La séance est ouverte à 14 heures 30.
Présidence de M. Sacha Houlié, président.
La Commission examine la recevabilité de la proposition de résolution de M. Jean-Félix Acquaviva et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'Arles (n° 170) (Mme Caroline Abadie, rapporteure).
Nous allons examiner la recevabilité de la proposition de résolution déposée le 26 juillet 2022 par M. Jean-Félix Acquaviva et plusieurs de ses collègues, qui tend à la création d'une commission d'enquête « chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022, à la maison centrale d'Arles ». M. Bertrand Pancher, président du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT), ayant décidé de faire usage de son « droit de tirage » le 3 novembre dernier pour la création de cette commission d'enquête, notre commission, en application de l'article 140, alinéa 2, du règlement de l'Assemblée nationale, se prononce uniquement sur la recevabilité de la proposition de résolution, non pas sur son opportunité. Puisqu'il n'est pas prévu d'examen en séance, notre décision s'imposera.
Je donne la parole à Mme Caroline Abadie, que nous avons désignée rapporteure.
Lors de la conférence des présidents du 3 novembre 2022, le président du groupe LIOT a indiqué faire usage pour cette proposition de résolution du « droit de tirage » que le deuxième alinéa de l'article 141 du règlement de l'Assemblée nationale reconnaît à chaque président de groupe d'opposition ou de groupe minoritaire une fois par session ordinaire.
En conséquence, conformément au second alinéa de l'article 140 du règlement, il revient à notre commission de vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d'enquête sont réunies. Comme l'a rappelé M. le président, c'est sur la recevabilité, et non l'opportunité de la proposition que nous devons nous prononcer.
Trois conditions sont requises. En premier lieu, en application de l'article 137 de notre règlement, les propositions de résolution tendant à la création de commissions d'enquête « doivent déterminer avec précision les faits qui donnent lieu à enquête ». En l'occurrence, les faits semblent définis avec une précision suffisante puisque, selon l'article unique de la proposition de résolution, la commission d'enquête serait chargée « d'évaluer les conditions dans lesquelles un détenu, classé détenu particulièrement surveillé, incarcéré à la maison centrale d'Arles le 19 octobre 2019 et placé à l'isolement, a pu bénéficier d'un classement en détention ordinaire, chargé d'un poste d'auxiliaire rémunéré, d'une part, et ne pas être soumis aux étapes de détection de la radicalisation en milieu carcéral, compte tenu de ses antécédents, d'autre part. » Aux termes de la proposition, la commission d'enquête devrait aussi étudier la genèse et les conditions dans lesquelles le statut de détenu particulièrement signalé a été maintenu pour un autre détenu, à savoir Yvan Colonna. Le premier critère est donc rempli.
En second lieu, de telles propositions de résolution sont recevables sauf si, dans l'année qui précède leur discussion, a eu lieu une commission d'enquête ayant le même objet. Ce n'est pas le cas en l'espèce, même si la commission des lois a procédé à deux auditions à ce sujet en mars 2022 : celle de M. Laurent Ridel, directeur de l'administration pénitentiaire, et celle de l'ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles et du chef d'établissement en fonction. La proposition de résolution remplit donc le deuxième critère de recevabilité.
Enfin, en application de l'article 139 du règlement de l'Assemblée nationale, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Le troisième alinéa du I de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit même que la mission d'une commission d'enquête déjà créée « prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter ».
Interrogé par le président de l'Assemblée nationale, le Gouvernement lui a fait savoir, dans un courrier du 24 octobre 2022 signé par Mme la Première ministre, que le périmètre de la commission d'enquête envisagée « est susceptible de recouvrir pour partie [une] procédure judiciaire » en cours. En effet, « le parquet national antiterroriste a ouvert, le 6 mars 2022, une information judiciaire du chef de tentative d'assassinat en lien avec une entreprise terroriste, étendue par réquisitoire supplétif du 22 mars 2022 au chef d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste à la suite du décès d'Yvan Colonna ».
La commission devra donc veiller, au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire. Seule l'enquête judiciaire peut éclaircir les motifs de l'agression, délimiter les responsabilités et d'éventuelles complicités. La commission d'enquête, si elle s'en tient à l'objet clairement défini que je vous l'ai lu à l'instant, ne portera donc pas sur des questions relevant de l'autorité judiciaire. Sous cette réserve, il apparaît que la création de cette commission d'enquête est juridiquement recevable.
Nous considérons également la proposition de résolution recevable, sous la réserve énoncée par notre rapporteure du non-empiétement sur l'instruction criminelle en cours, dont le périmètre diffère de l'objet visé ici. Notre groupe émet donc un avis favorable.
Dans le cadre défini par Mme la rapporteure, l'avis de notre groupe est également favorable.
