La commission procède à l'audition, ouverte à la presse, de Mme Laurence Boone, secrétaire d'Etat auprès de la première ministre, chargée des affaires européennes, sur le 3e sommet de la communauté politique européenne (CPE) à Grenade et les perspectives d'ouverture des négociations d'adhésion à l'Union européenne avec plusieurs pays lors du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023.
La séance est ouverte à 17 h 35.
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président
Nous avons le plaisir de recevoir cet après-midi Mme Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe.
Madame la secrétaire d'État, votre audition va nous permettre d'évoquer deux sujets – entre autres –, en apparence distincts mais qui, à y regarder de plus près, ne sont pas sans lien.
Le premier concerne le troisième sommet de la Communauté politique européenne, la CPE, qui s'est tenu à Grenade le 5 octobre dernier et qui a sombré assez rapidement dans une relative pénombre médiatique, puisque deux jours plus tard se déroulaient en Israël les événements dramatiques que l'on sait. Le second sujet que nous voulons évoquer est celui des perspectives d'ouverture des négociations d'adhésion à l'Union européenne pour plusieurs pays, lors du Conseil européen des 14 et 15 décembre prochains à Bruxelles.
Le premier de ces deux événements a eu lieu avant les événements du 7 octobre et l'autre avant la publication, demain 8 novembre, des recommandations de la Commission européenne, de telle sorte que nous ne disposons pas des éléments qui nous auraient permis de vous adresser des interrogations documentées. Heureusement, en somme, que vous êtes parmi nous : ce n'est pas très grave si nous n'avons pas les questions, puisque vous avez les réponses.
Nous ne reviendrons pas sur les différences fondamentales qui existent entre la CPE et l'Union européenne, dont nous avons déjà débattu ici même. Je me contenterai de rappeler que la CPE est une instance intergouvernementale à part, qui n'est ni l'antichambre ni le prolongement de l'Union européenne et regroupant tout à la fois des pays qui sont membres de l'Union européenne, d'autres qui ont vocation à l'être, d'autres encore qui ne le sont plus et n'ont pas vocation à le redevenir et, enfin, d'autres qui ne l'ont jamais été et qui n'auront jamais vocation à le devenir. Il s'agit, en somme, d'un forum qui permet de tester des convergences éventuelles et souhaitables entre ses membres.
Nous ne pouvons que nous féliciter que le sommet de la CPE ait permis de réaffirmer les attentes des Européens quant à la confirmation du soutien américain à l'Ukraine. Cela dit, ces confirmations de soutien se traduisent toujours en obligations de moyens, pas d'objectifs. Tout le monde s'engage à faire des efforts – ce qui est bien – mais pas à aider l'Ukraine à atteindre tel ou tel objectif. Ce sommet s'est tenu bien avant la déclaration du chef d'état-major des armées ukrainiennes qui a plongé les Européens, les Occidentaux et sans doute les Ukrainiens eux-mêmes dans une profonde perplexité et qui a permis aux Russes de plastronner, dans une mesure limitée toutefois.
Madame la secrétaire d'État, comment percevez-vous la réaction potentielle des Européens au changement de décor que représente cette déclaration ?
En outre, nous n'avons pas été très satisfaits de la défection des deux compères de l'opération arménienne – le président de l'Azerbaïdjan, M. Aliev, et son allié turc, le président Erdogan –, dont la venue était pourtant annoncée. Le premier ministre d'Arménie, M. Pachinian, était en revanche présent. Comment expliquez-vous cette défection ? Ne pose-t-elle pas un problème quant à l'efficacité de la CPE ?
Même chose en ce qui concerne le Kosovo, dont le premier ministre, M. Kurti, pourtant très proche de l'Union européenne et de nos choix géopolitiques, a estimé qu'il ne devait pas paraître dans cet aréopage, tant les tensions avec la Serbie sont fortes. Ces absences sont assez lourdes de sens et j'ai le sentiment que la CPE a manifesté un certain essoufflement et qu'elle a peut-être atteint ses limites : quel est votre avis à ce sujet ? Elle est utile tant que tous les participants sont d'accord entre eux mais, en cas de désaccords, elle ne peut même pas s'atteler à les résoudre, puisque ceux qui sont en désaccord ne participent pas.
La question des perspectives d'élargissement de l'Union européenne est d'une actualité toute particulière à la veille du Conseil européen prévu les 14 et 15 décembre prochains à Bruxelles, où les chefs d'État ou de gouvernement devront se prononcer sur l'ouverture formelle de négociations avec l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et les quatre pays des Balkans occidentaux. Nous sommes entrés, à cet égard, dans une phase cruciale : la présidente de la Commission européenne s'est rendue à Kiev le week-end dernier et, demain, le collège de la Commission rendra un avis important qui éclairera la décision des chefs d'État ou de gouvernement – je souligne cette distinction car un État membre ne peut pas être représenté à la fois par son chef d'État et son chef de gouvernement au Conseil européen.
Ici même, nous avons échangé sur ces enjeux de l'élargissement à l'occasion de l'examen de la proposition de résolution européenne relative aux suites de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, lancée par le président Anglade. J'avais moi-même remis un rapport, que Mme la secrétaire d'État m'a fait l'amitié de considérer comme digne d'intérêt. Aujourd'hui, je m'interroge car la façon dont les institutions européennes abordent ces questions nous laisse perplexes. Lorsque nous sommes allés à Bruxelles pour étudier comment la Commission appréhendait ces questions, il nous a semblé qu'il n'y avait pas d'idées nouvelles et que l'on s'en tenait aux méthodes traditionnelles, alors que les problèmes sont d'une tout autre nature, ne serait-ce que par l'importance géopolitique et par l'extension énorme de l'Union européenne qui résulterait de ces élargissements. Qu'on leur soit favorable ou non, nous considérons tous, au sein de cette commission, que les enjeux sont tels qu'ils appellent une approche nouvelle.
En janvier 2023, avec votre homologue allemande, Mme Anna Lührmann, ministre adjointe chargée des affaires européennes et du climat, vous aviez mandaté un groupe franco-allemand de douze experts indépendants pour lancer une réflexion sur les réformes institutionnelles à mettre en place dans le cadre d'un futur élargissement de l'Union européenne. Ce groupe de travail a présenté son rapport le 19 septembre dernier, à Bruxelles, lors du Conseil des affaires générales. J'ai constaté une certaine convergence entre ce rapport et le travail que j'avais moi-même préparé pour cette commission. Il m'a semblé que ce rapport avait été accueilli avec intérêt mais aussi qu'il avait suscité une certaine réserve de la part des États, qui ne souhaitaient pas se voir dicter leur feuille de route par le couple franco-allemand. En outre, comme je l'ai dit, l'absence de renouveau dans les voies empruntées nous inquiète.
Madame la secrétaire d'État, je sais ce que vous faites et je connais votre conviction européenne ; je sais l'engagement du président de la République sur les questions européennes ; je sais à quel point le Gouvernement pousse à la roue pour plus d'unité, plus d'imagination et plus d'originalité. Ne croyez pas qu'il y ait, lorsque j'exprime des propos qui peuvent paraître sceptiques sur l'Europe – mais non point eurosceptiques ! –, la moindre critique à l'égard de votre action quotidienne. Malgré tout, nous sommes dans une situation de grande perplexité, parce que la conjoncture internationale est effroyable. L'issue de la guerre en Ukraine est très incertaine, les récents événements laissent les coudées franches à l'Azerbaïdjan et à la Turquie pour mener des opérations de déstabilisation en Arménie – dont la tragédie est totalement passée au second plan –, tandis que nous sommes effrayés par l'ampleur des bouleversements qui se produisent au Moyen-Orient, où la feuille de route qui a toujours été celle des Européens n'a pas été suivie ces dernières années. Nous avons le sentiment qu'à l'exception de la France, qui veut vraiment agir, les Européens sont égarés dans des procédures, des rendez-vous, des instances, des obligations de moyens et divers programmes. L'Union européenne ne semble pas pleinement consciente des énormes responsabilités historiques qui pèsent sur elle, alors que nous savons tous que si nous ne sommes pas à la hauteur de la situation dans les mois qui viennent, l'Europe risque d'être marginalisée.
Au sein de cette commission, l'idée globale, même si elle n'est pas unanime, est qu'il faut aller vers plus d'Union européenne et construire une force politique européenne. Or, il nous semble qu'entre cette attente d'une grande partie de nos membres – et de l'opinion – et les atermoiements des États, il y a un fossé considérable. Ce fossé pourra-t-il être comblé par la campagne des élections européennes de 2024 ? Je l'espère. En tout cas, madame la secrétaire d'État, nous savons que vous faites tout ce qui est en votre pouvoir pour essayer de vous arracher à ce que le regretté Jean-Paul Sartre appelait le « pratico-inerte ».
Merci pour ces mots forts, prospectifs et précis sur tous les sujets qui nous concernent aujourd'hui. C'est un immense honneur de vous retrouver pour vous présenter les résultats du troisième sommet de la Communauté politique européenne, qui s'est tenu à Grenade le 5 octobre dernier. Bien entendu, nous pourrons également évoquer, puisque c'est votre souhait, les questions relatives à l'élargissement de l'Union européenne, qui ont notamment été abordées le lendemain de ce sommet.
