La réunion

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La commission procède à l'audition ouverte à la presse, de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les derniers développements de la situation au Niger, au Gabon et dans le Caucase.

La séance est ouverte à 15 h 30.

Présidence de Mme Eléonore Caroit, Vice-présidente

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Je tiens à excuser notre président Jean-Louis Bourlanges, qui a dû s'absenter en raison d'un impératif personnel dont il se serait volontiers passé.

Nous recevons aujourd'hui la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, afin qu'elle éclaire notre commission sur certains développements de l'actualité internationale. Madame la ministre, je vous remercie d'avoir aménagé un agenda particulièrement chargé, puisque vous étiez hier en Arménie et avant-hier en Ukraine.

Nous devions évoquer les événements en cours au Niger et au Gabon, ainsi que la situation en Afrique occidentale et sahélienne mais ce qu'il s'est passé au Haut-Karabagh a bouleversé notre agenda. De nombreux membres de la commission ont souhaité profiter de votre retour d'Erevan pour faire le point sur ce sujet.

Le véritable nettoyage ethnique en cours au Haut-Karabagh et les menaces à peine voilées proférées à l'encontre de l'intégrité territoriale de l'Arménie nous choquent profondément, comme elles choquent nombre de nos concitoyens. Amie fidèle de l'Arménie, la France s'est démenée pendant des mois pour tenter de trouver une solution à la crise humanitaire provoquée par le blocus du corridor de Latchine, ainsi que des réponses à la question diplomatique que pose l'Azerbaïdjan. Vous vous êtes rendue sur place et nous savons que notre diplomatie est à l'œuvre, à New-York, à Bruxelles et ailleurs, pour garantir l'intégrité territoriale de l'Arménie et protéger ses populations, qui aspirent à vivre en paix.

S'agissant du volet africain de cette audition, les coups d'État qui ont eu lieu dans des pays avec lesquels la France entretenait des relations fortes et étroites interrogent quant à leur interprétation.

Au Niger, le général commandant la garde présidentielle a engagé le 26 juillet dernier un putsch contre le président Bazoum, démocratiquement élu en 2021. Cet événement a profondément déstabilisé le dispositif français de lutte contre le terrorisme au Sahel, qui avait été réarticulé après le retrait contraint du Mali.

Depuis cet été, la France soutient les efforts fournis par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), afin de favoriser un retour à l'ordre constitutionnel au Niger. L'option militaire, sans être privilégiée, ne semble pas exclue ; sans doute pourrez-vous nous en dire davantage.

À mesure que l'action des putschistes se poursuit, notre pays se retrouve de plus en plus ciblé, servant de bouc émissaire. Ainsi, les cinq accords bilatéraux de coopération en matière de sécurité et de défense ont été dénoncés unilatéralement par les putschistes, qui instrumentalisent les manifestations ayant lieu contre nos forces présentes sur place. De plus, notre ambassadeur, dont je salue l'abnégation et la résilience, a été déclaré persona non grata.

Après avoir opposé une fin de non-recevoir aux injonctions des putschistes, le président de la République, tirant les conséquences d'une situation d'enlisement, a annoncé le 24 septembre dernier le retour à Paris de notre ambassadeur, ainsi que le retrait des forces françaises stationnées au Niger d'ici à la fin de l'année. Sur ces deux points, madame la ministre, nous aimerions que vous nous apportiez des précisions.

Un autre coup d'État est survenu, au Gabon, le 30 août. Je ne ferai pas de parallèle entre les deux événements, puisque la réélection du président Bongo suscitait de nombreux doutes et que la population gabonaise aurait peut-être remis en cause les résultats officiels. Le général commandant la garde républicaine et la junte ont eu beau jeu de faire valoir que l'armée gabonaise se devait de préserver la paix civile.

À la différence de ce qui s'est produit au Niger et dans d'autres pays du Sahel – exception faite de la Guinée –, le Gabon n'a pas connu de manifestations hostiles à l'égard de la France ni de revendications visant les symboles de l'État français, ancienne puissance coloniale mais surtout pays ami, qui prodigue un soutien substantiel face aux défis colossaux que rencontrent ces pays.

Malgré tout, après les événements s'étant produits au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, les putschs au Niger et au Gabon semblent traduire un phénomène de fond touchant ces populations, qui se veulent davantage maîtres de leur destin. Cette aspiration n'a peut-être pas été suffisamment décelée par la France ; votre point de vue sur ce sujet nous intéresse. Des inquiétudes semblent légitimes concernant d'autres pays comme le Cameroun, le Congo ou le Tchad. Pour autant, tout ne semble pas désespérant, comme le montre le cas du Sénégal, dont le président a renoncé avec sagesse à un troisième mandat.

Madame la ministre, notre commission est impatiente de connaître la lecture que vous faites, ainsi que notre réseau diplomatique, des derniers événements qui ont marqué le continent Ouest-africain.

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Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Cette audition intervient à point nommé pour évoquer les situations du Sahel et du Caucase, qui nous préoccupent tous.

J'étais hier à Erevan, après y être allée fin avril, afin de manifester notre amitié séculaire et profonde pour l'Arménie, ainsi que notre soutien et notre solidarité dans l'épreuve que traverse son peuple.

En deux semaines, 100 000 Arméniens du Haut-Karabagh ont dû fuir leurs terres et leur foyer, pour trouver refuge en Arménie, après l'opération militaire déclenchée par l'Azerbaïdjan le 19 septembre, avec la complicité de la Russie et sous le regard de la Turquie. Cette opération a eu lieu alors qu'un blocus touchait le corridor de Latchine depuis neuf mois. Ce blocus avait été reconnu comme illégal dès le mois de février par la Cour internationale de justice, qui en avait demandé la levée.

Face à cette tragédie humanitaire, la France a répondu de façon immédiate. Nous avons porté notre soutien de 5 à 12 millions d'euros, de façon à aider l'Arménie à accueillir ces réfugiés dans des conditions dignes. Ce soutien passera par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), ainsi que par les organisations non gouvernementales (ONG) présentes sur place et les dispositifs nationaux arméniens.

Nous avons répondu immédiatement et envoyé une aide médicale d'urgence après le tragique incendie qui a frappé une station-service près de Stepanakert et fait plusieurs centaines de victimes. Ce terrible accident a eu lieu le 25 septembre ; notre aide a été livrée dès le 29 septembre. Je me suis rendue à Erevan dans un hôpital accueillant une partie des grands brûlés victimes de cet accident et j'ai annoncé que quatre d'entre eux seraient évacués par la France vers des hôpitaux français, dans le cadre d'une opération que nous menons en coopération avec le ministère de la santé et de la prévention.

Notre réponse n'est pas seulement humanitaire mais aussi et surtout politique. Je voudrais le répéter : la France est de loin le pays qui a fait le plus, souvent trop seule, pour faire en sorte que la situation difficile dans laquelle se trouvaient les Arméniens du Haut-Karabagh soit mieux prise en compte par la communauté internationale.

Nous avons agi aux Nations Unies et trois réunions du Conseil de sécurité se sont tenues à l'initiative de la France, encore récemment en septembre, en marge de l'Assemblée générale et après l'opération militaire. Dans ce cadre, nous agissons aussi avec nos partenaires américains, notamment pour créer les conditions qui permettront de défendre un projet de résolution visant à garantir une présence permanente des agences de l'Organisation des Nations Unies (ONU) au Haut-Karabagh, et à réaffirmer le droit des populations arméniennes de ce territoire à revenir sur leurs terres et à y vivre dans le respect de leur histoire et de leur culture. La démarche est en cours. Je reste prudente car il faut réunir une majorité de voix et éviter l'usage de vetos.

La France agit également au sein de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), mais aussi dans le cadre de l'Union européenne (UE). C'est à l'initiative de la France qu'une mission européenne d'observation a pu se déployer en territoire arménien. Au-delà de la question du Haut-Karabagh, nous serons très vigilants face à toute tentative de menacer l'intégrité territoriale de l'Arménie. Le président de la République l'a dit avec clarté et fermeté. Je l'ai répété sur place.

Il y a presque un an jour pour jour, à Prague, en marge de la première réunion de la Communauté politique européenne, l'Arménie et l'Azerbaïdjan avaient réaffirmé réciproquement leur respect de l'intégrité territoriale de l'autre partie, lors d'une réunion qui se tenait à l'initiative du président de la République et du président du Conseil européen. Nous voulons bâtir sur cet engagement pour aller plus loin et nous assurer qu'il sera respecté.

Dans le prolongement de notre relation de défense avec l'Arménie, notre ministre des armées puis moi-même avons indiqué que la France avait donné son accord à la poursuite de l'acquisition de matériel défensif par ce pays, pour contribuer à sa protection. Cette décision était nécessaire alors que l'Azerbaïdjan n'a pas cessé de s'armer pour entreprendre des actions offensives. Elle a été prise de façon responsable et sans aucun esprit d'escalade.

