La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.
La commission d'enquête sur le montage juridique et financier de l'autoroute A69 procède à une table ronde réunissant des scientifiques de l'Atelier d'écologie politique (ATECOPOL) : M. Christophe Cassou, climatologue ; M. Remi Benos, géographe ; M. Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique dans les transports et M. Julien Milanesi, économiste.
Chers collègues, je suis ravie de vous retrouver en tant que vice-présidente de la commission d'enquête, après le travail de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire sur la pétition (n° 1999) « Abandon du projet d'autoroute Toulouse-Castres A69 / A680 ». Notre président Jean Terlier vous prie de l'excuser de ne pouvoir présider nos débats cette semaine ; il m'a demandé de le remplacer.
Nous commençons le cycle d'auditions consacrées au volet environnemental du projet d'autoroute A69. Je souhaite la bienvenue à quatre scientifiques de l'Atelier d'écologie politique (Atecopol) : M. Christophe Cassou, climatologue, rapporteur du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) ; M. Rémi Bénos, géographe ; M. Aurélien Bigo, ingénieur, chercheur sur les questions de transport et de transition énergétique ; M. Julien Milanesi, universitaire, chercheur sur les relations entre politiques publiques, société civile et environnement.
Notre commission d'enquête a pour objet l'examen du montage juridique et financier du projet d'autoroute A69, ce qui exclut a priori tout débat sur son opportunité. Il a néanmoins paru utile à notre commission d'y consacrer une audition, pour des raisons aisément compréhensibles.
Nul n'ignore, messieurs, votre opposition à cette autoroute. Vous allez nous l'exposer sur le fondement de votre expertise scientifique, que chacun reconnaît. Mes collègues réagiront à l'issue de vos interventions, certains pour défendre l'autoroute, d'autres pour vous poser des questions. Pour ma part je relaierai les questions du président Jean Terlier.
Avant de commencer, je rappelle que notre audition est publique et retransmise sur le portail de l'Assemblée nationale.
En application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande au préalable de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Christophe Cassou, Rémi Bénos, Aurélien Bigo et Julien Milanesi prêtent successivement serment.)
Je suis également ravie de vous retrouver, chers collègues, pour travailler ensemble sur ce dossier. Je remercie nos invités pour leur disponibilité. Plusieurs d'entre nous connaissent la qualité de leurs travaux, qui se double d'un engagement fort sur la question majeure de notre temps, celle de la préservation de l'environnement.
Il m'a semblé indispensable de vous auditionner, messieurs, et je remercie la commission d'enquête de l'avoir accepté. Elle se penche en effet sur des actes juridiques, et la question environnementale relève du droit. Celui-ci est toutefois insuffisamment prescriptif, comme nous aurons l'occasion de le constater au sujet des avis de l'Autorité environnementale. La crise environnementale sévère que traverse notre planète le démontre également : rien que dans notre pays, les atteintes à la forêt, les inondations hors norme ou la sécheresse historique dans les Pyrénées-Orientales ne peuvent que nous interpeller. Vous savez mieux que quiconque que toutes ont pour origine commune les émissions de gaz à effet de serre.
Pour le groupe Écologiste de l'Assemblée nationale comme pour d'autres groupes, il apparaît nécessaire de réinterroger certains projets, en particulier celui de l'A69 – selon les termes du président du conseil départemental de Haute-Garonne lui-même. Ce projet contribuera en effet à l'artificialisation des terres et à l'émission de gaz à effet de serre.
Pour comprendre la genèse de cette voie routière, nous avons commencé par auditionner les personnes qui étaient à l'origine du projet, conçu pour faire face à l'enclavement et à la désindustrialisation du bassin de population et d'emploi de « Castres-Mazamet » – de fait, les guillemets me semblent requis. Les motivations de ce projet doivent en effet être mises en perspective : elles datent de plus de trente ans, et la façon de concevoir l'aménagement d'un territoire a évolué. Au-delà du diagnostic sur les dommages infligés à la nature et à l'agriculture, la présence parmi vous d'économistes et de géographes doit nous permettre de définir l'alternative qui peut être proposée aux habitants du sud du Tarn : leur prospérité, que ce projet n'envisage qu'en termes de PIB, ne passe pas obligatoirement par une autoroute.
Lorsqu'elles nous sont envoyées avant l'audition, les réponses au questionnaire que je vous ai envoyé sont communiquées à l'ensemble des membres de la commission, qu'ils soient favorables ou défavorables au projet d'autoroute. Je considère en effet que notre commission doit être un exercice démocratique – contrairement à ce qu'a été le traitement de ce dossier jusqu'à maintenant. Je vous remercie de bien vouloir transmettre à la commission, en complément de ce que vous direz aujourd'hui, tout élément que vous jugerez utile ou pertinent de porter à notre connaissance.
Je veux d'abord vous remercier pour votre invitation. Mes collègues ici présents et moi-même sommes des scientifiques, dont le rôle est avant tout d'informer et de partager la connaissance en la rendant la plus accessible possible, au service de la décision publique et de l'intérêt général. Déontologiquement, un scientifique ne travaille pas sur des opinions mais sur des faits transparents, dont les sources sont connues et que l'on peut retrouver dans des publications scientifiques publiques. Celles-ci sont évaluées de manière indépendante selon un cadre méthodologique commun à l'ensemble de la communauté de recherche internationale.
Ce simple rappel est important : à l'heure où les décisions politiques minorent les faits scientifiques, voire n'en tiennent absolument pas compte, il fait passer les chercheuses et les chercheurs pour des militantes et des militants. Souvent, les décisions s'accompagnent en outre de propos caricaturaux et galvaudés ainsi que de l'affirmation de vérités alternatives, dans le but de désinformer, de retarder l'action ou de maintenir le statu quo pour protéger des intérêts particuliers. Les historiens et les chercheurs en sciences humaines et sociales ont depuis longtemps analysé les ressorts du déni climatique, mais cette dérive s'aggrave particulièrement depuis quelques mois.
Si la science ne peut en aucune façon dicter la décision publique, nous considérons collectivement, au sein de la communauté scientifique, qu'il est problématique dans une démocratie de décider en ignorant sciemment les connaissances scientifiques clairement établies. Nous vous remercions donc une nouvelle fois de nous donner l'opportunité de partager ces faits scientifiques devant l'Assemblée. Aucun acteur ne pourra plus dire qu'il ne savait pas, et chacun pourra trouver les informations sur lesquelles nous nous fondons dans le document que nous allons commenter et que nous vous laisserons à l'issue de l'audition.
La première question qui nous a été posée porte sur les principales raisons qui nous ont conduits et nous conduisent toujours à nous opposer au projet d'autoroute A69.
Parmi ces raisons, il y a d'abord les avis d'autorités indépendantes. De façon unanime et sans appel, l'Autorité environnementale, le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) et le Conseil d'orientation des infrastructures (COI), notamment, ont émis des avis défavorables. Sans doute serez-vous amenés à les entendre au cours de vos travaux.
Ces avis sans équivoque m'ont incité à me plonger dans le détail du dossier, qui a particulièrement résonné avec mon expertise et mes connaissances sur les enjeux climatiques au sens large. J'ai en effet acquis une vue d'ensemble sur le sujet en tant qu'auteur du dernier rapport du Giec, publié entre 2021 et 2023. L'A69 coche toutes les cases de ce qu'il ne faut plus faire si l'on veut respecter les engagements de l'accord de Paris tel qu'il est traduit dans la loi française et dans la stratégie nationale bas-carbone : ce constat se vérifie en matière de science physique, de préservation des écosystèmes, d'économie, d'aménagement du territoire, d'accès à la décision, de prise de décision, de transparence dans les choix politiques, de considérations sociales et de gouvernance. Le projet d'A69 m'est apparu comme un laboratoire en miniature de l'échec de la métamorphose sociétale et de la transition écologique, un échec qui convoque tous les alibis de l'inaction. L'Autorité environnementale utilise à son sujet les qualificatifs « obsolète » et « anachronique ».
Les nombreuses incohérences avec les trajectoires climat et biodiversité ainsi qu'avec les attentes sociétales expliquent la mobilisation sans précédent de toute la communauté scientifique. Chaque discipline a pu évaluer dans son domaine l'inadéquation entre le projet et les objectifs climatiques.
La communauté scientifique toulousaine s'est mobilisée la première au travers de l'Atecopol, unité d'appui à la recherche du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) rassemblant 200 chercheurs. Une lettre ouverte a été envoyée au ministre délégué chargé des transports de l'époque, Clément Beaune, ainsi qu'à la présidente de la région Occitanie, Carole Delga. Une pétition a ensuite mobilisé la communauté scientifique dans son ensemble et sa diversité, plus de 2 000 signatures ayant été enregistrées en un jour. Des urbanistes et des médecins ont ensuite rejoint cette dynamique. Une entrevue a eu lieu enfin avec Carole Delga, au cours de laquelle mes collègues de l'Atecopol et moi-même n'avons pu que constater l'échec des discussions et l'impossibilité de développer des espaces communs de dialogue.
Aujourd'hui, nous percevons et subissons le changement climatique dans notre vie quotidienne. Nous savons parfaitement où nous allons et nous avons une idée très précise de là où il ne faut pas aller. Les risques sont en effet bien documentés, et la justesse de nos projections climatiques depuis vingt à trente ans doit nous inciter à les considérer avec le plus grand sérieux.
Le projet d'autoroute A69 s'inscrit dans le cadre de risques croissants et menaçants : il nous maintient en effet dans une trajectoire où l'adaptation est plus complexe et pourrait devenir impossible. Chaque dixième de degré additionnel nous rapproche sans équivoque de limites irréversibles et de points de bascule au-delà desquels l'impact du réchauffement sera majeur et déstabilisant pour les sociétés humaines et les écosystèmes, à l'échelle régionale comme à l'échelle globale.
Par sa nature même, la construction d'une autoroute conduit à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre et contribue à l'artificialisation des sols. D'après un tableau issu de l'étude d'impact réalisée par la société Atosca elle-même – en dernière page de notre document – les émissions additionnelles de gaz à effet de serre induites par le projet auront un coût collectif de 49,2 millions d'euros, auxquels il convient d'ajouter 5,2 millions liés à la pollution de l'air. Il est intéressant de constater que, d'après ce même tableau, les bénéfices économiques de l'A69 seront essentiellement induits par des gains de temps. Or personne ne doute qu'en raison du contexte géopolitique international et des tensions sur l'approvisionnement en énergie, la vitesse maximale sur autoroute sera très probablement ramenée à 110 kilomètres par heure au cours de la prochaine décennie. Le gain estimé de plus de 500 millions d'euros paraît donc hors sol ; il doit être mis en regard des coûts environnementaux, qui s'élèvent donc à plus de 50 millions d'euros.
Les qualificatifs d'autoroute verte ou du futur, que l'on entend souvent, ne résistent pas à ces faits opposables et chiffrés, issus de l'étude d'impact actualisée en 2022 par Atosca elle-même. En outre, les pertes liées aux excès d'émissions de CO2 sont largement sous-évaluées au regard de la révision à la hausse, dans le dernier rapport du Giec, des estimations de risques. Le graphe présent sur la même page de notre document montre ainsi qu'entre le rapport du Giec de 2013 – sur lequel reposent encore les normes actuelles – et le sixième rapport, le plus récent, tous les risques ont été revus à la hausse. Cela signifie que pour un même niveau de réchauffement global, ils surviennent beaucoup plus tôt et sont beaucoup plus importants.
En tant que géophysicien, je rappelle que chaque tonne de CO2 émise dans l'atmosphère compte, car c'est leur cumul qui détermine le niveau de réchauffement et les risques qui en découlent. Dit autrement, toute tonne de CO2 évitée réduit le risque tandis qu'à l'inverse, tout objectif non atteint en la matière l'accentue. Ce n'est pas mon opinion, mais une loi intangible et non négociable de la physique. Il n'y a pas de petites émissions : leur addition nous a conduits à la situation actuelle et détermine le niveau de risque climatique futur.
Dès lors, l'A69 compte ; minimiser son impact, c'est méconnaître le fonctionnement du système climatique. On retrouve pourtant des arguments relativistes à tous les niveaux de décision. Nous avons tous entendu celui selon lequel la France n'émet que 1 % du CO2 à l'échelle mondiale : pourquoi endosser le fardeau de l'action alors ? La France est en fait le deuxième pays le plus émetteur de l'Europe des Vingt-Sept, derrière l'Allemagne, dont les émissions représentent environ 2 % des émissions mondiales de CO2. Cela n'exonère en rien chaque pays européen d'agir pour limiter ses émissions et engager une transformation sociétale qui le permette : 100 %, c'est cent fois 1 %. Cela démonte que l'impact des projets considérés comme de petite taille est tout de même important.