Ce sommet ayant eu lieu juste avant les terribles attaques terroristes perpétrées par le Hamas contre Israël, le 7 octobre, nous avons presque l'impression de parler du monde d'avant. Néanmoins, l'objectif de la CPE, qui est de consolider le continent européen dans un monde plus dangereux, apparaît encore plus crucial au vu de ce qui se passe au Proche-Orient.
Après la Moldavie, où s'était déroulé le précédent sommet, le 1er juin, la Communauté politique européenne faisait donc son retour dans un pays de l'Union européenne, à la veille d'une réunion informelle du Conseil européen, comme il y a un an, à Prague. Ce retour s'est effectué dans un contexte européen tendu, huit jours après l'invasion du Haut-Karabagh par l'Azerbaïdjan. À ce propos, je suis très reconnaissante, comme l'est le Gouvernement, de la mobilisation de la représentation nationale, et en particulier de votre commission, pour soutenir l'Arménie. Je profite de cette occasion pour saluer, monsieur le président, la qualité du rapport d'information que vous avez bien voulu présenter à vos collègues au sujet de votre déplacement en Arménie, du 13 au 16 septembre.
Avant de revenir plus en détail sur le sommet de Grenade, au sujet duquel vous avez été un peu pessimiste, il faut rappeler que tous les pays membres de la CPE y étaient représentés, à l'exception du Danemark – pour des raisons parlementaires –, de l'Azerbaïdjan et de la Turquie. Comme l'a dit le président de la République, nous avons regretté l'absence de ces deux derniers pays, puisque la CPE est précisément le lieu qui doit permettre de surmonter les crises régionales et d'évoquer entre leaders, d'une façon informelle mais sérieuse, les sujets les plus épineux. Hormis ces trois États, toute la famille européenne a pu marquer à nouveau, et à l'unanimité, son soutien au président Zelensky, pour échanger et promouvoir des initiatives sur des questions d'intérêt commun.
Concrètement, les échanges ont débuté par une séance plénière, au cours de laquelle Pedro Sanchez, Volodymyr Zelensky, Charles Michel et Ursula von der Leyen ont mis l'accent sur les défis communs auxquels nous sommes confrontés, à commencer par le soutien à l'Ukraine face à l'agression russe, nécessaire en raison tant de la géographie que de nos valeurs. Les interventions ont également porté sur l'architecture de sécurité européenne à venir, ainsi que sur les questions énergétiques et migratoires.
Ensuite ont eu lieu des tables rondes consacrées au multilatéralisme, à l'énergie, à la transition climatique et aux enjeux numériques.
Enfin – et c'est bien l'objet de la CPE –, beaucoup de temps a été réservé aux entretiens bilatéraux ou minilatéraux, permettant au président de la République de s'entretenir notamment avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky, la présidente moldave Maia Sandu, la présidente kosovare Vjosa Osmani et le président serbe Aleksandar Vučić, ainsi qu'avec le premier ministre arménien Nikol Pachinian, en compagnie du président du Conseil européen Charles Michel et du chancelier allemand Olaf Scholz. Une réunion consacrée à la lutte contre les réseaux de passeurs et les migrations illégales a également été organisée par le premier ministre britannique Rishi Sunak et la présidente italienne Giorgia Meloni, à laquelle ont été associés la présidente von der Leyen, le premier ministre albanais Edi Rama et le premier ministre néerlandais Mark Rutte.
Malgré les circonstances politiques particulières que connaissait l'Espagne, le sommet de Grenade a prouvé sa pertinence et son utilité et démontré la nécessité d'échéances semestrielles. Nous sommes assez optimistes pour la suite, notamment pour ce qui est du sommet qui aura lieu outre-Manche au printemps prochain. Londres avait d'ailleurs manifesté son intérêt pour la CPE dès la première réunion, à Prague, intérêt auquel n'est pas étranger le fait que le Royaume-Uni ne soit plus membre de l'Union européenne.
Au cours de ce sommet, le président de la République a pu suivre l'évolution des initiatives qu'il avait lancées à Chisinau en juin dernier, en matière de cybersécurité notamment. Une réserve cyber avait été lancée pour tous les pays de la CPE, afin de déployer rapidement des experts de confiance dans chaque pays victime d'une cyberattaque d'ampleur, comme on en voit chaque semaine. Les discussions progressent à Bruxelles pour soutenir financièrement cette initiative très concrète, qui devrait recueillir un accord au Conseil européen, puis au Parlement européen dans les prochains mois. L'Albanie, l'Estonie, la Macédoine du Nord, la Moldavie, la Slovénie et l'Ukraine ont rejoint le dispositif et travaillent avec nous à sa mise en œuvre.
Les événements nous rappellent qu'il faut encore et toujours renforcer le sentiment d'appartenance aux valeurs européennes et de citoyenneté européenne, en particulier auprès de la jeunesse. C'est le sens de la proposition du président Macron d'étendre à tous les pays de la CPE le pass Interrail, qui permet aux jeunes de moins de 28 ans de découvrir l'Europe pendant quelques semaines et de faire des rencontres ; en somme, de se sentir européen. La Commission travaillera dans les prochains mois à sa concrétisation.
En ce qui concerne l'Ukraine, un point a été fait sur l'évolution de la situation sur le terrain et sur les besoins en matière d'armement et de formation. Tous les responsables européens, dont le président de la République, ont réaffirmé leur soutien humanitaire, financier, économique et militaire, tant que nécessaire et jusqu'à ce que Kiev décide des conditions de la paix. Compte tenu de la situation aux États-Unis et des événements survenus au Haut-Karabagh et au Proche-Orient, cette réaffirmation est importante pour montrer à l'Ukraine qu'on ne l'oublie pas.
Il importait également de confirmer notre soutien à l'indépendance, à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Arménie dans ses frontières. C'est ce qu'a fait le président de la République avec Charles Michel et Olaf Scholz lors d'une rencontre avec le premier ministre Nikol Pachinian.
Ils ont, en outre, annoncé un approfondissement des relations entre l'Union européenne et l'Arménie, ainsi que le renforcement de l'aide humanitaire. Comme vous, nous avons tous regretté que le président Ilham Aliev ait décidé de ne pas venir. Contrairement à ce qui a pu être dit, personne n'a refusé la participation de quiconque aux échanges tenus à Grenade, qu'il s'agisse du président azerbaïdjanais ou du président turc : ne croyez pas toujours la presse ! De fait, ce n'est pas notre approche de la résolution des crises régionales et c'est contraire à l'esprit même de la CPE, qui doit permettre, au contraire, d'avancer en appuyant les négociations menées à Bruxelles.
S'agissant de la Serbie et du Kosovo, la présidente de la République du Kosovo était présente mais une grande part des négociations se déroulent entre premiers ministres. Un suivi a d'ailleurs été assuré lors du dernier Conseil européen à Bruxelles, fin octobre. Il est important de rappeler que le dialogue se poursuit et que nous continuons d'avancer.
Absolument !
Un autre sujet important abordé lors de ce sommet a été la question migratoire, quelques jours après les arrivées massives de migrants à Lampedusa. Il a été acté de renforcer et de structurer la coopération pour lutter contre les trafiquants d'êtres humains. Il s'agit d'adopter une approche plus globale et plus coordonnée, avec les pays d'origine et de transit, pour mener un véritable combat contre ce crime organisé.
Cette question sera encore au cœur du prochain sommet, qui se déroulera au printemps prochain au Royaume-Uni. La CPE est un bon format pour discuter avec de nombreux acteurs concernés, en complément de ce que nous faisons à Bruxelles dans le cadre du pacte sur la migration et l'asile, notamment parce que les passeurs transitent par les Balkans occidentaux. Nous avons déjà entamé un travail avec les Britanniques qui, grâce à la CPE, peuvent renouer des conversations à l'échelle du continent, qu'ils n'avaient plus depuis le Brexit. Je tiens à souligner à cet égard que le Royaume-Uni est confronté à des flux migratoires qui ont doublé depuis qu'il a quitté l'Union européenne.
Pour ce qui est de l'élargissement de l'Union européenne, le sommet de Grenade a été l'occasion de rappeler la nécessité stratégique de l'adhésion des Balkans occidentaux, de l'Ukraine et de la Moldavie à l'Union. Pour reprendre les mots que le président de la République a prononcés à Bratislava le 31 mai dernier, la question n'est plus de savoir si l'élargissement doit se faire ni même quand, mais plutôt comment. Sur ces questions sensibles, parfois difficiles, il est très important pour nous de pouvoir bénéficier des travaux du Parlement, notamment de vos nombreuses propositions. Je tiens de nouveau à saluer, monsieur le président, la grande qualité de votre rapport sur les suites de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, qui m'a été cité à plusieurs reprises, lors de réunions publiques comme chez nos voisins européens.
Le rapport franco-allemand que vous avez évoqué avait pour vocation de susciter des réflexions dans toute l'Europe et d'inciter d'autres pays à réfléchir à la transformation de l'Union européenne en termes d'élargissement et de réforme, pour aboutir à l'Union européenne que nous souhaitons. Les retours ont été positifs, puisque nous avons reçu des propositions scandinaves, baltes et portugaises. Cependant, ce rapport n'est pas gouvernemental et ne présente pas la position du Gouvernement.
