptage auprès des médias. C'est donc aussi pour mes futurs collaborateurs que je suis devant vous aujourd'hui car j'aspire à donner un sens au travail de chacun, à consolider la communauté de travail au sein de Santé publique France et à porter les valeurs qu'ils incarnent.
Pour y parvenir, les objectifs de mon mandat pourraient être résumés en trois priorités. Première priorité, une expertise indépendante collégiale au service des politiques publiques. Santé publique France est une agence scientifique dont les travaux d'expertise viennent en appui des politiques publiques. De la surveillance à la prévention, c'est avant tout la science qui fonde ses travaux et ses interventions. Elle doit continuer de s'appuyer sur une expertise pluridisciplinaire et collégiale, que ce soit pour l'expertise interne très robuste à Santé publique France, que pour l'expertise externe. Sa production doit être utile aux politiques publiques et faciliter la décision ; elle doit être un levier d'action. Son organisation, qui repose sur une structure nationale et seize cellules régionales placées auprès des agences régionales de santé (ARS), doit être confortée. C'est elle qui permet à l'agence d'adapter son action aux particularités territoriales.
Deuxième priorité, faire de Santé publique France une agence ouverte. C'est le gage d'une meilleure visibilité et d'une crédibilité accrue. Il s'agit de développer des collaborations avec des partenaires dont le périmètre d'action est limitrophe de celui de Santé publique France. C'est déjà le cas avec l'Anses sur l'exposition aux substances chimiques ou avec l'Inserm, l'ANRS-Mie et le HCSP dans le domaine de la santé sexuelle de la périnatalité ou de la santé des travailleurs. Des collaborations spécifiques sont nécessaires sur des questions intéressant directement l'agence, telles que les maladies émergentes ou la modélisation. Santé publique France et l'ANRS ont créé ensemble le consortium Emergen, grâce auquel l'agence est dotée d'une capacité de séquençage hors norme pour suivre et surveiller les variants du covid. Santé publique France ne dispose pas comme l'Anses de moyens propres de financement de la recherche mais elle doit pouvoir adresser ses questions à la recherche et interagir étroitement avec elle. Il s'agit aussi de renforcer le dialogue avec les parties prenantes – la société civile, mais également les professionnels de santé et du secteur médico-social qui sont des acteurs clés de la prévention. Nous nous appuierons sur eux pour déployer la feuille de route du ministre sur la prévention. Il s'agit enfin de contribuer à la diffusion d'informations scientifiques adaptées à tous les publics. C'est ainsi que nous pourrons lutter contre les fausses informations. Sur les plans européen et international, l'agence doit suivre l'impulsion donnée depuis quelques années par Geneviève Chêne.
Troisième priorité, l'agence doit être capable d'anticiper et d'innover. C'est l'analyse des signaux précoces par le biais des systèmes multi-sources et du travail en réseau ; le développement des approches qualitatives ; l'analyse des données massives en santé en partenariat avec les autres institutions, la plateforme des données de santé – health data hub – ou le green data for health ; la mise à disposition en open data de centaines d'indicateurs de santé.
Au sortir de ces trois années de covid, je souhaite, aux côtés de tous les agents de Santé publique France, donner un élan et mobilisateur à l'agence, une agence d'expertise de haut niveau, ouverte aux partenariats, aux parties prenantes et à l'innovation. Je souhaite enfin que Santé publique France reste à la disposition de votre commission. Le fait d'éclairer la représentation nationale fait partie du rôle de l'agence. Je me livrerai à l'exercice chaque fois que j'y serai invitée.
Nous commençons par les interventions du référent de notre commission et des représentants de groupes.
Je vous remercie pour cette présentation et vous félicite pour parcours.
L'Agence nationale de santé publique, également nommée Santé publique France, est née en 2016 de la fusion de quatre organismes : l'InVS, l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires et le groupement d'intérêt public Addictions, drogues, alcool info service.
Elle est chargée de missions multiples et complexes – l'observation épidémiologique et la surveillance de l'état de santé des populations ; la veille sur les risques sanitaires ; la prévention et la promotion de la santé ; la préparation et la réponse aux menaces, alertes et crises sanitaires ainsi que le lancement de l'alerte sanitaire – mais ses moyens sont limités. L'objectif de la fusion, outre la clarification du cadre institutionnel et l'amélioration de l'efficacité des politiques publiques était de faire des économies en réunissant des missions complémentaires au sein d'un même organisme. Votre institution est jeune.
Nous avons tous lu le rapport de la Cour des comptes de décembre dernier qui dresse un premier bilan de votre jeune institution, satisfaisant pour certaines missions, mitigé pour d'autres. La Cour souligne à la fois la réactivité et la souplesse de l'organisation pour répondre aux besoins urgents liés à la crise sanitaire mais aussi les difficultés de gestion, de coordination, et d'efficience de certaines missions et actions, notamment en faveur de la prévention et de la promotion de la santé.
Vous avez travaillé plus de dix ans au sein de l'InVS. Vous connaissez donc bien la maison dont vous vous apprêtez à prendre la tête. Mes questions porteront sur la politique de prévention ainsi que sur l'organisation.
Forte de votre expérience, pouvez-vous nous indiquer ce qui fonctionne et ce qui peine à s'appliquer ? Quelles missions avez-vous reçues ou vous assignez-vous ? Les objectifs sont-ils déterminés par le ministre, par la direction générale de la santé ? Avez-vous les vôtres ? Si Santé publique France est placée sous la tutelle administrative et financière du ministère chargé de la santé, certaines de ses missions relèvent de plusieurs ministères – prévention et la promotion de la santé. Comment assurerez-vous l'interministérialité de vos missions ?