L'éclatement des responsabilités rend l'action difficile et peut donner envie d'isoler les projets les uns des autres pour minimiser leur impact. L'A69 est un projet parmi d'autres. Sa particularité est d'être un projet d'infrastructure avec une longue durée de vie, qui verrouille les transformations immédiates, rapides, nécessaires et soutenues dans le temps – quatre qualificatifs issus du dernier rapport du Giec – que nous devons engager dans tous les secteurs pour respecter le cadre de l'accord de Paris.
C'est cet ensemble de raisons qui nous ont conduits à nous engager dans l'opposition à ce projet. Originaire de la région concernée, j'en connais les spécificités et les enjeux auxquels elle est confrontée. J'ai ainsi pu appliquer mon expertise globale à l'échelle régionale et locale ; mais je ne me serais pas engagé avec autant de détermination si je n'avais pas pris connaissance des évaluations de mes collègues dans des domaines éloignés de mon expertise, qui m'ont permis d'approcher l'objet A69 dans sa complétude.
Une deuxième série de questions nous a été posée : aurions-nous été favorables au projet d'élargissement de la route nationale 126, s'il avait été retenu ? Estimons-nous qu'il faut en tout état de cause s'efforcer de réduire l'impact de la voiture individuelle ? L'aménagement de la liaison ferroviaire Toulouse-Castres participerait-elle selon nous de cette approche ?
Notre réponse est claire : comme tous les opposants à l'A69 et comme tous les habitants de Castres et du sud du Tarn, nous défendons le principe d'une amélioration des infrastructures de transport entre Castres et Toulouse. Or cette amélioration peut, en partie au moins, trouver une réponse dans la rénovation de l'axe essentiel qu'est la RN126. Depuis plus de quinze ans, tous les opposants l'appellent de leurs vœux : c'était déjà le cas du collectif des maires, du collectif RN126 et de Pas d'Autoroute Castres-Toulouse (Pact), et c'est encore le cas aujourd'hui du collectif La Voie est libre comme des autres mouvements et syndicats engagés dans la contestation.
À rebours des caricatures, les opposants à l'A69 souhaitent bel et bien que les déplacements entre Toulouse et Castres soient améliorés, sécurisés et facilités. Ils s'opposent d'abord et avant tout à la création d'une nouvelle infrastructure autoroutière alors que les solutions alternatives n'ont jamais été sérieusement ni débattues, ni étudiées, et alors qu'il existe déjà une route nationale parallèle au projet, distante d'une dizaine de mètres seulement. Il est important d'insister sur ce point pour que les personnes qui ne connaissent pas les lieux comprennent la situation.
La configuration des lieux mérite effectivement d'être visualisée.
Je veux insister sur un point essentiel du dossier : la rénovation de la RN126 n'a jamais été sérieusement envisagée. La question est soulevée aujourd'hui, en 2024, mais chacun sait que, dès 2007-2008, l'État a fait le choix d'une concession autoroutière au détriment de la rénovation de la route. Le 4 février 2009, la commission nationale du débat public a ainsi décidé de soumettre au débat public le « projet d'achèvement de la mise à deux fois deux voies de la liaison Castres-Toulouse par mise en concession autoroutière ». Ce débat a donc été lancé sans que l'on puisse débattre des alternatives possibles, qu'elles soient existantes ou à imaginer, routières ou ferroviaires. On peut y voir un échec de la procédure engagée mais aussi du processus de décision publique en général.
Les précédentes auditions menées par la commission, que nous avons pu suivre, montrent ainsi que la région Midi-Pyrénées était elle-même réservée sur le choix exprimé par l'État. Avec le soutien du conseil département de la Haute-Garonne et de plusieurs communes opposées au projet, elle a d'ailleurs cofinancé en 2016 une pré-étude portant sur l'aménagement sur place de la RN126, qui n'a jamais été approfondie.
Nous pensons que si le projet d'A69 suscite autant d'agitation quinze ans plus tard, c'est notamment parce que le choix autoroutier a été imposé sans débat ni étude préalable. Replaçons-nous dans le contexte de l'époque : en 2008-2009, ce sont des choix strictement budgétaires qui justifient le désinvestissement de l'État dans le domaine des infrastructures routières. Les directions départementales des routes sont alors réorganisées, les routes nationales étant notamment transférées aux départements. Les réformes décidées durant cette période sont marquées par ce que l'on appelle, en sciences sociales, le new public management. Ce cadre de pensée, apparu dans les années quatre-vingt-dix, promeut une réduction drastique des interventions de l'État-providence, une diminution du nombre de ses missions au plus bas niveau possible et une régulation sociale par le marché. Les géographes, dont je suis, ont démontré de longue date que les réformes de l'État qui en sont empreintes ont des effets importants sur les services publics, notamment dans les petites et moyennes villes. Le choix d'une autoroute concédée à une société privée plutôt que d'un réaménagement public de la RN126 en est une illustration.
On peut enfin s'interroger : défendrions-nous aujourd'hui le projet de réaménagement de la RN126 qui aurait pu être conçu en 2010 ? La réponse est non : nous devrions nous aussi revoir notre copie. Tout projet ancien d'infrastructure routière mérite d'être révisé au regard des incertitudes environnementales et énergétiques actuelles. Aujourd'hui, la conception d'une solution alternative à l'autoroute accorderait beaucoup plus d'importance au transport ferroviaire qu'il y a quinze ans, pour s'inscrire dans les transitions en cours et se conformer aux politiques publiques touchant à la décarbonation et à l'objectif zéro artificialisation nette, par exemple. Si les déviations existantes de Puylaurens et de Soual – qui ont été intégrées à la concession autoroutière – demeuraient accessibles à l'avenir, les quelques aménagements indispensables au niveau de Cuq-Toulza et sur quelques tronçons de la route nationale seraient d'une ampleur très limitée. Pour pouvoir les estimer plus précisément, il faudrait des études complémentaires à la pré-étude réalisée en 2016, mais ces études n'ont jamais été réalisées.
Vous avez évoqué, à propos d'une de nos auditions, la région Midi-Pyrénées ; or elle n'existe plus : elle a été remplacée par la région Occitanie.
Certes, mais c'est le vice-président de la région Occitanie que nous avons auditionné dans le cadre des travaux relatifs à la pétition – et tout le monde connaît son avis, comme celui de la présidente Carole Delga, au sujet de l'A69. Je rappelle par ailleurs, s'agissant de la recherche de solutions alternatives, que la solution ferroviaire avait été abandonnée en raison de son coût, évalué à l'époque à 1,1 milliard d'euros. Quant à la rénovation de la route nationale, elle n'a pas été étudiée dans le cadre de la pétition mais nous l'évoquons lors de nos débats, bien entendu.
Je vous remercie pour ce complément. Je n'ai pas connaissance, mais c'est peut-être une erreur de ma part, d'une étude poussée sur une solution ferroviaire alternative qui aurait abouti à ce chiffre.
Nous allons demander à disposer des études réalisées lorsque l'État a prévu la concession autoroutière – il ne prend jamais de décision sans qu'un travail soit réalisé au préalable par de remarquables fonctionnaires. Notre demande inclura l'étude du coût, à l'époque, d'un aménagement de la RN126 et de la réhabilitation de la voie ferrée – je précise que le coût qui vient d'être cité est celui d'aujourd'hui. N'ayant pas ces éléments, des élus défavorables à l'A69 ont demandé qu'une étude alternative soit réalisée, et les membres écologistes du conseil régional ont obtenu que celui-ci la cofinance. Reste que l'étude n'a pas été prise en compte.
Oui, elle est très intéressante, mais elle n'a pas été intégrée dans le processus.
Vous nous avez demandé, dans votre questionnaire écrit, si nous n'estimions pas que le développement des véhicules électriques et hybrides amoindrirait les effets des émissions de gaz à effet de serre et qu'en conséquence, à l'horizon 2035, les émissions induites par l'A69 seraient nettement moindres que lors de la mise en service de cette infrastructure.
Je commencerai par une remise en perspective des évolutions des pratiques de mobilité au cours des deux derniers siècles. Historiquement, le nombre de trajets par jour et par personne est resté relativement stable, de même que le temps de transport. On fait trois ou quatre trajets par jour et par personne, en moyenne, auxquels on consacre à peu près une heure par jour. Le temps de transport par trajet, en moyenne, est lui aussi relativement stable. Néanmoins, il est très important d'avoir en tête qu'une accélération extrêmement forte des mobilités s'est produite : la vitesse moyenne des déplacements a été multipliée par dix ou douze, à la suite du développement de moyens de transport plus rapides, comme la voiture, et d'infrastructures telles que les autoroutes. D'une façon assez contre-intuitive, l'augmentation de la vitesse de déplacement n'a pas conduit à une baisse du temps de transport. On a plutôt profité de l'accélération de la mobilité pour parcourir des distances plus importantes – elles ont été multipliées par un facteur allant de dix à douze au cours des deux derniers siècles.
Tout cela amène à s'interroger sur les évaluations des gains en temps de transport qui sont attendus, car ce n'est pas vraiment de cette manière qu'on profite d'une accélération : on va plutôt plus loin. On peut considérer que cela présente un certain nombre d'avantages, mais on ne constate pas, globalement, une diminution des temps de transport quand on étudie la restructuration des pratiques de mobilité qui fait suite à leur accélération.
La voiture a pris une place centrale, dans une sorte de cercle vicieux de dépendance, laquelle est très forte. Parmi tous les facteurs, il y a le fait que de nouvelles infrastructures routières s'accompagnent d'une demande induite. Une explosion de l'usage de la voiture et des kilomètres parcourus s'est produite en France, en particulier depuis le début des années 1950, par un effet d'accélération lié à l'accès croissant à l'automobile. L'augmentation, très forte, des distances parcourues a eu pour répercussion une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. On observe historiquement un lien très fort entre l'augmentation de la vitesse moyenne des mobilités, les kilomètres parcourus par personne et les émissions de CO2 par personne dans le cadre de la mobilité. L'augmentation des émissions a été très forte jusqu'au début des années 2000, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'un tassement de la demande de transport se produise.
S'agissant de la stratégie nationale bas-carbone, adoptée en 2015, je rappelle que les émissions n'ont pas baissé autant que prévu et que l'objectif a donc été repoussé progressivement. La dernière actualisation de la stratégie s'est traduite par un objectif de baisse des émissions encore plus ambitieux à l'horizon 2030, alors que nous avons déjà pris du retard. Au fil du temps, la pente de la baisse des émissions nécessaire est de plus en plus forte : la rupture à réaliser par rapport à l'évolution tendancielle des émissions de gaz à effet de serre dans les transports devient de plus en plus importante. Un défi majeur devra être relevé dans ce secteur afin de répondre à l'urgence climatique.
Différents leviers peuvent être utilisés pour réduire les émissions dans le domaine des transports – la stratégie nationale bas-carbone française en cite cinq. Le premier est la modération de la demande de transport, c'est-à-dire des kilomètres parcourus. Le deuxième est le report vers des modes de transport moins émetteurs. Le troisième consiste à améliorer le remplissage des véhicules, notamment grâce au covoiturage. Le quatrième est la réduction de la consommation énergétique des véhicules par kilomètre parcouru. Le dernier levier fait appel à la décarbonation de l'énergie, notamment par le passage à l'électricité.
La création de nouvelles infrastructures, notamment autoroutières, a trois effets négatifs en matière d'évolution des émissions de CO2. Il y a, tout d'abord, la demande induite que j'ai évoquée, c'est-à-dire l'augmentation de la demande de transport par rapport à la situation dans laquelle la nouvelle infrastructure n'existait pas : plus de kilomètres sont parcourus, ce qui induit une hausse des émissions. Par ailleurs, les investissements dans des infrastructures routières favorisent, par rapport à des modes de transport plus vertueux, comme le ferroviaire, des modes comptant parmi les plus émetteurs. Le troisième effet est lié à la consommation énergétique des véhicules. La réduction de la vitesse autorisée, à 110 kilomètres à l'heure, par exemple, diminue la consommation énergétique des véhicules par kilomètre parcouru. Le contraire a tendance à se produire en cas de report vers des routes où l'on circule plus vite. Comme l'a dit Christophe Cassou, il faudrait donc passer aussi rapidement que possible à 110 kilomètres à l'heure sur les autoroutes.