Pour ce qui est de la position du Gouvernement, ma conviction est que nous devons encourager les pays candidats à aller plus vite sur la voie de l'adhésion en accélérant le rythme des réformes. En effet, s'ils ne sont pas avec nous, ils seront avec les Russes ou avec les Chinois, et le plus dangereux pour l'Union européenne est qu'ils soient du mauvais côté de la barrière. Les propositions d'intégration graduelle formulées notamment par la France lors de la présidence de l'Union européenne, mais aussi par l'Autriche, sont un bon moyen de récompenser les progrès réalisés et d'inciter les pays candidats à accélérer le rythme des réformes. Ce processus est d'autant plus intéressant qu'il est réversible : un candidat qui régresserait dans ses réformes régresserait également sur le chemin de l'accession. Cette approche, accompagnée de conditionnalités très claires, doit être rendue opérationnelle par la Commission européenne, afin de pouvoir être mise en œuvre rapidement avec les pays candidats.
Quant à nous, Européens, nous devons également nous préparer à cet élargissement et réfléchir aux réformes nécessaires pour que l'Union européenne fonctionne mieux dans les années à venir. L'Europe de demain devra être plus forte pour accueillir de nouveaux États membres dans les meilleures conditions possibles et devra s'appuyer davantage encore sur ses valeurs – l'État de droit – et ses intérêts – le marché unique. Elle devra aussi renforcer sa souveraineté et sa capacité d'action en réduisant, par exemple, ses dépendances vis-à-vis de pays qui les utilisent pour faire levier sur elle. C'est parce que l'on renforcera l'Europe économique que l'on renforcera sa capacité d'acteur géopolitique, ces deux aspects étant étroitement liés.
Je le répète, au risque de déplaire à certains : l'avenir de l'Ukraine, de la Moldavie et des Balkans occidentaux se trouve dans l'Union européenne et nous partageons avec ces pays une même communauté de destin. Nous attendons, demain, le rapport annuel de la Commission européenne sur le paquet « élargissement », qui fera le bilan des avancées et servira de base aux discussions que nous aurons dans la perspective du Conseil de décembre.
C'est à cette conclusion que sont parvenus les chefs d'État et de gouvernement des Vingt-Sept lors du Conseil européen informel de Grenade. Comme l'affirment les conclusions de cette réunion, nous devons travailler simultanément sur les réformes de l'Union européenne et sur la mise en œuvre de l'élargissement, pour dessiner les contours d'une Europe plus forte, bastion de la démocratie dans un monde très tourmenté.
Comme vous l'avez souligné, monsieur le président, la France est un réel moteur de l'Union européenne car elle a conscience, d'une part, que pour être souverain dans le monde actuel, il faut s'appuyer sur une Europe forte et, d'autre part, que toute seule, elle n'ira pas très loin.
Enfin, je tiens à nouveau à remercier votre commission de débattre de toutes ces questions. Je me réjouis que les parlementaires français s'y intéressent et contribuent à ces réflexions au long cours.
Il est normal que vous soyez un peu plus optimiste que moi, l'essentiel étant que nous partagions la même détermination.
Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Au cours des deux journées du troisième sommet de la CPE, les dirigeants européens et leurs voisins ont débattu de plusieurs points, afin de rendre l'Europe plus résiliente, prospère et géostratégique, dans un contexte géopolitique qui se tend un peu plus chaque jour, sur notre sol et à nos portes. Guerre en Ukraine, conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, tensions entre la Serbie et le Kosovo, explosion des tensions aux Proche-Orient, relancées par l'attaque terroriste menée par le Hamas en Israël le 7 octobre dernier, suites du Brexit, phénomènes migratoires multiples, crise environnementale, questions liées au cyber : les défis auxquels l'Union européenne est confrontée sont multiples. Elle doit élaborer une approche commune et coordonnée, qui implique l'ensemble de ses États membres, alors que des intérêts nationaux peuvent diverger sur certains sujets, économiques et industriels notamment.
Pour être plus efficace face à des acteurs géopolitiques majeurs tels que la Russie, la Chine ou les États-Unis, l'Union européenne doit déployer une coordination étroite entre ses membres, afin d'élaborer des positions communes, de négocier des accords et de peser sur la scène internationale.
Élu d'un département frontalier, les Ardennes, je mesure à quel point la coopération transfrontalière, la libre circulation des biens et des personnes et la coordination des politiques régionales sont des éléments essentiels de la vie quotidienne de nos concitoyens et des Européens. Or la question de l'élargissement n'est pas sans défis car elle exige des efforts considérables de la part des pays candidats pour se conformer aux critères d'adhésion. C'est un processus qui exige une vigilance continue pour garantir que les normes et les valeurs de l'Union européenne soient préservées. C'est tout l'enjeu du Conseil européen qui se tiendra les 14 et 15 décembre prochains.
Quels sont les critères prioritaires fixés par l'Union européenne en matière d'élargissement ? Comment compte-t-elle les appliquer aux pays candidats, alors que les enjeux diffèrent d'un pays à l'autre ?
Comment la France entend préserver ses intérêts, qui pourraient être fortement affectés par cet élargissement, en particulier dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) ?
Vous avez raison, les normes et les valeurs de l'Union européenne sont ce qui nous rassemble et seront le socle des critères prioritaires. La valeur première et sur laquelle tous les États membres se retrouvent unanimement lorsqu'il est question d'élargissement est l'État de droit, c'est-à-dire l'indépendance et l'impartialité de la justice, l'indépendance et la pluralité des médias, la lutte contre la corruption et des processus électoraux protégés des ingérences étrangères. Il s'agit du socle sur lequel repose notre Union européenne et c'est sur ces conditions que nous sommes le plus exigeants envers les pays candidats. Nous y avons d'ailleurs intérêt car plus l'État de droit est renforcé dans chacun des pays qui sont à nos frontières, moins nous aurons de soucis. Je rappelle en effet qu'un tiers environ des habitants de l'Union européenne vivent près d'une frontière.
Au-delà de l'acquis communautaire, nous attendons le plan de croissance que la Commission européenne dédie aux Balkans occidentaux et ce qu'elle entend consacrer à l'Ukraine et à la Moldavie, mécanisme qui ressemble beaucoup au plan de relance que les Européens ont instauré au lendemain de la crise de la Covid-19. Le principe en est très simple : soutien financier contre réformes, avec des jalons, des échéances et des dates butoirs très précis.
Surtout, le processus est désormais réversible. Ainsi, certains pays de l'Est faisant l'objet d'une procédure pour manquement à l'État de droit ne touchent pas les fonds européens, ce qui les incite à se remettre en ligne avec les normes européennes, notamment dans le domaine de la justice. Si donc nous constatons que l'État de droit recule, qu'une réforme de la justice diminue l'impartialité des juges ou que le politique essaie de se mêler des médias, nous retirerons des moyens financiers et ferons reculer les pays fautifs sur le chemin vers l'adhésion. Ce processus, incitatif sans être naïf, est parfaitement maîtrisé.
En ce qui concerne l'agriculture, la Commission européenne a engagé une revue des politiques européennes, qui devrait être rendue en mars 2024. Ce doit être la base de nos travaux quant à l'évolution de ces politiques dans la perspective de l'élargissement. Une ou deux législatures seront sans doute nécessaires pour y parvenir en toute transparence. À cette fin, des rendez-vous fréquents seront pris, non seulement avec le Parlement européen mais aussi avec votre commission et avec celle des affaires européennes.
Le Conseil européen qui se réunira les 14 et 15 décembre prochains a pour ordre du jour les perspectives d'ouverture des négociations d'adhésion à l'Union européenne, auxquelles le Rassemblement national est fermement opposé. Les nombreux candidats officiels – Albanie, Serbie, Turquie, Monténégro, Kosovo, Moldavie et Ukraine – sont autant de pays instables, marqués par la corruption pour certains et en décalage avec les membres de l'Union européenne en matière de droits et de valeurs fondamentales. Leur adhésion engendrerait des défis sans limite pour protéger nos frontières, contre l'émigration extra-européenne notamment.
Si vous vous obstinez à nier l'existence d'un risque sécuritaire pour l'Union européenne et ses frontières extérieures, vous ne pouvez pas nier le risque économique inhérent à l'adhésion de nouveaux pays. Les divergences économiques sont fortes, comme l'illustre le salaire médian en Albanie, qui s'élève à environ 435 dollars par mois. Comment imaginer une convergence économique crédible sans affaiblir nos propres économies par la concurrence déloyale de ces nouveaux venus, voire par des délocalisations d'entreprises vers ces pays ?
Tout élargissement a un coût. La politique de cohésion européenne, qui représente près d'un tiers du budget total de l'Union européenne, a coûté plus de 426 milliards d'euros aux États membres entre 2021 et 2027, et ce montant élevé exploserait en cas d'élargissement. Nous pouvons en effet nous attendre à une explosion des contributions françaises – et allemandes –, qui devrait peser sur des finances publiques déjà très fragiles. Les conséquences économiques seraient désastreuses pour de nombreux pays, dont la France. Selon le Financial Times, l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne engendrerait par exemple une réduction de 20 % des subventions agricoles accordées aux autres États membres par hectare cultivé.