En ce qui concerne la politique de prévention et de promotion de la santé, qui pilote ? Alors que de multiples agences donnent des avis sur la politique de santé publique, qui fixe les priorités ? Elles sont actuellement au nombre de cent, ce qui signifie en réalité qu'il n'y en a aucune. Quels sont les indicateurs ? La Cour des comptes met le doigt sur les systèmes d'information multiples et souvent externalisés. La crise du covid a montré leur fragilité.
Santé publique France possède des expertises pour valider les actions probantes et les référentiels. À l'heure où la politique de prévention s'accélère, nous constatons que dans tous les domaines, des centres de preuve sont créés – sur la politique d'autonomie, sur la santé au travail alors que nous examinons un texte qui prévoit un fonds d'investissement de 1 milliard d'euros pour les actions de prévention en entreprise. Il est de même pour les actions auprès de la jeunesse, alors que l'éducation nationale pourrait profiter de votre expertise. N'est-ce pas le rôle de votre agence ? Comment imaginez-vous ce rôle ? Pensez-vous être associée à la stratégie nationale de santé ? Santé publique France pourrait-elle être l'agence pilote en la matière ?
Vous pouvez compter sur moi, qui suis référent de la commission des affaires sociales, pour tisser des liens entre votre agence et la commission. Nous avons eu l'occasion de visiter votre établissement sous la précédente législature. Vous pouvez compter sur notre appui pour que Santé publique France joue un rôle de pilotage majeur dans la politique de prévention qui lui échappe malheureusement pour l'instant.
Santé publique France, voilà une ambition vaste dans un pays où la santé est l'objet d'un grand système de solidarité que nous devons adapter aux évolutions dont la crise sanitaire est un exemple récent.
Mes questions sont tirées du récent rapport de la Cour des comptes. En ce qui concerne les alertes sanitaires, Santé publique France est invitée à renforcer la pertinence de ses dispositifs de surveillance et de déterminer les besoins futurs afin d'adapter la conduite de la politique de santé dans notre pays. Quel rôle Santé publique France peut-elle jouer dans l'amélioration de la gestion des stocks stratégiques ? La Cour propose de donner à Santé publique France la possibilité de s'autosaisir et d'émettre ses propres recommandations dans l'espoir d'éviter les pénuries que nous avons connues pour les masques au début de la crise covid.
S'agissant de la stratégie de Santé publique France dans la lutte contre les maladies, pouvez-vous préciser le concept que j'ai découvert de « fardeau global des maladies » ? Comment établir le référentiel des actions prometteuses ou probantes – termes qui méritent aussi explication ?
Enfin, question plus politique, quel rôle Santé publique France dont vous avez souligné l'expertise collégiale indépendante peut-elle jouer en particulier par rapport au HCSP pour déterminer les choix du ministère de la santé ?
Au vu de votre parcours brillant dans notre système de santé en tant que médecin infectiologue et dirigeant d'établissements publics sanitaires, il n'est pas question de remettre en cause vos compétences pour le poste de directrice générale de Santé publique France. Toutefois, les députés du groupe Rassemblement National attendent des engagements après les récents scandales en matière de santé publique.
Santé publique France est chargée de la préparation et de la réponse aux menaces et aux alertes sanitaires, domaine dans lequel la crise du covid a montré une certaine désorganisation. Faut-il rappeler que des ministres, toujours membres du Gouvernement, osaient affirmer en début de crise que le port du masque n'était pas nécessaire. Pourtant dans le même temps, les autorités commandaient en urgence des masques à la Chine alors que le camp militaire de Satory, à une dizaine de kilomètres de la capitale, en regorgeait. Après un tel scandale, pouvez-vous préciser votre feuille de route en matière de préparation des crises ? Il y a urgence car nous ne sommes à l'abri ni d'une autre crise sanitaire ni d'une attaque biologique dans le contexte conflictuel que nous connaissons.
Santé publique France est une structure relativement récente. La Cour des comptes souligne les enjeux financiers, de gouvernance et d'évaluation des dispositifs existants sur lesquels l'État et ses opérateurs ont une fâcheuse tendance à faire appel à des cabinets de conseil. Après le scandale McKinsey et les conséquences désastreuses des interventions du cabinet Capgemini à l'hôpital, pouvez-vous nous assurer que vous ne ferez pas appel à ces structures privées ainsi que le demande une circulaire de Jean Castex ? La puissance publique dispose de nombreux atouts et talents humains en interne et vous en êtes l'exemple.
Après l'annonce de cette audition, le groupe La France insoumise - NUPES a reçu un grand nombre de courriers de la part de salariés de Santé publique France qui soulignent une situation pour le moins paradoxale : un organisme chargé des soins au plus grand nombre maltraite une partie non négligeable de ces salariés. Il faut mettre fin à cette situation insupportable.
Ce n'est un secret pour personne désormais, les structures publiques chargées des missions cruciales que vous évoquez – information, veille, alerte, surveillance, réponse sanitaire – ont été désarmées dans les années précédant la crise du covid au profit de structures privées telles que le cabinet McKinsey dont les prestations sont à la fois dispendieuses et inefficaces.
À sa création, la réserve sanitaire devait réunir cinquante personnes selon l'objectif fixé en 2007 par Xavier Bertrand. Quinze ans plus tard, elle n'en compte plus que vingt et une – c'est une liquidation en bonne et due forme. Quelles perspectives offrez-vous à ce service à l'os ?
