La réunion commence à quatorze heures trente-cinq.
La commission spéciale auditionne, lors d'une table ronde avec les obédiences maçonniques, MM. Guillaume Trichard, Grand Maître, et Gilles Kounowski, conseiller de l'ordre et grand orateur du Grand Orient de France, M. Michel Hannoun, représentant du Grand Maître de la Grande loge de France, Mmes Catherine Lyautey, Grande Maîtresse, et Dr Frédérique Moati, présidente de la commission nationale Éthique-bioéthique de la Grande loge féminine de France, et M. Sylvain Zeghni, Grand Maître national, président du conseil national, et Dr Martine Baissas, responsable de la commission Éthique-bioéthique de la Fédération française du droit humain
Les lois françaises se sont adaptées aux besoins de la société et aux avancées de la science, mais elles sont insuffisamment appliquées par manque d'information, de formation et de moyens. À ce jour, l'application de la loi Claeys-Leonetti n'est pas suffisante, homogène et égale sur tout le territoire. Les soins palliatifs doivent être reconnus et valorisés, l'action soignante doit s'adapter et écouter les besoins, au-delà de ceux prévus par la loi actuelle. Pour nous, à la Fédération française du droit humain, participer à cette réflexion de la société est essentiel tant les questions éthiques sont nombreuses.
Le projet de loi comporte de très nombreux points positifs, notamment la prudence et la prise de recul par rapport aux mineurs ou les soins d'accompagnement dès l'annonce du diagnostic. Les questions relatives au financement, aux moyens et à la nécessaire évaluation doivent être soulignées, mais je m'attarderai sur quelques remarques qui nous semblent essentielles.
Tout d'abord, les termes doivent être clairs et précis, pour diminuer les ambiguïtés. Le traitement, dans le même texte de loi, des soins palliatifs et de l'aide à mourir n'est-il pas source de confusions ? Le passage de « palliatif » à « accompagnement » ne risque-t-il pas de masquer un manque et de rendre une évaluation plus difficile ?
Dans l'article 5, la gradation est-elle suffisamment et clairement exposée ? Le terme d'euthanasie n'est pas mentionné, le suicide n'est pas interdit ; il s'agit donc peut-être plus d'une dépénalisation à titre exceptionnel.
Les maisons d'accompagnement répondent à un besoin réel. Compte tenu du reste à charge financier, n'existe-t-il pas un risque d'inégalité, qui peut également aboutir à un conflit d'intérêts pour les mutuelles ? Nous souhaitons que ces maisons soient rattachées à un établissement sanitaire public et non à une structure à but lucratif ; mais aussi favoriser le décloisonnement entre le domicile et les autres systèmes de soin, pour éviter une dérive vers une « maison à mourir ».
Dans un souci d'égalité et d'équité, nous proposons de modifier l'alinéa 3 de l'article 6, pour introduire la notion d'« affection évolutive ou fixée grave et incurable engageant le pronostic vital à court et moyen terme ». Seule la personne malade ou diminuée dans son autonomie est en mesure de juger de ce qui est acceptable pour elle en termes de souffrances.
Si l'autonomie décisionnelle fait défaut, elle pourrait être recherchée dans les directives anticipées qui demeurent peu valorisées dans le projet actuel. Il faudra rechercher les modes d'expression de la volonté, même les plus rudimentaires. Nous proposons la création de mandats de directives anticipées et terminales développées.
L'article 8 pourrait être amélioré. Comment le médecin aura-t-il les moyens de vérifier les conditions d'état civil de lieu de résidence visées à l'article 6 et comment ces attestations seront-elles opposables ? Comment pourra-t-il s'assurer que la personne sous protection juridique l'a bien informé de ce statut ? Nous proposons le retrait du terme « psychiatrique » à l'article 8.
Enfin, les avis fondant le contradictoire ne nous semblent pas conformes à l'injonction d'indépendance que requiert la gravité de l'acte d'aide à mourir. Nous proposons de régler la double insuffisance du contradictoire a priori et du contradictoire a posteriori par l'intervention d'une instance éthique locale. Une consultation d'éthique, dépendant de l'hôpital local le plus proche, pourrait incarner l'organe régulateur a priori. Dans le cadre de l'examen de la demande d'aide à mourir, un collège technique et éthique pourrait être réuni.