Dans la même logique politique, nous renforçons notre présence dans la région méridionale du Syunik, frontalière de l'Azerbaïdjan. Ainsi, une consule honoraire sera nommée à Goris et nos relations économiques seront consolidées grâce à la mise en œuvre de grands projets d'infrastructures, dans les domaines des transports, de l'eau et de l'énergie. Un certain nombre de projets existent déjà.

Toujours dans le cadre de l'UE, j'ai écrit au haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, pour lui demander de renforcer les effectifs et le mandat de la mission d'observation européenne déployée à notre initiative sur le territoire arménien. Je lui ai aussi demandé d'inclure l'Arménie dans la liste des bénéficiaires de la Facilité européenne pour la paix (FEP), comme nous l'avons fait pour la Moldavie, soumise à certaines tentatives et menaces.

L'UE doit adresser un signal clair à tous ceux qui pourraient être tentés de menacer l'intégrité territoriale de l'Arménie. Toute action en ce sens donnerait lieu à des réactions robustes de notre part. Nous nous employons à rassembler les Européens sur cette ligne et espérons pouvoir compter sur le soutien des États-Unis.

La première ministre l'a dit hier lors de la séance des questions au Gouvernement : nous appelons à construire un plan européen d'appui à une Arménie indépendante, souveraine et démocratique. Nous cherchons à rallier davantage de partenaires européens à nos vues.

Je voudrais aussi souligner l'importance de la ratification par le parlement arménien de l'adhésion de ce pays à la Cour pénale internationale (CPI), alors que l'Arménie n'était jusqu'alors que signataire du statut de Rome. Nous tenons à saluer ce pas important et courageux, qui renforce le positionnement de ce pays dans la lutte contre l'impunité et dans le camp de ceux qui recherchent la paix ; il n'y pas de paix sans justice.

Vous le constatez, la France ne ménage pas ses efforts, qu'elle n'entend pas relâcher. Nous n'avons pas attendu cette crise pour nous intéresser à l'Arménie et à la préservation des populations vivant au Haut-Karabagh.

Par ma présence hier, nous avons été le premier pays dont un membre du gouvernement s'est rendu sur le sol arménien depuis le déclenchement de l'opération militaire azerbaïdjanaise. Lors de la réunion informelle des ministres des affaires étrangères des Vingt-Sept qui s'est tenue à Kiev le 2 octobre, j'ai encouragé mes collègues à se rendre en Arménie dans les jours et semaines à venir. Dans cette région comme ailleurs, la France reste à l'initiative.

J'en viens à la situation au Niger. Le 26 juillet, une poignée de généraux ont renversé un président démocratiquement élu, qui menait des réformes courageuses, obtenait des succès sur le plan économique, comme dans le domaine de la lutte contre les groupes armés terroristes, et luttait courageusement contre la corruption. Le président Bazoum est toujours retenu en otage avec son épouse et son fils dans des conditions inadmissibles. Cela est inacceptable et le mot « otage » pleinement justifié.

Face à cette tentative de putsch, la réaction de la communauté internationale a été ferme et unanime. Les Nations Unies, l'Union africaine (UA), la CEDEAO, ainsi que les principaux partenaires du Niger, que sont l'UE et les États-Unis, exigent tous la libération du président Bazoum et le retour à l'ordre constitutionnel.

En première ligne, la CEDEAO a pris des mesures fermes pour faire plier la junte, notamment grâce à l'adoption de sanctions financières et économiques inhabituellement lourdes, qui sont d'application immédiate. Elle envisage aussi la possibilité d'un recours à une opération militaire régionale, si cela s'avérait nécessaire. Les pays de la région ne veulent pas voir ce putsch réussir. S'ils s'inquiètent de la fragilisation du Sahel et des conséquences de ces événements pour la lutte antiterroriste, compte tenu du rôle clef que jouait le Niger en la matière, ces pays redoutent aussi un possible effet de domino, qui pourrait toucher toute la région et même s'étendre jusqu'au Golfe de Guinée.

En soutien aux initiatives de la CEDEAO, la France a été au rendez-vous depuis le premier jour, ce qui est tout à son honneur. Nous avons suspendu immédiatement l'ensemble de nos coopérations civiles et militaires et avons refusé d'obtempérer, lorsque la junte a demandé le départ de notre ambassadeur et de nos forces ; nous n'avons pas à obéir aux injonctions d'un pouvoir illégal et illégitime. Nous avons continué de marquer notre soutien au président Bazoum et à la CEDEAO.

Après la réunion informelle ministérielle des affaires étrangères qui s'est tenue à Bruxelles à la fin du mois d'août, nous avons lancé des discussions sur l'adoption de sanctions européennes contre les putschistes. Ce nouveau cadre de sanctions devrait être mis en place d'ici à la fin du mois d'octobre.

J'insiste sur un fait car nous avons entendu des choses inexactes : la CEDEAO, qui rassemble les pays voisins du Niger, se trouve en première ligne pour faire plier la junte par la négociation, assortie des deux leviers que j'ai évoqués. La France est à l'écoute des pays de la région, en appui de leurs efforts et de leurs demandes.

Le 30 juillet, notre ambassade a subi une attaque organisée et très violente. En conséquence, nous avons décidé d'évacuer nos ressortissants, ainsi que la plupart de nos agents, hormis l'ambassadeur et un petit nombre de collaborateurs restés autour de lui. Grâce à la mobilisation du centre de crise et de soutien, de notre ambassade et de nos armées, nous sommes parvenus à rapatrier 1 079 personnes en deux jours, parmi lesquelles 577 Français et des ressortissants de cinquante autres nationalités. Cette solidarité concrète, qui n'est pas qu'européenne, est à l'honneur de la France et nous avons reçu de nombreux remerciements de pays qui ont ainsi pu mettre à l'abri leurs ressortissants.

Pendant deux mois, notre ambassade a subi des violations multiples de la convention de Vienne sur le droit des traités. Son approvisionnement a été empêché, les véhicules diplomatiques ont été fouillés et des ambassadeurs européens qui rendaient visite au nôtre se sont vu en interdire l'accès, ce qui représente aussi une violation de leurs privilèges et de leur immunité diplomatique. Ces violations ne concernent donc pas que la France.

Devant le constat que la présence de nos forces n'avait plus d'utilité dans un pays où la coopération militaire avait été suspendue deux mois plus tôt, le président de la République a annoncé le 24 septembre le retrait progressif de nos forces armées et le rappel de notre ambassadeur, qui est rentré à Paris il y a quelques jours. Nos forces mènent des discussions techniques avec la junte pour assurer ce retrait en sécurité.

Ce retrait était nécessaire. En effet, nos forces armées étaient présentes à la demande d'un gouvernement légitimement élu pour assurer une mission particulière d'appui à la lutte antiterroriste. Or les putschistes ne sont pas légitimes et ne luttent pas contre le terrorisme. Cette décision nécessaire ne signifie en rien un changement de notre position de fond : nous continuons de demander la libération du président Bazoum et de soutenir les efforts de la CEDEAO. Si celle-ci nous demandait de poursuivre, nous poursuivrions. Nous restons en contacts étroits et réguliers avec nos partenaires de la CEDEAO et de l'UA, dont j'ai reçu le président de la Commission il y a quelques jours, ainsi qu'avec nos partenaires européens et avec les États-Unis, afin d'unir nos efforts et de faire échouer ce coup d'État. Un retour à l'ordre constitutionnel reste possible et il est essentiel pour la démocratie dans la région, comme pour la stabilité du Sahel.

La situation sécuritaire au Sahel n'a jamais été si mauvaise. Ces putschs sont catastrophiques pour les populations et ceux qui critiquent la France et les gouvernements démocratiques africains, pour dissimuler leurs propres échecs en la matière, feraient bien de s'en souvenir. Au Niger, les attaques terroristes se multiplient depuis que nous n'agissons plus. Depuis le retrait des forces de l'opération Barkhane, le Mali subit une extension sans précédent des territoires contrôlés par les groupes armés terroristes et constate une reprise de la guerre avec les groupes armés du Nord. Pour sa part, le Burkina Faso continue de s'enfoncer dans une crise sécuritaire et une crise humanitaire dramatiques, dont nous parlons trop peu.