Le baromètre social 2022 pointe une situation catastrophique : 71 % des salariés déclarent encourir des risques psychosociaux ; 62 % estiment que la prévention est inexistante ; 46 % se disent exposés à des risques dans le semestre ; 35 % connaissent un tel stress qu'ils ne parviennent pas à se déconnecter. Surtout les salariés les plus anciens et expérimentés témoignent d'une défiance à l'égard de leur direction générale. La presse et les syndicats se sont fait l'écho du malaise des salariés lié au sous-dimensionnement de l'organisme, à la démultiplication des services, au chevauchement des périmètres et aux couacs qui abîment l'image de Santé publique France. Sans doute les choix politiques ont-ils accentué la pression sur les agents et dégradé leur bien-être. Comment comptez-vous améliorer les conditions de travail ? Avez-vous connaissance des conclusions des missions de l'inspection du travail et par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) diligentées en 2022 ?
Le 8 novembre, le ministre de la santé et de la prévention et le ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées ont annoncé la création d'une direction de préparation et de gestion des crises sanitaires. Quelle peut-être la place de Santé publique France en son sein ?
Votre parcours et votre engagement dans le soin, la recherche et l'enseignement vous donnent toutes les compétences pour exercer la fonction. Nous avons relevé votre expérience dans deux agences avec lesquelles vous serez appelées à collaborer régulièrement, l'ANSM et l'Anses. Nous avons noté votre souhait d'apporter votre expertise sur la prévention et la promotion de la santé mais aussi de travailler sur les stocks stratégiques – nous pensons tous aux comprimés d'iode et aux masques mais des produits de première nécessité peuvent aussi s'avérer stratégiques donc comment définir les stocks stratégiques ?
Nous saluons votre volonté de garantir l'indépendance de l'expertise de Santé publique France, d'ouvrir l'agence sur la société civile – quel rôle envisagez-vous pour les patients ? – et d'innover autour de l' open data.
En dépit de la souplesse et de l'agilité de l'agence qu'elle relève, la Cour des comptes souligne la difficulté de coordination. Je reprendrai la question de M. Isaac-Sibille : qui pilote ? Pouvez-vous préciser vos priorités et les indicateurs ?
Face aux difficultés d'accès à la médecine du travail dans les territoires, pensez-vous que Santé publique France peut apporter des solutions ?
Enfin, on ne peut qu'être dubitatif sur le recours à des cabinets de conseil privés pendant la crise du covid alors que la France dispose d'une multitude d'agences compétentes en matière de santé.
J'ai une pensée pour Daniel Defert, fondateur de l'association Aides que vous avez mentionnée, qui s'est éteint hier et qui a beaucoup œuvré pour lutter contre le sida.
Je fais partie des députés qui s'étaient opposés à la fusion qui a donné naissance à Santé publique France.
La réserve sanitaire, qui est le versant opérationnel de Santé publique France, a été sous tension pendant le covid. Neuf agents titulaires devaient animer un réseau de 65 000 personnels soignants. Pendant la crise, leur charge de travail a été multipliée par dix. Des recrutements en CDD sont venus compléter ces effectifs faméliques, mais sans moyens supplémentaires, Santé publique France ne pourra pas assurer cette mission ô combien essentielle. Nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle pandémie et l'expérience du covid nous a montré la nécessité de disposer d'une force opérationnelle. Comment comptez-vous assurer à la réserve sanitaire les moyens nécessaires ? Que pensez-vous de l'idée de son rattachement direct à la cellule de gestion de crise du ministère de la santé et de la prévention pour éviter les tiraillements que l'on a observés pendant le covid entre les différentes structures ?
Ma question porte sur le grand âge. Le nombre de personnes âgées va connaître une croissance inédite au cours de cette décennie et de celles qui vont suivre. En effet, la population de 60 ans et plus en France, estimée à 15 millions aujourd'hui, devrait atteindre 20 millions en 2030 et près de 24 millions en 2060. Le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans passera de 1,4 million aujourd'hui à 5 millions en 2060, soit un triplement, sachant que la perte d'autonomie intervient en moyenne à 83 ans.
Le vieillissement de la population est un défi important pour la santé publique, en particulier en ce qui concerne la prévention de la perte d'autonomie et la garantie de soins adaptés dans l'unique objectif d'améliorer la qualité de vie des personnes âgées et de garantir le droit au bien vieillir.
Alors que nous connaissons déjà des difficultés pour accompagner la personne âgée dans un parcours de soins et un parcours résidentiel adapté, nous devons réfléchir à de nouveaux mécanismes de prévention de la perte d'autonomie pour anticiper la hausse prévisible des besoins et permettre à chacun de rester le plus longtemps possible à domicile.
Comment Santé publique France peut-elle participer à l'élaboration d'une politique efficace de prévention de la perte d'autonomie ?
Vous avez insisté sur la prévention et vous savez que notre pays a grand besoin d'une action forte dans ce domaine. Santé publique France a des missions plurielles et des engagements multiples. Le rapport de la Cour des comptes est encourageant et vous reconnaît des marges de manœuvre.
Quels outils innovants pourraient être mis au service de l'anticipation des crises ? Nous venons de connaître une crise majeure qui a pris une acuité et des formes différentes selon les territoires appelant des réponses différenciées de la nation.
Quelle organisation préconisez-vous pour la gestion opérationnelle des stocks stratégiques ? Comment solder la gestion catastrophique pendant la crise du covid ?
Vous êtes spécialiste des maladies infectieuses et vous n'êtes pas sans savoir qu'elles nous affecteront de plus en plus. Il y a lieu de s'engager dans la prévention et surtout dans les formations. Votre budget est de 4,5 milliards d'euros.
