Intervention de Caroline Semaille

Réunion du mercredi 8 février 2023 à 10h00
Commission des affaires sociales

Caroline Semaille :

Ma candidature à la direction de Santé publique France me donne l'honneur d'être entendue par votre commission qui a produit de nombreux travaux sur les agences et sur des enjeux majeurs de santé publique.

J'ai eu la chance de contribuer au développement de trois grands opérateurs de notre écosystème sanitaire. Directrice générale adjointe depuis presque deux ans à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), j'ai acquis, au cours des vingt dernières années, au sein de trois agences sanitaires, une vaste expérience de la gestion de crise, des politiques de santé publique, de la démocratie sanitaire, du management et de la gestion d'établissements publics à vocation d'expertise dans le domaine de la santé et de l'environnement. Cette expérience et mon parcours professionnel fondent ma candidature au poste de directrice générale de Santé publique France.

Je suis médecin de santé publique, praticien hospitalier, épidémiologiste. J'ai consacré les dix premières années de ma vie professionnelle aux maladies infectieuses, en particulier à la lutte contre le VIH afin de soutenir des projets en prévention ou dans le cadre de missions d'appui ou de missions humanitaires. Après quinze ans d'activité clinique, j'ai rejoint en 2000 l'Institut de veille sanitaire (InVS), devenu Santé publique France, en tant que médecin épidémiologiste en charge de la surveillance du VIH, des infections sexuellement transmissibles et des hépatites. Pendant dix ans, j'ai animé une équipe à la croisée de la surveillance et de la recherche, développé des systèmes de surveillance innovants et mis en place des enquêtes auprès de populations vulnérables – je pense en particulier aux usagers de drogue ou à la population carcérale. Je suis très attachée à cette approche populationnelle.

Titulaire d'une habilitation à diriger des recherches, j'ai conservé des fonctions d'encadrement et d'enseignement pendant plusieurs années. Dans le cadre de mes fonctions, j'ai également été très engagée dès le début des années 2000 dans le dialogue avec les associations de patients mais aussi avec Aides et Act Up, un dialogue précurseur de l'ouverture à la société civile que nous connaissons aujourd'hui.

En décembre 2013, j'ai rejoint l'ANSM en tant que directrice produit. À la tête d'une équipe pluridisciplinaire, j'ai notamment participé en 2018 à définir les conditions de réussite de la politique vaccinale chez les nourrissons. Concertation publique et information transparente ont contribué à restaurer la confiance et l'adhésion des familles à cette politique de santé publique.

J'ai toujours conservé un lien avec l'expertise en santé publique ainsi qu'une sensibilité aux questions déontologiques. J'ai ainsi été membre du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et j'ai participé aux travaux de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement.

Forte de ces expériences en matière de santé humaine et de management, j'ai été nommée en 2019 directrice générale déléguée à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Je dirigeais alors une équipe de trois cent cinquante personnes chargée de l'évaluation des produits phytopharmaceutiques biocides et je supervisais également l'Agence nationale du médicament vétérinaire. Les dossiers que j'ai eus à traiter à l'Anses mêlaient intimement santé publique, santé animale et santé environnementale. Je retiens de cette expérience l'importance du dialogue avec les parties prenantes, notamment sur les sujets de controverse, ainsi que du concept « One Health ».

J'ai été confrontée à de nombreuses crises sanitaires : le SRAS en 2003, H1N1 en 2008, MERS-CoV en 2013, Ebola en 2014 et bien entendu covid-19. Dès mars 2020, je suis venue en appui à la recherche auprès du consortium REACTing de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), devenu, depuis sa fusion avec l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), l'ANRS-Maladies infectieuses émergentes (Mie) –, un partenaire privilégié de Santé publique France.

C'est en pleine crise sanitaire, en avril 2021, que j'ai rejoint mes anciens collègues de l'ANSM au poste de directrice général adjointe, responsable d'une équipe de huit cents personnes. Outre les enjeux liés à l'évaluation et à la surveillance en vie réelle des vaccins et des traitements contre le covid, l'ANSM est la garante de la cohérence et de l'exigence de chacune des 80 000 décisions prises chaque année grâce à la collégialité de l'expertise, à un cadre déontologique strict, à une transparence et un dialogue permanent avec les parties prenantes.