Madame la secrétaire d'État, à combien évaluez-vous l'impact financier de ces élargissements ? Pourriez-vous en mesurer et énumérer les répercussions sur les subventions, notamment agricoles, accordées à notre pays ? Il est inutile de rappeler que la situation économique de la France et des Français ne nous permet pas d'assumer des élargissements aussi coûteux.
Vous avez raison, il y a plusieurs risques. Le premier est le risque sécuritaire qu'il y aurait à laisser ces pays en dehors de tout espoir européen. En effet, la Russie et la Chine n'attendent que cela pour s'ingérer dans leurs affaires, en matière d'investissement dans des infrastructures non soutenables, en matière de désinformation et parfois, aussi, en matière de corruption. Pour lutter contre le risque sécuritaire, la meilleure des choses à faire est de leur demander de réformer leurs institutions. Et ce n'est pas parce que nous allons leur demander gentiment de le faire qu'ils le feront mais parce qu'ils auront la perspective de rejoindre l'Union européenne. Je rappelle, en outre, que ce processus ne se fait pas en un claquement de doigts mais qu'il nécessite des années.
Les risques sont aussi économiques. L'entrée dans l'Union européenne suppose une convergence et, quelles que soient les décisions politiques prises en décembre, elle ne se fera ni demain ni, probablement, dans cinq ans. Rien ne sert d'agiter la crainte d'un processus qui doit nous renforcer économiquement. Que préférez-vous : que nos entreprises continuent de se développer et de créer des emplois sur le sol européen, renforçant notre souveraineté européenne, ou que nous nous rétrécissions sur nous-mêmes et que ces entreprises aillent investir hors de l'Union européenne ? La convergence économique aura lieu au fur et à mesure de l'acquis communautaire et des échanges avec le marché unique, qui sont déjà d'actualité dans un certain nombre de secteurs.
Pour ce qui est des politiques européennes, vous ne formulez aucune suggestion de réforme. Nous serions pourtant très reconnaissants de recueillir les propositions de votre commission et de l'ensemble de la représentation nationale. Je viens de vous dire que nous allions revoir ces politiques pour les adapter au monde de demain et cela concerne évidemment les politiques de cohésion. L'article du Financial Times que vous citez – et qui, comme vous l'aurez certainement noté, ne s'appuie sur aucune source officielle – ne correspond à rien, puisqu'il ne prend pas en compte la réforme qui nous attend.
Pour conclure, nous pouvons nous recroqueviller dans notre coin, avec nos 65 millions d'habitants ou, au contraire, considérer que consolider nos frontières et amener les pays en question à notre niveau d'État de droit et de développement économique permettra, à terme, de vivre sur un continent stable et sûr, qui fera jeu égal avec les États-Unis et la Chine.
En dépit des beaux discours où l'Europe fait siennes des valeurs telles que la liberté, l'égalité, la démocratie, les droits humains, l'État de droit et le respect de la dignité humaine, la réalité n'est pas belle à voir. Les principales règles sur lesquelles l'Union européenne refuse de transiger sont exclusivement économiques ; pour le reste, c'est laxisme et compagnie.
Parlons de dignité humaine, par exemple, pour laquelle la situation israélo-palestinienne est on ne peut plus révélatrice. L'Europe ne parvient pas à prononcer une seule fois le mot « cessez-le-feu ». Ursula von der Leyen, qui n'a jamais été élue, s'est une nouvelle fois illustrée – après de multiples bourdes – en appuyant Israël et les massacres perpétrés dans la bande de Gaza, où plus de dix mille personnes ont été tuées, dont 40 % d'enfants, et à propos desquels l'Organisation des Nations Unies (ONU) parle d'un risque génocidaire.
Parlons de droits humains : la Hongrie a adopté en 2021 une loi anti-lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels (LGBT) et voilà plus de deux ans que les pays de l'Union européenne parlent de sanctions. Qu'en est-il aujourd'hui ? Rien n'est fait. Les menaces de sanctions s'enchaînent, sans aucune action concrète.
Parlons d'égalité : l'Europe ayant été construite comme un marché, les élargissements successifs, loin de tirer tout le monde vers le haut, ont au contraire permis aux entreprises de se livrer à un dumping social dans les pays de l'Est. Ajoutez à cela l'austérité économique des fameuses « règles d'or », et vous obtenez la montée du populisme d'extrême droite, partout en Europe.
Parlons de l'État de droit : la France, qui est, paraît-il, le pays des droits de l'Homme, s'est illustrée à de multiples reprises avec des lois liberticides, comme des arrêtés anti-manifestations et de nombreuses violences policières, remarquées par la Défenseure des droits en France et par l'ONU. Le Gouvernement, auquel vous appartenez, en a ri.
Avant de vouloir à tout prix discuter d'élargissement de l'Union européenne, discutons déjà de l'Europe que nous voulons. À La France insoumise, nous souhaitons une Europe des peuples, une Europe sociale, une Europe de la paix. Quand cesserez-vous de vous essuyer les pieds sur ces belles valeurs en privilégiant systématiquement l'argent et le produit intérieur brut (PIB) ?
Je vais vous répondre méthodiquement car tout ce que vous dites est archifaux.
Commençons par le début : les conclusions du Conseil européen de la fin octobre ont rappelé la condamnation des attaques terroristes du Hamas et le droit d'Israël à se défendre, dans le respect du droit international et humanitaire ; elles ont demandé, également, la libération des otages, ainsi qu'une trêve dans la bande de Gaza. Je vous rappelle, en outre, la conférence humanitaire qui se tiendra demain à Paris.
Ensuite, l'Union européenne ne se mêle pas et n'a pas vocation à se mêler de tout. En ce qui concerne les droits LGBT, la France fait pression sur les pays qui ne les respectent pas mais ils ne sont pas inscrits dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Nous continuerons néanmoins de nous battre, parce qu'ils font partie de nos valeurs.
Quant à la prétendue austérité économique, elle donne envie de rigoler car l'évolution des dépenses publiques dans tous les pays de l'Union européenne depuis la crise de la Covid-19 démontre qu'elle n'existe pas. Cette crise a été admirablement gérée et les emplois ont été préservés : nous avons aujourd'hui le taux d'emploi le plus élevé depuis quatre décennies et le taux de chômage le plus bas.
Quant au populisme d'extrême droite, peut-être n'en avez-vous pas été informée, mais il a été défait en Espagne, où un nouveau gouvernement se met en place.
Enfin, que vaut votre injonction à faire une Europe sociale et une l'Europe de la paix quand vous ne voulez même pas du rattrapage économique des pays d'Europe de l'Est, au motif qu'ils feraient du dumping social ? C'est un peu choquant. Nous voulons, quant à nous, que tous les peuples européens, y compris ceux des pays candidats, aient le même niveau de vie, le même niveau de liberté de parole et le même niveau de démocratie, de respect, de dignité et de droits humains que chez nous. Je vous rappelle que dans certains pays, où la presse n'est pas libre, il n'est pas possible de dire ce que vous dites dans les rues.
Le sommet de la CPE s'est tenu avant les attaques du Hamas en Israël. Depuis cette date, le monde a les yeux rivés sur le Proche-Orient. Alors que la guerre continue en Ukraine, la situation politique aux États-Unis rend possible un désengagement partiel des Américains aux côtés de ce pays, voire un scénario similaire à celui de leur retrait d'Afghanistan. Du côté européen, force est de constater qu'il n'existe pas de stratégie consolidée pour gérer ce conflit. Sans les États-Unis, l'Europe aurait du mal, aujourd'hui, à soutenir l'Ukraine efficacement.
Dans ces conditions, quelles mesures concrètes la Communauté politique européenne a-t-elle envisagées pour renforcer et mieux coordonner son soutien à l'Ukraine, pour être prête en cas de désengagement américain ?
Pour ce qui est des migrations, plusieurs pays membres de la CPE qui ne font pas partie de l'Union européenne, dans les Balkans, sont situés sur des routes migratoires. Avez-vous évoqué avec ces États des modalités de coopération qui leur permettraient de freiner l'arrivée massive de migrants ?
En ce qui concerne l'Ukraine, vous avez raison. Le Conseil européen de fin octobre a du reste insisté sur le fait que l'Union européenne restait pleinement mobilisée pour soutenir l'Ukraine jusqu'à sa victoire et appliquer, quand elle le décidera, le plan de paix en huit points qu'elle a élaboré. L'Union européenne prépare également des engagements de sécurité envers l'Ukraine. Il faut en effet rappeler que la grande angoisse des pays de l'Est et des pays baltes est d'être les prochains sur la liste. Assurer la sécurité de l'Ukraine, c'est assurer leur sécurité et la nôtre. C'est la raison pour laquelle nous y travaillons déjà.
Il y aura lundi 13 novembre, à Bruxelles, un Conseil des affaires étrangères (CAE), qui permettra de renforcer ce que nous faisons déjà en matière de sécurité et de défense. Au-delà des 50 milliards d'euros déjà prévus, il y sera question de la consolidation de la Facilité européenne pour la paix (FEP), de la mission de formation des soldats ukrainiens dans toute l'Union européenne et de la cybersécurité, qui est au cœur de cette guerre et de notre démocratie.