Enfin, rappelons que tout ceci se produit alors que les juntes ne respectent pas les calendriers de transition qu'elles avaient acceptés, empêchant tout retour à la démocratie et toute perspective d'amélioration de la situation. C'est dans ce contexte de dégradation brutale des conditions de sécurité que nous avons été contraints de classer en zone rouge les deux pays concernés, ce qui signifie que nous demandons aux Français de ne pas s'y rendre. Au Burkina Faso, notre ambassade comme nos instituts français avaient aussi fait l'objet d'assauts il y a un peu plus d'un an.

Étant responsables de la sécurité de nos agents, nous avons pris la décision de faire rentrer une partie de nos personnels et l'ensemble des familles, et je voudrais ici rendre hommage à notre ambassadeur au Niger, aux collaborateurs restés avec lui, ainsi qu'à toutes nos équipes présentes dans ces pays. Ces départs ayant réduit le format et la capacité d'action de nos ambassades dans ces trois pays, nous avons dû suspendre sur place une partie de nos actions de coopération. Je dis « sur place » pour préciser que les artistes, chercheurs, scientifiques et étudiants sont toujours les bienvenus en France dans les institutions culturelles, comme dans nos universités. Contrairement à ce que nous avons pu lire, il n'a jamais été question qu'il en soit autrement. De fait, 6 700 étudiants de ces trois pays poursuivent aujourd'hui leurs études en France et plusieurs centaines d'entre eux bénéficient de bourses du gouvernement français. Soyons-en fiers. Aucun pays n'en fait autant pour les jeunesses du Sahel et ces étudiants.

En raison du format réduit de nos ambassades, nous avons aussi été contraints de suspendre la délivrance normale des visas. Quand le format sera stabilisé dans les prochaines semaines, nous pourrons soigneusement réévaluer les conditions de sécurité, de façon à ajuster au mieux les mesures prises. Nous continuerons donc d'accorder des visas tandis que le Burkina Faso n'en délivre toujours pas à plusieurs de nos agents devant rejoindre leurs postes.

Bien sûr, nous n'abandonnons pas les plus vulnérables et maintenons notre aide humanitaire, qui est importante puisqu'elle s'élevait l'an dernier à près de 60 millions d'euros pour ces trois pays. Nous sommes fidèles à nos valeurs en restant aux côtés des populations qui souffrent et en alertant sur les errements de leurs dirigeants. Ne renversons pas les responsabilités : ce sont les juntes qui rendent la coopération difficile, pas la France.

La situation au Sahel, où trois juntes militaires instrumentalisent leur hostilité à la France pour cacher leurs forfaits, ne doit pas occulter l'ensemble de nos relations avec l'Afrique. Le continent est vaste et divers, l'Afrique ne se résume pas au Sahel et nous entretenons de très bonnes relations, en voie de progression, avec l'immense majorité des cinquante-quatre pays africains. Au cours de mes déplacements, je constate que la France est un pays attractif et influent dans la grande majorité des pays africains. Il faut considérer la réalité comme elle est et sans défaitisme : nos entreprises ont progressé et nos investissements ont doublé en quinze ans, comme le nombre de filiales de nos entreprises, notamment de nos petites et moyennes entreprises (PME). La France est devenue le second investisseur étranger sur le continent africain. Nos universités et nos écoles attirent un nombre toujours grandissant d'étudiants africains, puisqu'ils sont aujourd'hui 40 % de plus qu'en 2017 : 92 000 au total. Grâce à la mobilisation de nos ambassades, nous voulons poursuivre sur cette trajectoire ascendante.

Depuis 2017, jamais la France n'a autant investi dans l'émergence du continent africain. Notre aide publique au développement (APD) est passée de 10 milliards à plus de 15 milliards d'euros par an, dont un tiers est consacré à l'Afrique. Notre pays est devenu le quatrième bailleur international, devançant en 2022 le Royaume-Uni, et nous sommes le seul pays dont les investissements solidaires ont progressé en Afrique.

Nous finançons des projets dans les domaines de la santé, de l'éducation, de la formation professionnelle, des infrastructures, de l'adaptation au changement climatique et de l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous finançons également le développement du secteur privé et fournissons un effort particulier en direction des PME et des start-up innovantes, dont le potentiel est remarquable. Nous accompagnons aussi nos diasporas quand elles veulent investir sur le continent. Enfin, nous soutenons une éducation francophone de qualité et formons chaque année plus de 20 000 enseignants en français.

Aujourd'hui, s'il y a une priorité dans nos relations avec les pays africains, c'est bien de travailler en partenariat, d'égal à égal, pour rénover la gouvernance mondiale, gérer ensemble nos défis communs et faire prévaloir ce que nous pouvons accomplir ensemble. Nous l'avons fait pendant la crise de la Covid, en livrant des médicaments et en développant des capacités de production des vaccins. Nous l'avons fait en Afrique centrale avec le sommet sur la protection des forêts tropicales qui s'est tenu à Libreville. Nous le faisons en ce moment avec le Kenya, afin de trouver des solutions de financement pour la transition écologique. Il s'agissait aussi du sens du Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial, dont l'ambition est d'affronter ensemble les enjeux de développement et de transition sans avoir à choisir entre les deux. Sur les 130 pays présents, 20 étaient représentés par leur chef d'État, ce qui prouve leur intérêt et leur adhésion à l'idée que nous pouvons agir ensemble.

Alors que notre système multilatéral fondé sur la règle de droit n'a jamais été aussi menacé, alors que les BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – gagnent du terrain et que certains pays veulent jouer sur la fragmentation du monde, nous travaillons avec nos partenaires africains pour rebâtir une gouvernance mondiale plus résiliente et plus juste, qui nous permette de trouver ensemble des réponses à certains défis communs. Cette évolution doit passer par un renforcement de la place de l'Afrique dans la gouvernance internationale. Nous avons déjà fait en sorte – pas seuls mais à la pointe du combat – que l'UA soit admise comme membre à part entière du G20. Nous militons aussi pour une réforme du Conseil de sécurité et espérons que la place des pays africains progresse dans les institutions financières internationales ; je le dis alors que les assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale doivent se tenir dans quelques jours à Marrakech.

J'en finirai en appelant à la lucidité et au refus du défaitisme, qui ne correspond pas à la réalité de nos relations avec l'Afrique.

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Nous en venons aux questions des orateurs des groupes.

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Avant toute chose, je souhaitais faire part de ma solidarité avec l'Arménie. Nous avons l'impression que notre pays est partout chassé d'Afrique. Nos relations semblent particulièrement compliquées avec le Maroc comme avec de nombreux pays francophones. Le Niger a connu sept coups d'État depuis son indépendance mais nous n'avions pas jusqu'ici rompu nos relations diplomatiques avec ce pays ami de la France. Si nous devions rompre nos relations avec tous les tyrans du monde, il nous faudrait reconcentrer notre diplomatie sur un petit nombre de pays.

Nous avons souhaité montrer nos muscles, avons entraîné la CEDEAO et nous venons de quitter le pays dont nous avons été chassés, donnant une catastrophique image d'impréparation de notre diplomatie. Quel était votre objectif ? Comment expliquez-vous ce qui apparaît comme un désastre ? Notre diplomatie et nos militaires semblaient souhaiter maintenir un minimum de relations avec ce pays, comme c'est la tradition en cas de coup d'État. Est-ce le cas ?

Cette politique contribue à affamer le peuple du Niger qui souffre d'une inflation de 30 %, de la disparition du franc CFA et de l'aide au développement. Si rien n'est réglé, nous risquons de nous mettre à dos toute la population. En avez-vous conscience ?

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Catherine Colonna, ministre

Nous n'avons pas entraîné la CEDEAO mais avons été à ses côtés, à sa demande, et nous continuerons de soutenir ses efforts.

En ce qui concerne notre objectif, nos forces armées étaient présentes au Niger à la demande d'autorités légitimes pour exercer une mission précise d'appui à la lutte antiterroriste. Il est hors de question que cette mission s'exerce alors que des généraux putschistes retiennent le président démocratiquement élu en otage. Le président de la République en a logiquement tiré les conclusions.

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Je tiens d'abord à vous féliciter, madame la ministre, pour les annonces importantes que vous avez faites à Erevan, sur la livraison de matériel militaire et la FEP.

Le 26 juillet, le président Mohamed Bazoum a été renversé par un coup d'État militaire. Après le Mali et le Burkina Faso, le Niger connaît donc une période d'instabilité dont profite la Russie, qui mène, sur les réseaux sociaux et dans les médias, une opportuniste campagne de propagande et de désinformation antifrançaise, dont les populations locales seront les principales victimes. Avec la milice Wagner comme bras armé, la Russie continue d'étendre son influence en Afrique. La France a justement condamné le putsch et notre majorité a soutenu cette position ferme.