Je précise en préambule que nous avons produit un Livre blanc au sujet de ce projet de loi, qui demeure à votre disposition. Les conditions dans lesquelles intervient la mort ont changé : sept personnes sur dix meurent à l'hôpital.
Nous sommes donc dans une dialectique entre deux principes opposés, d'une part l'illusion d'échapper au caractère inéluctable de la mort en la décidant seul, et d'autre part la dignité d'une société humaine, qui consiste à accompagner la vie jusqu'à la mort. Nous estimons que le droit de disposer de soins palliatifs est le préalable à l'affirmation de la liberté de disposer de sa vie. Bien-être, bien vivre et bien mourir nous paraissent indissociables à l'idée de fraternité. Ainsi, la reconnaissance de la liberté de choisir sa mort n'a pas pour corollaire la reconnaissance d'un droit à mourir.
Notre première recommandation est la suivante : des exigences éthiques incontournables doivent accompagner les éventuelles évolutions vers la mise en œuvre d'une aide active à mourir. Le droit individuel à vouloir bien mourir doit être compatible avec les devoirs collectifs d'une société qui doit réguler les excès et les dérives en tous genres. L'exemple des Pays-Bas nous interpelle, quand ce droit à mourir devient un devoir impératif pour les soignants et se banalise progressivement pour s'imposer comme une formalité.
Il ne faudrait pas qu'une nouvelle loi constitue un message négatif ou d'abandon à leur seule responsabilité pour les personnes gravement malades, handicapées ou très âgées. L'établissement de garde-fous, comme celui d'un « comité de revoyure », nous paraît important. Nous ne souhaitons pas qu'une nouvelle loi vienne simplement s'ajouter à un corpus déjà existant et mal appliqué. La loi actuelle est insuffisamment mise en œuvre, qu'il s'agisse de la généralisation des soins palliatifs ou celle des directives anticipées. Ainsi, 83 % des soignants connaissent mal les dispositions de la loi actuelle et 10 % seulement des personnes rédigent leurs directives anticipées. Les limites de l'actuelle législation, comme l'absence de règles de dépénalisation de l'aide active à mourir, l'absence d'une réelle information de la population et d'une formation spécifique du personnel soignant et des familles, doivent être résolues.
Il nous paraît essentiel d'envisager également quelques sujets tels que la réforme nécessaire du code des assurances. Celui-ci doit comporter une définition la plus claire possible de la notion de fin de vie ou une définition de la notion d'espoir d'amélioration, qui pourrait être remplacée par la notion de « signes objectifs d'amélioration ».
En conclusion, la décision doit reposer sur la collégialité des médecins et nous vous demandons de ne pas sous-estimer l'importance de la clause de conscience pour les soignants. Le projet législatif ne consiste peut-être pas simplement à ouvrir des droits, mais aussi à fixer des limites. À ce titre, la loi devrait poser en préambule que le renforcement de la mise en œuvre des soins palliatifs représente une action prioritaire.
Nous abordons ce débat avec un regard laïque, en veillant à ce que le triptyque de notre devise républicaine soit respecté dans l'élaboration de la loi. Nous ne pouvons qu'être favorables au renforcement des soins d'accompagnement, aux droits des malades et aux maisons d'accompagnement, mais encore faut-il avoir la volonté de s'en donner les moyens. Cet accompagnement réel doit constituer une expression concrète de notre fraternité.
L'accès pour tous à une médecine palliative et curative relève d'une question de solidarité nationale. Son accessibilité à domicile ou dans l'établissement de son choix est une garantie d'égalité devant la mort, mais aussi une exigence éthique et démocratique, qui doit également prévaloir dans l'instauration des maisons d'accompagnement. Le plan personnel d'accompagnement doit prendre en compte l'application des directives anticipées et associer la personne de confiance. Il est également nécessaire de développer la possibilité de recevoir les soins d'accompagnement à domicile, de former le personnel médical et paramédical et d'informer le public à travers des campagnes de sensibilisation.
