Intervention de Caroline Semaille

Réunion du mercredi 8 février 2023 à 10h00
Commission des affaires sociales

Caroline Semaille :

Nombre d'entre vous m'ont interrogée sur la gestion de la crise sanitaire et le retour d'expérience qui doit en être fait. Cette crise a été exceptionnelle par son ampleur, comme par son impact sur la santé à court et à long terme. Le retour d'expérience est en cours et il est essentiel : si les agences et le ministère ont fait leur devoir vis-à-vis des citoyens au moment de la crise, il est évident que l'on peut faire mieux.

Le ministre a annoncé qu'il réfléchissait à la création d'une direction de crise, au sein du ministère de la santé. Il va de soi qu'il y aura une coordination entre cette future direction et Santé publique France, mais il est essentiel, en temps de crise, qu'il y ait une tête de réseau. Le paysage est donc en train d'évoluer à l'échelon national, mais aussi à l'échelin européen : l'achat en commun de médicaments et de vaccins a été une première, tout comme la création, en 2021, de l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (Hera). Il paraît normal qu'en période de crise le ministère ait un rôle de coordination, mais rien ne se fera sans Santé publique France, qui est un acteur essentiel de la gestion de crise.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué la réserve sanitaire, qui a rendu de nombreux services pendant la crise. Monsieur Vigier, vous avez indiqué qu'elle comptait 65 000 personnes mais, en réalité, moins de 10 000 d'entre elles sont effectivement mobilisables. Il faudra comprendre l'écart entre ces deux nombres et réfléchir à d'autres manières de mobiliser les gens, par exemple via les ARS. La réserve est un formidable outil ; il faut la consolider et accroître ses moyens. Faut-il, comme vous le suggérez, la rattacher directement au ministère ? Je crois qu'il importe surtout de lui donner de la stabilité, à l'approche de la Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques et Paralympiques. Du reste, Santé publique France a elle aussi besoin de stabilité : elle a pris la crise sanitaire de plein fouet quelques années à peine après avoir vu le jour.

J'en viens à la question des stocks stratégiques. La Cour des comptes propose effectivement de laisser la possibilité à Santé publique France de s'autosaisir sur cette question. J'y suis, a priori, tout à fait favorable. Du fait de mon passage à l'ANSM, j'ai une bonne connaissance des produits de santé et de la manière dont il faut gérer un stock stratégique. Il faut faire une distinction entre la gestion des stocks et la distribution. À ce propos, je veux souligner le travail exceptionnel que Santé publique France a réalisé pour acheter des masques et des vaccins et pour les distribuer : elle a distribué plus de 200 millions de vaccins. Elle n'a certes pas agi seule, mais elle a eu un rôle de levier tout à fait essentiel.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué les risques psychosociaux qui pèsent sur les agents de Santé publique France. Je sais que, comme ceux de l'Anses et de l'ANSM, ils sont très engagés dans leur travail. Durant la crise, Santé publique France a été un peu malmenée, notamment par certains rapports de la Cour des comptes : je comprends donc que ses agents puissent se sentir décrédibilisés. Ils ont fait un énorme travail au cours de ces trois années : ils se sont mobilisés pour faire face à la crise, tout en continuant à travailler sur les « dossiers froids ». Je tiens à vous rassurer : je suis aussi un manager et si je suis placée à la tête de Santé publique France, je ferai aussitôt un diagnostic des risques psychosociaux au sein de l'agence. J'ai d'ailleurs demandé à rencontrer les inspecteurs de l'IGAS dès ma prise de fonction. Vous dites avoir reçu de nombreux messages des personnels de Santé publique France ; ils m'ont écrit aussi, pour me dire qu'ils sont rassurés et heureux que je m'apprête à prendre la tête de l'établissement.