S'il n'y a pas d'évolutions technologiques, liées, notamment, à l'électrification, dans les années et les décennies à venir, l'impact à l'horizon 2035 ou 2050 sera encore pire. Ces évolutions devront avoir lieu dans tous les cas, que l'on construise ou non de nouvelles infrastructures : on devra électrifier massivement. Néanmoins, toutes les évaluations qui ont été faites, y compris par le secrétariat général à la planification écologique, montrent que les évolutions technologiques seront largement insuffisantes pour atteindre nos objectifs climatiques dans les transports, notamment à l'horizon 2030. Par conséquent, il faudra aussi beaucoup de sobriété dans le cadre de la transition.
Pourquoi les véhicules électriques sont-ils insuffisants à eux seuls ? Tout d'abord, s'ils permettent de réduire les émissions, ils sont loin de n'être à l'origine d'aucune émission durant l'ensemble de leur cycle de vie – selon les études menées en France, les émissions sont divisées par un facteur allant de deux à cinq. Par ailleurs, le développement des véhicules électriques sera relativement lent. Or, pour le climat, c'est l'ensemble des émissions sur l'ensemble de la période qui compte, et non uniquement le fait d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. On sait qu'il n'y aura que 15 % de véhicules électriques à l'horizon 2030, même si ce type de véhicule représentera environ les deux tiers des ventes. Le renouvellement du parc prend du temps. On ne peut donc pas espérer à cet horizon une baisse suffisante des émissions pour atteindre nos objectifs climatiques.
Même si l'ensemble des leviers que j'ai cités étaient utilisés en même temps, le défi resterait considérable. Développer des infrastructures routières nouvelles qui vont dans le mauvais sens, celui d'une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, compliquera encore la tâche, déjà extrêmement difficile compte tenu de notre retard par rapport aux objectifs climatiques dans le secteur des transports.
Permettez-moi de commencer mon intervention en vous faisant part du désarroi d'un scientifique devant le constat d'échec de sa discipline : elle n'a pas su transformer les résultats des recherches qui ont été menées en recommandations de politique publique écoutées par les décideurs. La question des effets économiques qu'on peut attendre des autoroutes a, en effet, une réponse étayée par des décennies d'investigations, aussi bien théoriques qu'empiriques, faisant appel à des analyses macroéconomiques et de multiples études de terrain. Cette réponse a été résumée de la manière suivante par Dominique Dron et Michel Cohen de Lara, deux hauts fonctionnaires, dans un rapport ministériel publié en 2000 : « le développement socioéconomique par les infrastructures relève plus du slogan que de la réalité ».
Je vous présenterai en quelques minutes les résultats des travaux de recherche, puis les mécanismes économiques qui les expliquent, avant de revenir sur le désarroi que je viens d'évoquer.
Émile Quinet, l'économiste français de référence en matière de transports, qui est ingénieur général des ponts et chaussées et membre de la Paris School of Economics – École d'économie de Paris –, a identifié trois formes de lien entre le développement des transports, notamment les infrastructures, et la croissance.
Le premier lien, qui est le plus évident, est l'effet de chantier, en matière d'emplois et de revenus directement générés par les travaux de construction. Les effets sur l'emploi sont observés à court terme et sont directement liés à l'intensité en travail, désormais plutôt faible, de la production d'infrastructures. En effet, les grands chantiers de travaux publics sont très mécanisés et génèrent beaucoup moins d'emplois, à dépense équivalente, que d'autres types de travaux, comme la rénovation du bâti.
Le deuxième lien est plus structurel. Il repose sur l'idée que le développement des infrastructures permet, au niveau d'une économie nationale, de réduire les coûts de transport et donc le coût des produits et des déplacements, ce qui augmente la consommation des ménages et la croissance économique.
S'agissant du troisième type de lien, on attend des infrastructures de transport qu'elles augmentent le potentiel de croissance d'un pays en permettant d'intensifier les échanges et donc la concurrence – je reviendrai sur ce point. Néanmoins, des travaux de recherche montrent que si cela a été vrai, ce n'est plus le cas. Comme l'ont écrit en 2009 Lafourcade et Mayer, « la littérature économique est, comme souvent, plus nuancée sur l'impact réel des dépenses d'infrastructures. Si ces dernières ont bel et bien un effet positif, cet effet résulte pour l'essentiel des premiers investissements qui établissent le réseau, et non des extensions et/ou des aménagements effectués à un stade plus avancé. » En matière d'autoroutes, en gros, les premiers projets ont certainement apporté de la croissance supplémentaire en augmentant la concurrence au sein du pays, mais ce n'est plus vrai pour les nouveaux barreaux.
L'espoir placé dans les infrastructures repose, plus que sur les effets macroéconomiques, sur les effets locaux, et c'est d'ailleurs l'objet principal, me semble-t-il, de vos interrogations. Émile Quinet a ainsi résumé les résultats des nombreux travaux de terrain qui ont été menés : « Si les transports contribuent à augmenter l'activité dans certaines zones, il y a bien sûr des zones où elle se réduit [...]. Cette discrimination opérée par les transports, créant des zones avantagées et des zones qui ne le sont pas, se traduit par une polarisation, c'est-à-dire par un renforcement des zones fortes. » En ce qui concerne spécifiquement les autoroutes, Émile Quinet souligne que « les réseaux autoroutiers ont développé les métropoles régionales au détriment des pays qui les entourent » Au vu de ces conclusions, on peut penser que la ville de Castres a peu à gagner à la construction d'une autoroute la reliant à Toulouse, qui est le pôle le plus fort de la région.
Pourquoi toutes les observations aboutissent-elles à ces résultats ? Le raisonnement économique, assez simple, part du véritable changement, concret, tangible, que crée une nouvelle autoroute, c'est-à-dire le gain de temps de transport pour les marchandises, les travailleurs et les consommateurs. Quand on rapproche ainsi deux villes, on augmente la concurrence entre les activités économiques qu'elles hébergent, et il faut regarder quels effets se produisent lorsque ces deux villes sont des pôles urbains de taille différente, comme le sont Castres et Toulouse. Je n'ai pas le temps de présenter tous les cas de figure, mais je prendrai deux exemples.
Commençons par celui du commerce : diminuer le temps de trajet entre deux villes augmente la concurrence entre leurs commerces, c'est évident pour tout le monde. Du fait de l'autoroute, les Toulousains pourront plus facilement aller à Castres pour faire leurs courses, et vice-versa. La question qui se pose, pour savoir quelle ville sera la gagnante, est celle du flux dominant. Il y a, on le sait, une prime pour la ville ayant le plus de diversité en matière d'offre commerciale, c'est-à-dire la plus grosse des deux, en l'espèce Toulouse. Comme l'indique Émile Quinet, l'autoroute aura vraisemblablement pour effet de polariser l'activité commerciale dans le plus grand centre urbain, en l'occurrence Toulouse.
Afin d'illustrer mon propos, je prendrai le cas de l'autoroute A65 entre Bordeaux et Pau, qui a été inaugurée en décembre 2010 et qui passe par Mont-de-Marsan, préfecture des Landes. Durant la période de Noël qui a suivi, le concessionnaire de la toute nouvelle autoroute a lancé une grande campagne de communication, sur tous les panneaux d'affichage de Mont-de-Marsan, pour encourager les habitants à aller faire leurs courses de Noël dans les magasins de Bordeaux, désormais accessibles en moins d'une heure, contre une heure et quart ou une heure trente auparavant. Cela a causé un scandale chez les commerçants de Mont-de-Marsan. Ils attendaient, eux aussi, le désenclavement de la ville et de nouvelles opportunités commerciales, mais on a vu quel était l'effet de la mise en concurrence des centres commerciaux et des centres-villes.
Mon second exemple concerne une activité de production dans les services – compte tenu de leurs caractéristiques, les activités industrielles et, plus encore, agricoles, sont évidemment beaucoup moins mobiles. Prenons le cas de figure d'un assureur qui aurait une agence à Toulouse et une autre à Castres. Pourquoi en aurait-il deux aujourd'hui ? C'est parce qu'il n'est pas intéressant pour un commercial rattaché à Toulouse d'aller chercher des clients et d'entretenir des relations de clientèle à Castres. Que produira l'arrivée de l'autoroute ? Les gains de temps qui en découleront pourront rendre possible un développement de l'activité à partir d'une seule agence, dont les commerciaux iront travailler dans l'autre ville. La question qui se pose, dès lors, est de savoir quelle agence l'entreprise fermera. Le volume d'activité étant plus important à Toulouse, comme la taille du marché et les économies d'échelle, il est probable que ce soit l'agence de Castres qui ferme. Il y aura, là aussi, une polarisation.
Ce qui explique ces effets, c'est que l'augmentation de la concurrence profite en règle générale aux plus grosses métropoles, car elles ont des marchés plus grands et peuvent donc bénéficier d'économies d'échelle supérieures.
Vous me direz peut-être que cette analyse économique repose sur des exemples assez simples, que l'intervention publique et d'autres facteurs économiques ou sociaux peuvent aller à l'encontre de ces forces de marché, mais elles sont suffisamment puissantes pour qu'on puisse considérer, en règle générale, comme le montre l'expérience des soixante dernières années, que les autoroutes renforcent les zones fortes, les grandes métropoles au détriment des zones plus faibles, telles que les villes périphériques.
Ces résultats, issus de recherches scientifiques, sont corroborés par d'autres sources, comme les « bilans Loti » – loi d'orientation des transports intérieurs –, réalisés par les concessionnaires après plusieurs années d'exploitation. Voici un extrait du bilan portant sur l'A65, qui est la dernière grande autoroute construite en France : « Il en ressort que les effets d'A65 sur le territoire sont assez limités et globalement moindres que ceux attendus. Il n'y a pas eu de rupture dans les évolutions démographiques locales ni de développements spécifiques de l'urbanisation [...] Le développement économique a également été faible : peu de zones d'activités et des réalisations encore en deçà des prévisions. »
Le décalage entre la réalité et les espérances suscitées par l'infrastructure rend dubitatif, jusqu'au plus haut niveau de l'État. Claude Gressier, qui fut notamment directeur des transports terrestres au ministère des transports, a évoqué lors d'un entretien que j'ai eu avec lui en 2015 « la croyance des élus locaux », « alors qu'il a été effectivement montré et démontré qu'il n'y a pas d'effet inéluctable des infrastructures de transport sur l'emploi ». Dans le même ordre d'idées, Dron et Cohen de Lara ont évoqué en 2000, dans leur rapport, « la persistance de mythes, hissés au rang de dogmes, tels que les fausses équivalences BTP-infrastructures-désenclavement-croissance économique nationale et locale-mieux-être général ».
C'est une piste à suivre pour expliquer le constat d'échec dont je vous ai parlé. Malgré toutes les évidences scientifiques, les preuves qui s'accumulent, on attend encore des autoroutes qu'elles apportent le développement et la prospérité. Nous avons affaire à une croyance, largement partagée et puisant probablement sa source – c'est une hypothèse que je vous soumets – au XIXe et au XXe siècles, dans les bouleversements économiques gigantesques qui ont accompagné la construction des premières infrastructures de transport. Ces équipements furent dans beaucoup d'endroits, notamment les campagnes, une des manifestations les plus spectaculaires d'un changement de monde. C'est par ces infrastructures qu'est progressivement arrivée la vie bonne qu'on associe à la modernité et qui est faite d'échanges, de concurrence, d'accès à de nouveaux produits et à de nouveaux marchés. Plus tard, cet imaginaire associant infrastructures de transport et prospérité s'est nourri des grands travaux qui ont été un des outils majeurs des politiques économiques pour lutter contre la Grande Crise, puis les suivantes. Plus récemment, c'est en partie à travers ces équipements que la France a vécu ce qu'on pourrait appeler le miracle des Trente Glorieuses. On attend aujourd'hui de la nouvelle route, de la nouvelle ligne de train ou du nouvel aéroport le renouvellement d'un tel miracle. Or le rôle historique de ces infrastructures les a chargées de promesses qu'elles ne tiennent plus. Ce sont des symboles et non plus des acteurs de la prospérité économique.
J'évoquerai, en complément, les questions de l'aménagement du territoire et du désenclavement.