Quelle place entendez-vous donner aux cabinets de consultants ? Comment concevez-vous l'indépendance de l'agence par rapport au Gouvernement.
Nous serons heureux de travailler avec vous pour le mieux-être de nos populations.
La crise liée à la covid-19 a eu un impact sur la santé mentale des Français, notamment sur celle des jeunes, dont le nombre d'hospitalisations pour tentative de suicide a fortement augmenté. Pouvez-vous détailler les dispositifs de prévention mis en œuvre par Santé publique France, notamment en direction des personnes LGBT et des femmes victimes de violences ? On peut lire sur le site internet de Santé publique France qu'« il n'y a pas de santé sans santé mentale ». Quelle est votre position sur le remboursement des séances d'accompagnement psychologique ?
Deuxièmement, de nombreuses associations LGBTQIA+ craignent que l'épidémie de variole du singe ne donne lieu à une stigmatisation sur la base des comportements sexuels, comme ce fut le cas pour le VIH. Que pensez-vous de la stratégie de prévention et de vaccination mise en œuvre pour lutter contre ce virus ? Quels sont les avantages et les inconvénients d'une prévention ciblée, par rapport à une prévention universaliste ?
Ma dernière question concerne la santé des femmes. On estime qu'une femme sur six n'a pas de suivi gynécologique et qu'une femme sur dix a renoncé à la contraception, en raison de son coût. La situation des femmes en situation de handicap est encore plus difficile, puisque, selon une étude réalisée en Île-de-France, 58 % d'entre elles bénéficieraient d'un suivi gynécologique régulier et que 15 % n'auraient pas accès à la contraception. De nombreuses pathologies féminines sont sous-évaluées et mal considérées, comme l'endométriose qui, à ce jour, ne figure pas dans la liste des affections de longue durée. Quels dispositifs envisagez-vous pour améliorer la prévention et l'accès aux soins des femmes ?
L'organisme dans lequel vous allez arriver est en dépression et il l'était déjà avant la crise liée à la covid-19, du fait de la redéfinition de ses missions au lendemain de la fusion et du non-remplacement de certains personnels. Quel est votre diagnostic quant au manque de moyens ?
Il faut aussi tirer les leçons de la manière dont la crise sanitaire a été gérée. Santé publique France n'a pas occupé la place qui aurait dû être la sienne et elle a même été contournée, par le recours à des cabinets de conseil au sujet de la stratégie vaccinale.
Que comptez-vous faire en matière de prévention et de promotion de la santé ? Que pensez-vous, par exemple, du développement des registres des cancers, dans le but de mieux comprendre les facteurs de risques ?
Enfin, que peut faire Santé publique France contre les maladies professionnelles, qui sont évitables ?
Nombre d'entre vous m'ont interrogée sur la gestion de la crise sanitaire et le retour d'expérience qui doit en être fait. Cette crise a été exceptionnelle par son ampleur, comme par son impact sur la santé à court et à long terme. Le retour d'expérience est en cours et il est essentiel : si les agences et le ministère ont fait leur devoir vis-à-vis des citoyens au moment de la crise, il est évident que l'on peut faire mieux.
Le ministre a annoncé qu'il réfléchissait à la création d'une direction de crise, au sein du ministère de la santé. Il va de soi qu'il y aura une coordination entre cette future direction et Santé publique France, mais il est essentiel, en temps de crise, qu'il y ait une tête de réseau. Le paysage est donc en train d'évoluer à l'échelon national, mais aussi à l'échelin européen : l'achat en commun de médicaments et de vaccins a été une première, tout comme la création, en 2021, de l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (Hera). Il paraît normal qu'en période de crise le ministère ait un rôle de coordination, mais rien ne se fera sans Santé publique France, qui est un acteur essentiel de la gestion de crise.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué la réserve sanitaire, qui a rendu de nombreux services pendant la crise. Monsieur Vigier, vous avez indiqué qu'elle comptait 65 000 personnes mais, en réalité, moins de 10 000 d'entre elles sont effectivement mobilisables. Il faudra comprendre l'écart entre ces deux nombres et réfléchir à d'autres manières de mobiliser les gens, par exemple via les ARS. La réserve est un formidable outil ; il faut la consolider et accroître ses moyens. Faut-il, comme vous le suggérez, la rattacher directement au ministère ? Je crois qu'il importe surtout de lui donner de la stabilité, à l'approche de la Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques et Paralympiques. Du reste, Santé publique France a elle aussi besoin de stabilité : elle a pris la crise sanitaire de plein fouet quelques années à peine après avoir vu le jour.
J'en viens à la question des stocks stratégiques. La Cour des comptes propose effectivement de laisser la possibilité à Santé publique France de s'autosaisir sur cette question. J'y suis, a priori, tout à fait favorable. Du fait de mon passage à l'ANSM, j'ai une bonne connaissance des produits de santé et de la manière dont il faut gérer un stock stratégique. Il faut faire une distinction entre la gestion des stocks et la distribution. À ce propos, je veux souligner le travail exceptionnel que Santé publique France a réalisé pour acheter des masques et des vaccins et pour les distribuer : elle a distribué plus de 200 millions de vaccins. Elle n'a certes pas agi seule, mais elle a eu un rôle de levier tout à fait essentiel.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué les risques psychosociaux qui pèsent sur les agents de Santé publique France. Je sais que, comme ceux de l'Anses et de l'ANSM, ils sont très engagés dans leur travail. Durant la crise, Santé publique France a été un peu malmenée, notamment par certains rapports de la Cour des comptes : je comprends donc que ses agents puissent se sentir décrédibilisés. Ils ont fait un énorme travail au cours de ces trois années : ils se sont mobilisés pour faire face à la crise, tout en continuant à travailler sur les « dossiers froids ». Je tiens à vous rassurer : je suis aussi un manager et si je suis placée à la tête de Santé publique France, je ferai aussitôt un diagnostic des risques psychosociaux au sein de l'agence. J'ai d'ailleurs demandé à rencontrer les inspecteurs de l'IGAS dès ma prise de fonction. Vous dites avoir reçu de nombreux messages des personnels de Santé publique France ; ils m'ont écrit aussi, pour me dire qu'ils sont rassurés et heureux que je m'apprête à prendre la tête de l'établissement.