Le groupe démocrate approuve les conclusions de Mme la rapporteure, qui constate la recevabilité de la proposition de résolution. J'insiste toutefois sur la nécessaire précaution, imposée par la loi, qui doit conduire à écarter du champ des investigations de la commission d'enquête tout ce qui a trait à la procédure engagée contre l'auteur de la violente agression mortelle commise sur le détenu Yvan Colonna. Cette démarche s'inscrit dans le prolongement des auditions conduites par la commission des lois en mars dernier. Notre groupe approuve la vigilance dont notre rapporteure fait preuve à ce sujet, et dont la commission d'enquête devra elle-même faire constamment preuve, en s'abstenant rigoureusement de toute démarche qui constituerait un empiétement inacceptable sur les prérogatives de la justice. Cela ne dispense évidemment pas de s'interroger de façon générale sur les capacités de détection dont dispose l'administration pénitentiaire s'agissant de détenus aux antécédents djihadistes, ni d'évaluer les mesures à prendre pour améliorer les procédures de repérage et de prévention pour les rendre plus efficaces – je pense, ce disant, aux quartiers d'évaluation de la radicalisation. Plus largement encore, le problème des conditions de sécurité de la détention et de l'encadrement des détenus se trouve ainsi posé. Il reviendra à la commission d'enquête de déterminer si et dans quelle mesure elle entend s'emparer de ces sujets. Pour l'heure, il n'est question que de la recevabilité de la proposition de résolution en faveur de laquelle le groupe démocrate a conclu, je l'ai dit.
Comme l'a exposé Mme la rapporteure, la rédaction de la proposition de résolution nous semble définir de manière à la fois précise et circonscrite les faits qui donneront lieu à l'enquête, encadrant ainsi le champ d'investigation de la commission d'enquête. De plus, ces faits n'ont pas donné lieu à une mission d'information ayant fait usage des pouvoirs dévolus aux rapporteurs des commissions d'enquête. Enfin, l'objet de la proposition vise à faire la lumière sur les dysfonctionnements de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire qui ont conduit à cet événement et, bien que le périmètre de la commission d'enquête envisagée soit susceptible de recouvrir pour partie une procédure judiciaire en cours, il ne fait aucun doute que la commission veillera, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire. Pour ces raisons, le groupe Horizons et apparentés estime que cette proposition de résolution doit être déclarée recevable.
Nous suivons l'analyse de Mme la rapporteure et exprimons un avis favorable à la proposition de résolution.
Nous sommes uniquement appelés à nous prononcer sur la recevabilité de cette proposition de résolution, mais je dirai un mot sur le fond. Le groupe GDR appelle de ses vœux la création de cette commission d'enquête, pour faire toute la lumière sur les faits d'une extrême gravité qui se sont produits. Cette affaire pose aussi la question de la levée du statut de détenu particulièrement signalé, à laquelle notre groupe avait appelé dans une tribune publiée en décembre 2021. Nous regrettons qu'il ait fallu attendre la mort d'Yvan Colonna, le 11 mars 2022, pour que le Premier ministre de l'époque y vienne, par une décision prise « dans un esprit d'apaisement », nous disait-on. Á notre sens, la nécessité de cette commission d'enquête procède du même esprit. Nous sommes donc favorables à sa création.
Je remercie Mme la rapporteure pour son rapport, et le président de la commission des lois et la présidente de l'Assemblée nationale d'avoir fait diligence depuis que nous avons déposé cette proposition de résolution, le 26 juillet dernier. Nous prenons acte que le rapport qui vient d'être présenté nous permet d'entrevoir le commencement des travaux de la commission d'enquête qui s'intéressera au fond de cette affaire. Ce qui est en jeu, c'est la soif de justice et de vérité de la société insulaire : la création d'une commission d'enquête parlementaire a été demandée à l'unanimité par les élus de l'Assemblée de Corse, mais aussi par les communes et les forces vives d'une île parcourue par une onde de choc à la suite de l'assassinat d'Yvan Colonna, comme nous l'indiquons dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution. Nous nous engageons évidemment à circonscrire les travaux parlementaires à l'objet défini pour ne pas empiéter sur l'enquête judiciaire. La justice et la vérité proviendront de la somme des initiatives. Il y a un rapport de l'inspection générale de la justice, une enquête administrative interne, une enquête judiciaire… Il était normal que le Parlement se saisisse de cette question dans la mesure où, à la suite des premières auditions menées par la commission des lois, la presse a relevé des nombreuses contradictions, notamment sur la gestion de l'évaluation de la radicalisation de la personne concernée et du régime de clémence dont elle a bénéficié. Des zones d'ombres très marquées sont apparues, et tout cela doit être purgé. Un travail démocratique important nous attend, un travail pour la justice et pour la vérité, mais aussi un travail de réconciliation visant à renouer les fils d'un dialogue serein et apaisé, avec des solutions d'avenir pour la Corse et la République.