L'aménagement du territoire n'est pas une science exacte, mais un domaine d'étude, un ensemble de pratiques comptant des experts, des scientifiques et des décideurs et qui n'est jamais neutre. En effet, l'aménagement du territoire traduit concrètement, par des interventions directes sur la croûte terrestre, l'imaginaire des pouvoirs publics et privés, leurs représentations, leurs projections, leurs idéaux. L'autoroute, en tant que projet d'aménagement du territoire, correspond à l'imaginaire si particulier dont a parlé Julien Milanesi.
La plupart des études reposent sur un modèle ancien qui ne prenait pas en compte les défis environnementaux, climatiques et énergétiques, ni les solidarités nouvelles à créer : c'est le paradigme de la compétitivité, entre villes au sein d'une région, entre régions au sein d'un pays, entre pays d'un même continent, etc. Les études actuelles en matière d'aménagement et d'urbanisme tentent d'inventer une manière pour les acteurs publics et privés de redonner un rôle au local dans de nouveaux modèles de planification.
Le cas de Castres-Mazamet est particulièrement intéressant à cet égard. Si on s'en tient au paradigme ancien de la compétitivité entre les territoires, on peut tout à fait comprendre que des acteurs espèrent qu'un projet de type autoroutier accélère l'intégration de Castres-Mazamet dans le grand marché mondial. Si on prend en compte les nouveaux défis et les nouveaux modèles de développement, plus endogènes, Castres-Mazamet a sans doute de très forts atouts à faire valoir en matière d'aménités, de capital social et de disponibilité foncière.
La notion d'enclavement dépend de l'imaginaire auquel on se rattache. En dehors d'un besoin vital d'intégration au grand marché mondial, Castres-Mazamet n'est peut-être pas si enclavé que cela. En géographie et en aménagement du territoire, l'enclavement est une notion et non un concept opératoire qui permettrait de décrire précisément ce qui se passe dans un territoire ; il est un sentiment, comme l'expliquent les scientifiques depuis des décennies. En 1985, lors d'un colloque consacré à la notion de désenclavement, le géographe André Vigarié insistait sur le caractère subjectif de la notion d'enclavement ; il observait que l'on parlait de sentiment de désenclavement. Il concluait, au sujet de l'usage politique de la notion d'enclavement, qu'il existe des mythes du désenclavement : chaque région, disait-il, a les siens. La formule peut sembler abrupte : j'entends déjà des habitants de petites communes des monts de Lacaune – comme Albine ou Arfons –, dans le sud du Tarn, dire que ce n'est pas très sérieux et qu'il suffit de passer un hiver chez eux pour sentir ce qu'est réellement l'enclavement. Ces remarques confirmeraient que l'enclavement n'est juste que s'il renvoie à quelque chose de vécu comme tel.
Des responsables politiques et des acteurs économiques du sud du Tarn présentent l'autoroute comme un outil de lutte contre les problèmes liés à l'enclavement, ce qui est, selon eux, une nécessité vitale. Ils ont parfaitement le droit de défendre le projet et l'imaginaire qui lui est associé. Le discours relatif au désenclavement mobilise principalement deux arguments : le gain d'attractivité démographique et la contribution au développement de l'emploi. Ce sont des registres de justification légitimes en soi, que l'on peut contester ou appuyer au moyen de chiffres.
Je voudrais insister sur un point méthodologique essentiel, pour que chacun réalise ce dont il est question lorsqu'on parle d'enclavement du bassin Castres-Mazamet. L'argument de l'enclavement repose sur plusieurs affirmations : premièrement, Castres n'attirerait pas de nouveaux habitants et la démographie y stagne – c'est un point très souvent invoqué pour justifier l'autoroute ; deuxièmement, l'emploi est en assez mauvaise santé ; on y connaît des taux de chômage et de pauvreté élevés. Pour établir ces chiffres, on n'a pris en considération que l'échelle de la communauté d'agglomération Castres-Mazamet, qui est un projet politique reliant ces deux villes et quelques communes alentour. Or les statisticiens s'efforcent de longue date de comprendre ce qu'il se passe sur les territoires en prenant en compte d'autres périmètres.
En l'occurrence, je me suis intéressé à l'aire d'attraction des villes, zonage conçu par l'Insee pour appréhender la relation qu'entretiennent des villages avec une ville où se rendent leurs habitants pour travailler. De fait, il est de plus en plus rare de travailler dans sa commune de résidence. Cette approche permet de décrire la dynamique de Castres, qui est la commune centre, en prenant en compte l'attractivité démographique des petits villages qui l'entourent et qui n'appartiennent pas à la communauté d'agglomération. On peut s'intéresser également à un zonage administratif comme celui de l'arrondissement de Castres, dont le sous-préfet a la charge. Le zonage en aire urbaine, quant à lui, englobe un territoire constitué d'un bâti continu. Un zonage très utilisé en statistique est celui de la zone d'emploi, qui prend en compte les mobilités entre le domicile et le travail des actifs. Enfin, le bassin de vie englobe les aires de chalandise, de loisirs, de culture, etc. Ces différents zonages correspondent à des populations distinctes et à des densités très variables, ce qui montre que l'on ne peut pas se fier à des statistiques reposant sur un seul périmètre.
À l'échelle de la communauté d'agglomération Castres-Mazamet, on constate qu'en effet, la population n'a pas augmenté entre 2014 et 2020, ce qui peut conduire à se demander si ce phénomène est lié à l'absence d'autoroute. En revanche, si on prend en considération les autres zonages, on voit que la population s'accroît à un rythme qui, sans être extraordinaire à l'échelle de la région, se situe dans la moyenne. Des communes comme Saint-Sulpice-la-Pointe ou Rabastens, par exemple, sont en pleine expansion démographique.
Quant au taux de pauvreté, il atteint 19 % dans la communauté d'agglomération Castres-Mazamet, ce qui le place à un niveau nettement supérieur à celui de la moyenne départementale, qui s'élève à 15,7 %. En revanche, si on prend en considération les autres zonages, on voit que le taux de pauvreté est un peu plus élevé que la moyenne du département mais reste proche de celle-ci.
Enfin, le taux de chômage était, en 2020 – les chiffres ont beaucoup baissé depuis –de 15,4 % dans la communauté d'agglomération et de 12,8 %, en moyenne, dans le département. Si l'on s'intéresse au territoire castrais dans son ensemble et non pas seulement à un découpage correspondant à un projet politique, on constate que les chiffres se situent dans des moyennes classiques.
Les cartes de l'Insee montrent que Castres connaît un essor démographique, ce qui n'est pas le cas d'Albi. À l'ouest d'Albi, en direction de Toulouse, on voit très nettement se dessiner un axe constitué de villes attractives en développement. La question est de savoir si c'est le projet pour l'axe Toulouse-Castres. Au sud-ouest de Castres, on voit une série de petites communes attractives, en développement, qui ne figurent pas dans les statistiques mobilisées habituellement.
Par ailleurs, on constate qu'en 2023, le taux de chômage dans les arrondissements d'Albi et de Castres se situe dans la moyenne de la région Occitanie.
La question de l'enclavement et le recours à un registre de justifications par la mobilisation de données démographiques et d'employabilité, ou de données sociales, méritent d'être précisément analysées d'un point de vue méthodologique. À défaut, on peut passer à côté des dynamiques réelles des territoires.
Vous vous êtes appuyé sur des données de l'Insee de 2020. Or, à cette période, la crise du covid a entraîné le déplacement d'un certain nombre de citoyens vers les zones rurales dans plusieurs départements du Sud, comme le Tarn ou le Lot. Avez-vous constaté des mouvements de population vers Castres ? Si c'était le cas, cela tendrait à montrer que, malgré tout, les gens ont envie d'y habiter et que le discours sur le désenclavement ne reflète pas la réalité. Vous vous êtes fondé sur des mouvements internes au département, mais j'aimerais connaître votre analyse sur les déplacements en provenance de l'extérieur.
Le comparateur de territoires de l'Insee montre l'évolution constatée entre 2014 et 2020. L'effet covid n'est pas pris en compte. Plusieurs programmes nationaux ont été conduits récemment pour mesurer l'attractivité des zones situées en dehors des métropoles à la suite du covid : je pense notamment aux programmes de la plateforme d'observation des projets et stratégies urbaines (Popsu). Les études montrent que les effets sont très faibles, en tout cas pour le Sud-Ouest. Il y a eu un emballement médiatique concernant l'afflux de population dans certaines zones, telles que la Creuse, le Sud de la région parisienne ou le Sud-Est. Les effets liés au covid ont peut-être été moindres en dehors des axes des lignes à grande vitesse (LGV). Ils ont été très faibles, voire insignifiants dans la région Occitanie ; il n'y en a quasiment pas eu, semble-t-il, dans le Tarn. Ce dernier connaît une très forte mobilité interne, notamment au sein du bassin de vie Castres-Mazamet. Les gens se déplacent d'une commune à une autre mais restent, globalement, au sein du bassin.
Peut-être les habitants ont-ils du mal à aller à l'extérieur compte tenu de certaines problématiques qui doivent être réglées, comme les transports ?
Je comprends ce point de vue, mais on peut penser, également, que cela s'explique par la qualité des services et des équipements – je le dis en faisant abstraction de mon opposition à l'autoroute. Comme le soulignent les synthèses régionales, le bassin Castres-Mazamet se caractérise par une morphologie urbaine particulière. Il comprend deux villes assez importantes, un maillage de villes de 5 000 à 6 000 habitants et des réseaux de villes d'environ 2 500 habitants. Il dispose de centres offrant l'accès à des équipements, à des services, à des activités culturelles et aux loisirs. On y trouve une économie résidentielle basée notamment sur les services à la personne. Les habitants peuvent se rendre dans la métropole à l'occasion d'une sortie mais le bassin répond à l'ensemble de leurs besoins, comme le montre l'étude des mobilités entre le domicile et le travail.
L'autoroute ne représente qu'un volet de l'aménagement du territoire. Les choix de nos concitoyens sont déterminés non seulement par les mobilités mais aussi par des facteurs tels que le confort, les loisirs, les écoles, l'environnement, etc.
Absolument. Les études montrent que le développement du télétravail consécutif au covid a accru la déconnexion avec la métropole en dehors des deux ou trois jours par semaine où l'on y travaille. Les gens ne ressentent pas le besoin de vivre à côté de la métropole. Les études semblent montrer l'existence d'une nette dissociation entre le lieu du télétravail et celui de l'entreprise. Cela signifierait que les gens ne cherchent pas à avoir un accès plus rapide à la métropole. La distance séparant le domicile de cette dernière ne paraît pas être un critère déterminant, comme le montrent les travaux très récents de Magali Talandier.
La science peut aider les politiques à faire avancer les projets, en particulier lorsque ceux-ci s'inscrivent dans la durée. Le Parlement doit se saisir de ce sujet. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) pourrait jouer un rôle à jouer en la matière.
Les propos de M. Bénos illustrent très explicitement le fait que l'enclavement est un sentiment – je reprends à mon compte cette affirmation. Contre des sentiments, il faut disposer d'études documentées. Celle que vous avez présentée, monsieur Bénos, est d'autant plus intéressante qu'elle est accessible à tous. J'ai mené une recherche similaire concernant d'autres villes pour montrer qu'il n'y avait pas nécessairement de lien entre l'existence d'une autoroute et la bonne santé économique du territoire – en prenant en compte notamment la présence d'entreprises et le niveau de l'emploi. Il a été parfaitement démontré que la présence d'une autoroute ne conditionne pas la richesse du territoire. Dans le cas contraire, Perpignan ne serait pas une des villes les plus pauvres de France, alors qu'elle est non seulement bordée par une autoroute mais également desservie par le réseau ferré et située dans une zone transfrontalière.
Monsieur Cassou, pourriez-vous évoquer, comme vous l'avez annoncé dans votre présentation, la compensation environnementale, qui est l'un des points abordés dans le questionnaire que je vous ai adressé ?
La compensation carbone a été mise en avant comme étant la seule façon de prendre en compte les dégradations environnementales, mais cet argument ne résiste pas aux faits. Les mesures de compensation se fondent sur le principe d'équivalence, qui est aujourd'hui très contesté par la communauté scientifique compte tenu de la complexité des écosystèmes. On ne saurait remplacer ces derniers au moyen d'une traduction comptable des services qu'ils rendent car on ne tient pas compte des interactions, par exemple entre les espèces. Le copier-coller, qui inspire le principe d'équivalence, reflète une vision humaine ou, plus exactement, une illusion humaine.