Il est vrai que le vieillissement de la population est une donnée essentielle. Pour guider les politiques publiques, il importe de disposer de données et de chiffres précis. Il faut estimer le fardeau, c'est-à-dire la fréquence et la prévalence des cancers et des maladies neurodégénératives. Il faut agir auprès de la population âgée, mais aussi et surtout faire de la prévention auprès des personnes qui ont entre 45 et 50 ans. Il faut les informer au sujet de l'obésité, de la sédentarité, des risques cardiovasculaires, du tabac, de l'alcool et de tous les déterminants de santé. Il importe aussi d'embarquer les plus jeunes, dès avant l'âge de 20 ans, pour qu'ils vieillissent en bonne santé.
Santé publique France doit consacrer des moyens importants à la prévention et à la promotion de la santé. Elle ne peut pas agir seule, avec son budget et ses effectifs assez modestes – 700 agents – mais elle peut jouer un rôle de tête de réseau, notamment à travers le registre des actions probantes et prometteuses. Les premières sont celles qui ont été évaluées et qui ont fait l'objet d'une publication dans la littérature scientifique : les secondes sont des actions pour lesquelles on a seulement une présomption d'efficacité. Comme il faut beaucoup de temps pour qu'une intervention puisse être qualifiée de probante, il importe de ne pas négliger les interventions prometteuses, qui sont souvent plus innovantes. Santé publique France peut participer à la prévention, mais il faut un pilotage du ministère de la santé. La feuille de route du ministre, qui a mis la prévention au cœur de toutes les politiques, va beaucoup nous aider.
Vous me demandez des exemples d'actions qui marchent : je pense au Nutri-Score. Même s'il a été un peu décrié au départ, il fait désormais partie de la vie de tout le monde, puisque 95 % de nos concitoyens le connaissent. Plusieurs autres pays européens sont par ailleurs en train de se l'approprier.
J'en viens à la question de l'indépendance de l'expertise. L'agence n'est pas autonome, puisqu'elle est placée sous l'égide du ministère de la santé. Contrairement à l'Anses, qui a plusieurs ministères de tutelle, Santé publique France n'en a qu'un, mais cela ne l'empêche pas de travailler avec d'autres ministères. Huit sont d'ailleurs présents dans son conseil d'administration. J'ai dit que ma priorité serait de garantir une expertise indépendante, ce qui suppose de s'appuyer sur une collégialité à la fois interne et externe.
C'est depuis l'ANSM que j'ai observé la politique de vaccination contre la variole du singe. Par chance, nous avions, en France, des stocks stratégiques de vaccins contre la variole qui ont fonctionné contre cette épidémie, laquelle, pour être tout à fait honnête, nous a pris de cours. Santé publique France a pu très tôt définir et investiguer les cas et faire de la prévention au sein de la communauté gay, quand il est apparu qu'elle était particulièrement touchée. L'épidémie de variole du singe a mis en lumière le continuum qui existe entre l'épidémiologie, la prévention et l'action.
La santé mentale de nos concitoyens s'est détériorée durant ces trois années de crise sanitaire, en particulier celle des jeunes, dont beaucoup se retrouvent aux urgences pour des idées suicidaires ou des tentatives de suicide. Santé publique France s'attache désormais à prendre en compte la santé mentale dans toutes ses enquêtes, notamment dans celles relatives à la santé au travail – par exemple au sein des cohortes pour la surveillance épidémiologique en lien avec le travail. Et je veillerai à ce que cette évolution s'affirme.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué les cabinets de conseil. Dans la mesure où nous sommes revenus à une situation normale, je ne vois pas pourquoi je ferais appel à eux. Je vais travailler avec mes collaborateurs, dans le cadre d'un dialogue concerté avec le ministère de la santé. Je compte beaucoup aussi sur le partenariat : je tiens à ce que Santé publique France soit une agence ouverte. Nous sommes nombreux à œuvrer dans le domaine de la santé, à la fois à l'échelon national et à l'échelon territorial et ma priorité sera de travailler en partenariat avec les autres agences, les autres institutions et l'échelon territorial.
L'un des champs de compétence de Santé publique France est d'assurer la mise en œuvre d'un système de veille et de surveillance afin d'anticiper les risques sanitaires. Quels enseignements tirez-vous de la pandémie de covid-19 ? Que faut-il faire des stocks de vaccins qui n'ont pas été utilisés et dont la durée de validité est limitée dans le temps ? Moins de 5 % des enfants de 5 à 11 ans ont reçu un schéma vaccinal complet. C'est une singularité française car, chez nos voisins européens, le taux de vaccination des enfants peut atteindre 30 à 50 %. Comment expliquer ces réticences, en France, face à la vaccination des enfants ?