Le projet de loi permet des avancées sociétales et médicales majeures, mais il ne répond pas à toutes les détresses. La définition du court ou moyen terme est par ailleurs difficilement appréciable, y compris par les médecins. Dans sa rédaction actuelle, le projet prive les personnes atteintes de maladies neurodégénératives de la liberté de choisir le moment d'interrompre une vie de plus en plus invalidante.
Les directives anticipées doivent être prises en compte et devenir contraignantes. Dans l'accompagnement, à toutes les étapes du processus, la personne de confiance doit avoir sa place. Les maisons d'accompagnement doivent être dotées de moyens financiers et humains conséquents. Tous les choix doivent être respectés, qu'il s'agisse de la demande de l'aide à mourir ou du souhait de ne pas vouloir la provoquer. Cette loi citoyenne ouvre un espace de liberté, elle n'enlève rien à personne, mais offre un apaisement à bien des angoisses.
En conclusion, le déploiement généralisé des directives anticipées, du choix d'une personne de confiance et des soins palliatifs doit être au cœur de cette loi. Par cette loi, la France, fille des Lumières, garantira cette liberté ultime. Après les luttes menées pour ne plus enfanter dans la douleur, après les combats pour le droit à la contraception, puis l'interruption volontaire de grossesse, il s'agit peut-être de la dernière liberté que nous souhaitons conquérir, en tant que franc-maçonnes, femmes et citoyennes.
Le Grand Orient de France a toujours été aux avant-postes du combat pour une mort digne et note qu'une immense majorité de nos concitoyens sont favorables à cette évolution. Le sujet est tabou parce que l'angoisse de mort constitue le terreau sur lequel s'est édifié le pouvoir des églises sur les hommes, mais existe-t-il une seule bonne raison non religieuse de refuser à quelqu'un le droit d'accéder à une fin de vie digne et dignement choisie ?
Jusqu'à présent, la liberté, y compris avec la loi Claeys-Leonetti, était incomplète, car la sédation profonde ne peut intervenir qu'avec l'imminence de la mort. L'égalité n'est pas respectée – puisque seuls les plus argentés peuvent se rendre à l'étranger pour choisir le moment de leur mort –, pas plus que la fraternité face à la souffrance physique et morale. Nous attendons donc cette loi et considérons qu'il convient de dépénaliser l'aide active à mourir plutôt que d'établir un droit opposable qui ne permettrait pas de respecter la liberté de conscience des soignants qui ne souhaitent pas s'associer au dispositif.
Plusieurs éléments non pris en compte dans ce projet de loi émancipateur devraient aussi faire l'objet de débats, dont la question de l'ouverture, certes délicate, du dispositif aux mineurs, d'autant plus que les notions de minorité et majorité fluctuent dans le temps. Il est également nécessaire de développer et de renforcer les directives anticipées et nous sommes par ailleurs favorables au renforcement des systèmes de soins palliatifs, ce qui implique d'y consacrer un budget d'investissement et de le déployer dans tous les départements de France, et notamment dans les territoires d'outre-mer, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
En conclusion, dans le cadre d'un respect de la dignité de chacune et chacun, et s'il est conscient et capable de donner son avis, le meilleur service que la République peut rendre au malade est de répondre favorablement à sa demande de bénéficier d'une aide active à mourir. L'injection létale ne sera jamais la seule façon d'aider les patients à mourir ni le moyen que tous les patients auront à la fois le désir et la force de demander. Laissons aussi aux médecins qui le voudront bien la liberté, la responsabilité et le privilège de faire au mieux ce qu'ils font déjà, c'est-à-dire accompagner leurs patients dans une mort qui soit véritablement la leur, tout en modulant, si tel est leur souhait, les modalités et la temporalité cruelle.
La bioéthique de la fin de vie ne consiste pas seulement à aider médicalement les gens à mourir, mais surtout à les accompagner sereinement vers cette échéance que chacun d'entre nous devra affronter un jour.
Comment appréhendez-vous la notion de soins d'accompagnement introduite par le projet de loi, qui vise à englober les soins palliatifs dans une démarche plus anticipative et pluridisciplinaire ?
Quelles sont vos suggestions pour définir les conditions d'accès, que nous pourrions considérer comme des verrous ?
Enfin, quelle remarque pouvez-vous formuler sur la procédure envisagée dans ce texte après l'avis médical ?