On peut aujourd'hui commencer à évaluer les projets de compensation qui, au-delà de l'A69, ont démarré il y a quelques années. À de très rares exceptions, les nombreuses évaluations réalisées, que l'on trouve dans la littérature scientifique, confirment que la compensation n'est pas efficace. Les nouvelles plantations et les espèces générées par la compensation subissent de plein fouet les effets du changement climatique, qu'il s'agisse de la sécheresse, de la présence de parasites ou des incendies. Ce sont des phénomènes bien documentés. On a manqué, dans une mesure variable, les objectifs de compensation carbone annoncés dans le cadre de précédents projets. Alors que les dommages créés par des aménagements tels que les autoroutes sont immédiats, certains et inscrits dans la durée, les effets de la compensation sont, au contraire, différés dans le temps, hypothétiques et impossibles à garantir à long terme.
La France se caractérise par l'état sanitaire très préoccupant de ses écosystèmes. Au risque de choquer, je dirais que le fait de communiquer sur des formes de compensation « à la façon A69 » s'apparente à du greenwashing. Les chiffres du ministère de l'agriculture et du Haut Conseil pour le climat montrent que nos puits de carbone s'effondrent : la perte de leur capacité d'absorption a atteint près de 50 % en une dizaine d'années. Les chiffres du ministère montrent que plus de 50 % des nouvelles plantations n'ont pas survécu à l'année 2022, qui constitue un avant-goût du climat de demain – c'est-à-dire de 2040 ou 2050.
La bascule des écosystèmes devient de plus en plus probable. Les puits de carbone peuvent devenir, en quelques années, des sources de carbone, comme cela s'est produit en République tchèque. Dans ce contexte, chaque arbre compte. Les études d'observation par satellite, en France et en Europe, montrent que les grands arbres meurent moins par le fait du changement climatique et stockent davantage de CO2. Il est donc essentiel de les préserver car ils ne sont pas compensables aux échelles qui nous intéressent. Toutes ces données ont été clairement exposées, la semaine dernière, lors du colloque intitulé « L'urgence climatique : un tournant décisif ? » à l'Académie des sciences.
Dans le projet de l'A69, la compensation est vraiment prise à la légère, comme l'atteste la surenchère sur le nombre d'arbres plantés par arbre abattu. Au début, on parlait d'un arbre planté par arbre abattu ; on en est aujourd'hui à cinq arbres plantés par arbre coupé. Ce chiffre figure uniquement dans un communiqué de presse d'Atosca et ne s'inscrit nullement dans un cadre réglementaire. Je ne parle ici que de la compensation carbone et non de celle des zones humides, qui sera abordée par Jacques Thomas demain, me semble-t-il.
La littérature scientifique montre que, dans tous les pays – la France ne fait pas exception –, la compensation permet aux acteurs de se dédouaner de leurs responsabilités concernant l'artificialisation des surfaces, les enjeux fonciers et l'atteinte portée à la biodiversité.
Le projet de l'A69 s'inscrit de surcroît dans un cadre régional particulier. J'ai participé à ce que l'on appelle le Giec régional, qui se nomme, dans notre région, le Reco – réseau d'expertise sur les changements climatiques en Occitanie. Celui-ci évalue les risques climatiques et les émissions par secteur, et établit des recommandations qui doivent nous permettre de respecter la stratégie nationale bas-carbone. Le cadre applicable à l'Occitanie est particulièrement exigeant, s'agissant notamment de la baisse des émissions liées au transport. En effet, dans la région, ces dernières représentent 40 % des émissions, contre 32 % à l'échelon national, selon les chiffres de l'agence régionale énergie et climat (Arec). La région Occitanie doit donc accomplir des efforts plus élevés pour respecter la stratégie nationale bas-carbone, qui a été définie par la loi.
J'ai demandé à différentes personnalités politiques quels secteurs compenseraient le dérapage du poste des transports dû à l'A69, mais je n'ai pas obtenu de réponse. Il convient non seulement de respecter le budget carbone de la région mais aussi de désartificialiser et de dépolluer. Le coût du surcroît d'émissions de gaz à effet de serre dû à l'A69 a été chiffré à 50 millions, et aucune compensation carbone n'est envisageable du fait de l'atteinte portée à la biodiversité et aux services écosystémiques – de grands arbres étant coupés. D'autres secteurs devront-ils, à titre de compensation, abandonner des projets ? A-t-on envisagé de faire jouer la solidarité avec d'autres régions ? En a-t-on déjà discuté ? On ne négocie pas avec le budget carbone car chaque tonne de CO2 contribue à accroître le réchauffement. Le climat se moque de l'origine géographique des émissions de CO2. En effet, c'est un gaz que l'on dit mélangé. Une molécule de CO2 émise à Castres ou à Paris fait le tour de l'hémisphère Nord en trois semaines, en moyenne, passe dans l'hémisphère Sud en six mois et fait le tour de la planète en un an. Chaque tonne de CO2 compte : c'est pourquoi il est essentiel de se pencher sur le volet de la compensation carbone, qui ne figure nulle part.
Il est très intéressant de disposer des données scientifiques qui permettent de documenter et de fonder notre conviction écologique. On ne peut pas négocier avec les gaz à effet de serre, parce qu'eux ne négocient pas avec nous.
Au moment où le projet de l'A69 a été lancé, les scientifiques ont-ils alerté l'État ? Avez-vous contribué à améliorer le projet ? Dans le cadre de ces projets publics, est-ce que ce sont les scientifiques – dans toute la diversité de leurs domaines – qui vont vers le politique ou le politique qui va vers les scientifiques ?
Je vous fais également part de deux questions de M. Jean Terlier.
Parallèlement à vos travaux universitaires, vous vous engagez contre l'autoroute A69. Or ce projet, devenu un chantier, a constamment reçu l'appui des élus locaux. Ceux qui le soutiennent sont constamment élus et réélus aux élections locales et nationales, qu'il s'agisse de la mairie de Castres et des communes formant la communauté d'agglomération, du département ou de moi-même aux élections législatives. Jusqu'à quel point peut-on, même au nom d'arguments scientifiques, s'opposer au suffrage universel ?
L'émission de gaz à effet de serre est un argument avancé par les opposants à l'autoroute. Mais le recours croissant aux véhicules hybrides et électriques ne va-t-il pas, à l'échéance de dix ans environ, résoudre ce problème ? La réglementation européenne prévoit la fin de la vente des véhicules thermiques neufs en 2035 et un objectif de neutralité carbone en 2050.
Cela fait trente ans que les scientifiques tirent la sonnette d'alarme. Il y a eu l'accord de Paris en 2015, après le Grenelle de l'environnement en 2007 et 2008, qui était, rétrospectivement, assez ambitieux. Sciences et société entretiennent une relation continue. Dire que l'on ne savait pas en 2007 est faux. Les projections et les risques climatiques actuels étaient déjà listés dans le quatrième rapport du Giec, sorti en 2007 – et sa déclinaison régionale était la même.
La surprise climatique, qui inquiète énormément la communauté scientifique, vient de l'effondrement des puits de carbone, une menace que nous avons sous-estimée. Alors que nous connaissons leurs risques, qui sont majeurs, rapides et qui auront des effets importants sur l'agriculture et sur la sécurité alimentaire, continuer à jouer avec les émissions de gaz à effet de serre est particulièrement dangereux et irresponsable.
La déclinaison régionale des risques a commencé très tôt. Les Groupes régionaux d'experts sur le climat (Grec) ont été fondés après l'accord de Paris ; on ne peut pas reprocher aux scientifiques de ne pas avoir communiqué sur les risques. Ce qui manque, et qui est évalué dans le dernier rapport du Giec, ce sont des espaces partagés. Le politique n'assume pas son rôle de créer et de garantir des espaces de dialogue partagés, afin de définir une vision commune pour un avenir commun. Il n'y a pas d'espace partagé de ce type qu'il serait intéressant de mettre en place.
Quelle forme devraient-ils prendre ? Par ailleurs, le Giec notamment produit des rapports en direction des pouvoirs publics.
Le Giec ne s'adresse pas uniquement aux pouvoirs publics. Ses rapports sont approuvés à l'unanimité par l'ensemble des représentants de l'État. Les conclusions dont je vous ai fait part ont donc été signées par la France, qui ne respecte pas ses engagements ni ses conclusions.
Il y a divers types d'espaces partagés : des conventions citoyennes régionales ou locales. Il aurait été très intéressant que tous les acteurs du projet se retrouvent dans une convention citoyenne même régionale, portant par exemple sur la mobilité. Pour revenir sur les propos de Jean Terlier, une grande partie des élus…
Certains élus sont favorables à cette autoroute. Je pense qu'il y a un déficit de connaissance et d'information, dans la mesure où la plupart des élus – en tout cas ceux avec lesquels j'ai échangé – n'ont pas du tout en tête les chiffres et les risques associés au changement climatique. Il est dès lors très difficile de se former une opinion objective. Si les élus étaient informés des enjeux et disposaient de chiffres objectifs, traçables, publics, à propos de l'A69, je pense qu'une grande partie d'entre eux réviserait leur jugement.
Cette audition n'est pas un face-à-face de la présidente avec les scientifiques auditionnés.
Madame la rapporteure, pour l'instant, je ne vous ai pas agressée, alors laissez-moi finir et calmez-vous.
Je suis très calme. Je vous informe seulement que d'autres personnes souhaitent intervenir.
Certaines tendances technologiques permettront d'améliorer la situation, mais cela ne suffira pas à atteindre les objectifs climatiques. Elles doivent s'accompagner d'un effort de sobriété. À l'horizon 2030, seulement 15 % du parc automobile sera électrique, ce qui signifie que 85 % des véhicules consommeront encore du pétrole. À l'horizon 2035, qui est celui de la fin des ventes de véhicules thermiques, qui continueront toutefois à circuler, environ 35 % des véhicules seront électriques. Ce mouvement vers l'électrique est nécessaire, et il est déjà engagé – autoroute ou pas –, mais il faudra aussi que les pratiques deviennent plus sobres, ce qui passe notamment par une réduction des distances parcourues, un moindre recours à la voiture par rapport à d'autres modes de transport plus vertueux, une diminution des consommations énergétiques, grâce à une baisse de la vitesse, à l'allègement des véhicules et à d'autres éléments sur lesquels il faudra travailler en parallèle de l'électrification.
Pour répondre à Jean Terlier, au-delà de l'opposition des scientifiques aux élus sur certains projets, il faut aussi prendre en compte le rôle de toutes les associations, de tous les collectifs, et se demander pourquoi désormais tout projet d'équipement se retrouve contesté. Ces débordements, qu'ils soient associatifs, militants, politiques ou scientifiques, ne questionnent-ils pas en réalité le continuum politique intrinsèquement lié à l'organisation sociale, économique et politique qui a produit notre état de dégradation environnementale ? Même s'ils sont réélus, ce qui pourrait leur faire accroire qu'il n'y a pas de problème, comment les élus peuvent-ils ne pas s'interroger sur toutes ces mobilisations ?
Je n'ai pas très bien compris la remarque de M. Terlier, qui oppose la légitimité scientifique à la légitimité démocratique. La science ne se joue pas à la majorité ! Y aurait-il 100 % de Tarnais ou d'élus qui seraient favorables à l'autoroute et penseraient que le réchauffement climatique n'est pas un problème, la science continuerait à dire le contraire.
Il y a vingt ans, les scientifiques contestaient déjà ce type de projet. Lors du Grenelle de l'environnement, M. Borloo avait même annoncé dans les médias que nous n'augmenterions plus la capacité routière du pays, sans que cela se soit traduit par des décisions publiques. La question de l'augmentation de la capacité autoroutière dans notre pays, qui est déjà très richement doté, n'a donc rien de nouveau.
À ma connaissance, le projet de l'A69 n'est pas intégré dans un projet de territoire, du type Scot – schéma de cohérence territoriale –, Sraddet – schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires – ou PLU – plan local d'urbanisme. Quelles en sont les conséquences ?
Les promoteurs du projet mettent en avant ses retombées économiques. Mais vous expliquez les difficultés que l'autoroute pourrait poser aux commerçants de Castres, par exemple. Dans le cadre des auditions pour la pétition, j'avais été frappée par le témoignage des agriculteurs, qui considéraient que leur activité allait être enclavée, du fait du démantèlement de leurs terres et de leurs transporteurs qui utiliseraient plutôt les petites routes, où ils seraient ralentis par les nouveaux ronds-points. Pour eux, l'autoroute serait plutôt un frein et ils avaient l'impression que leur activité n'avait pas du tout été prise en compte. Ce projet n'est-il pas au seul service du développement économique – supposé ! – d'un unique secteur d'activités, le secteur entrepreneurial et industriel – on connaît le rôle de l'entreprise Pierre Fabre dans sa genèse ? D'autres secteurs ne pourraient-ils pas être perdants ?