L'endométriose, en France, touche 10 % des femmes en âge de procréer, soit 1 à 2,5 millions d'entre elles. Le diagnostic intervient souvent tardivement, en moyenne au bout de sept ans ; un test salivaire, développé par une société française, est en attente de validation par la Haute Autorité de santé. Que faire pour prévenir cette maladie et prolonger la stratégie nationale de lutte contre l'endométriose ?
Comment Santé publique France peut-elle développer une expertise indépendante, si elle est sous l'égide du ministère de la santé ? La Cour des comptes a mis en exergue quelques points faibles : l'obsolescence et le risque de défaillance des systèmes d'information ; la nécessité de clarifier les missions de l'agence ; la multiplication des structures ad hoc, qui risquent de créer des doublons, des surcoûts et des incohérences.
Vous établissez un bilan très positif de la gestion de la crise sanitaire et il est vrai que l'agence y a pris sa part, mais il y a quand même eu des défaillances : retard dans la fermeture des frontières, insuffisance des stocks stratégiques, manque de masques, de tests, de vaccins... Que comptez-vous faire, très concrètement, pour éviter de telles défaillances à l'avenir ?
Le papillomavirus, ou HPV, cause chaque année 6 300 nouveaux cas de cancer : deux tiers chez les femmes, un tiers chez les hommes. On dispose pourtant, depuis plus de quinze ans, d'un vaccin contre le HPV, dont la sécurité est prouvée. La France est très en retard en matière de vaccination : seuls 37 % des filles et 6 % des garçons nés en 2005 sont vaccinés ; au Royaume-Uni, ce sont 75 % des jeunes gens, et 95 % au Rwanda.
Je sais que Santé publique France est très engagée dans la promotion de la vaccination, mais peut-être faudrait-il faire évoluer la communication autour du vaccin contre le HPV. On ne parle presque que du risque de cancer du col de l'utérus, alors que le HPV peut aussi causer des cancers ORL et de l'anus chez les hommes. Il faut communiquer auprès des personnels de santé et des parents et faire en sorte que les jeunes hommes se fassent vacciner au moment de leur entrée dans la vie sexuelle, ce qui est encore tabou. Il importe sans doute, comme dans la lutte contre le covid, de s'appuyer sur l'échelon local et sur les collectivités.
La mission de Santé publique France consiste à améliorer et à protéger la santé des populations. Il a beaucoup été question de la gestion des stocks stratégiques et j'aimerais, pour ma part, vous interroger sur la pénurie de paracétamol et d'amoxicilline. Comment Santé publique France peut-elle garantir aux Français l'accès aux médicaments dont ils ont besoin au quotidien ?
Vous dites vouloir renforcer la prévention dès le plus jeune âge et c'est effectivement essentiel. Ce qui a manqué, au cours des dernières années, c'est une stratégie. Il est important d'adopter des comportements favorables dès le plus jeune âge.
Il importe également de définir une stratégie pour les personnes âgées. Dans la mesure où 80 % d'entre elles souhaitent rester à leur domicile, comment préserver leur autonomie et leur permettre de vivre dans les meilleures conditions ?
Enfin, la Cour des comptes note que Santé publique France ne prend pas suffisamment en compte la santé mentale. Une étude récente fait état d'environ 9 000 décès par suicide chaque année en France – l'un des taux les plus élevés d'Europe. Que prévoyez-vous pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale, en particulier pour les plus jeunes ?
Ma question concerne l'accès aux soins des personnes vivant avec un handicap. Les politiques sanitaires et sociales sont toujours très lacunaires : manque de prévention, de soins et d'adaptation de la médecine à leur spécificité. Santé publique France a pour missions de collecter des données sur l'état de santé de la population et de mener des actions de prévention et de promotion de la santé. Comment l'agence compte-t-elle adapter les futures politiques publiques de santé aux besoins liés au handicap ?
L'organisation de la santé est très, voire trop administrative. Nous devons respecter l'expertise des soignants et leur donner les moyens de s'occuper de leurs patients. La coordination est certes primordiale mais elle est naturelle chez les soignants, surtout dans les territoires ruraux. Arrêtons donc de créer des usines à gaz administratives !
Vous avez évoqué la distribution des masques et des vaccins par Santé publique France. Je salue plutôt l'engagement des maires, des collectivités, des médecins, des infirmiers et des bénévoles dans le déploiement rapide des centres de vaccination. Les enjeux, pour demain, sont grands – santé mentale, organisation des soins, responsabilisation des patients à l'égard d'un système de santé présumé gratuit.
Que pensez-vous du rôle de l'établissement centre dans les groupements hospitaliers de territoire, qui doivent renforcer les établissements au plus près des territoires ruraux ?
Enfin, pensez-vous que nous sommes capables de consacrer davantage de moyens financiers aux soignants, et moins à l'administratif, en revalorisant leur rémunération et en améliorant leurs conditions de travail ?
Santé publique France compte parmi ses prérogatives la promotion de la santé, la réduction des risques et le développement de la prévention. Elle pourrait ainsi contribuer à l'analyse de la santé des salariés, notamment lors de l'entretien professionnel à 45 ans ou encore au moment d'entrer dans les dispositifs de retraite progressive. De quelle manière envisagez-vous le rôle de cette agence dans la question de la santé au travail, en particulier dans le cadre des débats sur la pénibilité ?
Parmi les prérogatives de Santé publique France figure la gestion administrative, financière et logistique des stocks de produits d'équipement et de matériel destinés à faire face aux menaces sanitaires graves. Or les pénuries s'accumulent – amoxicilline, paracétamol – mettant en lumière l'impréparation de l'agence et la nécessité d'une programmation pour assurer le maintien à niveau des stocks. La France insoumise a d'ailleurs déposé une proposition de loi visant à créer un pôle public du médicament pour assurer une production plus rapide et un meilleur approvisionnement du pays.