Il est vrai que le vieillissement de la population est une donnée essentielle. Pour guider les politiques publiques, il importe de disposer de données et de chiffres précis. Il faut estimer le fardeau, c'est-à-dire la fréquence et la prévalence des cancers et des maladies neurodégénératives. Il faut agir auprès de la population âgée, mais aussi et surtout faire de la prévention auprès des personnes qui ont entre 45 et 50 ans. Il faut les informer au sujet de l'obésité, de la sédentarité, des risques cardiovasculaires, du tabac, de l'alcool et de tous les déterminants de santé. Il importe aussi d'embarquer les plus jeunes, dès avant l'âge de 20 ans, pour qu'ils vieillissent en bonne santé.

Santé publique France doit consacrer des moyens importants à la prévention et à la promotion de la santé. Elle ne peut pas agir seule, avec son budget et ses effectifs assez modestes – 700 agents – mais elle peut jouer un rôle de tête de réseau, notamment à travers le registre des actions probantes et prometteuses. Les premières sont celles qui ont été évaluées et qui ont fait l'objet d'une publication dans la littérature scientifique : les secondes sont des actions pour lesquelles on a seulement une présomption d'efficacité. Comme il faut beaucoup de temps pour qu'une intervention puisse être qualifiée de probante, il importe de ne pas négliger les interventions prometteuses, qui sont souvent plus innovantes. Santé publique France peut participer à la prévention, mais il faut un pilotage du ministère de la santé. La feuille de route du ministre, qui a mis la prévention au cœur de toutes les politiques, va beaucoup nous aider.

Vous me demandez des exemples d'actions qui marchent : je pense au Nutri-Score. Même s'il a été un peu décrié au départ, il fait désormais partie de la vie de tout le monde, puisque 95 % de nos concitoyens le connaissent. Plusieurs autres pays européens sont par ailleurs en train de se l'approprier.

J'en viens à la question de l'indépendance de l'expertise. L'agence n'est pas autonome, puisqu'elle est placée sous l'égide du ministère de la santé. Contrairement à l'Anses, qui a plusieurs ministères de tutelle, Santé publique France n'en a qu'un, mais cela ne l'empêche pas de travailler avec d'autres ministères. Huit sont d'ailleurs présents dans son conseil d'administration. J'ai dit que ma priorité serait de garantir une expertise indépendante, ce qui suppose de s'appuyer sur une collégialité à la fois interne et externe.

C'est depuis l'ANSM que j'ai observé la politique de vaccination contre la variole du singe. Par chance, nous avions, en France, des stocks stratégiques de vaccins contre la variole qui ont fonctionné contre cette épidémie, laquelle, pour être tout à fait honnête, nous a pris de cours. Santé publique France a pu très tôt définir et investiguer les cas et faire de la prévention au sein de la communauté gay, quand il est apparu qu'elle était particulièrement touchée. L'épidémie de variole du singe a mis en lumière le continuum qui existe entre l'épidémiologie, la prévention et l'action.

La santé mentale de nos concitoyens s'est détériorée durant ces trois années de crise sanitaire, en particulier celle des jeunes, dont beaucoup se retrouvent aux urgences pour des idées suicidaires ou des tentatives de suicide. Santé publique France s'attache désormais à prendre en compte la santé mentale dans toutes ses enquêtes, notamment dans celles relatives à la santé au travail – par exemple au sein des cohortes pour la surveillance épidémiologique en lien avec le travail. Et je veillerai à ce que cette évolution s'affirme.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué les cabinets de conseil. Dans la mesure où nous sommes revenus à une situation normale, je ne vois pas pourquoi je ferais appel à eux. Je vais travailler avec mes collaborateurs, dans le cadre d'un dialogue concerté avec le ministère de la santé. Je compte beaucoup aussi sur le partenariat : je tiens à ce que Santé publique France soit une agence ouverte. Nous sommes nombreux à œuvrer dans le domaine de la santé, à la fois à l'échelon national et à l'échelon territorial et ma priorité sera de travailler en partenariat avec les autres agences, les autres institutions et l'échelon territorial.

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