Quelques semaines plus tard, un autre coup d'État militaire a eu lieu au Gabon. Nous avons condamné ce coup de force survenu en plein processus électoral, quelques heures après la proclamation contestée de la réélection d'Ali Bongo. Cependant, il nous faut distinguer ce putsch de celui qui est survenu au Niger. Notre coopération militaire et notre aide au développement ont d'ailleurs été maintenues au Gabon.

Au Niger, les putschistes ont rapidement lancé une violente campagne antifrançaise et le président de la République a officialisé le retrait de nos troupes. La France compte entre 1 000 et 1 500 soldats dans ce pays devenu, après le départ du Mali en 2022, la pièce centrale de notre dispositif antidjihadiste dans la région. Notre présence visait à fournir un appui feu et du renseignement à l'armée nigérienne. En raison de la fin de cette coopération militaire, nous ne pourrons plus lutter aussi efficacement contre le terrorisme et nos soldats seront exclus de la zone des trois frontières, épicentre de l'activité des groupes terroristes. Compte tenu de cette nouvelle situation, quel est l'avenir de notre action militaire contre le terrorisme au Sahel ?

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Catherine Colonna, ministre

Au Gabon comme au Niger, nous sommes à l'écoute des pays de la région et de ce que décident les organisations régionales, qui n'ont pas adopté de sanctions dans le cas du Gabon. Nous sommes donc sur la même ligne.

Si au Gabon, le processus électoral était contesté, au Niger, un président démocratiquement élu est retenu en otage. Nos 1 500 soldats présents ne peuvent donc plus exercer leur mission dans ce pays. Il est hors de question de coopérer militairement avec des putschistes.

Je voudrais saisir cette occasion pour rendre hommage à nos militaires, qui ont agi de façon efficace au Niger, ainsi qu'à tous ceux qui, au Mali et ailleurs, ont perdu la vie pour mener la lutte antiterroriste, en obtenant de bons résultats.

Le retrait réduit la contribution de la France à la lutte contre le terrorisme en Afrique de l'Ouest. Pour que d'autres n'en profitent pas, nous aurons besoin de mener dans les semaines à venir un dialogue approfondi avec les Européens, les États-Unis et les pays de la CEDEAO, sur la façon de gérer au mieux ce défi, alors que nous ne sommes plus présents au Niger.

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Au Niger, la présence diplomatique française est assurée depuis l'indépendance du pays, proclamée le 3 août 1960. Alors que le pays a déjà été malmené par des putschistes en 1974, 1999, 2002, 2007, 2009 et en 2010, le coup d'État du 26 juillet a remis en cause la présence diplomatique, militaire et économique de la France. L'armée du pays est allée jusqu'à pousser le président de la République à annoncer le retrait des troupes françaises et la fin de notre représentation diplomatique.

Lors de son passage au Gabon en mars 2023, le président de la République a commencé à acter l'effacement de la présence française au profit de l'action de l'UE. En mai dernier, les autorités françaises ont annoncé une réduction de moitié de la présence militaire française d'ici à 2024. Le 2 octobre, l'ambassade de France au Gabon annonçait la cession de son consulat général à Libreville, les deux agences consulaires françaises étant désormais domiciliées dans des hôtels. Alors que la France s'apprêtait manifestement à partir, le régime républicain gabonais a fait l'objet d'un coup d'État. Par la voix de la première ministre, la France ne s'est engagée qu'à suivre la situation avec la plus grande attention.

Notre groupe est favorable à l'expression des droits nationaux dans le but de consolider la démocratie dans le monde. Cependant, dans ces deux cas, la démocratie serait plutôt en danger. Comment mesurer notre attachement à des pays que nous aidons beaucoup financièrement depuis des décennies et pour lesquels nos soldats ont mis leur vie en danger ?

Quelle politique africaine cohérente allez-vous pouvoir mener face aux réactions que notre drapeau suscite ? Allons-nous continuer à subventionner ces pays, au-delà du soutien aux associations humanitaires ? La France sera-t-elle présente pour les aider à se relever chez eux ou les populations opprimées devront-elles migrer jusqu'à chez nous pour trouver la sécurité dont elles ont besoin ?

En ce qui concerne l'Arménie, pouvez-vous nous éclairer sur la persécution des populations chrétiennes par l'Azerbaïdjan et sur les contrats d'armement qui seront passés avec l'Arménie ?

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Catherine Colonna, ministre

Nous n'avons pas rompu nos relations diplomatiques avec le Niger : l'ambassade reste ouverte avec une toute petite équipe, à la différence de ce que nous avons dû faire au Soudan ou en Afghanistan. Il n'y a donc pas d'effacement. J'ai donné quelques chiffres sur l'Afrique et nos relations avec la quasi-totalité des pays africains, qui témoignent d'une progression avérée.

Les putschs échoueront. Ils ne mènent jamais les pays sur la voie du développement. Je veux croire en la résilience des modèles démocratiques et en leur plus grande efficacité, ce que l'histoire démontre.

Parler d'effacement au sujet du Gabon est absurde. La France y est très présente. À titre d'exemple, 25 % des emplois du secteur privé y sont fournis par des entreprises françaises. J'ai rappelé la densité de nos relations avec la plupart des pays africains et la manière dont l'investissement de nos entreprises y a crû considérablement. Nous nous réjouissons notamment de la présence plus forte des PME, encouragée par notre diplomatie.

Nous menons une politique ambitieuse et volontariste, et le sentiment antifrançais n'est pas une donnée dominante, sauf peut-être dans l'esprit de quelques putschistes qui instrumentalisent des critiques, alors qu'ils conduisent leur peuple dans la difficulté. Ces agitations antifrançaises, où se déploient force drapeaux russes, surviennent dans un second temps et ne font pas partie de ce qui motive les peuples ou les putschistes.

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L'heure est venue de faire un bilan de notre action en Afrique. Il y a neuf ans, lors du passage de l'opération Serval à Barkhane, des responsables politiques avaient émis de nombreux doutes en raison d'un aveuglement devant les dimensions politique, économique, sociale et écologique de la crise sahélienne mais aussi en raison de l'absence d'enseignements tirés des échecs flagrants de certaines guerres asymétriques, comme celle que les États-Unis avaient menée en Afghanistan.

Puis, quand la France, initialement accueillie en sauveuse au Mali, a été très injustement désignée comme responsable de tous les maux, nombre d'observateurs et d'acteurs politiques ont alerté sur la nécessité d'en tirer des conclusions, mais il n'y a jamais eu de débat. Pendant des années, nous avons entendu que l'opération Barkhane était un succès. Or les succès tactiques, et je rends ici hommage à nos soldats, ne pouvaient masquer la multiplication des groupes armés violents, qui était déjà en cours avant les coups d'État, même s'il est vrai que la situation s'aggrave depuis.

Malgré ces alertes quant à la colère croissante des populations face aux régimes locaux, qui rejaillissait sur notre pays, perçu comme un soutien de ces régimes, nous avons fermé les yeux, jusqu'aux coups d'État, dénoncés à juste titre. Mais je rappelle que, dans un même temps, nous adoubions le fils Déby au Tchad, ce qui nous a valu de nous faire traiter d'hypocrites.

Au lieu de tirer des enseignements, l'Élysée s'est enfermé dans une explication ne mobilisant que la propagande russe. Mais comment une partie de la population de ces pays est-elle devenue sensible à cette propagande grossière ? Notre pays se retrouve dans une situation difficile que nous voyons venir depuis des années, sans que cela ne provoque de débat.

En ce qui concerne le Niger, nous avons répété « nous ne partirons pas » et puis nous sommes partis. Comment expliquer une telle gestion en matière de communication ?

Je finirai en citant une phrase extraite d'une tribune signée par des chercheurs, des représentants d'ONG et de syndicats ainsi que des acteurs des sociétés civiles sahéliennes : « Nous n'attendons pas de la France qu'elle trouve seule des solutions aux défis du Sahel mais elle peut, elle doit soutenir un autre processus de reconstruction qui prenne en compte les aspirations des Sahéliens et des Sahéliennes, pas seulement celles de ceux qui les dirigent. La fin programmée de “Barkhane” doit être l'occasion de faire émerger un débat sur l'avenir du rôle de la France dans la région et de demander des comptes sur les choix politiques pris ces dernières années. ».

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Catherine Colonna, ministre

Je le répète : l'opération Barkhane a été un succès sur le plan militaire. Pour le reste, il n'appartient pas à la France de faire la politique des pays africains. Les difficultés que vous mentionnez sont réelles et notre pays en a tiré les conséquences. La dimension politique a été prise en compte par l'ensemble des partenaires de ces pays. L'accord d'Alger a été remis en cause par la junte et, à la minute où nous sommes partis, le terrorisme s'est répandu. S'il préexistait, il était en tout cas combattu. Depuis le 26 juillet, le Niger compte plus de victimes d'attaques terroristes que lors des deux ans de la présidence Bazoum. Quant au sentiment antifrançais, il est un populisme comme un autre. Trouver un coupable extérieur à des comportements anticonstitutionnels et illégitimes ne mènera à rien de bon.