Plusieurs pages du document de la Fédération française du droit humain sont consacrées aux directives anticipées, que vous qualifiez de terminales. Quels en sont les points les plus saillants ?
Monsieur Hannoun, j'ai cru comprendre que votre obédience ne souhaitait pas une nouvelle loi. Assimilez-vous la sédation profonde continue, maintenue jusqu'au décès, prévue par la loi de 2016 à une aide à mourir ? Cette mise en œuvre de la sédation répond-elle à toutes les situations ?
Madame Moati, que pensez-vous de l'intervention d'un tiers volontaire au moment de réaliser l'aide à mourir, quand le patient n'est pas en mesure de s'administrer lui-même la substance létale ?
Monsieur Trichard, quelles sont vos remarques concernant le pronostic vital engagé à court et moyen terme et le délai de trois mois au cours duquel la substance létale peut être délivrée aux malades dans le cadre précis défini par l'article 5 ?
Plusieurs d'entre vous ont évoqué la dépénalisation de l'aide à mourir. Le second alinéa de l'article 5 du projet de loi prévoit explicitement que l'aide à mourir est un acte autorisé par la loi au sens de l'article 122-4 du code pénal. Cette mention vous semble-t-elle suffisante pour répondre aux inquiétudes concernant la protection juridique de celles et ceux qui accompagnent les patients dans l'aide active à mourir ?
Docteur Baissas, pouvez-vous détailler votre proposition concernant une instance d'éthique et son articulation avec les instances déjà existantes ?
Vous suggérez également de retirer la mention « psychiatrique » de l'article 8 et certains souhaitent ouvrir le projet de loi aux mineurs. Pouvez-vous apporter des précisions à ce sujet dans un texte qui doit également établir des garde-fous et des limites très strictes ?
La Fédération française du droit humain considère-t-elle que l'article 17 est suffisamment exhaustif ?
Quels amendements la Grande Loge de France proposerait-elle afin de réformer le code des assurances évoqué dans l'article 20 ? La rédaction de l'article 16 concernant la clause de conscience est-elle lacunaire ?
Quelle est l'opinion du Grand Orient de France concernant la création d'une journée éducative sur la mort à destination des enfants ?
Cette éducation nous semble essentielle, dans le cadre de cette loi de liberté et de laïcité. Il faudra également accompagner les citoyens en répondant à leurs questions et en engageant un certain nombre de débats laïques sur le sujet.
Ensuite, je comprends la nécessité de verrous médicaux dans cette loi, mais le verrou administratif excluant le discernement d'un mineur me semble pouvoir faire l'objet d'un débat. En Belgique, depuis que le dispositif a été étendu aux mineurs, seulement cinq cas ont été recensés.
Rita Levi-Montalcini, première femme à recevoir le prix Nobel de physiologie ou médecine a déclaré « Donnez de la vie à vos jours plutôt que des jours à votre vie », phrase qui renvoie à la question du tabou de la mort. Cette loi relève ainsi à la fois du collectif et de l'individuel parce qu'elle concerne l'intime, le sens de la vie et la finitude.
Je suis favorable à l'intervention d'un tiers volontaire en cas d'incapacité de la personne malade et si elle est clairement définie dans les directives anticipées qui sont insuffisamment prises en compte dans cette loi, au même titre que la personne de confiance. Mais sur le plan moral et même technique, il existe plusieurs manières d'aider une personne à mourir, qui ne se résument pas au geste de la seringue. Pour moi, le dernier soin est le dernier acte d'amour.
Ensuite, j'estime que la question du discernement rejoint effectivement la question des directives anticipées, tel que je viens d'en parler. Je ne pense pas que les mineurs décideront, mais il me semble nécessaire de dépénaliser l'acte auquel des personnes seront confrontées les concernant, en dignité. Le médecin aide à soigner, il n'a pas vocation à favoriser un acharnement.
Il n'est pas nécessaire d'entrer dans un service de soins palliatifs pour bénéficier de soins d'accompagnement. À ce titre, la loi doit être plus précise, notamment en matière de formation des soignants à la mort. Ensuite, il ne s'agit pas seulement d'instaurer des verrous, mais de faire en sorte qu'ils tiennent dans le temps. J'insiste sur la nécessaire clarté de la loi et des décrets, ainsi que l'instauration d'une clause de revoyure et d'un comité de suivi pour mener un bilan de son application.
