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Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du mardi 7 novembre 2023 à 17h35
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges, président :

Nous avons le plaisir de recevoir cet après-midi Mme Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe.

Madame la secrétaire d'État, votre audition va nous permettre d'évoquer deux sujets – entre autres –, en apparence distincts mais qui, à y regarder de plus près, ne sont pas sans lien.

Le premier concerne le troisième sommet de la Communauté politique européenne, la CPE, qui s'est tenu à Grenade le 5 octobre dernier et qui a sombré assez rapidement dans une relative pénombre médiatique, puisque deux jours plus tard se déroulaient en Israël les événements dramatiques que l'on sait. Le second sujet que nous voulons évoquer est celui des perspectives d'ouverture des négociations d'adhésion à l'Union européenne pour plusieurs pays, lors du Conseil européen des 14 et 15 décembre prochains à Bruxelles.

Le premier de ces deux événements a eu lieu avant les événements du 7 octobre et l'autre avant la publication, demain 8 novembre, des recommandations de la Commission européenne, de telle sorte que nous ne disposons pas des éléments qui nous auraient permis de vous adresser des interrogations documentées. Heureusement, en somme, que vous êtes parmi nous : ce n'est pas très grave si nous n'avons pas les questions, puisque vous avez les réponses.

Nous ne reviendrons pas sur les différences fondamentales qui existent entre la CPE et l'Union européenne, dont nous avons déjà débattu ici même. Je me contenterai de rappeler que la CPE est une instance intergouvernementale à part, qui n'est ni l'antichambre ni le prolongement de l'Union européenne et regroupant tout à la fois des pays qui sont membres de l'Union européenne, d'autres qui ont vocation à l'être, d'autres encore qui ne le sont plus et n'ont pas vocation à le redevenir et, enfin, d'autres qui ne l'ont jamais été et qui n'auront jamais vocation à le devenir. Il s'agit, en somme, d'un forum qui permet de tester des convergences éventuelles et souhaitables entre ses membres.

Nous ne pouvons que nous féliciter que le sommet de la CPE ait permis de réaffirmer les attentes des Européens quant à la confirmation du soutien américain à l'Ukraine. Cela dit, ces confirmations de soutien se traduisent toujours en obligations de moyens, pas d'objectifs. Tout le monde s'engage à faire des efforts – ce qui est bien – mais pas à aider l'Ukraine à atteindre tel ou tel objectif. Ce sommet s'est tenu bien avant la déclaration du chef d'état-major des armées ukrainiennes qui a plongé les Européens, les Occidentaux et sans doute les Ukrainiens eux-mêmes dans une profonde perplexité et qui a permis aux Russes de plastronner, dans une mesure limitée toutefois.

Madame la secrétaire d'État, comment percevez-vous la réaction potentielle des Européens au changement de décor que représente cette déclaration ?

En outre, nous n'avons pas été très satisfaits de la défection des deux compères de l'opération arménienne – le président de l'Azerbaïdjan, M. Aliev, et son allié turc, le président Erdogan –, dont la venue était pourtant annoncée. Le premier ministre d'Arménie, M. Pachinian, était en revanche présent. Comment expliquez-vous cette défection ? Ne pose-t-elle pas un problème quant à l'efficacité de la CPE ?

Même chose en ce qui concerne le Kosovo, dont le premier ministre, M. Kurti, pourtant très proche de l'Union européenne et de nos choix géopolitiques, a estimé qu'il ne devait pas paraître dans cet aréopage, tant les tensions avec la Serbie sont fortes. Ces absences sont assez lourdes de sens et j'ai le sentiment que la CPE a manifesté un certain essoufflement et qu'elle a peut-être atteint ses limites : quel est votre avis à ce sujet ? Elle est utile tant que tous les participants sont d'accord entre eux mais, en cas de désaccords, elle ne peut même pas s'atteler à les résoudre, puisque ceux qui sont en désaccord ne participent pas.

La question des perspectives d'élargissement de l'Union européenne est d'une actualité toute particulière à la veille du Conseil européen prévu les 14 et 15 décembre prochains à Bruxelles, où les chefs d'État ou de gouvernement devront se prononcer sur l'ouverture formelle de négociations avec l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et les quatre pays des Balkans occidentaux. Nous sommes entrés, à cet égard, dans une phase cruciale : la présidente de la Commission européenne s'est rendue à Kiev le week-end dernier et, demain, le collège de la Commission rendra un avis important qui éclairera la décision des chefs d'État ou de gouvernement – je souligne cette distinction car un État membre ne peut pas être représenté à la fois par son chef d'État et son chef de gouvernement au Conseil européen.