La route des Balkans empruntée par les migrants et celle de la Méditerranée, qui est tout aussi importante, sont l'une et l'autre utilisées par les réseaux du crime organisé que j'ai évoqués tout à l'heure. La protection des frontières extérieures passe par un renforcement des discussions entre les pays du Nord et du Sud de la Méditerranée et avec ceux des Balkans. Parmi les points dont nous discutons avec les pays des Balkans, dans la perspective de leur adhésion à l'Union européenne, figurent des conditions d'alignement sur notre politique de sécurité vis-à-vis de l'Ukraine, sur l'application des sanctions et sur la politique des visas, qui commence d'ailleurs à porter ses fruits, puisque les flux migratoires à travers ces pays se réduisent. Nous contrôlons donc de mieux en mieux cette route des Balkans.
Comme vous l'avez rappelé dans votre introduction, madame la secrétaire d'État, les présidents azerbaïdjanais et turc, ainsi que le premier ministre kosovar, étaient absents lors du troisième sommet de la CPE. Pourtant, cette enceinte a été conçue comme un espace de dialogue et de coopération visant à rapprocher les sociétés civiles du continent. Ces absences sont d'autant plus problématiques que les perspectives d'adhésion à l'Union européenne ont été au centre des débats de ce sommet. Je tiens à saluer, à cet égard, la qualité du rapport remis par le président de notre commission en juillet dernier sur la proposition de résolution européenne relative aux suites de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, qui illustre très bien le triple défi de l'identité, de la gouvernance et de la position géopolitique auquel l'Union européenne doit faire face.
À ce jour, huit États sont candidats à l'adhésion ; le processus d'élargissement est en crise depuis plusieurs années, comme en témoignent l'enlisement de la candidature de la Turquie et le retard pris par celle des pays des Balkans ; avec le Brexit, un pays a quitté l'Union européenne ; les démocraties illibérales hongroise et polonaise remettent en cause nos valeurs et nos principes ; s'ajoute à ce tableau la guerre en Ukraine.
D'après les échanges que vous avez pu avoir lors du sommet de la CPE et à la veille des prochaines élections européennes, que pensent les Français et leurs voisins de l'élargissement de l'Union européenne ? Quelles sont les perspectives concrètes pour les pays des Balkans ?
Pour répondre à votre deuxième question concernant les pays des Balkans, il est difficile de se prononcer avant la remise, demain, du rapport de la Commission, qui présentera une évaluation des progrès accomplis par les différents pays candidats à l'adhésion. Ce que je peux vous dire, c'est que la question de l'État de droit, que vous avez mentionnée à propos de la Pologne et de la Hongrie, est au cœur de toutes les discussions. Il s'agit, en effet, du point le plus important. Des mesures très dures ont été prises à l'encontre de ces deux pays, qui l'un et l'autre remettent en cause l'indépendance ou l'impartialité de la justice. Les membres de l'Union européenne ont pris conscience qu'ils devaient être encore plus exigeants, dans la durée, avec les pays qui veulent les rejoindre.
À cet égard, et au risque de me répéter – mais il est bon parfois de le faire –, la nouvelle méthode repose sur les mérites des candidats, mais aussi sur la réversibilité. Tous les États membres veulent maîtriser complètement ce processus d'adhésion, qui peut durer de dix à quinze ans. Pour ne pas décourager les candidats, nous proposons donc une intégration graduelle, qui leur permet de tirer bénéfice des progrès qu'ils accomplissent mais qui peut aussi les pénaliser s'ils régressent sur certains points.
Quant à l'Arménie, la France a été la première à clairement soutenir ce pays, en partie parce qu'elle abrite une population arménienne importante. Nous nous mobilisons, d'abord, à titre bilatéral : le ministre des armées, Sébastien Lecornu, a ainsi reçu son homologue arménien à Paris pour signer un contrat d'aide militaire. Nous nous mobilisons, ensuite, au niveau européen, en demandant d'utiliser la Facilité européenne pour la paix – qui l'est déjà pour l'Ukraine – pour aider l'Arménie à assurer sa sécurité. Nous allons également renforcer la mission civile de l'Union européenne en Arménie (EUMA) en augmentant le nombre de personnels pour assurer la paix, à la frontière avec l'Azerbaïdjan. Aujourd'hui, le business as usual avec l'Azerbaïdjan est très clairement impossible et la France demandera des sanctions. Catherine Colonna, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, mobilisera ses partenaires en ce sens lors du Conseil des affaires étrangères du 13 novembre.
Je me permets d'ajouter que les bouleversements intervenus au Moyen-Orient ne sont pas sans retentissement sur la situation arménienne. L'Azerbaïdjan avait réclamé le rétablissement de ses pleins pouvoirs sur le Haut-Karabagh au nom de sa souveraineté sur cette enclave arménienne, qui n'était pas considérée comme souveraine. Or il y a des enclaves azerbaïdjanaises en Arménie qui sont dans la même situation, pour lesquelles l'Azerbaïdjan a complètement inversé sa doctrine, puisque le pays considère désormais qu'elles doivent être considérées comme souveraines et lui être rattachées. Nous avons là des éléments de contentieux, une pression considérable et des manœuvres conjointes des Azerbaïdjanais et des Turcs qui doivent retenir toute notre attention et notre vigilance. La situation n'est pas gelée et ce dossier n'a pas été clos par l'abandon du Haut-Karabagh par l'Arménie.
Le groupe Socialistes et apparentés est bien évidemment favorable à toutes les initiatives visant à renforcer le multilatéralisme. Cependant, dès le premier sommet, à Prague, et plus encore avec les absences pénalisantes des présidents de Turquie et d'Azerbaïdjan lors de celui de Grenade, la CPE a montré ses limites. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, dans ce monde que l'on dit d'après, la conflictualité et les rapports de forces tendent à supplanter la diplomatie et la coopération. Il est nécessaire que nos diplomates rassurent les candidats à l'adhésion à l'Union européenne car il serait délétère que la CPE soit perçue comme un moyen commode de repousser les discussions et l'élargissement.
Si la CPE doit représenter un cadre de dialogue utile, il lui faut des réalisations tangibles et des ambitions diplomatiques, comme celles dont nous avions su faire preuve lors de l'organisation de la COP21, à Paris. Cela avait valu à la France – hélas trop ponctuellement – de figurer à la première place au classement du soft power de 2017. Que le temps passe vite !
Quelles sont les initiatives diplomatiques qui pourraient être prises pour que la France retrouve une véritable influence, alors que de graves crises fragilisent l'Europe ?
Il est vrai que le conflit en Arménie n'est pas gelé et c'est pour cela que des organisations comme la CPE sont importantes. Nous devons nous préparer à d'éventuelles actions de l'Azerbaïdjan et c'est également la raison pour laquelle la France est tant mobilisée pour que les Européens soient prêts, si cela devait arriver, à prendre des sanctions et à apporter du soutien militaire. Lorsque vous parlez de leadership, je peux vous assurer que notre pays est à l'avant-garde sur cette question arménienne, comme sur nombre d'autres sujets.
La Communauté politique européenne commence à dessiner sa propre personnalité, notamment parce qu'elle met tous les États membres sur un pied d'égalité, ce qui répond à un fort désir de la plupart des pays concernés. Lors de la première conférence intergouvernementale qui entérinait les perspectives d'une candidature de son pays à l'adhésion, le premier ministre albanais Edi Rama déclarait ainsi que les bons et mauvais points distribués durant le processus d'élargissement étaient politiquement nécessaires pour assurer la convergence mais pas très agréables. Au sein de la CPE, tous ces pays sont sur la photo et peuvent discuter entre eux avec le même poids, qu'il s'agisse de l'Albanie, du Royaume-Uni ou de la Pologne, et cela fait une énorme différence. Chacun peut, en outre, contribuer avec ses propres forces. Ainsi, mon homologue ukrainienne m'avait dit que son pays était à la pointe en matière de cybersécurité – ce que je crois volontiers, considérant ce qui leur arrive – et m'avait proposé de partager son expérience en la matière. Un an plus tard, la réserve cyber est mise en place. C'est là une illustration de cette forme de maturité que la CPE a atteinte.
Si l'Europe n'est pas seulement un continent mais une véritable communauté de nations, avec une culture et des idéaux communs, c'est aussi parce que sa jeunesse se sent de plus en plus européenne. L'Union européenne a su promouvoir pour les jeunes un accès facilité à la culture, à l'éducation et au travail dans l'ensemble de ses pays membres. Entre 2014 et 2020, ce sont près de six cent mille personnes qui ont pu bénéficier du programme Erasmus au départ de la France. Le budget de ce programme a d'ailleurs été augmenté de 80 % dans le budget pluriannuel de l'Union européenne pour la période 2021-2027.
Au sein d'Erasmus, un dispositif permet à des jeunes de 18 ans de disposer d'un titre de transport gratuit pour voyager en train dans l'ensemble de l'Union, comme vous l'avez rappelé. Partout où ils vont, ils peuvent profiter d'un accès facilité à la vie culturelle et aux musées nationaux des pays membres.