Si la Grande Loge de France est favorable à une évolution de la loi, la question du discernement nous semble être la plus problématique. Les lois de la République font des parents les responsables du mineur et je partage l'idée de Frédéric Worms sur le caractère incontournable des verrous dans la loi. À cet égard, les choix retenus par le présent texte en matière de verrous nous semblent pertinents, notamment à la lumière des retours d'expérience étrangers.
La réforme du code des assurances me semble incontournable. À titre d'exemple, le suicide pose aujourd'hui un certain nombre de problèmes pour le versement des contrats d'assurance vie. Ici encore, la loi doit faire preuve de clarté, pour éviter des problèmes juridiques d'interprétation, ultérieurement.
Si l'article 5 du projet prévoit que l'aide à mourir est un acte autorisé par la loi au sens de l'article 122-4 du code pénal, n'est-il pas plus pertinent de parler en termes non équivoques de dépénalisation de tous les intervenants qui participent au processus de l'aide à mourir ?
L'éducation des enfants est certes nécessaire, mais il faut également engager le dialogue avec les adultes. Nous proposons un amendement prévoyant que les mineurs disposent du droit de s'opposer éventuellement à ce que certaines informations apparaissent dans leur dossier médical.
Ensuite, les soins d'accompagnement étant plus larges que les soins palliatifs, ils peuvent être plus difficiles à évaluer. S'agissant de la procédure, nous recommandons a minima de préciser que la personne qui accompagnerait le malade le jour de l'aide à mourir l'ait au moins rencontré au préalable. Nous soulignons également le risque de deuil pathologique pour le tiers volontaire, les équipes soignantes et les aidants. Enfin, la clause de conscience doit être appliquée à tous, à tout moment. L'absence du médecin et éventuellement de l'infirmier de la salle nous choque également un peu.
Nous avons aussi proposé un amendement concernant le contradictoire, en s'inspirant des procédures déjà en place dans les hôpitaux locaux, pour permettre un contrôle a priori. Nous proposons enfin une compensation pour la personne qui n'a plus la capacité de s'exprimer, mais avait fait part au préalable de directives anticipées terminales.
S'agissant de l'article 17, nous suggérons de faire appel au procureur de la République plutôt qu'au conseil de l'ordre en cas d'infraction pénale.
Monsieur Trichard, vous avez parlé d'émancipation laïque, ce qui laisse transparaître une volonté de combat religieux. Pourtant, les inquiétudes les plus nourries quant au projet n'émanent forcément pas des religions, mais des professions médicales. Au cas où un médecin ou un soignant ferait jouer leur clause de conscience et refuseraient de donner la mort, qui devrait dans ce cas pratiquer cette euthanasie ?
Docteur Baissas, j'ai apprécié vos propos sur la nécessité de restaurer une sémantique de vérité. Depuis le début de nos auditions, les soignants les cultes, les associations et à peu près toutes les organisations ont d'ailleurs rappelé aux promoteurs de cette loi la nécessité de poser des termes précis, quelles que soient les convictions personnelles. L'aide à mourir correspond en effet à l'euthanasie et au suicide assisté. Pouvez-vous développer cet argumentaire et nous expliquer pourquoi est-ce absolument indispensable ?
Docteur Baissas, quels seraient les contours et attributions du comité éthique que vous avez évoqué ? Quelle place occuperait-il dans la décision finale ? Pourquoi privilégiez-vous un comité local ? Je préfère pour ma part un comité national. Ensuite, avez-vous envisagé la création d'un observatoire en charge de la production d'un rapport annuel ?
M. Worms a dit devant cette commission que « si l'on ne croit pas aux verrous, on ne croit plus à la loi ». Encore faut-il que ces verrous soient les bons. N'estimez-vous pas que limiter l'exercice de cette ultime liberté au pronostic vital engagé à court et moyen terme, sans prendre en compte des situations de maladie incurable, constitue finalement un mauvais verrou ? Je suis par ailleurs attentive à la réflexion sur les mineurs et les aidants. Lors de précédentes auditions, certains intervenants ont ainsi exprimé leur préférence pour l'intervention d'un soignant plutôt que d'un aidant pour l'administration de la substance létale en cas d'incapacité du malade.