Vous avez mentionné le Tchad. Je ne crois pas vous avoir jamais dit ce que vous dites que nous vous aurions dit. Nous avons pris acte de la présence d'un président de transition et espérons que celle-ci sera pleinement respectée. Une transition est également nécessaire dans le cas du Gabon.

Enfin, en ce qui concerne le Niger, la France n'a jamais dit « nous ne partirons pas » mais « nous ne partirons pas sur injonction ». Nous ne sommes pas partis sur injonction, pas plus l'ambassadeur que les forces armées.

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Après neuf mois d'un blocus illégal et inhumain, ce que nous redoutions est arrivé et l'Azerbaïdjan a attaqué les Arméniens du Haut-Karabagh. Après avoir provoqué une grave crise humanitaire, le président Aliev a donc mis en œuvre sa promesse de « chasser comme des chiens les Arméniens du Haut-Karabagh ». En opérant un nettoyage ethnique, son pays déracine ces Arméniens qui ne demandaient qu'à vivre en paix sur cette terre qu'ils occupent depuis plus de 2 500 ans. Plus de 100 000 réfugiés sont arrivés en Arménie au terme d'un voyage sans retour, ouvrant une insupportable nouvelle crise humanitaire.

Au nom de notre groupe, j'adresse notre soutien le plus total à l'Arménie et aux Arméniens une nouvelle fois persécutés.

Derrière cet exode forcé se dissimule le spectre de la poursuite des attaques de l'Azerbaïdjan contre l'Arménie et la mise en œuvre du projet panturquiste. L'heure n'est plus à la condamnation et à l'attentisme mais à l'action.

Certes, la France doit amplifier son aide humanitaire et soutenir l'Arménie dans sa politique d'accueil des réfugiés. Elle doit aussi se mobiliser plus fermement pour défendre la souveraineté territoriale de l'Arménie en prenant des initiatives diplomatiques fortes, afin de sensibiliser la communauté internationale et d'aider concrètement l'Arménie à se défendre. Vous avez évoqué, en cas de menaces contre la souveraineté territoriale du pays, des « réactions robustes » : que signifie cette expression ?

Quelles sont les chances qu'une résolution soit adoptée par le Conseil de sécurité de l'ONU ?

La France agira-t-elle au niveau de l'Union européenne pour imposer des sanctions à l'Azerbaïdjan et pour dénoncer le funeste contrat gazier qui lie l'UE au régime de Bakou ?

Pouvez-vous exposer l'ensemble des initiatives que la France va prendre, tant sur le plan diplomatique que sur le plan militaire, pour se prémunir des menaces pesant sur l'intégrité territoriale et la souveraineté de l'Arménie ?

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Catherine Colonna, ministre

Dans le cas du Haut-Karabagh, des crimes graves ont été commis ; il s'agit d'une violation flagrante des droits des populations arméniennes à vivre dans le respect de leur histoire, de leur identité et de leur culture. Nous soutenons la vision selon laquelle les Arméniens du Haut-Karabagh ont le droit de retourner sur leurs terres s'ils le souhaitent. Tel est l'objet de notre action aux Nations Unies.

Il n'y a pas d'attentisme ; nous avons répondu parmi les premiers sur le plan humanitaire et notre action diplomatique ne date pas d'hier. Je m'étais déjà rendue en Arménie et, depuis plus d'un an, nous agissons à différents niveaux pour mobiliser plus fermement la communauté internationale autour de la nécessité de faire respecter le droit mais aussi les engagements pris par l'Azerbaïdjan, notamment dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu de 2020.

En ce qui concerne l'Arménie, le président de la République a utilisé le mot « vigilance », que j'ai repris. Le ministre des armées a également rappelé la décision prise par la France il y a quelques années de coopérer avec ce pays ami en matière de défense et de sécurité et la possibilité, dans le prolongement des actions déjà menées, de permettre à l'Arménie de poursuivre l'acquisition de matériel de défense pour assurer sa protection si nécessaire.

Sur ces deux volets, notre action se déploie à tous les niveaux : au sein de l'Union européenne et aux Nations Unies, où je maintiens l'espoir de voir une résolution progresser. Nous saisissons toutes les occasions pour appeler l'attention de nos différents partenaires sur le cas de l'Arménie et sur le risque que nous courons à ne pas être plus unis et plus fermes. Ainsi, lors de la réunion téléphonique à laquelle je représentais hier le président de la République et qui réunissait les chefs État ou de gouvernement du G7, de la Pologne, de la Roumanie et le secrétaire général de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), j'ai appelé l'attention des participants sur ce qui s'est passé au Haut-Karabagh et sur ce qui ne doit pas se passer en Arménie.

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Je voudrais tout d'abord dire mon admiration pour Jean-Louis Bourlanges, dont la vibrante intervention hier dans l'hémicycle sur l'Arménie restera pour moi un grand moment. En droite ligne de son discours sur la défense des valeurs inaliénables de la démocratie, je voudrais aussi rendre hommage au président du Niger, M. Mohamed Bazoum, qui résiste comme tous les démocrates de son pays. Je voudrais aussi avoir une pensée pour notre ambassadeur, M. Sylvain Itté, et tout le personnel diplomatique.

La situation à laquelle nous sommes confrontés est paradoxale. La France n'est pas impliquée dans les coups d'État au Sahel et n'a jamais été mise en cause par les putschistes. Pourtant, chaque fois, nous vivons le même scénario : la France se retrouve en première ligne comme le pays à abattre, ce qui permet de justifier a posteriori la légitimité des coups d'État. Comment en est-on arrivé là ? La guerre informationnelle l'explique peut-être en partie. Sur ce plan, n'a-t-on pas trop longtemps sous-estimé les capacités de désinformation de nos adversaires et leur impact sur les opinions publiques du Sahel ? Sommes-nous aujourd'hui mieux armés ?

La problématique du Gabon est diamétralement opposée. Après un simulacre d'élections, les militaires n'avaient que deux alternatives : tirer sur la foule ou déposer le président, qui s'est accaparé avec sa famille le pouvoir et une partie importante des richesses du pays depuis des décennies. Je me suis rendu à Libreville la semaine dernière, où le changement est saisissant : la population semble apaisée et parle librement. J'ai rencontré le président de transition mais aussi ses opposants. La grande majorité des Gabonais, maltraités et meurtris, sont soulagés et souhaitent la réussite de la transition. Après avoir condamné le coup d'État, appelé sur place « le coup de la paix » car il a été réalisé sans coup de feu, comment la France envisage-t-elle l'évolution de la situation et son rôle d'accompagnement auprès de la population ?

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Catherine Colonna, ministre

Le sentiment antifrançais n'est pas, en effet, à l'origine de ces différents coups d'État. La manipulation de l'information vient souvent dans un second temps. Elle relève des ressorts classiques du populisme et de la démagogie, en ayant recours à la désinformation et à la déstabilisation, sûrement avec l'aide puissante d'acteurs qui ne se situent ni dans le pays, ni sur le continent.

Nous avons pris en compte ce phénomène en créant des dispositifs de veille et de détection des manipulations de l'information. Nous n'avons pas recours aux fermes à trolls et à ce type de méthodes, notre travail reposant sur des discours prononcés à visage découvert et sur le refus de proférer des mensonges éhontés, d'inventer ou de diffuser des fausses nouvelles, ou d'accuser à tort. Dans ce contexte asymétrique, nous agissons avec cette difficulté de nous battre sans adopter les armes de nos adversaires. Ce choix que nous faisons au nom de la démocratie et de nos valeurs nous expose mais il est à notre honneur.

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La guerre en Ukraine marque une nouvelle donne des relations internationales. Dans les trois situations que nous évoquons aujourd'hui, il convient de tenir compte de cette évolution.

Au Gabon comme au Niger, la légalité politique et l'influence occidentale sont battues en brèche. Nous sommes très attentifs à l'image de la France, qui ne cesse de se dégrader en Afrique, et nous suivons de près la transition démocratique promise au Gabon comme les suites de la crise diplomatique avec le Niger. Nous avons souvent déclaré à propos de l'intervention française au Sahel qu'on ne gagnerait pas contre le terrorisme seulement avec des armes mais plus sûrement grâce à des aides apportées aux populations, pour lutter contre la misère et le désespoir de la jeunesse.