Le groupe Horizons et apparentés salue l'initiative, lancée lors de la dernière réunion de la CPE, d'ouvrir ces facilités au-delà des pays membres de l'Union européenne. Ce sujet sera-t-il à l'ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil européen, en décembre ?
Le programme Erasmus est souvent critiqué parce qu'il ne concerne que 4 % des jeunes, dont une minorité est issue des classes populaires. Comment faire en sorte que l'élargissement des coopérations européennes à destination de la jeunesse bénéficie au plus grand nombre ?
La jeunesse doit être au cœur de la Communauté politique européenne car seule l'expérience de la citoyenneté européenne permet d'acquérir cette identité et ce sentiment d'appartenance. Nous avons beaucoup parlé de géopolitique mais l'un des objectifs de la CPE est de renforcer les liens entre les peuples, comme le demandait Mme Soudais, et entre les jeunes, grâce à la mobilité, aux échanges et aux rencontres, pour souder la famille européenne. À chaque réunion de la CPE, nous essayons de trouver des mesures très concrètes en faveur des jeunes et, plus largement, de la population. À Chisinau, nous avons ainsi pris des initiatives en faveur de la baisse des frais d'itinérance. Il y a aussi le pass Interrail, que vous avez mentionné, et le programme Erasmus, pour lequel les pays des Balkans, entre autres, souhaiteraient pouvoir bénéficier de labels européens pour leurs universités, à condition que celles-ci répondent à certaines exigences en matière d'éducation. Car tout le monde ne rêve pas de nous envahir et certains pays souhaitent, tout simplement, une croissance qui permettre à leurs citoyens de rester chez eux pour jouir de la prospérité.
Pour ce qui concerne Erasmus, nous pouvons demander à la Commission européenne de faire beaucoup plus, en termes budgétaires, pour aider au logement des Erasmus, notamment pour les apprentis et les élèves des lycées professionnels. Bien entendu, toutes vos suggestions sont les bienvenues.
Vous nous avez démontré qu'il n'est pas nécessaire de faire partie de l'Union européenne pour coopérer et pour se sentir Européen. Vous nous avez expliqué que même ceux qui ont quitté l'Union européenne – et qui ne désirent surtout pas la réintégrer – sont membres de la CPE. Nous disposons donc d'un outil, qui peut être perçu comme une mini-ONU sans pouvoir, qui ne s'appuie même pas sur une assemblée parlementaire. C'est également le cas de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). « Coopération », « sécurité et « Europe » sont trois mots que vous avez utilisés à de nombreuses reprises pour parler de la CPE : l'OSCE aurait pu être votre base de travail mais la Macronie a préféré inventer un nouveau truc, sans assemblée, où l'on reste entre dirigeants. C'est dommage car l'assemblée parlementaire de l'OSCE a beaucoup travaillé et a permis de faire avancer certains dossiers. On a donc un peu de mal à situer la CPE. Vous rêvez, comme le président de la République, d'une Europe intégrée mais, à force de l'élargir, elle est de moins en moins intégrable.
Vous avez également abordé la question du niveau de vie des Européens ; on a bien compris que tout ce qui baisse le pouvoir d'achat à l'Ouest de l'Europe permet un rééquilibrage avec l'Est. On a compris le mode de fonctionnement et les objectifs mais ils sont inavouables. Si vous reconnaissez que vous êtes obligés de faire perdre de l'argent à certains pour rééquilibrer l'ensemble et créer l'État européen – c'est-à-dire les États-Unis d'Europe, le rêve ! – pour peser face à la Russie et à la Chine, les peuples ne l'accepteront pas. Il vous faut donc trouver des biais et mettre en place un petit mécanisme – que j'aime bien, du reste, parce qu'il démontre que la coopération est possible, même si j'aime moins le fait qu'il ne soit pas démocratique.
Se parler et inventer ensemble des chemins, sans pour autant se marier, ni fusionner, est gage de prospérité et de paix. Malheureusement, cela n'a pas permis de garantir la paix et nous n'avons pas encore trouvé le bon mécanisme, ni avec l'Union européenne, ni avec la CPE. Ce sont peut-être les moyens de la diplomatie et la prospérité des peuples – comme vous le dites – qui le permettront mais cela signifie que certains devront s'en mettre un peu moins dans les poches et qu'il faudra partager un peu plus, pour que la prospérité soit une réalité pour tous. Notre planète a de quoi nourrir tout le monde, de quoi permettre à chacun de vivre, non pas prospère, mais heureux là où il est. En tout cas, c'est mon rêve européen.
Je le regrette profondément mais nous ne sommes pas d'accord.
L'OSCE, dont la Russie est membre, est bloquée depuis que ce pays a envahi l'Ukraine. En outre, elle n'est pas fondée sur des valeurs communes mais sur un objectif de sécurité. Du reste, le projet de la CPE, qui ne conditionne pas le fait de pouvoir se parler à des exigences en termes d'État de droit ou de valeurs, est lui aussi très différent du projet d'avenir et de destin qu'incarne l'Union européenne, laquelle en outre ne vise pas à une convergence par le bas, comme vous semblez le suggérer – ce que, je l'avoue, j'ai un peu mal pris –, mais bien à une convergence par le haut, avec un niveau de prospérité croissant pour tout le monde, qui permet de mieux distribuer. Je n'adhère pas du tout à la théorie du jeu à somme nulle à laquelle vous avez l'air de croire.
Par ailleurs, l'Union européenne n'est pas une fédération, comme l'exprime sa devise, Unis dans la diversité. Et puis, on n'y fait pas que parler : nous construisons ensemble. Je vous rappelle que si l'Union européenne a pour fondations l'État de droit, elle a aussi la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Ce pacte économique entre la France et l'Allemagne est en train de devenir un pacte politique, parce que le monde est dangereux et que nous devons faire entendre la voix de l'Europe.
C'est un fait que l'Europe est la région où se trouvent le plus grand nombre de citoyens au monde, qui vivent dans un espace démocratique et cherchent l'égalité entre les citoyens. Les États-Unis sont eux aussi démocratiques mais les inégalités y sont plus fortes ; quant à la Russie et à la Chine, vous conviendrez que ni la démocratie, ni l'égalité ne sont leurs caractéristiques premières.
Voilà le modèle que nous voulons construire, tout en assurant la sécurité de notre continent, comme vous l'avez dit vous-même. Il faut, pour y parvenir, que nous bâtissions des politiques communes, y compris en matière de défense, comme nous avons commencé à le faire.
Madame la secrétaire d'État, je me permets de vous interpeller au sujet des territoires ultramarins et des régions ultrapériphériques (RUP) européennes, dont Mayotte fait partie. Je souhaite vous interroger sur le mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE) et sur l'éligibilité du port de Mayotte à ses subventions, dans le cadre du règlement relatif au réseau transeuropéen de transport (RTE-T).
Le port de Longoni, dont le taux de croissance annuel est de 7 %, jouit d'une localisation idéale pour profiter de la manne gazière à venir du canal du Mozambique. Pour en bénéficier et pour répondre aux besoins croissants de la population de Mayotte, ce port doit se moderniser grâce à un projet d'aménagement et d'agrandissement évalué à plus de 200 millions d'euros, qui s'adosserait à des fonds européens. Cet investissement à Longoni est capital pour éviter une saturation rapide des infrastructures et pour soutenir le développement de l'économie mahoraise. Il y a urgence mais le port de Mayotte se trouve actuellement exclu des cartes des corridors prioritaires du règlement RTE-T. Cette exclusion le rend inéligible aux appels à projets du MIE pour l'année 2023. Bien que des négociations soient en cours pour réviser le règlement RTE-T avec une proposition favorable à l'inclusion du port de Mayotte, il semble que cette révision ne prendra effet qu'au printemps 2024. Cela laisse présager une éventuelle éligibilité pour les appels à projets 2024 mais avec une forte incertitude quant à la disponibilité de ces fonds, notamment pour les infrastructures portuaires.
Quelles mesures pensez-vous prendre pour soutenir activement l'inclusion du port de Longoni dans les corridors prioritaires du RTE-T lors de sa révision ?
Compte tenu de la probable limitation des subventions du MIE pour les infrastructures portuaires lors des futurs appels à projets, comment comptez-vous œuvrer au niveau européen pour vous assurer que ces infrastructures vitales pour les territoires insulaires ultramarins seront bien éligibles aux futurs appels d'offres ?
Selon le règlement RTE-T qui est actuellement en vigueur, le port de Mayotte n'est pas inscrit dans le réseau global du RTE-T et n'est donc pas éligible aux financements européens du volet transports du mécanisme d'interconnexion en Europe.
À la demande des autorités françaises, l'inscription du port de Mayotte dans le réseau global du RTE-T est intégrée dans l'annexe 2 de la proposition initiale de la Commission sur la révision du règlement RTE-T. Ce règlement est en cours de négociation interinstitutionnelle.