J'invite à la prudence quant à l'idée selon laquelle s'il n'y a pas de verrous, il n'y a pas de loi. Je rappelle en effet que la loi de 1905 établit avant tout un cadre juridique qui garantit la liberté de conscience. La possibilité de maîtriser son corps jusqu'à l'ultime seconde ne constitue-t-elle pas après tout une liberté de conscience ? Cette loi ne s'inscrit-elle pas dans le processus consistant à se libérer des dogmes ?
Vous défendez tous la fraternité. Considérez-vous qu'en fraternité, donner la mort puisse être un soin ?
Ensuite, ce projet de loi va légaliser à la fois le suicide assisté et l'euthanasie. Que proposez-vous pour éviter les abus de faiblesse et garantir les droits des personnes les plus vulnérables et qu'il faut protéger ?
Quelle serait la meilleure rédaction pour améliorer la représentativité de la collégialité ? Le délai de quarante-huit heures minimum inscrit dans la loi est-il trop court ? Comment envisagez-vous votre rôle concernant les soins d'accompagnement et les maisons de l'accompagnement ?
Monsieur Zeghni, la dépénalisation de tous les intervenants qui participent au processus de l'aide à mourir que vous avez évoqué concerne-t-elle les médecins réanimateurs qui débranchent le patient en état de mort cérébrale ? Je ne comprendrais pas que cela ne soit pas le cas.
Les pathologies psychiatriques sont à ce stade exclues du projet de loi, alors que toutes n'impliquent pas un manque de discernement. Le sujet du discernement des mineurs pose également question. Toutefois, une vigilance particulière s'impose. Faut-il aller vers une ouverture du droit de l'aide à mourir pour les mineurs et les personnes souffrant de pathologies psychiatriques ou plutôt envisager une procédure d'exception, après évaluation au cas par cas du discernement ?
Monsieur Hannoun, vous avez évoqué une clause de revoyure, qui permettrait pour certains de corriger des effets pervers de la loi, qui n'auraient pas été envisagés initialement. Mais cette clause pourrait également aboutir à un élargissement de la loi. Je vous alerte donc sur le caractère potentiellement ambigu de cette clause. Peut-être serait-il préférable de privilégier un processus d'évaluation de la loi par les parlementaires ?
La clause de conscience est importante, mais un médecin qui l'exercerait légitimement doit également pouvoir orienter le malade vers un autre praticien, ce qui n'est pas toujours le cas.
Parmi les verrous qui figurent dans cette loi, certains ne sont pas toujours évoqués, comme le discernement ou l'évaluation du caractère intolérable des souffrances physiques ou psychologiques par les soignants, laquelle, selon moi, doit être redéfinie. Certaines catégories sont également exclues de son champ d'application, dont les mineurs, les personnes atteintes de maladies dégénératives progressives et de polypathologies, mais aussi les personnes âgées, chez lesquelles le taux de suicide est le plus élevé. Nous suggérons enfin qu'une fois rédigée, la loi puisse être validée par une commission nationale de juristes pour vérifier la conformité des décrets d'application.
La clause de revoyure nous semble effectivement importante, non pas dans un sens négatif qui consisterait à rétrécir ultérieurement le champ de la loi, mais parce que la recherche progresse et que des pathologies aujourd'hui incurables pourraient être soignées, demain. Dès lors, les limites fixées peuvent être revues au bout d'un certain temps. Cependant, nous ne pensons pas qu'une loi sur la fin de vie ait vocation à aborder les problèmes des personnes âgées en difficulté sociale. Nous préconisons également un bilan de la loi et des évolutions scientifiques par un comité – pourquoi pas un observatoire.
Ensuite, il est légitime que les soignants puissent évoquer la clause de conscience sans être montrés du doigt parce qu'ils ne participeraient pas de « l'arc républicain ». La collégialité peut s'envisager dans le cadre d'une commission pluridisciplinaire semblable à celle du « Plan cancer » ou d'une mobilisation de trois médecins.
Enfin, « se libérer des dogmes » consiste à respecter des points de vue différents et ne pas juger l'autre a priori par rapport à ce que serait la bonne conscience, le bien, ou la vertu du bien.