J'entends poursuivre mon engagement au service de l'intérêt général en prenant la direction de Santé publique France, qui occupe une place particulière dans notre écosystème sanitaire. C'est l'agence qui surveille et décrit la santé de 67 millions de Français ; elle identifie les risques qui la menacent ; elle accompagne les Français par des actions de prévention et de promotion de la santé afin d'agir sur les déterminants de la santé ; elle éclaire les décideurs et apporte son expertise, y compris aux autres institutions ; elle produit et met à disposition des données de santé robustes, notamment grâce à l'Observatoire cartographique Géodes – en 2021, ce sont plus de 18 millions de visiteurs qui ont consulté cette plateforme ; elle contribue aussi à soutenir le système de santé par la mobilisation de la réserve sanitaire et assure la gestion des stocks stratégiques grâce à l'établissement pharmaceutique – ce sont plus de 200 millions de doses de vaccins contre le covid qui ont été distribuées en métropole et en outre-mer.

L'agence peut compter sur des compétences variées, des équipes implantées dans toutes les régions, des dispositifs de surveillance multi-sources, des grandes enquêtes, des outils de prévention, du marketing social et des services d'aide à distance – Drogue info service, Tabac info service. Les dispositifs de surveillance multi-sources ont montré leur efficacité pendant la crise sanitaire mais il faut les moderniser, les fiabiliser et les doter d'un schéma directeur, comme l'a relevé un récent rapport de la Cour des comptes. Santé publique France et ses partenaires ont réussi à développer en un temps record des systèmes d'information pour la gestion de la crise sur lesquels il faut capitaliser pour créer des systèmes pérennes, connectés et interopérables.

Santé publique France mène aussi de grandes enquêtes dont les résultats renseignent sur l'état de santé des Français. Je pense notamment à l'enquête sur le bien-être et la santé mentale des enfants de moins de 11 ans ; je pense aussi à l'étude Kannari sur l'imprégnation de la population antillaise par le chlordécone ou encore au Baromètre santé qui, depuis trente ans, est un véritable observatoire de l'évolution des comportements des Français. Ces études sont indispensables pour nourrir les politiques publiques et évaluer leur efficacité sur les grands enjeux – santé mentale, obésité, addictions, maladies cardiovasculaires, expositions environnementales.

Les données issues des dispositifs de surveillance et des enquêtes permettent de suivre les déterminants de santé, de décrire le fardeau lié à chaque pathologie et d'orienter les mesures de prévention et de promotion de la santé. Elles illustrent le continuum de la connaissance à l'action, de la surveillance à la prévention. Santé publique France n'est pas la seule à intervenir dans le champ de la prévention ; elle fait partie d'un vaste réseau au niveau national et territorial à la tête duquel se trouve le ministère de la santé et de la prévention. L'enjeu pour l'agence est de concentrer ses efforts sur des interventions efficaces et évaluées, lesquelles peuvent être effectuées directement par l'agence – je pense en particulier au dispositif Nutri-Score. L'agence héberge aussi le répertoire français des interventions efficaces et prometteuses en prévention et promotion de la santé.

Le large périmètre de l'agence traduit la volonté de disposer d'une agence de santé publique forte sur le plan scientifique et incarnant le continuum de la connaissance à l'action, de la surveillance à la prévention. Cela confère, comme vous l'avez souligné, madame la présidente, à la direction générale une responsabilité que j'entends assumer pleinement si vous m'accordez votre confiance : éclairer la décision publique et le citoyen sur la base d'expertises et de données scientifiques ; promouvoir les environnements favorables à la santé de tous.

Pour mener à bien ses missions, l'agence a besoin de moyens. Le budget de Santé publique France a été adaptée aux besoins de la crise : il était de 4,5 milliards d'euros en 2022, dont 250 millions pour les missions socle en dehors du covid. Mais les moyens restent contraints, comme ceux de l'État, notamment en ce qui concerne les effectifs. Compte tenu des enjeux sanitaires, de son périmètre et des attentes toujours plus forte qui sont les vôtres et celle de la société civile, notamment en matière de prévention et de surveillance des émergences, les effectifs pourraient être quasiment illimités, mais nous ne savons que tel ne peut être le cas. Dès lors, l'agence doit entretenir des relations de confiance avec sa tutelle de manière à exercer ses missions eu égard aux arbitrages rendus. La direction générale doit également agir en manager attentif à ces équipes, faire des choix, hiérarchiser et préserver un équilibre entre les sujets chauds et les sujets froids.