Quelles mesures comptez-vous adopter pour garantir des stocks stratégiques suffisants et la production de médicaments ? J'imagine que la première décision consistera à expulser le cabinet McKinsey en raison de son rôle dans la surconsommation, souvent mortelle, de médicaments aux États-Unis.
L'ordonnance ayant créé Santé publique France lui a conféré une importante responsabilité en matière de prévention et d'éducation à la santé. Or d'autres acteurs interviennent dans ce domaine : sept départements ministériels, les collectivités locales, les assureurs privés et le monde associatif. Ces actions ne sont toutefois ni gouvernées ni évaluées. Y a-t-il une réflexion en cours sur ce sujet ?
Les ARS ont beaucoup de mal à mettre en place de véritables politiques de prévention. Or elles doivent devenir le bras armé de l'agence et du ministère de la santé dans ce domaine. Quelles sont vos réflexions en la matière ?
Vous avez parlé de « capitaliser », de « systèmes intégrés », de « manager », ce qui évoque davantage le monde de l'entreprise que celui de la santé.
Le Gouvernement a lancé, il y a quelques jours, le comité de pilotage Médicaments, dont l'une des principales propositions est d'augmenter le prix des génériques, c'est-à-dire d'éloigner encore plus de la santé ceux qui ont le moins de moyens. Si l'industrie pharmaceutique salue cette décision, l'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament est en revanche beaucoup plus circonspect. Qu'en pensez-vous ?
Emmanuel Macron a décidé de débloquer une enveloppe de 15 milliards d'euros pour relocaliser la production de l'industrie pharmaceutique. On a l'impression qu'il s'agira encore de cadeaux fiscaux. Que pensez-vous de l'idée de créer un pôle public du médicament ?
Enfin, la réduction des risques et la prévention font partie des missions de l'agence. Que pensez-vous du report de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans, qui aura des effets dramatiques sur l'accès à la retraite en bonne santé ?
Au vu de votre riche expérience à l'Anses sur la question de la santé environnementale et des nombreuses controverses sur les produits phytosanitaires, envisagez-vous de faire évoluer le rôle de l'agence, notamment dans ses liens avec d'autres structures ?
Les actions de prévention de la perte d'autonomie, essentiellement gérées par la conférence des financeurs, ont un rapport coût-efficacité qui n'est pas à la hauteur des attentes. Deux propositions de loi visant à créer un centre de preuves adossé à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie ont été déposées. Ne serait-il pas plus pertinent d'adosser ce centre à Santé publique France ?
J'aimerais avoir votre avis sur la réintégration des soignants non vaccinés contre le covid-19, près de 3 000 infirmiers et aides-soignants, ainsi que des centaines de médecins, pharmaciens, orthophonistes et kinésithérapeutes étant toujours suspendus. Dans le même temps, les hôpitaux et les Ehpad font face à un manque criant de soignants et des enfants se retrouvent sans suivi. Défendrez-vous leur réintégration si vous êtes confirmée au poste de directrice générale de Santé publique France ?
Vous avez acté que les effectifs n'étaient pas à la hauteur des enjeux de l'agence. Pourriez-vous préciser le nombre d'agents supplémentaires qui serait nécessaire ?
Qu'attendez-vous du législateur pour améliorer la situation en matière de tabagisme, de consommation d'alcool, d'addictions, d'obésité et de dénutrition ?
Vous avez dit ne plus souhaiter recourir à des cabinets de conseil. Cela vaut-il pour les questions de systèmes d'information et de pilotage de la logistique, sur lesquelles les cabinets de conseil ont été imposés à Santé publique France pendant la crise sanitaire ?
Considérez-vous que l'état qualitatif et quantitatif des stocks stratégiques est satisfaisant pour faire face à de nouvelles pandémies ou aux risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques ?
Ayant visité, en décembre dernier, le centre hospitalier universitaire de Fort-de-France, j'ai constaté que la situation était terrible : j'ai vu des soignants pleurer de détresse en raison du manque de moyens. Quelles seraient les mesures d'urgence à prendre pour mettre fin à la crise sanitaire que connaissent tous les territoires en outre-mer ?
Quelle est votre position concernant le personnel soignant non vacciné ? L'heure est grave dans les hôpitaux en raison du manque d'effectifs. Il faut trouver des solutions car même les soignants vaccinés souffrent.
Santé publique France a-t-elle fait un retour d'expérience sur le premier trimestre de la pandémie de covid ? L'agence n'a en effet publié son premier communiqué que le 22 janvier, alors que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) avait prévenu les autorités sanitaires du monde entier le 31 décembre 2019, tandis que le deuxième communiqué n'a été publié que fin février, quand l'OMS a déclaré l'état de pandémie.
Par ailleurs, la liste des médicaments et dispositifs médicaux critiques est-elle enfin établie ? Santé publique France dispose-t-elle de la totalité du stock ?
L'OMS a montré que la prévention des risques de santé environnementale pouvait éviter 1,4 million de décès par an en Europe, soit 15 % du nombre total de décès. La dégradation des écosystèmes a sans doute joué un rôle pendant l'épidémie de covid dans la transmission du virus à l'homme. De même, les élevages intensifs sont des lieux très importants de transmission de virus de l'animal aux humains et de résistance aux antibiotiques. Comment envisagez-vous la question de la santé environnementale, concernant notamment l'effet des pesticides sur les cancers pédiatriques, l'effet cocktail des perturbateurs endocriniens ou encore l'envahissement par les nanoparticules ? Quelles politiques publiques envisageriez-vous pour relever le défi de la santé environnementale ?