Enfin, le ministre Beaune m'avait répondu que, pour un arbre coupé, cinq seraient replantés. Mais on avait l'impression que ce chiffre sortait d'un chapeau. A-t-il une réalité ? Peut-on mesurer le nombre d'arbres coupés pour savoir combien en replanter pour « compenser » ? Leur perte est-elle réellement compensable ? Par ailleurs, une mare ayant été créée pour répondre à la disparition d'une zone humide, NGE – Nouvelles Générations d'entrepreneurs – a mandaté l'entreprise Maita pour raser cinquante peupliers dans une réserve naturelle, au Dicosa à côté de Saïx. N'est-ce pas contreproductif ?
Je remercie les scientifiques, qui nous font part de réalités et non d'opinions.
Je souhaite revenir sur la question du désenclavement et du gain de temps estimé à treize minutes, un argument qui revient régulièrement. Vous avez donné l'exemple de l'autoroute A65 Pau-Langon, sur laquelle ce supposé gain de temps ne s'est pas vérifié, dans la mesure où un effet d'entonnoir s'exerce à ses points d'entrée. Par ailleurs, le coût de l'autoroute va créer des inégalités et ceux qui n'auront pas les moyens de se payer le trajet se retrouveront sur l'ancienne route, confrontés à de nouvelles contraintes. À combien estimez-vous le gain de temps réel ? Le ratio entre celui-ci et le coût du trajet vous semble-t-il avantageux ?
Un projet de territoire se fait toujours avant une infrastructure. C'est une notion qui arrive dans les années 1999, avec la fameuse loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU. L'idée est d'instaurer un principe de solidarité entre les communes d'un territoire pour réfléchir à qui aura un échangeur d'autoroute, qui une zone d'aménagement concerté (ZAC).
Je vous confirme que l'autoroute n'apparaît pas sur les documents de planification. Avec mon collègue François Taulelle, j'ai publié une note, disponible en ligne, qui reprend cette liste et que je pourrai vous fournir. Le Scot Autan-Cocagne, qui était à l'arrêt depuis 2016, a été rendu caduc par le préfet en 2022. Un nouveau Scot est prévu. Je pense qu'il n'y a eu, en réalité, aucune planification. Les maires sont d'accord et réélus, certes, mais en fait cette autoroute arrive à un moment où plus personne ne la voyait venir, ce qui est très paradoxal. Elle arrive peu à peu ; même les documents de planification et d'urbanisme ne l'ont pas vue arriver ! C'est très révélateur d'une absence de préparation.
Nous ne sommes pas les seuls à regretter l'absence de projet de territoire. Le promoteur et les défenseurs de l'A69 en ont senti l'urgence, puisqu'ils ont lancé un comité de développement territorial (Codev) en novembre 2022, soit trois mois avant le début du chantier ! Un fichier PowerPoint circule, résumant les réflexions de ce comité qui a pour mission de préparer le projet de territoire. Un article de la presse régionale relatait, la semaine dernière, la tournée du préfet dans les villages qui auront un échangeur pour voir quelles zones sont susceptibles d'être urbanisées et comment s'organiseront les traversées de villages et les travaux pour élargir les voies, étant donné le déport. Tout porte à croire qu'il n'y a eu absolument aucune préparation et que cela se fait en ce moment. Même ceux qui espéraient le plus l'autoroute ne l'ont pas vue venir aussi vite.
Je ne peux pas vous répondre très précisément sur les secteurs d'activités qui pourraient être concernés par le projet, mais les effets attendus sont très faibles. On parle d'un gain de quinze minutes. Comment cela pourrait-il produire des transformations aussi profondes que celles qui sont avancées ? Comment quelque chose d'aussi petit peut-il générer de si grands espoirs ? Comment augmenter la concurrence à partir de quinze minutes économisées ? Quand on va faire ses courses de Noël à Toulouse, quinze minutes peuvent compter. Mais quelles activités seront structurées par un gain de temps aussi faible ?
Par ailleurs, ce gain de temps coûte le prix d'une heure de Smic – l'A65 est soit dit en passant, je crois, l'autoroute la plus chère de France, avec un aller simple à 20 euros. Qui va donner deux heures de son salaire chaque jour pour aller travailler ? Les projections sur le trafic ne concernent donc qu'une catégorie de la population, celle qui est en mesure de payer le péage. En matière de développement économique, comme on pouvait s'y attendre, l'A65 n'a pas apporté grand-chose et, en 2020, le trafic était deux fois inférieur à celui qui avait été estimé par le concessionnaire.
La compensation carbone peut se mesurer, même si les indicateurs sont très discutés. On peut, par exemple, mesurer la couverture foliaire des arbres qui vont être abattus. Mais je n'ai pas trouvé ce genre d'études dans le dossier. C'est pour cela que je pense que ce volet est vraiment pris à la légère.
J'insiste de nouveau sur un point : pour qu'un nouvel arbre capture la même quantité de carbone que des grands arbres, il faut attendre à peu près trente ans. Cela veut dire que, pendant toute cette période, les jeunes arbres ne vont pas capturer de carbone. Je reprends ma casquette de géophysicien : c'est le cumul de CO2 qui compte, soit pas seulement la cible mais la trajectoire. Pendant trente ans, ce sont donc, au mieux, 50 % des émissions de CO2 qui vont rester dans l'atmosphère, sans possibilité de retour en arrière. Le principe de la compensation carbone n'est pas adapté à la rapidité des changements climatiques. La littérature scientifique est très claire sur ce sujet.
Au nom du président et des membres de la commission, je tiens à vous remercier pour la pertinence de vos interventions qui ont permis d'éclairer le Parlement sur les aspects scientifiques de notre commission d'enquête.
Je voulais rappeler quelques éléments concernant les données scientifiques. Le rapport Meadows date de 1972. Évidemment, il n'est pas documenté comme l'ont été les rapports du Giec, mais les alertes sont anciennes. Récemment, Dennis Meadows a dit que le scénario le plus catastrophique, qu'il n'avait pas retenu dans son rapport, est celui qui est en train de se produire. Faits scientifiques et légitimité démocratique ne doivent pas s'opposer : ils n'ont rien à voir.
Je voulais vous remercier infiniment pour tous les points que vous avez abordés. Vous avez posé les pierres, les graviers ou disons les petites herbes sur lesquels nous pourrons fonder les travaux de notre commission d'enquête. Son objectif est de vérifier que les conditions juridiques environnementales et financières du contrat ont été respectées. Les arbres et la compensation carbone, c'est un sujet juridique. Le gain de temps annoncé est aussi d'ordre juridique, parce qu'il fait partie du contrat et des éléments de l'appel d'offres. Le tarif est également un élément juridique. Merci beaucoup !
La commission auditionne M. Éric Vindimian.
Nous poursuivons nos travaux consacrés au volet environnemental de l'autoroute A69.
Notre président, Jean Terlier, retenu par d'autres obligations, vous prie de l'excuser de ne pouvoir présider notre réunion.
Je souhaite la bienvenue à M. Éric Vindimian, rapporteur de l'avis de l'Autorité environnementale du 5 octobre 2016 rendu en vue de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique, et rapporteur de l'avis, en date du 6 octobre 2022, portant sur les autorisations environnementales de la mise à deux fois deux voies de l'autoroute A680 et sur la construction de l'A69 entre Verfeil et Castres.
Nous commençons avec vous les auditions portant sur les actes et avis préalables à la convention de concession entre l'État et la société Atosca, dont une grande partie, qui a un caractère public, a été transmise aux membres de la commission.
Notre audition est publique et retransmise sur le portail internet de l'Assemblée nationale.
Monsieur Vindimian, il convient préalablement à votre intervention de respecter une procédure : en application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Éric Vindimian prête serment.)
Vous avez eu une longue carrière professionnelle au sein de l'État et de divers organismes chargés de la santé, de la protection des populations et de l'environnement. Il était donc logique que vous deveniez membre de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd) ainsi que de l'Autorité environnementale. C'est à ce dernier titre que vous avez été rapporteur de ses deux avis relatifs à l'A69.
Vous avez eu l'obligeance de nous communiquer les réponses très complètes que vous avez apportées au questionnaire que nous vous avions transmis : je les ai fait parvenir à tous les membres de cette commission d'enquête, afin qu'ils disposent des éléments leur permettant d'apprécier les conditions juridiques et financières du contrat de concession, sur un dossier dans lequel je souhaite introduire la transparence qui lui a fait souvent défaut. Elles montrent qu'au-delà des procédures, dont nul ici ne conteste le respect, et bien que j'attende toujours une réponse du préfet du Tarn à ma demande au sujet du déclassement environnemental du bois de la Crémade, ce projet pose bien, sur le fond, des problèmes environnementaux. Mais à vous lire, une fois ceux-ci mis en lumière, il n'existe aucun moyen, pour l'Autorité environnementale, de veiller à ce que ses recommandations soient suivies d'effet.
C'est pour moi, qui ai fait valoir mes droits à la retraite, un dossier déjà quelque peu ancien, raison pour laquelle j'ai tenu à mettre par écrit les éléments requérant la plus grande précision.
Le fonctionnement de l'Autorité environnementale témoigne d'une certaine complexité administrative. Si le projet relève de la région et est jugé par un préfet, l'autorité environnementale n'est pas la même que si le projet est national, jugé par un ministre. Si le décideur d'un projet national ayant un impact environnemental n'est pas le ministre en charge de l'environnement ou des transports, c'est le ministre de la transition écologique qui a autorité, mais si le décideur est le ministre de la transition écologique – comme c'est le cas, depuis la création de ce grand ministère, dans les projets d'aviation civile, de transport ou d'aménagement du territoire – c'est alors à l'Autorité environnementale qu'il revient de rendre un avis. Au sein du ministère, et plus particulièrement au sein de l'Igedd, l'Autorité jouit d'une grande autonomie, les fonctionnaires qui y sont nommés n'ayant pas de compte à rendre à ce titre à l'Igedd.
Pour asseoir cette indépendance, l'Autorité environnementale aurait pu avoir le statut d'autorité administrative indépendante sur le fondement d'un texte législatif, mais ce n'est pas le cas. Elle doit cette indépendance à la dimension très collégiale de son travail: les avis sont préalablement rédigés par des rapporteurs – c'est le rôle qui a été le mien dans ce dossier de l'A69 – avant d'être discutés et débattus par tous les membres du collège. L'avis est ensuite immédiatement mis en ligne afin que, dans une perspective démocratique, il puisse être consulté par le public et les décideurs. Cela évite également les pressions : si le cabinet du ministre nous sollicite pour obtenir des informations, nous lui signalons simplement que tout est en ligne. En dix ans, je n'ai jamais subi de pression.
L'Autorité environnementale ne se prononce pas pour ou contre un projet : il est donc faux de prétendre, comme a pu le faire la presse, que nous avons étrillé le projet d'A69. Nous donnons notre avis sur la prise en compte de la dimension environnementale d'un projet et formulons des recommandations afin de l'améliorer. Nous ne nous sommes pas posé de question sur l'opportunité, en tant que telle, de faire parvenir une autoroute jusqu'à Castres : mais nous avons rapidement relevé, au regard de la question environnementale, un certain nombre de lacunes qui n'ont pas été comblées entre les deux avis que nous avons rendus.
Notre premier avis, en date du 5 octobre 2016, portait sur la déclaration d'utilité publique, dont l'État, qui n'avait pas encore choisi de concessionnaire, avait besoin pour faire avancer le dossier et commencer les expropriations. Il ne s'agissait pas formellement d'une autorisation environnementale, mais nous disposions néanmoins d'une étude d'impact dont l'État était le maître d'ouvrage. Quand nous nous sommes rendus sur le site, comme nous le faisons systématiquement – et comme vous allez le faire –, nous avons donc été reçus par le directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement, agissant pour le compte du préfet.