Dans le Caucase, le coup de force de l'Azerbaïdjan prend racine dans la relativisation du principe d'intangibilité des frontières issues de l'éclatement de l'Union soviétique et dans l'incapacité à s'interposer de la Russie, accaparée et affaiblie par l'offensive qu'elle mène en Ukraine. Nous saluons votre déplacement à Erevan et sommes préoccupés par d'autres velléités de l'Azerbaïdjan, en particulier par sa volonté d'imposer des changements de frontières dans le Sud de l'Arménie. Pourriez-vous revenir de façon plus précise sur les éventuelles livraisons d'armes à l'Arménie ?

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Catherine Colonna, ministre

Au Gabon, nous agissons selon les principes que nous avons l'habitude de suivre et condamnons le coup d'État. Nous n'avons pas à nous substituer aux organisations régionales et, je l'ai rappelé, la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC) n'a pas adopté de sanctions. Nous espérons que la transition sera rapide.

Non, l'image de la France ne se dégrade pas en Afrique. De façon opportuniste, démagogique et populiste, elle est instrumentalisée dans trois pays qui ont procédé à des coups d'État. Je vous appelle à ne pas confondre l'Afrique avec le Sahel, ni avec l'instrumentalisation populiste de manifestations dont l'organisation survient souvent d'ailleurs en fonction des prises de position de notre pays sur ce qu'il se passe parfois en Afrique. J'ai rappelé nos efforts et nos progrès pour former les jeunesses africaines, résultant en une forte augmentation du nombre d'étudiants que nous accueillons, en complément des formations que nous offrons sur place. Aucun pays ne fait autant que la France en direction du continent africain ; il serait utile de nous pénétrer de cette réalité.

En ce qui concerne l'Arménie, je ne suis pas en mesure d'entrer dans les détails de la coopération en matière de défense, qui ne constitue pas un domaine nouveau de nos relations. Il s'agit de permettre le prolongement de la coopération existante, en donnant la possibilité à l'Arménie d'acquérir du matériel défensif, pour lui permettre d'être en situation de mieux se protéger si cela était nécessaire.

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La France et l'Union européenne ont réagi de concert après le coup d'État survenu au Niger. Par la voix de son haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, l'Union a annoncé qu'elle ne reconnaîtrait pas les autorités issues du putsch.

Je souhaiterais vous interroger sur l'action de la France et de l'Union dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Il y a un mois, l'Union annonçait l'adoption de sanctions à l'encontre du Niger, comprenant des exemptions pour des motifs humanitaires : où en sont les discussions au sein du Conseil européen ? Si notre ambassadeur a quitté le pays, une délégation de l'Union européenne demeure à Niamey et une audience a été accordée par le premier ministre des putschistes au chef de cette délégation. Quels contacts gardons-nous avec la délégation de l'UE ? Comment agir sur le terrain avec nos partenaires européens pour défendre nos positions communes ?

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Catherine Colonna, ministre

En ce qui concerne l'action de l'Union européenne, je témoigne du soutien constant que nous avons trouvé en la personne du haut représentant Josep Borrell. L'Union a immédiatement condamné la tentative de coup d'État, a appelé à la libération du président Bazoum et à la restauration de l'ordre constitutionnel. Lors de notre dernière réunion informelle de la fin du mois d'août, nous avons décidé à l'unanimité de la création d'un cadre de sanctions qui devrait être mis en place au mois d'octobre.

Par ailleurs, l'Union européenne a suspendu sa coopération avec le Niger, comme la plupart des États membres de l'Union. Je remercie aussi l'ambassadeur représentant l'Union européenne au Niger d'avoir manifesté son soutien à plusieurs reprises auprès de notre propre ambassadeur et d'avoir voulu lui rendre visite.

Nous travaillons à l'élaboration du cadre de sanctions tant avec l'Union africaine qu'avec la CEDEAO, qui doit nous donner des informations sur les personnes devant en faire l'objet.

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Le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani a récemment déclaré dans une interview que l'Afrique attend trop de la France. Ce sentiment n'est pas exempt de certaines questions relatives à notre relation avec le continent, où elles trouvent un large écho.

Le 19 août dernier, Le Monde nous apprenait que lorsque les forces de sécurité loyales au président Bazoum ont tenté de mettre fin au coup d'État, la France était prête à intervenir militairement. C'est Mohamed Bazoum lui-même qui s'y serait opposé. Le président de la République a affirmé le contraire il y a une dizaine de jours au journal de 20 heures. Mais heureusement que nous n'avons pas déclenché un nouveau conflit au Sahel, qui n'aurait profité qu'aux groupes terroristes et aggravé la pauvreté extrême dans cette région. N'avons-nous rien retenu de notre action catastrophique en Libye ?

Ce que l'on appelle de façon impropre le « sentiment antifrançais » n'est pas seulement alimenté par des forces ennemies telles que les milices Wagner ou l'État russe, qui jouent un rôle très néfaste. Il existe aussi un rejet de notre politique africaine. Ce n'est pas être défaitiste que de le dire. Nous refusons tout simplement le déni.

Vous avez décidé de geler la délivrance de visas au Mali et au Burkina Faso après que les régimes de Bamako et de Ouagadougou ont reconnu le putsch de Niamey. Pourquoi punir les peuples en raison de désaccords politiques avec leurs dirigeants ? Nous faisons ainsi le jeu des putschistes et des forces étrangères qui les soutiennent.

J'en viens à l'aide au développement. Vous avez dit que les projets humanitaires pourraient continuer mais qu'en est-il des projets d'Expertise France ?

Enfin, où iront nos militaires stationnés au Niger ? La Mauritanie vient de dire qu'elle ne les accueillerait pas. Iront-ils au Tchad, où nous continuons de soutenir la junte d'Idriss Déby ? Au Gabon, où vous avez validé une révolution de palais favorable à notre pays ? La présence de la plupart de nos troupes ne me semblant plus souhaitée en Afrique, nos bases devraient être fermées.

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Catherine Colonna, ministre

Les propos du président mauritanien sont intéressants et il est le premier à qualifier le discours antifrançais de populisme. La France ne peut être tenue responsable de tout et ce n'est pas elle qui fait et défait les régimes.

En ce qui concerne l'article de presse que vous avez évoqué, sa quasi-totalité est inexacte. Nous n'avons jamais pris la décision de ne plus accueillir d'artistes ou d'étudiants de ces trois pays. Nous avons suspendu la coopération en dehors du domaine humanitaire car nous ne souhaitons pas financer des régimes putschistes qui peuvent se servir d'une partie de ce qu'ils reçoivent de leurs partenaires ou des institutions financières internationales pour aider des putschistes à mener d'autres coup d'État, comme le Mali est soupçonné de l'avoir fait avec le Niger. Quant aux visas, leur délivrance reprendra de façon plus large dès que nous aurons parachevé le recalage des formats dans des pays où nos consulats et ambassades ont fait l'objet d'attaques. La réduction de la coopération est due aux putschistes, pas à la France.

Enfin, le président de la République n'a pas annoncé autre chose que le retrait des troupes du Niger, qui doit advenir d'ici la fin de l'année.

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Il est difficile de faire l'antithèse en deux minutes trente de ce que vous avez mis plusieurs dizaines de minutes à exposer. La France souffre d'une politique à géométrie variable en Afrique, où nous soutenons certains dictateurs mais pas d'autres. Vous expliquez que la France soutient la CEDEAO mais la CEDEAO, c'est un peu la France. Quand certains pays africains ont voulu créer leur propre monnaie, nous sommes intervenus pour défendre le franc CFA. Vous allez sans doute me traiter de populiste…

J'en viens à la question du Maroc. Pourquoi le roi a-t-il refusé l'aide de la France au lendemain du séisme, alors que l'on sait les liens qui unissent nos deux peuples ? Si c'est parce que la France a refusé de reconnaître le Sahara occidental marocain, alors je vous félicite. J'aime vous entendre dire que le droit international doit être respecté. J'aimerais davantage encore vous voir passer aux actes. Le jour où vous permettrez que se tienne le référendum d'autodétermination promis en 1991 au peuple sahraoui, je dirai que la France a enfin fait œuvre utile dans un pays africain.

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Catherine Colonna, ministre

Vous avez dit « la CEDEAO, c'est la France ». Voilà une manifestation de paternalisme : vous n'avez pas tourné la page de la Françafrique, que vous dénoncez sûrement par ailleurs.

Le Maroc n'a refusé aucune aide, ni celle de la France, ni celle des États-Unis, ni celle de l'Allemagne, ni celle de l'Italie. Le Maroc a souverainement décidé d'organiser les secours comme il l'entendait. Des contacts ont eu lieu à tous niveaux entre nous et les autorités marocaines pour définir leurs besoins, qui dépassent la phase d'urgence.