La dépénalisation peut être envisagée dans un cadre très restreint, puisque s'il s'agit d'une procédure encadrée. Ensuite, je partage l'idée de placer les « bons » verrous, mais aussi de faire preuve de précision. C'est la raison pour laquelle nous proposons de modifier l'article 6, car il faut distinguer les affections évolutives des affections fixées. La personne qui subit un lourd handicap non évolutif doit être aussi bien prise en compte que la personne souffrant d'une affection évolutive à plus ou moins long terme.
Nous sommes également favorables à la création d'un observatoire. Nous nous interrogeons par ailleurs sur le financement du dispositif des maisons d'accompagnement, dont nous souhaitons le rattachement à un établissement sanitaire public et non au privé lucratif.
M. Bentz a évoqué la sémantique de vérité, qui implique un travail difficile sur les mots, pour faire en sorte qu'ils soient les plus justes possible.
Ensuite, la collégialité est nécessaire, tant il est difficile de décider seul. Nous nous sommes interrogés sur les durées retenues et considérons que si une inadéquation devait apparaître, elle serait soulevée dans l'évaluation.
Enfin, l'écoute de la volonté nécessite d'avoir du temps et, partant, des moyens financiers.
Je tiens à redire qu'il s'agit d'une loi de progrès par rapport aux lois précédentes : le fait de légiférer à nouveau ne doit pas se faire au détriment de ce qui a été produit par le passé. En tant que francs-maçons, nous sommes attachés au travail itératif, ce que nous appelons dans notre jargon « tailler la pierre » ou « améliorer nos plans ». Vous êtes amenés à légiférer pour donner un droit nouveau aux citoyennes et aux citoyens, celui de l'aide à mourir. Je comprends l'idée de vouloir bien nommer les choses ; incidemment, l'étymologie grecque du mot « euthanasie » signifie « mort douce ».
Le Grand Orient de France est évidemment très attaché à la possibilité pour les professions médicales d'exercer leur clause de conscience. À ce titre, je rappelle que le dispositif de la loi Veil comporte à la fois une clause de conscience générale et une clause de conscience renforcée.
Monsieur Hetzel, j'assume effectivement le fait que pouvoir aider nos proches à partir pour leur éviter de la souffrance est un acte de fraternité républicain, qui est d'ailleurs très attendu par nos concitoyens.
Par ailleurs, permettez-moi de revenir sur le sujet du discernement, en évoquant l'article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs qui précise : « Les mineurs de moins de treize ans sont présumés ne pas être capables de discernement. Les mineurs âgés d'au moins treize ans sont présumés être capables de discernement. » Ce même article indique : « Lorsqu'ils sont capables de discernement, les mineurs, au sens de l'article 388 du code civil, sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils sont reconnus coupables. » Ce qui est valable d'un côté doit également l'être de l'autre. L'évaluation du discernement doit donc pouvoir être réalisé par les professionnels de santé.
Monsieur Dessigny, les inquiétudes formulées par le corps médical témoignent de son besoin d'être accompagné, de bénéficier de plus de moyens et d'être mieux considéré dans notre société. À ce titre, en alliant ce nouveau droit d'aide à mourir et le renforcement des soins palliatifs, cette loi doit permettre de créer un écosystème favorable à la fois aux patients et aux médecins.
Enfin, si les verrous sont nécessaires, leur accumulation pourrait desservir les desseins de la loi, comme l'exemple espagnol l'atteste.
La réunion s'achève à seize heures vingt-cinq.
Présences en réunion
Présents. – M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, Mme Laurence Cristol, Mme Christine Decodts, M. Jocelyn Dessigny, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, M. Emmanuel Fernandes, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Thierry Frappé, M. Raphaël Gérard, M. Jérôme Guedj, M. Patrick Hetzel, Mme Élise Leboucher, Mme Brigitte Liso, Mme Lise Magnier, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Didier Martin, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, Mme Lisette Pollet, M. Jean-Pierre Pont, Mme Cécile Rilhac, Mme Danielle Simonnet, M. Nicolas Turquois, M. Philippe Vigier
Excusé. – Mme Christine Pires Beaune
Assistait également à la réunion. – Mme Sandrine Rousseau