Ici même, nous avons échangé sur ces enjeux de l'élargissement à l'occasion de l'examen de la proposition de résolution européenne relative aux suites de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, lancée par le président Anglade. J'avais moi-même remis un rapport, que Mme la secrétaire d'État m'a fait l'amitié de considérer comme digne d'intérêt. Aujourd'hui, je m'interroge car la façon dont les institutions européennes abordent ces questions nous laisse perplexes. Lorsque nous sommes allés à Bruxelles pour étudier comment la Commission appréhendait ces questions, il nous a semblé qu'il n'y avait pas d'idées nouvelles et que l'on s'en tenait aux méthodes traditionnelles, alors que les problèmes sont d'une tout autre nature, ne serait-ce que par l'importance géopolitique et par l'extension énorme de l'Union européenne qui résulterait de ces élargissements. Qu'on leur soit favorable ou non, nous considérons tous, au sein de cette commission, que les enjeux sont tels qu'ils appellent une approche nouvelle.

En janvier 2023, avec votre homologue allemande, Mme Anna Lührmann, ministre adjointe chargée des affaires européennes et du climat, vous aviez mandaté un groupe franco-allemand de douze experts indépendants pour lancer une réflexion sur les réformes institutionnelles à mettre en place dans le cadre d'un futur élargissement de l'Union européenne. Ce groupe de travail a présenté son rapport le 19 septembre dernier, à Bruxelles, lors du Conseil des affaires générales. J'ai constaté une certaine convergence entre ce rapport et le travail que j'avais moi-même préparé pour cette commission. Il m'a semblé que ce rapport avait été accueilli avec intérêt mais aussi qu'il avait suscité une certaine réserve de la part des États, qui ne souhaitaient pas se voir dicter leur feuille de route par le couple franco-allemand. En outre, comme je l'ai dit, l'absence de renouveau dans les voies empruntées nous inquiète.

Madame la secrétaire d'État, je sais ce que vous faites et je connais votre conviction européenne ; je sais l'engagement du président de la République sur les questions européennes ; je sais à quel point le Gouvernement pousse à la roue pour plus d'unité, plus d'imagination et plus d'originalité. Ne croyez pas qu'il y ait, lorsque j'exprime des propos qui peuvent paraître sceptiques sur l'Europe – mais non point eurosceptiques ! –, la moindre critique à l'égard de votre action quotidienne. Malgré tout, nous sommes dans une situation de grande perplexité, parce que la conjoncture internationale est effroyable. L'issue de la guerre en Ukraine est très incertaine, les récents événements laissent les coudées franches à l'Azerbaïdjan et à la Turquie pour mener des opérations de déstabilisation en Arménie – dont la tragédie est totalement passée au second plan –, tandis que nous sommes effrayés par l'ampleur des bouleversements qui se produisent au Moyen-Orient, où la feuille de route qui a toujours été celle des Européens n'a pas été suivie ces dernières années. Nous avons le sentiment qu'à l'exception de la France, qui veut vraiment agir, les Européens sont égarés dans des procédures, des rendez-vous, des instances, des obligations de moyens et divers programmes. L'Union européenne ne semble pas pleinement consciente des énormes responsabilités historiques qui pèsent sur elle, alors que nous savons tous que si nous ne sommes pas à la hauteur de la situation dans les mois qui viennent, l'Europe risque d'être marginalisée.

Au sein de cette commission, l'idée globale, même si elle n'est pas unanime, est qu'il faut aller vers plus d'Union européenne et construire une force politique européenne. Or, il nous semble qu'entre cette attente d'une grande partie de nos membres – et de l'opinion – et les atermoiements des États, il y a un fossé considérable. Ce fossé pourra-t-il être comblé par la campagne des élections européennes de 2024 ? Je l'espère. En tout cas, madame la secrétaire d'État, nous savons que vous faites tout ce qui est en votre pouvoir pour essayer de vous arracher à ce que le regretté Jean-Paul Sartre appelait le « pratico-inerte ».

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