De façon plus générale, la France est favorable à ce que la révision du règlement s'adapte aux contraintes et aux caractéristiques structurelles des RUP. Nous soutiendrons la position du Conseil qui prévoit des dérogations spécifiques relatives aux infrastructures de transport ferroviaire, notamment pour que l'obligation de relier les aéroports et les ports aux lignes ferroviaires et aux terminaux de fret multimodaux, ainsi que les dispositions afférentes, ne s'appliquent pas aux régions ultrapériphériques tant qu'aucun système ferroviaire n'existe sur le territoire.
Je suis à votre disposition pour en discuter plus précisément avec vous si vous le souhaitez.
Le président Emmanuel Macron a effectué, les 17 et 18 octobre, une visite historique en Albanie, à laquelle vous et moi avons participé, madame la secrétaire d'État. C'est la première visite d'un président de la République française dans ce pays depuis son indépendance, en 1912, et nous avons pu constater qu'une solide relation d'amitié et des coopérations économiques et culturelles unissaient nos deux pays. Le président de la République a eu des mots forts, parlant d'une réunification européenne pour évoquer l'adhésion de l'Albanie et des autres pays des Balkans occidentaux à l'Union européenne.
C'est parce que je m'intéresse beaucoup à ce pays et que je crois à son destin européen que je m'étonne qu'il soit à la fois une terre d'émigration et d'immigration. En effet, si de nombreux Albanais quittent leur pays, celui-ci a dans le même temps accueilli cinq cent mille Kosovars ayant fui la guerre avec la Serbie, ainsi que de nombreux réfugiés iraniens et afghans. De même, en vertu d'un accord signé le 6 novembre, il se prépare à accueillir des migrants sauvés en Méditerranée par la marine italienne. Que pensez-vous de cet accord ?
Un tiers des Albanais ont en effet quitté leur pays au cours des dernières années. L'accord que l'Albanie et l'Italie ont signé est intéressant et s'inscrit dans la ligne des discussions sur les migrations qui ont eu lieu lors du sommet de la CPE de Grenade. Nous en étudions la légalité, afin de voir comment il peut être étendu, répliqué et appliqué par d'autres pays.
L'Union européenne a alloué un montant de près de 18 milliards d'euros d'aide directe à la Turquie depuis 1996, en vertu principalement de son statut de candidat à l'adhésion. Pour la période 2021-2027, la Turquie continue de bénéficier de l'instrument de préadhésion, alors que ce pays conduit contre la France et l'Europe une stratégie d'agression assumée, suivant en cela une logique d'affrontement contre la civilisation occidentale. Propos outranciers du président Erdogan contre le président de la République française, déclarations contre Charlie Hebdo, chantage migratoire contre l'Europe, stratégie d'influence à travers le nationalisme turc et le Millî Görüş – qui, d'ailleurs, a refusé de signer la charte de la laïcité – : les exemples ne manquent pas.
Il y a quelques jours encore, le président Erdogan accusait l'Occident d'être le principal coupable des massacres à Gaza et d'instaurer une atmosphère de nouvelle croisade à l'encontre du croissant. Et que dire de son soutien au régime criminel de Bakou et à l'opération d'épuration ethnique menée au Haut-Karabagh, dont vous avez parlé tout à l'heure, en des termes plus pudiques. Seuls les députés du Rassemblement national s'opposent constamment aux fonds de préadhésion accordés à la Turquie, qui n'a rien à faire à nos côtés dans l'Union européenne.
Madame la secrétaire d'État, la France a-t-elle une position claire quant au statut de candidat à l'adhésion de cette Turquie hostile ? Quand s'élèvera-t-elle enfin contre le versement de l'argent des Français à la Turquie par l'Union européenne ?
Faisons un peu de realpolitik. Tout d'abord, je suppose que vous savez que le processus d'adhésion de la Turquie est gelé. Ensuite, il ne vous a sans doute pas échappé que, sur les montants que vous avez évoqués, 3,5 milliards étaient destinés aux réfugiés qui venaient notamment de Syrie et étaient épuisés. Et comme je suis sûre que vous suivez avec attention les événements du Proche-Orient, je pense qu'il ne vous a pas échappé non plus qu'il s'agissait d'une région instable.
Lorsqu'elle est arrivée au pouvoir, la présidente du Conseil des ministres italien, Mme Giorgia Meloni, a expliqué qu'elle ferait, toute seule, un blocus naval et qu'elle parviendrait ainsi à freiner les vagues migratoires. Six mois plus tard environ, c'est elle-même qui a engagé les actions de l'Union européenne et de tous les États membres pour discuter avec les pays du Proche et du Moyen-Orient, parce que c'est la seule solution pour essayer de maîtriser les flux migratoires.
Le Kosovo n'étant reconnu que par cinq pays de l'Union européenne, lui accorder une reconnaissance au nom de l'Union européenne reviendrait à créer un conflit juridique car des divergences importantes existent sur le sujet. Le Conseil de l'Union européenne a adopté, le 9 mars 2023, un régime de déplacements sans obligation de visa au profit des titulaires d'un passeport délivré par le Kosovo. Il s'agit d'une première étape vers l'intégration à l'espace Schengen. Parallèlement, le 10 mai 2023, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant, entre autres, les difficultés que rencontre la lutte contre la criminalité organisée dans le Nord du Kosovo et la situation institutionnelle qui entrave la lutte contre la corruption et contre cette criminalité organisée. Le Parlement européen rappelle par ailleurs que nous avons versé 1,2 milliard d'euros au Kosovo depuis 2007.
Quelle sera votre position quant à l'adhésion du Kosovo à l'Union européenne ? Rejoignez-vous la position du Parlement européen, qui considère que le Kosovo est instable et gangrené par la criminalité organisée, ou celle de la Commission, qui le juge sûr au point d'octroyer à ses ressortissants la liberté de circulation dans l'espace Schengen et de soutenir sa candidature à l'adhésion ?
Je pense que votre langue a fourché car le Kosovo n'est pas reconnu par cinq des Etats membres de l'Union européenne mais par vingt-deux. Ce sont donc seulement cinq pays de l'Union qui ne le reconnaissent pas.
La France et le président de la République sont particulièrement mobilisés sur une position dure à l'égard de la Serbie et du Kosovo en ce qui concerne la stabilité territoriale. Il est évident que les événements qui se sont déroulés au Nord du Kosovo sont un problème dans la perspective du processus d'adhésion. Il y aura donc des conditions de stabilité territoriale puisque, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous voulons que ce processus soit maîtrisé et que les pays que nous intégrons s'entendent entre eux. La position de la France est également très dure pour ce qui concerne les visas, avec la Serbie et avec le Kosovo, comme l'a rappelé le président lors de sa visite en Albanie que Mme Clapot vient d'évoquer.
Boycottée par Bakou, la réunion de la Communauté politique européenne n'a malheureusement pas permis de résoudre la situation dramatique dans laquelle se trouvent les Arméniens du Haut-Karabagh, victimes de l'agression azerbaïdjanaise.
L'Arménie est une grande démocratie et un pays frère. Nous avons le devoir de la soutenir, d'autant que ce conflit révèle un enjeu géopolitique plus global : le combat des démocraties face aux régimes autoritaires, qu'illustre la complicité de Moscou lors des opérations militaires menées par l'Azerbaïdjan contre l'Arménie.
Notre pays a agi depuis le 19 septembre, notamment en annonçant la livraison de matériel militaire à l'Arménie, mais nous devons faire plus encore. C'est la raison pour laquelle la France a demandé au chef de la diplomatie européenne d'inclure l'Arménie dans le champ de la Facilité européenne pour la paix et de renforcer les effectifs de la mission d'observation européenne. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la mise en œuvre de ces annonces ?
Ces annonces seront discutées lundi 13 novembre lors du Conseil des affaires générales et je ne peux donc pas, hélas, vous en dire plus que ce que j'ai dit précédemment. J'insiste, en revanche, sur le fait que la France est leader, qu'elle fait pression pour qu'il y ait des sanctions en cas de dérapages et pour que nous soyons prêts à fournir de l'aide militaire, si nécessaire. Il est en effet inadmissible que l'Azerbaïdjan ait planifié et organisé l'exode de plus de cent mille Arméniens.
Vous vous gargarisez de la prétendue réussite du dernier sommet de la CPE, alors que la réalité est bien différente, compte tenu de l'absence de l'Azerbaïdjan et de la Turquie, qui a déjà été rappelée à plusieurs reprises, et des questions que soulève le Kosovo ; à ce propos, je ne vois pas comment vous comptez améliorer la situation entre le Kosovo et la Serbie.
Si cet élargissement devait se faire – ce que nous ne souhaitons pas –, comment pensez-vous procéder ? S'agit-il d'intégrer tous les pays en même temps ou, puisque vous parlez de réversibilité, de le faire pays par pays, auquel cas nous risquons d'être confrontés à des conflits ingérables ?
Par ailleurs, il est curieux de financer des pays avant qu'ils n'aient réalisé les réformes demandées. Vous semblez oublier la force du patriotisme et du besoin de souveraineté qui s'expriment dans ces pays, et c'est regrettable.