Je souhaite rendre un hommage appuyé aux femmes et hommes de Santé publique France qui ont construit l'agence et qui, sans relâche depuis trois ans, ont lutté contre l'épidémie de covid – déploiement en temps réel de la surveillance ; production quotidienne d'indicateurs ; centaines de millions de doses de vaccins rendues disponibles en tout point du territoire ; enquêtes auprès de la population sur l'impact hors covid de la crise, notamment l'alerte donnée sur la santé mentale des Français ; affiches, dépliants, campagnes de prévention ; traque des variants ; décryptage auprès des médias. C'est donc aussi pour mes futurs collaborateurs que je suis devant vous aujourd'hui car j'aspire à donner un sens au travail de chacun, à consolider la communauté de travail au sein de Santé publique France et à porter les valeurs qu'ils incarnent.

Pour y parvenir, les objectifs de mon mandat pourraient être résumés en trois priorités. Première priorité, une expertise indépendante collégiale au service des politiques publiques. Santé publique France est une agence scientifique dont les travaux d'expertise viennent en appui des politiques publiques. De la surveillance à la prévention, c'est avant tout la science qui fonde ses travaux et ses interventions. Elle doit continuer de s'appuyer sur une expertise pluridisciplinaire et collégiale, que ce soit pour l'expertise interne très robuste à Santé publique France, que pour l'expertise externe. Sa production doit être utile aux politiques publiques et faciliter la décision ; elle doit être un levier d'action. Son organisation, qui repose sur une structure nationale et seize cellules régionales placées auprès des agences régionales de santé (ARS), doit être confortée. C'est elle qui permet à l'agence d'adapter son action aux particularités territoriales.

Deuxième priorité, faire de Santé publique France une agence ouverte. C'est le gage d'une meilleure visibilité et d'une crédibilité accrue. Il s'agit de développer des collaborations avec des partenaires dont le périmètre d'action est limitrophe de celui de Santé publique France. C'est déjà le cas avec l'Anses sur l'exposition aux substances chimiques ou avec l'Inserm, l'ANRS-Mie et le HCSP dans le domaine de la santé sexuelle de la périnatalité ou de la santé des travailleurs. Des collaborations spécifiques sont nécessaires sur des questions intéressant directement l'agence, telles que les maladies émergentes ou la modélisation. Santé publique France et l'ANRS ont créé ensemble le consortium Emergen, grâce auquel l'agence est dotée d'une capacité de séquençage hors norme pour suivre et surveiller les variants du covid. Santé publique France ne dispose pas comme l'Anses de moyens propres de financement de la recherche mais elle doit pouvoir adresser ses questions à la recherche et interagir étroitement avec elle. Il s'agit aussi de renforcer le dialogue avec les parties prenantes – la société civile, mais également les professionnels de santé et du secteur médico-social qui sont des acteurs clés de la prévention. Nous nous appuierons sur eux pour déployer la feuille de route du ministre sur la prévention. Il s'agit enfin de contribuer à la diffusion d'informations scientifiques adaptées à tous les publics. C'est ainsi que nous pourrons lutter contre les fausses informations. Sur les plans européen et international, l'agence doit suivre l'impulsion donnée depuis quelques années par Geneviève Chêne.

Troisième priorité, l'agence doit être capable d'anticiper et d'innover. C'est l'analyse des signaux précoces par le biais des systèmes multi-sources et du travail en réseau ; le développement des approches qualitatives ; l'analyse des données massives en santé en partenariat avec les autres institutions, la plateforme des données de santé – health data hub – ou le green data for health ; la mise à disposition en open data de centaines d'indicateurs de santé.

Au sortir de ces trois années de covid, je souhaite, aux côtés de tous les agents de Santé publique France, donner un élan et mobilisateur à l'agence, une agence d'expertise de haut niveau, ouverte aux partenariats, aux parties prenantes et à l'innovation. Je souhaite enfin que Santé publique France reste à la disposition de votre commission. Le fait d'éclairer la représentation nationale fait partie du rôle de l'agence. Je me livrerai à l'exercice chaque fois que j'y serai invitée.

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