En 2022, c'est par la société Atosca, à laquelle la concession avait été attribuée, que nous avons été saisis d'un projet d'autorisation environnementale. Nous lui avions alors demandé, sans obtenir satisfaction, d'avoir accès au contrat de concession. Pourtant, au regard des objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre, l'État pourrait être amené à décider l'abaissement de la vitesse maximale autorisée de 130 à 110 kilomètres par heure, ce qui pourrait rendre l'autoroute moins attractive pour les usagers et entraîner ainsi une perte de revenus pour le concessionnaire. L'État ou les collectivités – la région Occitanie étant assez favorable au ferroviaire – peuvent également décider de développer le réseau ferré, en augmentant le nombre de points où les trains pourraient se croiser au lieu de l'actuelle voie unique, ou bien en électrifiant partiellement le réseau, en dépit du coût d'une telle opération. Là encore, l'entreprise pourrait estimer que les conditions économiques de sa concession ont changé. Des clauses prévoient-elles des compensations financières dans de pareilles éventualités ? Savoir cela nous aurait permis de mieux analyser, en prospective, la question environnementale, notamment celle des émissions de gaz à effet de serre. Mais, en dépit de notre qualité de fonctionnaires soumis au secret professionnel, nous n'avons pas eu accès à ces éléments.
Nous avons donc travaillé avec les données dont nous disposions. Elles ont peut-être été actualisées depuis : on parle maintenant d'un gain de temps de quinze minutes pour relier Castres et Toulouse, tandis qu'on l'évaluait, en 2002, à trente-cinq minutes. Je m'étais alors livré à une démonstration par l'absurde : un tel gain aurait impliqué une vitesse moyenne de plus de 150 kilomètres par heure. Le gain de temps pour les usagers a donc été manifestement surévalué, faussant dès lors l'analyse économique en raison du poids très important qu'on choisit de donner à ce facteur. Dans son rapport de 2016, le secrétariat général pour l'investissement s'était également montré très dubitatif sur cette question, relevant, comme nous, des difficultés relatives au calcul des coûts en matière climatique, étant donné l'augmentation du coût du carbone. La rentabilité de cette autoroute ne lui avait pas paru garantie, et il l'avait comparée à l'A66 entre Pamiers et Toulouse dont le « bilan Loti » (loi d'orientation des transports intérieurs) est négatif, le trafic et les gains de temps ayant été surévalués.
Ces questions, qui ne sont pas directement environnementales, sont les paramètres qui nous permettent d'évaluer la manière dont l'environnement a été pris en considération. Les émissions de gaz à effet de serre dépendent de la vitesse et du trafic : il faut donc que l'estimation de ces derniers soit fiable pour que le calcul des premières soit sincère, et il en va de même pour celui de la pollution.
Des choses nous ont donc paru un peu étranges dans ce dossier, qui n'a pas été mis à jour entre 2016 et 2022, alors que les conditions économiques ont vraisemblablement changé. À notre demande, le maître d'ouvrage nous a envoyé une nouvelle étude de trafic : ces nouveaux chiffres ne sont pas les mêmes que ceux de l'étude d'impact, et je ne sais pas s'ils ont été joints au dossier présenté lors de l'enquête publique. Ils font apparaître, entre Toulouse et Castres, des temps de parcours relativement faibles en empruntant la route nationale et les déviations permettant d'éviter les centres-villes. Si le travail avait été fait sérieusement, on aurait commencé par refaire l'étude de trafic, refaire les calculs d'émissions de gaz à effet de serre, refaire les calculs d'émissions de polluants, qui ont des impacts sur la santé. Nous avons donc formulé des réserves et des recommandations sur ces différents points.
Le droit indique également que le maître d'ouvrage doit faire une étude de variantes, c'est-à-dire exposer les solutions de substitution raisonnables qu'il a envisagées. Mais il n'a comparé – et l'on peut se demander pourquoi – que du routier avec du routier, en examinant ce qui se passerait si l'on doublait la route nationale 126 dans l'objectif d'une circulation à la même vitesse que sur l'autoroute. Il arrive évidemment à une solution sans intérêt au plan économique ou environnemental. Si l'on roule à la vitesse d'une autoroute sur une route nationale, les mêmes contraintes s'appliquent : comme on ne va pas traverser les villages à 130 kilomètres par heure, il faut multiplier les déviations et les aménagements qui peuvent, au bout du compte, coûter aussi cher qu'un projet neuf. Il conclut donc à la nécessité d'un trajet neuf, en récupérant seulement les déviations de Soual et de Puylaurens qui sont déjà au gabarit autoroutier. Une anecdote : quand j'ai visité le site en 2016, nous roulions à 110 sur une de ces déviations mais mon interlocuteur de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) m'a affirmé qu'on y roulera bien à 130 quand elle aura été raccordée, sans aucun aménagement nouveau, à la future autoroute, seule sa gratuité empêchant de le faire dès à présent. J'ai trouvé le propos pour le moins étonnant.
Je vois deux grosses lacunes dans l'analyse de variantes qui a été faite. La première, c'est que l'on s'est contenté de comparer du routier avec du routier, sans chercher une variante qui aurait permis de minimiser l'artificialisation du territoire. Ce n'était pas encore le cas en 2016 mais, en 2022, l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN) avait été inscrit dans la loi. Or on prévoyait d'artificialiser 500 hectares, ce qui est considérable : comment atteindre cet objectif et celui de zéro perte nette de biodiversité avec de telles surfaces ? Nous sommes convaincus qu'il aurait fallu faire plus d'évitement et diminuer considérablement l'emprise de cette autoroute.
Pourquoi avoir cherché à faire une autoroute, et non à améliorer la mobilité entre Castres et Toulouse ? Ce n'est pas la même façon de poser le problème. Quand nous leur avons demandé pourquoi ils n'avaient pas envisagé de rénover la ligne ferroviaire, ils nous ont dit que c'est parce qu'elle ne passe pas au même endroit. Mais cela n'a aucune importance ! Aujourd'hui, je vous parle en visioconférence ; les petits paquets d'information que je vous transmets à travers la toile ne passent pas tous par le même chemin pour vous parvenir. Pour aller de Castres à Toulouse, peu importe le trajet. L'essentiel, c'est d'y arriver dans de bonnes conditions de confort. Or le train présente de nombreux avantages : il émet moins de gaz à effet de serre, il crée moins d'accidents et pollue moins les centres-villes. Une cheffe d'entreprise de Castres, qui est opposée au projet d'autoroute, me disait par ailleurs qu'elle se rendait régulièrement à Toulouse pour le travail et qu'elle aimait y aller en train, même si c'est un peu plus long, car elle pouvait y lire et travailler à ses dossiers. Elle ne perdait donc pas de temps en réalité.
Il aurait été intéressant que l'analyse des variantes soit multimodale et se demander, non pas comment aller le plus rapidement possible de Castres à Toulouse en voiture, mais comment y aller dans de bonnes conditions de confort, de temps et de protection de l'environnement.
Nous nous sommes posé aussi la question de la pollution de l'air. En rase campagne, le trafic ne sera pas très important et ne devrait pas poser trop de problèmes mais si l'on fait converger tous les habitants de l'Occitanie vers Toulouse en voiture, la question de la qualité de l'air va s'y poser. Or la pollution de l'air cause des maladies et fait des morts : les études épidémiologiques l'ont montré. Après que la France a été condamnée par la Cour de justice de l'Union européenne pour avoir insuffisamment protégé ses citoyens contre la pollution de l'air, des zones à faibles émissions (ZFE) ont été créées. Mais cela pose de nouvelles questions : si l'on ne peut plus entrer à Toulouse qu'avec une voiture électrique ou une voiture très peu polluante, est-ce que ce seront les mêmes trafics ? S'il y a une congestion autour de Toulouse, le temps de trajet ne risque-t-il pas d'être modifié ? Nous aurions aimé que ces questions soient abordées.
En outre, pour tout ce qui concerne l'impact sur les espèces protégées, on invoque des raisons impératives d'intérêt public majeur (RIIPM). Or on a le sentiment que cet intérêt public majeur n'a pas vraiment été démontré dans l'étude d'impact. Peut-être l'a-t-il été depuis, car il s'est passé des choses depuis 2022, mais je l'ignore car nous ne faisons pas le suivi de nos recommandations. Ce n'est pas notre mission : on ne nous demande pas de suivre les dossiers. Du reste, si nous devions le faire, nous ne le pourrions pas. Nous avons plus d'une centaine d'avis à remettre chaque année et chaque dossier mobilise deux rapporteurs. Je crois que le dossier relatif à l'A69 faisait plus de 7 000 pages. Il faut en prendre connaissance, puis rédiger un rapport. Depuis que le délai de remise du rapport est passé de trois à deux mois, nous avons vraiment du mal à répondre dans les temps. Il nous arrive désormais de rendre des avis tacites, même si nous nous étions toujours juré de ne pas le faire.
J'aimerais dire un mot de la séquence ERC (« éviter, réduire, compenser »). Lorsqu'on fait une étude d'impact, on met en évidence des incidences brutes. On se pose ensuite la question de l'évitement : que peut-on ne pas faire ou faire différemment pour que ces incidences brutes n'existent pas ? En général, on se pose cette question très en amont du projet, au moment de l'analyse des variantes. L'évitement est donc assez vite traité.
Se pose ensuite la question de la réduction : il s'agit de réduire les incidences qui demeurent après l'évitement. Pour réduire des émissions de gaz à effet de serre, une solution simple consiste par exemple à diminuer la vitesse ; pour réduire des émissions de bruit, on met des murs antibruits, etc. Il existe aussi un tas de mesures qui permettent de réduire l'impact d'un chantier sur la biodiversité : arroser les pistes pour éviter que les poussières s'envolent ; mettre des barrières pour éviter que les animaux traversent le chantier, etc.
Le troisième temps est celui de la compensation et c'est là que les choses deviennent très difficiles. Il s'agit de créer des impacts environnementaux positifs, a priori pas trop loin, pour compenser les impacts négatifs du projet. Le code de l'environnement prévoit que la séquence ERC s'applique à tous les types d'impact. Mais comment voulez-vous, par exemple, compenser l'impact sur la santé ? Lorsque des gens meurent à cause de la pollution, on ne peut pas les ressusciter, et lorsque des gens tombent malades, on peut les aider à se soigner ou leur offrir des vacances au grand air, mais c'est une maigre compensation et on voit bien ici qu'on atteint la limite. En réalité, on ne sait pas compenser les impacts d'ordre sanitaire.
En théorie, il est assez facile de compenser des émissions de gaz à effet de serre. Si vous émettez une molécule de CO2 entre Castres et Toulouse, vous pouvez la compenser en réduisant les émissions de la même molécule n'importe où sur la planète. On pourrait donc imaginer qu'un concessionnaire autoroutier aide des personnes à réduire les émissions de gaz à effet de serre de leur foyer, en finançant des travaux d'isolation ou en installant des pompes à chaleur ou des panneaux photovoltaïques, ce qui coûte très cher. Or cela n'arrive jamais. Parfois, on plante des arbres, mais on est en train de se rendre compte que tous ces puits de carbone sur lesquels on comptait pour faire de la compensation ne fonctionnent pas, ou très mal. Donc, en réalité, on ne sait pas vraiment compenser les émissions de gaz à effet de serre.
Pour la biodiversité, enfin, c'est encore plus compliqué, parce qu'il faut trouver un écosystème ressemblant mais dégradé. Or les espèces vivent dans des systèmes très complexes, faits de multiples interactions, si bien qu'il est très difficile de compenser. Récemment, j'ai assisté à une conférence au Muséum national d'histoire naturelle sur ces questions de compensation : on s'aperçoit que 10 à 15 % seulement des compensations sont efficaces. La grande majorité ne fonctionne pas.
Nous avons demandé que les mesures soient reconsidérées et plus convaincantes, mais le suivi nous échappe. C'est le préfet qui organise le suivi avec le concessionnaire : je ne sais pas où en est le dossier sur ces questions d'évitement, de réduction et de compensation.
Ce qui m'a frappé dans vos réponses au questionnaire, comme dans votre intervention, c'est que sur des sujets aussi essentiels que la qualité de l'air, le trafic, la pollution ou la consommation d'énergie, vous n'avez pas eu des éléments permettant de rendre un avis éclairé. Vous écrivez : « La première difficulté tient au fait que l'étude de trafic n'avait pas été jointe au dossier de saisine. Les données dont nous disposions correspondaient à l'étude de trafic de 2014 qui avait pour défaut de ne pas tenir compte de la loi de transition écologique pour la croissance verte. » Vous dites qu'à votre connaissance, l'alternative ferroviaire n'a jamais été envisagée, alors même que le train est plus conforme à notre trajectoire de décarbonation. Vous déplorez par ailleurs que l'étude d'impact ne tienne pas compte des données de trafic actualisées en 2022, mais qu'elle reste fondée sur l'étude de trafic de 2014.
