La compensation carbone a été mise en avant comme étant la seule façon de prendre en compte les dégradations environnementales, mais cet argument ne résiste pas aux faits. Les mesures de compensation se fondent sur le principe d'équivalence, qui est aujourd'hui très contesté par la communauté scientifique compte tenu de la complexité des écosystèmes. On ne saurait remplacer ces derniers au moyen d'une traduction comptable des services qu'ils rendent car on ne tient pas compte des interactions, par exemple entre les espèces. Le copier-coller, qui inspire le principe d'équivalence, reflète une vision humaine ou, plus exactement, une illusion humaine.
On peut aujourd'hui commencer à évaluer les projets de compensation qui, au-delà de l'A69, ont démarré il y a quelques années. À de très rares exceptions, les nombreuses évaluations réalisées, que l'on trouve dans la littérature scientifique, confirment que la compensation n'est pas efficace. Les nouvelles plantations et les espèces générées par la compensation subissent de plein fouet les effets du changement climatique, qu'il s'agisse de la sécheresse, de la présence de parasites ou des incendies. Ce sont des phénomènes bien documentés. On a manqué, dans une mesure variable, les objectifs de compensation carbone annoncés dans le cadre de précédents projets. Alors que les dommages créés par des aménagements tels que les autoroutes sont immédiats, certains et inscrits dans la durée, les effets de la compensation sont, au contraire, différés dans le temps, hypothétiques et impossibles à garantir à long terme.
La France se caractérise par l'état sanitaire très préoccupant de ses écosystèmes. Au risque de choquer, je dirais que le fait de communiquer sur des formes de compensation « à la façon A69 » s'apparente à du greenwashing. Les chiffres du ministère de l'agriculture et du Haut Conseil pour le climat montrent que nos puits de carbone s'effondrent : la perte de leur capacité d'absorption a atteint près de 50 % en une dizaine d'années. Les chiffres du ministère montrent que plus de 50 % des nouvelles plantations n'ont pas survécu à l'année 2022, qui constitue un avant-goût du climat de demain – c'est-à-dire de 2040 ou 2050.
La bascule des écosystèmes devient de plus en plus probable. Les puits de carbone peuvent devenir, en quelques années, des sources de carbone, comme cela s'est produit en République tchèque. Dans ce contexte, chaque arbre compte. Les études d'observation par satellite, en France et en Europe, montrent que les grands arbres meurent moins par le fait du changement climatique et stockent davantage de CO2. Il est donc essentiel de les préserver car ils ne sont pas compensables aux échelles qui nous intéressent. Toutes ces données ont été clairement exposées, la semaine dernière, lors du colloque intitulé « L'urgence climatique : un tournant décisif ? » à l'Académie des sciences.
Dans le projet de l'A69, la compensation est vraiment prise à la légère, comme l'atteste la surenchère sur le nombre d'arbres plantés par arbre abattu. Au début, on parlait d'un arbre planté par arbre abattu ; on en est aujourd'hui à cinq arbres plantés par arbre coupé. Ce chiffre figure uniquement dans un communiqué de presse d'Atosca et ne s'inscrit nullement dans un cadre réglementaire. Je ne parle ici que de la compensation carbone et non de celle des zones humides, qui sera abordée par Jacques Thomas demain, me semble-t-il.
La littérature scientifique montre que, dans tous les pays – la France ne fait pas exception –, la compensation permet aux acteurs de se dédouaner de leurs responsabilités concernant l'artificialisation des surfaces, les enjeux fonciers et l'atteinte portée à la biodiversité.
Le projet de l'A69 s'inscrit de surcroît dans un cadre régional particulier. J'ai participé à ce que l'on appelle le Giec régional, qui se nomme, dans notre région, le Reco – réseau d'expertise sur les changements climatiques en Occitanie. Celui-ci évalue les risques climatiques et les émissions par secteur, et établit des recommandations qui doivent nous permettre de respecter la stratégie nationale bas-carbone. Le cadre applicable à l'Occitanie est particulièrement exigeant, s'agissant notamment de la baisse des émissions liées au transport. En effet, dans la région, ces dernières représentent 40 % des émissions, contre 32 % à l'échelon national, selon les chiffres de l'agence régionale énergie et climat (Arec). La région Occitanie doit donc accomplir des efforts plus élevés pour respecter la stratégie nationale bas-carbone, qui a été définie par la loi.
J'ai demandé à différentes personnalités politiques quels secteurs compenseraient le dérapage du poste des transports dû à l'A69, mais je n'ai pas obtenu de réponse. Il convient non seulement de respecter le budget carbone de la région mais aussi de désartificialiser et de dépolluer. Le coût du surcroît d'émissions de gaz à effet de serre dû à l'A69 a été chiffré à 50 millions, et aucune compensation carbone n'est envisageable du fait de l'atteinte portée à la biodiversité et aux services écosystémiques – de grands arbres étant coupés. D'autres secteurs devront-ils, à titre de compensation, abandonner des projets ? A-t-on envisagé de faire jouer la solidarité avec d'autres régions ? En a-t-on déjà discuté ? On ne négocie pas avec le budget carbone car chaque tonne de CO2 contribue à accroître le réchauffement. Le climat se moque de l'origine géographique des émissions de CO2. En effet, c'est un gaz que l'on dit mélangé. Une molécule de CO2 émise à Castres ou à Paris fait le tour de l'hémisphère Nord en trois semaines, en moyenne, passe dans l'hémisphère Sud en six mois et fait le tour de la planète en un an. Chaque tonne de CO2 compte : c'est pourquoi il est essentiel de se pencher sur le volet de la compensation carbone, qui ne figure nulle part.