En ce qui concerne le franc CFA, on ranime des débats du passé qui oublient de rappeler l'essentiel : les pays se déterminent librement et l'objectif du système est de garantir la solidité et la convertibilité de leurs monnaies.

Enfin, je rappelle la position constante de la France sur la question du Sahara occidental : nous soutenons les efforts des Nations Unies et du représentant spécial de leur secrétaire général.

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Nous en venons aux questions individuelles des autres membres de la commission.

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Depuis Erevan hier, vous avez annoncé des mesures fortes à l'égard de l'Arménie, ce dont je vous remercie.

Il reste à convaincre nos partenaires et à créer les conditions d'un élan européen de solidarité. Le régime de Bakou est dangereux et la crise au Haut-Karabagh pourrait ne constituer qu'un début. À ce titre, serait-il possible de geler les avoirs du clan Aliev et de renvoyer son ambassadrice en France ?

Quelle est la marge de manœuvre de la France en ce qui concerne la libération des prisonniers politiques, parmi lesquels Ruben Vardanian, Arayik Haroutiounian, Bako Sahakian et bien d'autres ?

Enfin, sur le plan humanitaire, pourrait-on, comme l'a évoqué hier Jean-Louis Bourlanges, déployer avec l'Union européenne un véritable plan Marshall pour venir en aide à ces populations ?

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Catherine Colonna, ministre

Il faut continuer de convaincre et je plaide régulièrement auprès de l'Union européenne. J'observe par exemple que l'Allemagne évolue et que certains de nos partenaires, qui étaient moins attentifs que nous au sort de l'Arménie, ouvrent progressivement les yeux. Les pays d'Europe centrale et orientale comprennent mieux désormais que la Russie n'est plus celle qui protège l'Arménie mais qu'elle est complice de l'opération militaire menée par l'Azerbaïdjan.

La première ministre a répondu hier à M. Bourlanges, en indiquant que nous travaillons à un plan de soutien européen. Il faudrait d'ailleurs l'élargir au-delà de l'Europe.

Enfin, sur la question des prisonniers, je me suis exprimée au Conseil de sécurité lors de la réunion que nous avions obtenue en urgence et j'ai rappelé la position de la France : nous demandons que les prisonniers soient relâchés lorsqu'ils ont respecté l'accord de cessez-le-feu, qu'ils n'ont pas pris les armes et ne se sont pas livrés à des actions constitutives de faits répréhensibles.

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Que comptez-vous faire pour que les crimes de guerre commis en Azerbaïdjan ne restent pas impunis ? Que va faire la France pour empêcher les autres pays d'alimenter cette guerre ?

Certes, la France est le pays qui fait le plus pour l'Arménie mais, en parallèle, la présidente de la Commission européenne est invitée à votre lancement de campagne pour les élections européennes alors qu'elle signe des traités avec l'Azerbaïdjan, comme l'accord gazier européen, qui met en péril le peuple arménien.

Je suis rentré d'Arménie il y a quelques heures. Je suis allé à la frontière à Goris, j'ai vu les réfugiés et assisté à un balai incessant de camions, d'ambulances, de voitures chargées de familles fuyant leurs terres. Les visages étaient froids et résignés, les gens pleuraient. Ils m'ont montré des vidéos et des photos prouvant que des crimes de guerre avaient été commis. Vous ne pouvez pas jouer double jeu en déclarant soutenir le peuple arménien et en invitant la présidente de la Commission à votre lancement de campagne.

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Catherine Colonna, ministre

Nous avons qualifié de « crimes graves » les actions menées par l'Azerbaïdjan à l'encontre de la population arménienne du Haut-Karabagh. J'ai également salué hier le fait que l'Arménie devienne bientôt État partie au statut de Rome. Les domaines de compétence de la CPI sont larges et la Cour permet de remonter jusqu'aux responsables d'une action.

En ce qui concerne le gaz, il ne faut pas faire de liens entre les relations qui existent dans ce domaine entre l'Union européenne et l'Azerbaïdjan et la position des États membres sur le Haut-Karabagh, sur les droits des populations qui y vivent et sur l'Arménie. L'Azerbaïdjan n'est pas un fournisseur à titre principal de l'Union. Le doublement des livraisons dont il est question – qui représentent un pourcentage modeste – n'est pas encore intervenu.

Notre pays a été de longue date aux côtés des Arméniens. Je regrette qu'il faille que les événements récents ouvrent les yeux de certains de nos partenaires.

Je ressens la même émotion que vous devant les atrocités commises. J'étais aux côtés de grands brûlés venant du Haut-Karabagh hier et je ne cache pas mon émotion à l'égard de ce que j'ai vu.

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Je tiens à saluer votre soutien au peuple arménien et la volonté de la France de voir l'Arménie bénéficier de la FEP. Il nous faut entraîner nos partenaires afin de bâtir un appui européen pour une Arménie indépendante, souveraine et démocratique.

Vous étiez à Kiev avant-hier pour une réunion des vingt-sept ministres des affaires étrangères. Il s'agit d'une première et d'un symbole très fort, à un moment où la Russie compte sur une lassitude des Européens face à la guerre qu'elle mène depuis maintenant plus d'un an et demi. De quelles actions avez-vous décidé avec vos partenaires pour soutenir l'Ukraine dans la durée et l'aider à se préparer pour l'hiver, la Russie risquant de nouveau d'attaquer les infrastructures civiles et énergétiques ?

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Catherine Colonna, ministre

La réunion que vous mentionnez était en effet exceptionnelle. Elle constitue un signal important et adresse à l'Ukraine un message de solidarité et d'unité dans la durée. Que la Russie ne compte pas sur notre lassitude ! Nous sommes unis pour accompagner ce pays dans le combat qu'il mène pour son indépendance, sa souveraineté et son intégrité territoriale, pour mettre en échec l'agression russe et pour accompagner l'Ukraine à terme sur le chemin qui la mènera vers l'Union européenne.

Ce Conseil informel ne peut donner lieu à des décisions formelles. Nous avons évoqué le soutien militaire et notre volonté de renforcer notre appui, dans une perspective de quelques années, concernant les possibilités de production. Par ailleurs, il nous faut continuer d'aider l'Ukraine à faire face à l'hiver et sans doute à la reprise des bombardements sur ses infrastructures civiles et énergétiques. Des décisions avaient déjà été prises en ce sens lors de la Conférence pour la reconstruction de l'Ukraine qui s'était tenue à Londres, au mois de juin.

Nous avons également abordé la question des réformes en vue du cheminement vers l'Union européenne. Un rapport de progrès de la Commission européenne doit être rendu début novembre et une décision devrait être prise par le Conseil européen de décembre.

Nous avons aussi travaillé sur le plan de paix ukrainien et sur la façon de le décliner, pour chacun des dix thèmes, en processus plus opérationnels à même de regrouper davantage d'États de la communauté internationale, comme cela s'est fait à Copenhague et à Djedda.

Cette réunion manifeste notre volonté de rester durablement aux côtés de l'Ukraine. Que la Russie ne compte pas sur une érosion de notre détermination.

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Le drame qui a frappé le Maroc le mois dernier a mis en lumière à quel point les liens solides et amicaux qui unissaient nos deux pays s'étaient distendus. Articles de presse, propos rapportés, maladresses diplomatiques et politiques, courbettes à l'Algérie, non-reconnaissance de la marocanité du Sahara, absence de nomination d'un ambassadeur du royaume du Maroc en France, non-réception des lettres de créance de notre ambassadeur par le roi du Maroc il y a quelques jours : jamais le fossé entre les deux rives de la Méditerranée n'a été aussi profond. Quel est le plan de la diplomatie française pour mettre fin à cette crise sans précédent, très proche de la rupture diplomatique ?

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Catherine Colonna, ministre

Vous voyez la réalité de façon particulièrement noire en ne retenant que les éléments venant à l'appui de votre thèse. Il n'y a pas de crise entre la France et le Maroc. Nous entretenons avec ce pays un partenariat d'exception, au service de nos intérêts partagés. En ce qui concerne la cérémonie de remise des lettres de créance, qui a été reportée, elle concerne une trentaine d'ambassadeurs, parmi lesquels figure le nôtre.

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En tant que membre du groupe d'amitié parlementaire France-Arménie, je salue les initiatives de la France et son soutien constant à l'Arménie.

En ce qui concerne le Niger, nos forces militaires jouent un rôle clef dans la lutte antiterroriste. Comment la France pourra-t-elle poursuivre sa mission compte tenu du retrait de ses forces ? La nouvelle stratégie pour l'Afrique annoncée par le président de la République au mois de févier ne sera-t-elle pas remise en cause dans cette région ? Vous avez mentionné les sanctions européennes qui doivent être adoptées pour faire plier la junte ; devrions-nous davantage coopérer avec les Européens pour aider à maintenir la stabilité dans cette région ?