Vous écrivez encore que le gain de temps estimé, de l'ordre de vingt à vingt-cinq minutes, supposerait une vitesse de 162 kilomètres à l'heure.
Le manque de données vous a conduit à émettre des réserves, notamment sur la question de la qualité de l'air, qui est un problème de santé publique majeur, puisque la pollution cause 50 000 à 80 000 morts par an. Un point m'a particulièrement interpellée : vous dites que les méthodes de calcul de qualité de l'air « tiennent compte de facteurs d'émissions antérieurs à l'affaire des émissions falsifiées des véhicules diesel ». Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Cela arrive très souvent dans les études d'impact. Au moment de l'affaire Volkswagen, dite aussi Dieselgate, on s'est rendu compte que les émissions standard des véhicules ne correspondaient en rien à leurs émissions sur la route et que cet écart s'accroissait avec les normes Euro 4, Euro 5 et Euro 6. C'est pour cela que Volkswagen avait triché : l'entreprise avait mis au point un logiciel qui permettait que la voiture ait de très faibles émissions au moment des tests – mais elle n'aurait pas pu rouler ainsi. Sur la route, le réglage du moteur était complètement différent.
Depuis, de nouveaux tests ont été conçus à l'échelle européenne, qui sont plus représentatifs de ce qui se passe sur la route, et les modèles qui servent à inférer les émissions d'oxyde d'azote, de CO2, de particules fines et de benzène des véhicules ont été revus pour tenir compte de ce que l'on avait appris à l'occasion du Dieselgate. À la fin de 2012, l'Agence européenne de l'environnement a actualisé son modèle de calcul, Copert (Computer Program to Calculate Emissions from Road Transport), qui en était, je crois, à la version 4.10. Depuis, Copert est remis à jour presque tous les six mois, pour tenir compte de l'évolution du parc.
Lorsque nous recevons une étude d'impact, nous vérifions systématiquement qu'elle a utilisé la dernière version disponible de Copert. En 2022, on était déjà passé au Copert 5 depuis longtemps et les données qui nous ont été transmises étaient obsolètes. Peut-être que c'est leur bureau d'études qui n'avait pas mis à jour ses logiciels : je ne pense pas qu'ils aient cherché à tricher, je n'ai aucune raison de les soupçonner, mais nous leur avions déjà fait la remarque en 2016 et nous avons constaté en 2022 qu'ils n'en avaient pas tenu compte.
Vous confirmez donc qu'ils avaient déjà utilisé une méthode obsolète en 2016 et qu'ils ne l'avaient pas actualisée en 2022.
En 2022, elle était encore plus obsolète.
Me confirmez-vous également l'absence de rapport du Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) en 2022 ?
Je ne peux pas vous confirmer qu'il n'y a pas eu de rapport, mais je peux vous confirmer que je ne l'ai pas trouvé. Il y a peut-être des effets de seuil : comme la subvention publique est plus faible, peut-être n'est-il pas nécessaire de passer par le SGPI ?
Vous nous avez dit que vous n'avez jamais subi de pression. Pensez-vous que ce soit lié au fait que les avis de l'Autorité environnementale n'ont pas de valeur prescriptive et que vous n'avez pas les moyens de vérifier que vos recommandations sont suivies d'effet ?
Je ne crois pas. Je pense que c'est lié avant tout au respect de la réglementation européenne. La directive sur les projets et la directive sur les plans et programmes demandent qu'une autorité indépendante du maître d'ouvrage et du décideur donne un avis.
Nous constituons un collectif incluant des membres associés – c'est mon cas désormais – associatifs ou universitaires. Si jamais des pressions nous obligeaient à modifier un avis, cela finirait par se savoir, car certains battraient le tambour dans la presse, et cela ne ferait pas bon effet. C'est un bon usage de la démocratie que de disposer d'instances pouvant rendre des avis sans subir de pressions.
L'Autorité environnementale n'est pas le décideur. Je tiens beaucoup à la séparation entre expert et décideur – sujet qui occupe en ce moment l'Assemblée nationale.
Absolument, avec le débat sur la séparation entre l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Je n'ai pas compétence pour déterminer s'il est important de construire une autoroute pour que les personnes qui habitent ou travaillent à Castres puissent rejoindre Toulouse. Je suis en revanche compétent en matière d'environnement. Je donne un avis d'expert et le décideur – en l'occurrence, le ministre chargé de l'environnement – décide.
J'ai établi le rapport sur la pétition du 7 novembre 2023 « Abandon du projet d'autoroute Toulouse-Castres A69/A680 ». Auditionné à cette occasion, le responsable de la société Atosca avait évoqué des améliorations à venir dans la réalisation du chantier en cours, eu égard notamment à l'environnement, plus particulièrement aux zones humides, mais aussi à des compléments de mobilité utilisés dans tous les territoires à des fins d'aménagement. Vous avez relevé que les avis que vous rendez ne font pas l'objet d'un suivi. Êtes-vous au courant de ces améliorations ? Elles peuvent s'appliquer à tous projets d'aménagement, puisque les délais de réalisation de ces derniers sont parfois très longs.
Nous avons reçu le mémoire en réponse d'Atosca, indiquant qu'elle prendrait en compte nos recommandations et modifierait son projet en conséquence. En revanche, je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite et je ne connais pas le détail des améliorations annoncées. Nous ne dialoguons pas avec le maître d'ouvrage – nous le pourrions, mais ce n'est pas ainsi que le système est conçu.
Dans de très rares cas, il nous arrive de demander que l'étude d'impact soit refaite et nous soit de nouveau soumise, mais il faut vraiment que l'on se soit moqué de nous. Ce n'est pas le cas ici : l'étude réalisée est sérieuse. De toute façon, le maître d'ouvrage peut parfaitement ignorer notre requête.
Je vous pose la question suivante au nom du président Jean Terlier. D'après lui, vos réponses au questionnaire sont à la fois détaillées et très prudentes. Néanmoins, elles sont critiques concernant le volet environnemental. Au-delà des différents aspects que vous évoquez, le problème de base ne vient-il pas du fait que les avis des autorités environnementales, produits tardivement, juste avant les enquêtes publiques, soulèvent des questions non identifiées, et qu'il est ensuite difficile de combler les lacunes repérées, les délais prévus ne permettant pas de lancer de nouvelles consultations ou concertations ?
Je suis d'accord avec le président de la commission d'enquête : les avis sont trop tardifs. Nous nous attachons à éclairer le public avant l'enquête publique. Peut-être faudrait-il que notre avis paraisse six mois avant le début de l'enquête, afin qu'il fasse l'objet d'une première réponse du maître d'ouvrage, mais l'histoire ne va pas dans le bon sens. En effet, vous le savez, la loi relative à l'industrie verte dispose que le lancement de l'enquête publique a désormais lieu en même temps que la saisine de l'Autorité environnementale. C'est donc à la fin de l'enquête publique, qui commence deux mois plus tôt, que nous rendons notre avis, à la lecture duquel les gens peuvent éventuellement faire une dernière remarque au commissaire enquêteur. Cette réforme ne va pas dans le sens que souhaite votre président.
Faut-il prévoir une enquête publique de mise à jour pour les projets dont la réalisation s'étale dans le temps ?
Ces changements législatifs reposent sur l'idée qu'il faut accélérer et que l'évaluation environnementale, l'avis de l'Autorité environnementale, l'enquête publique ralentissent les projets. Quand on voit que certains d'entre eux ont été conçus il y a une trentaine d'années, on se dit que ce n'est pas seulement l'évaluation environnementale qui est en cause.
Certes les procédures ralentissent les projets, mais dans une mesure très faible, et elles permettent d'éviter nombre de bêtises. Or, du point de vue de l'environnement, sur l'ensemble du territoire, on a fait bien des erreurs, puisque la perte de la biodiversité n'a jamais été aussi forte, que nous avons du mal à réduire les émissions de gaz à effet de serre, et que des gens meurent du fait de la mauvaise qualité de l'air.
Réfléchir avant d'agir, en traitant l'environnement avec sérieux, ralentirait peut-être quelques projets, mais pas l'ensemble du processus et ferait de la France un pays plus inclusif, plus respectueux de l'environnement et dont l'économie fonctionne bien.
Nous devrions donc nous donner un délai suffisant pour disposer de bonnes études et d'avis sérieux de l'Autorité environnementale, sur le modèle de la filière nucléaire, dont les analyses extrêmement fouillées inspirent confiance. J'aimerais qu'il en aille de même de l'ensemble des questions environnementales, telles que la biodiversité ou les gaz à effet de serre.
Je pense que vos propos réjouiront les scientifiques spécialistes du nucléaire. Le traitement de ce sujet au Parlement est compliqué.
Pensez-vous que les réserves des commissaires enquêteurs sur le coût du péage et la nécessaire mise à jour des calculs de l'étude de trafic et de l'étude d'impact justifieraient que l'Igedd s'autosaisisse afin de mener une contre-expertise socio-économique et environnementale du projet ? Cela permettrait que l'on dispose de données cohérentes et actualisées et que les réserves soient éventuellement levées. À défaut, qui pourrait vous saisir à cette fin ?
C'est le ministre chargé de l'environnement qui nous saisit. Afin d'en savoir davantage sur le projet et de mettre à jour les informations afférentes, il faudrait qu'il demande au maître d'ouvrage de produire une étude d'impact actualisée et saisisse l'Autorité environnementale ou l'Igedd – les membres de l'Autorité environnementale consacrent à cette dernière la moitié de leur temps et l'autre moitié à l'Igedd, tandis que d'autres inspecteurs travaillent à plein temps pour l'Igedd. Cette mission serait peut-être redondante avec votre commission d'enquête, qui a l'avantage d'être parlementaire et occupe donc une place plus élevée dans la hiérarchie politique.
Vous soulignez la réduction du délai de remise des avis de l'Autorité environnementale, passé de trois à deux mois, et la faiblesse des moyens dont elle dispose – vous devez intervenir alors que vous êtes retraité. Vous notez aussi une évolution très récente, qui va dans le sens inverse de celui que suggère la question posée par notre président : la remise de l'avis de l'Autorité environnementale, qui devrait survenir très en amont de l'enquête publique, n'a lieu qu'à sa clôture, du fait d'une réforme adoptée très récemment par la majorité gouvernementale, qui accroît les contraintes pesant sur l'Autorité environnementale. On pose de bonnes questions mais on ne vote pas nécessairement pour les dispositifs qui résoudraient les problèmes qu'elles posent.
Puisque votre intervention est devenue un plaidoyer contre la majorité, madame la rapporteure, je rappelle que M. Vindimian a bien parlé d'accélération du traitement des dossiers. Si nous travaillons dans le cadre de cette commission, c'est parce que certains projets ont duré trente ans et que nous les remettons en cause dans la mesure où ils ne sont plus d'actualité.
Au moment où l'on m'a demandé de travailler sur le projet de construction de l'A69, je venais de prendre ma retraite. J'avais analysé le premier dossier et je souhaitais, à l'instar de l'Autorité environnementale elle-même, la rejoindre en tant que membre associé, parce que, même si j'ai bientôt 68 ans, j'ai encore envie de consacrer quelques-unes de mes journées à l'environnement.
Plus les délais imposés à une structure dont les effectifs sont limités et dont le travail est complexe sont courts, plus ce travail est difficile. Objectivement, le nôtre l'est de plus en plus. Je me garderai bien d'émettre une remarque sur le fait que la majorité ou l'opposition ait voulu cette réduction des délais : le Parlement l'a approuvée.
Merci beaucoup pour la précision de vos propos, qui ont complété les réponses écrites, que vous avez eu l'amabilité de nous transmettre bien en amont et qui ont été très précieuses.
Merci d'avoir usé de vos compétences pour nous éclairer : ce n'est pas parce qu'on est à la retraite qu'on ne peut pas contribuer à faire avancer la nation.
La séance s'achève à dix-neuf heures quarante.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Frédéric Cabrolier, M. Sylvain Carrière, Mme Karen Erodi, Mme Sylvie Ferrer, M. Philippe Frei, M. Jean-François Rousset, Mme Anne Stambach-Terrenoir, Mme Huguette Tiegna, Mme Corinne Vignon, M. Jean-Marc Zulesi
Excusé. - M. Jean Terlier