Nous avons regretté les absences de l'Azerbaïdjan et de la Turquie, qui n'étaient pas de notre fait. Ce sommet de la CPE a permis d'affirmer très clairement notre soutien au premier ministre arménien et de renouveler celui que nous apportons au président Zelensky, ce qu'il était important de faire dans la période actuelle. Cette réunion de Grenade a également permis de présenter un nouveau format en matière de migrations, très pratique et pragmatique. Enfin, c'est lors du sommet de la CPE de Prague qu'avait été lancée la mission européenne en Arménie. Ce sont des avancées concrètes, alors que je ne vous ai pas entendu faire la moindre proposition.
En ce qui concerne l'intégration à l'Union européenne, elle est basée sur le mérite et, croyez-moi, ces pays souverains – comme vous dites et comme je le crois – le comprennent très bien. Par exemple, le premier ministre albanais lui-même a dit, en présence du président de la République et de la presse, que son pays était prêt à avancer à une vitesse différente de celle de la Macédoine du Nord et qu'il lui fallait du temps – de cinq à dix ans – pour s'acculturer.
Ne le niez pas, madame, vous n'étiez pas présente ! Et ce n'est pas moi qui le dis, c'est lui qui le revendique.
Quant aux financements et aux réformes, c'est le même schéma que le plan de relance : nous sommes un pays souverain et nous avons parfaitement bénéficié à la fois des financements et des réformes.
J'ai eu l'occasion de faire un rapport dans ces pays, ce qui me permet de vous dire ce que je vous ai dit.
La Communauté politique européenne a pour ambition de renforcer la cohésion, la coopération et le dialogue entre les pays du continent européen. Depuis le traité de Maastricht, dont nous fêtons les trente ans, l'Union européenne cherche à se doter d'une véritable politique extérieure mais les États membres souhaitent toujours décider de leur politique étrangère. Pourtant, l'Union européenne joue déjà un rôle crucial dans le cadre de certains conflits. Ainsi, depuis le début de la guerre en Ukraine, elle a su apporter une réponse unifiée et soutenir l'Ukraine et les valeurs démocratiques que nous défendons.
Qu'en est-il de la position européenne face à la situation au Proche-Orient ? Ce conflit illustre sans doute la difficulté que peut rencontrer l'Union européenne à parler d'une même voix sur un sujet international délicat. Bien que les États membres soient parvenus à délivrer une déclaration commune, le vote de la résolution du 27 octobre à l'ONU a révélé des divergences : certains ont voté pour, certains ont voté contre, beaucoup se sont abstenus. Alors qu'il est difficile de concilier les points de vue entre États membres, pensez-vous que la CPE puisse aider à renforcer les prises de position communes ?
D'une façon générale, on a l'impression que la CPE est condamnée et louée pour les mêmes raisons. Certains, comme M. Lecoq, en vantent la flexibilité, qui engendre une moindre efficacité. Il faut choisir : soit chacun fait ce qu'il veut, ce qui est le cas dans la CPE, qui est un simple forum ; soit on dispose d'une méthode intégrée, comme c'est le cas au sein de l'Union européenne. Ce n'est pas, bien sûr, la réponse que je fais à votre place mais celle que m'inspirent les questions de mes collègues.
Évidemment, la CPE et l'Union européenne n'ont pas la même vocation. La CPE est un forum pour discuter et pour contribuer à résoudre des crises régionales. Celles-ci ne se règlent jamais en un claquement de doigts – il faut du temps – mais ce n'est pas une raison pour se résoudre à ne rien faire, à rester chacun chez soi et à subir.
S'agissant du Proche-Orient, il est important qu'il y ait eu une position commune au Conseil européen pour condamner les attentats terroristes du Hamas, pour dire qu'Israël avait le droit de se défendre dans le respect du droit humanitaire et pour demander la libération des otages. Quant aux votes divergents aux Nations Unies, ils s'expliquent, pour beaucoup, par l'histoire de chaque pays, notamment celle écrite pendant la seconde guerre mondiale.
Lorsqu'il a lancé l'idée de la Conférence politique européenne le 9 mai 2022, quelques semaines après l'attaque de l'Ukraine par la Russie, Emmanuel Macron ne savait pas lui-même à quoi elle servirait, si ce n'est qu'elle avait vocation à réunir régulièrement les pays européens, au-delà des frontières communautaires. Si nous pouvons nous réjouir des occasions de dialogue qu'offre cette assemblée générale des nations européennes pour avancer sur les dossiers qui concernent tous les peuples du continent et certains de leurs voisins, nous refusons que cette CPE favorise l'entrée de certains loups dans la bergerie de l'Union européenne.
Madame la secrétaire d'État, quelles sont les garanties que vous pouvez apporter à la représentation nationale à cet égard ?
Pardonnez-moi mais je crois que votre langue a également fourché : la CPE n'est pas la Conférence mais la Communauté politique européenne. Ce n'est pas très grave.
Il est clair, depuis l'origine de la CPE, qu'elle n'a aucunement vocation à se substituer à l'élargissement, ce qui explique qu'on y trouve des pays qui, comme la Norvège, ne souhaitent pas intégrer l'Union européenne, ainsi que le Royaume-Uni, qui l'a quittée et n'a pas l'intention d'y revenir, et bien d'autres. Certains pays ont même craint que la CPE ne soit créée pour remplacer l'élargissement mais c'est faux.
Le troisième sommet de la Communauté politique européenne a été marqué par l'actualité tragique en Arménie et par l'absence remarquée des présidents Aliev et Erdogan. À l'issue de cette réunion, le président de la République s'est prononcé en défaveur de sanctions gazières à l'encontre de l'Azerbaïdjan, les estimant inutiles.
Pourquoi la France et l'Union européenne n'ont-elles pas souhaité appliquer à l'Azerbaïdjan les sanctions qu'elles ont appliquées à la Russie lors du déclenchement de la guerre en Ukraine ? Celles-ci ont pourtant été unanimement adoptées, au prix d'une explosion des coûts de l'énergie et d'un affaiblissement considérable des économies européennes au profit de celles de la Chine et des États-Unis.
Je rappelle tout d'abord que la France n'importe pas de gaz azerbaïdjanais. Le président de la République n'a jamais été opposé aux sanctions, bien au contraire, comme je l'ai rappelé au début de mon intervention. Ces sanctions seront discutées lors du Conseil des affaires étrangères lundi prochain et vous comprendrez que je ne peux pas en dire plus aujourd'hui.
Madame la secrétaire d'État, le général de Gaulle disait que l'autorité n'allait pas sans mystère, ni le mystère sans éloignement. Vous venez de clore votre intervention par une note de mystère et d'énigme, qui ne fait que renforcer votre autorité.
Je tiens à vous remercier pour la vivacité, la sincérité, la précision et la cohérence de vos réponses. Tout le monde n'est pas d'accord avec vos propos – certains le sont – mais personne ne peut mettre en cause la qualité de votre prestation, comme on dit désormais.
Souhaitez-vous ajouter quelques mots de conclusion ? La seule question à laquelle vous ne pouviez pas répondre est celle que j'ai posée au début. Nous avons l'impression que, ces derniers mois, l'histoire est de retour. Elle exige des réponses et on a le sentiment que la pâte est difficile à lever, même si je pense que le Gouvernement, dont vous faites partie, et le chef de l'État, qui l'oriente, n'ont d'autres objectifs que de faire lever cette pâte.
Vous suggérez que les États européens ne sont pas suffisamment mobilisés. Certes, tout n'est pas parfait mais quelques nuances s'imposent.
Tout d'abord, des leaders européens, au sein du Conseil européen, se sont mobilisés dès le 15 octobre et ont adopté une position commune sur le Proche-Orient. Pour la première fois depuis plusieurs années, l'Europe s'exprime d'une seule voix sur cette question, sans veto de la Hongrie, ni de la Pologne.
Ensuite, il y a eu un triplement de l'aide humanitaire, qui a été contrôlée pour qu'elle ne profite pas aux terroristes du Hamas. Nous en avons toutes les garanties, qui sont à votre disposition.
Troisièmement, de nombreux responsables européens, dont Mme Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères – qui s'y est rendue deux fois –, se sont déplacés au Proche-Orient en vue d'éviter l'escalade régionale.
Enfin, mesdames et messieurs les députés du Rassemblement national, qui semblez inquiets quant à la réunion de la « famille européenne » – selon le mot de Mme Clapot –, le soutien exprimé par votre collègue Yaël Menache à l'entrée de la Serbie dans l'Union européenne montre qu'il existe au moins un pays qui vous semble prêt à être intégré.
La séance est levée à 19 h 25.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Xavier Batut, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, Mme Eléonore Caroit, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Alain David, Mme Ingrid Dordain, M. Thibaut François, Mme Stéphanie Galzy, M. Hadrien Ghomi, Mme Claire Guichard, M. Philippe Guillemard, M. Michel Guiniot, M. Alexis Jolly, Mme Stéphanie Kochert, M. Didier Parakian, M. Kévin Pfeffer, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, M. Lionel Vuibert, Mme Estelle Youssouffa
Excusés. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Sébastien Chenu, M. Pierre-Henri Dumont, M. Olivier Faure, M. David Habib, M. Meyer Habib, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, M. Laurent Marcangeli, M. Nicolas Metzdorf, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, M. Frédéric Petit, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Liliana Tanguy, Mme Laurence Vichnievsky, M. Éric Woerth
Assistait également à la réunion. - Mme Louise Morel