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Catherine Colonna, ministre

La façon dont nous luttons contre les groupes armés terroristes doit évoluer après la fin de l'opération Barkhane au Mali et les coups d'État au Burkina Faso et au Niger. Nous n'avons aucune intention de mener une coopération militaire avec des putschistes. Il faudra donc revoir les formes de notre coopération avec nos partenaires européens, mais aussi avec les États-Unis.

Il faudra aussi reconsidérer notre contribution dans le cadre de la nouvelle politique annoncée par le président de la République en novembre 2022 puis en février 2023. Celle-ci consiste à déployer moins de forces militaires françaises sur le terrain de façon à augmenter les activités de formation et la fourniture de matériel et d'équipements, pour mieux répondre aux besoins de nos partenaires. La diminution des effectifs est en cours et a fait l'objet d'une concertation avec chacun des pays concernés par cette réarticulation.

Dans ce cadre, nous continuerons d'appuyer les pays qui nous le demanderaient dans des formes à déterminer. Cependant, d'une façon générale, la lutte contre le terrorisme est affectée par ces coups d'État ; la réalité sur le terrain le montre.

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Il y a quelques jours, des élus communistes de la ville de Paris ont demandé que les biens immobiliers supposés mal acquis de la famille Bongo soient récupérés par l'État puis par la municipalité pour en faire des logements sociaux. Cette demande nous surprend. Ce qui est supposé avoir été pris aux Gabonais doit leur revenir à l'issue d'une procédure judicaire transparente. Dans le cas contraire, il s'agirait d'une énième spoliation du peuple gabonais, alors que notre pays a déjà été accusé de laxisme, voire de complicité, face à des investissements immobiliers douteux réalisés par des chefs d'État étrangers sur son sol.

Les autorités gabonaises ont dénoncé cette initiative et je salue la réactivité de l'ambassade de France à Libreville, qui a rapidement rappelé l'existence du dispositif dédié aux biens mal acquis, adopté il y a deux ans par notre Assemblée. Dans le cadre de ce mécanisme, les sommes récoltées doivent être fléchées pour parvenir au plus près des populations concernées. Où en sommes-nous sur cette question ? Avons-nous été en contact avec les autorités du Gabon ? Le mécanisme a été enclenché en Guinée Équatoriale ; qu'en est-il de cette procédure ?

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Catherine Colonna, ministre

Le dispositif de la loi de 2021 sur les biens mal acquis permet de restituer aux populations, au terme d'une procédure judiciaire, les recettes de la vente des biens saisis à travers des projets humanitaires et de développement. Ce dispositif est unique au monde et je ne comprends pas comment vous en venez à parler de complicité quand notre pays est exemplaire à cet égard.

Dans le cas du Gabon, aucune décision de justice n'a été rendue à ce jour concernant les membres de la famille Bongo mis en examen. Les procédures étant cours, je ne peux les commenter.

En ce qui concerne la Guinée Équatoriale, la justice s'est prononcée de façon définitive par un arrêt du 10 février 2020, confirmé par la Cour de cassation le 28 juillet 2021. Les biens confisqués sont donc propriété de l'État français et nos autorités travaillent à l'exécution de la décision, dans le cadre du mécanisme de restitution.

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La France a donné son accord pour des livraisons de matériel militaire à l'Arménie ; quelle est la nature de ces équipements ? Comment l'offensive menée par l'Azerbaïdjan sera-t-elle officiellement condamnée ? La France et l'Europe font-elles peser dans la balance leurs intérêts pétroliers et gaziers ?

La communauté arménienne vivant en France nous interpelle depuis des mois et nous souhaiterions des réponses.

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Catherine Colonna, ministre

La France a donné son accord, dans le prolongement des relations existantes, pour que nous travaillions à la possibilité pour l'Arménie d'acquérir du matériel de défense. Il faudra mettre en œuvre cette décision classique d'exportation de matériel militaire, qui relève du secret de la défense nationale.

Je crois avoir répondu sur le contrat gazier. De plus, la France n'est pas dépendante du gaz russe et azerbaïdjanais.

En ce qui concerne la condamnation des actions de l'Azerbaïdjan, nous n'y procédons pas seuls. Nous menons des efforts aux Nations Unies pour examiner la possibilité de faire progresser une résolution qui aurait cet objectif, mais aussi celui de rappeler les droits historiques des populations arméniennes du Haut-Karabagh à revenir sur leurs terres si elles le souhaitent.

Par ailleurs, le président de la République a rappelé notre vigilance. Il ne doit pas y avoir de doute sur le fait que nous aurions des réactions si l'intégrité territoriale de l'Arménie devait être remise en cause. Cette position est largement partagée et nous nous employons à ce qu'elle le soit de façon plus large encore.

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Sans nier l'existence de campagnes de désinformation, l'opportunisme de certains acteurs, le retour du souverainisme et la brutalisation sans précédent des relations internationales, pensez-vous que le démantèlement subi par notre réseau diplomatique au cours des quinze dernières années, particulièrement au Sahel, ait eu des conséquences ?

Nous n'avons pas atteint les objectifs fixés par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) en matière de concentration de l'aide dans les dix-neuf pays les plus vulnérables dont font partie les pays du Sahel ; cet échec a-t-il eu des conséquences sur la situation actuelle ?

Vous l'avez dit, nous avons atteint un niveau inédit d'APD, ce dont nous pouvons nous féliciter. Cependant, notre aide repose quasi exclusivement sur des prêts et il est toujours difficile de prêter à des pays non éligibles. Les choix budgétaires des quinze dernières années ont-ils joué un rôle dans nos déconvenues actuelles ?

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Catherine Colonna, ministre

Le sentiment antifrançais, qui est plutôt un discours, n'entre pas dans les motivations des putschistes lorsqu'ils procèdent à un coup d'État.

En ce qui concerne le « démantèlement » que vous évoquez, sachez que, dès cette année et pour les quatre années à venir, nous réarmons l'appareil diplomatique français. Néanmoins, je ne ferai pas de lien de cause à effet entre notre présence diplomatique et l'apparition de coups d'État.

Nous intervenons massivement au Sahel, avec des volumes d'aide qui sont en hausse et une concentration qui, pour des raisons d'efficacité, ne procède plus par zones géographiques mais par objectifs, depuis le dernier Conseil présidentiel du développement.

Sur la question des prêts, vous avez raison pour la période avant 2017 mais ce n'est plus le cas. Depuis lors, nous avons augmenté l'APD de 50 % et nous comptons aujourd'hui 1 milliard d'euros de dons dans le domaine du développement et 1 milliard d'euros dans celui de l'humanitaire.

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Confirmez-vous l'information que j'ai lue dans la presse, selon laquelle l'Algérie allait servir de médiateur au Niger ?

Par ailleurs, depuis que j'ai été élu député en 2017, j'entends parler ici de la situation au Haut-Karabagh. J'ai l'impression que les appels de ces populations n'ont jamais été entendus par la France.

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Catherine Colonna, ministre

Au cours des entretiens bilatéraux que j'ai menés en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies, j'ai rencontré mon homologue algérien et nous avons évoqué la question du Niger. L'Algérie avait proposé un plan, que les putschistes disent rejeter. De façon générale, ils semblent rejeter toute tentative de médiation, ce qui n'est pas de bon augure.

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Affaire à suivre donc. Notre commission sera évidemment très attentive à l'évolution de la situation.

Madame la ministre, au nom du président Bourlanges, qui regrette particulièrement de n'avoir pas pu assister à votre audition, mais aussi au nom de l'ensemble des collègues, je vous remercie pour tous les éclairages apportés sur les sujets importants à notre ordre du jour. Nous aurons très prochainement l'occasion de nous revoir, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2024.

La séance est levée à 17 h 35. Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Xavier Batut, M. Carlos Martens Bilongo, Mme Eléonore Caroit, M. Pierre Cordier, M. Alain David, M. Sébastien Delogu, M. Pierre-Henri Dumont, M. Bruno Fuchs, M. Hadrien Ghomi, M. David Habib, M. Meyer Habib, M. Benjamin Haddad, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. Arnaud Le Gall, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Yaël Menache, M. Bertrand Pancher, M. Didier Parakian, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Vincent Seitlinger, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy

Excusés. - M. Jean-Louis Bourlanges, M. Sébastien Chenu, M. Olivier Faure, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, M. Vincent Ledoux, M. Laurent Marcangeli, M. Nicolas Metzdorf, Mme Mathilde Panot, M. Frédéric Petit, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Ersilia Soudais, Mme Laurence Vichnievsky, M. Éric Woerth, Mme Estelle Youssouffa

Assistait également à la réunion. - M. Karim Ben Cheikh