J'aimerais avoir votre avis sur les conséquences en matière de santé publique du report de l'âge légal de départ à la retraite, qui affecte les corps et les vies des travailleurs.
Par ailleurs, j'ai rencontré des personnes victimes de conseils en santé mensongers délivrés par des influenceurs. Certaines ont été hospitalisées en raison de graves problèmes de nutrition ou souffrent de dépressions. Envisagez-vous une politique de prévention globale pour lutter contre ce type de dérive ?
La distribution de 200 millions de vaccins contre le covid par Santé publique France n'était que la première étape : l'important était ensuite d'ouvrir des centres de vaccination au plus près de la population.
La santé environnementale fait partie des enjeux de la santé publique. Selon l'OMS, l'environnement d'aujourd'hui est la santé de demain. La crise du covid a révélé le risque de transmission entre la faune sauvage et l'humain. Pour nous préparer aux futures épidémies, nous devons mesurer tous les facteurs qui peuvent influer sur la santé des populations afin de comprendre leurs interactions. Santé publique France mène pour cela diverses enquêtes – PestiRiv mesure ainsi l'exposition des riverains et des non-riverains des zones viticoles – en partenariat avec l'Anses, dont la collaboration est essentielle. Les cohortes visent à collecter des informations et des prélèvements biologiques qui nous permettront de découvrir s'il existe des déterminants affectant la santé. La santé environnementale est primordiale.
Il est difficile de faire le tri parmi toutes les informations auxquelles nous sommes exposés. Il est donc important que l'agence mette à disposition des publications décryptables par toutes les populations afin de lutter contre la désinformation propagée par les influenceurs.
Santé publique France joue un rôle en matière de santé des travailleurs. Elle doit publier les résultats des enquêtes menées dans le cadre de notre système de surveillance. En outre, l'agence a lancé, en 2022, la plateforme « Les employeurs pour la santé » qui rassemble toute une série d'outils.
Santé publique France intervient en appui des ARS. Il me paraît très important que des épidémiologistes soient présents au sein des cellules régionales des ARS car il y a des spécificités territoriales – chlordécone aux Antilles, plomb en Guyane, cancers pédiatriques. Toutefois, les cellules régionales ne peuvent pas tout faire en matière de prévention. Santé publique France peut apporter des outils au niveau régional, comme le registre. Il faut aussi laisser la place à des initiatives locales pour favoriser des innovations en matière de santé.
Le stock stratégique de Santé publique France n'a pas vocation à pallier toutes les pénuries de médicaments ; ce ne serait pas pertinent car cela représenterait un nombre de palettes inimaginable. La pénurie d'amoxicilline touche l'ensemble des pays. Le sujet est traité au niveau européen et des actions sont menées au niveau national pour contingenter, augmenter la production et favoriser le bon usage des médicaments.
S'agissant des effectifs, on ne pourra pas surveiller la santé de 67 millions de personnes avec seulement 700 agents. Une de mes priorités est le partenariat avec les autres agences et institutions. J'aimerais obtenir des moyens supplémentaires mais je sais qu'ils sont limités pour tout le monde. Il s'agira de prioriser les actions pour ne pas mettre en danger les collaborateurs de Santé publique France. Au sortir de trois ans de crise du covid, il faut les sécuriser.
Le vaccin contre le papillomavirus, acteur clef pour l'élimination du cancer du col de l'utérus, est très efficace contre de nombreuses maladies et ne présente pas de risques de sécurité. Il faut surmonter la réticence à la vaccination existant en France grâce au dialogue, à la transparence et à la publication régulière de rapports de sécurité sur les vaccins. C'est ce que nous avons fait lors de l'instauration de l'obligation vaccinale du nourrisson, qui est un succès.
Enfin, l'état de santé des personnes handicapées est un sujet très important. Je prends note de votre question sur l'adaptation des politiques de santé aux personnes en situation de handicap pour être certaine de m'y atteler quand je serai nommée à la direction de Santé publique France.
La séance est levée à onze heures cinquante-cinq.
Informations relatives à la commission
La commission a désigné :
– Mme Sandrine Josso rapporteure sur la proposition de loi visant à favoriser l'accompagnement psychologique des femmes victimes de fausse couche (n° 747) ;
– Mme Caroline Janvier rapporteure sur la proposition de loi relative à la prévention de l'exposition excessive des enfants aux écrans (n° 757).
Présences en réunion
Présents. – M. Éric Alauzet, Mme Farida Amrani, Mme Bénédicte Auzanot, M. Thibault Bazin, Mme Fanta Berete, M. Elie Califer, M. Victor Catteau, M. Hadrien Clouet, Mme Josiane Corneloup, M. Arthur Delaporte, M. Sébastien Delogu, M. Pierre Dharréville, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Marc Ferracci, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, Mme Claire Guichard, Mme Servane Hugues, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, Mme Sandrine Josso, Mme Rachel Keke, Mme Fadila Khattabi, Mme Laure Lavalette, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, M. Matthieu Marchio, M. Didier Martin, Mme Joëlle Mélin, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Yannick Neuder, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, Mme Sandrine Rousseau, M. Freddy Sertin, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, Mme Prisca Thevenot, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Alexandre Vincendet
Excusés. – Mme Caroline Fiat, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Stéphanie Rist, M. Olivier Serva, Mme Isabelle Valentin, M. Stéphane Viry
Assistaient également à la réunion. – M. Ian Boucard, M. Dino Cinieri, M. Antoine Léaument