Le sujet préoccupe également la commission des lois : une commission d'enquête du groupe Les Républicains, dont la rapporteure est à mes côtés, avait été consacrée aux dysfonctionnements de l'administration pénitentiaire, et l'audition du directeur de l'administration pénitentiaire avait alors été déclenchée par la présidente de la commission des lois immédiatement après les incidents qui font l'objet de la commission d'enquête proposée. Le groupe Renaissance juge également la proposition de résolution recevable et donne un avis favorable à son adoption.
La commission déclare recevable la proposition de résolution, à l'unanimité.
La séance est suspendue de 14 heures 50 à 15 heures 15.
Puis, la Commission poursuit l'examen de la proposition de loi portant création d'une juridiction spécialisée dans l'expulsion des étrangers délinquants (n° 352) (M. Eric Ciotti, rapporteur)
Le président Sacha Houlié. Nous reprenons la discussion générale de la proposition de loi portant création d'une juridiction spécialisée dans l'expulsion des étrangers délinquants, que nous avons commencée ce matin.
Notre droit concernant l'expulsion des étrangers – ceux qui menacent l'ordre public et qui sont en situation irrégulière – peut sans doute être amélioré, et son efficacité, interrogée. Vous évoquez, dans votre exposé des motifs, les attentats terroristes qui ont touché notre territoire et je ne peux, en tant qu'élu niçois, qu'être touché par cette évocation – même si je rappelle que nombre des terroristes étaient en situation régulière. Le terrorisme a trois objectifs : nous tuer, nous blesser et nous faire douter.
L'expulsion est une décision administrative qui peut être prise soit par le préfet, soit par le ministre de l'intérieur. Vous avez rappelé qu'on en compte moins de 400 chaque année. Afin d'accélérer les expulsions, vous proposez de créer une nouvelle juridiction spécialisée. Actuellement, le contentieux général des étrangers est confié aux tribunaux administratifs. Ce sont des juges de proximité qui y exercent : ils connaissent la réalité du territoire dans lequel évolue la personne faisant l'objet d'une mesure administrative et ils ont une réelle expertise.
Ce qui me semblerait utile, c'est de renforcer les moyens à la disposition des forces de sécurité, notamment en matière de renseignement : c'est ce qu'on a commencé à faire avec le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi). Il importe de prévenir et de déjouer les actes terroristes, non de les constater. Il faut également trouver des solutions administratives et judiciaires pour que les étrangers qui sont sur le territoire français et qui présentent une menace pour l'ordre public en soient effectivement éloignés.
Vous estimez que la complexité des procédures fait perdre du temps, notamment le traitement des décisions en cas de recours. Je ne crois pas que la création d'une juridiction spécialisée soit une solution. Il importe de faire un travail plus global sur la situation des étrangers que l'on souhaite voir quitter le territoire français. En l'état, le groupe Horizons et apparentés votera contre cette proposition de loi.
Je trouve cette proposition de loi abjecte ; elle m'inspire un profond dégoût. Je veux apporter tout mon soutien aux familles des victimes et dénoncer l'instrumentalisation indigne que vous faites du terrorisme, à l'approche du congrès des Républicains.
Vous revenez sur des droits fondamentaux et sur des équilibres essentiels de notre justice. Dans un autre contexte, vous avez défendu le droit du sang : ce n'est évidemment pas l'idée que je me fais de notre République, ni de l'universalisme français. Vous vous réclamez de la République et de de Gaulle, mais votre vision de la France est étriquée. Le droit du sol et l'état de droit ne sont pas des jouets.
Vous avez choisi une appellation tape-à-l'œil, la Cour de sûreté de la République, en référence à la Cour de sûreté de l'État, une juridiction d'exception créée pendant la guerre d'Algérie. C'est tout à fait déplacé. Votre objectif n'est pas de trouver une solution à un problème identifié, mais de marquer les esprits.
Les étrangers qui constituent une menace pour notre sécurité sont déjà expulsés ou ils le seront après avoir purgé leur peine. L'idée selon laquelle la complexité du contentieux actuel freinerait la mise en œuvre d'une expulsion est fausse. Ni la saisine des juges du fond, ni celle du Conseil d'État, en cassation, n'autorise la suspension de l'exécution d'une expulsion. Seule une procédure d'urgence le permet, de manière temporaire et dans des délais très resserrés – quinze jours pour saisir le juge des référés. L'accélération de la procédure contentieuse que vous nous proposez ne répond donc à aucune nécessité.
Dans notre législation, il y a trois niveaux d'expulsion. La majorité d'entre elles sont prononcées contre des personnes condamnées pour atteinte à l'intégrité physique, pour trafic de stupéfiants ou récidive d'infractions mineures. Alors que les activités terroristes représentent une infime partie des cas justifiant une expulsion, vous brandissez cette menace comme un motif pour réformer l'ensemble du contentieux des expulsions.
Enfin, vous prétendez que les magistrats des tribunaux administratifs font structurellement obstacle à l'efficacité du droit des expulsions. Vous leur reprochez de se laisser distraire par la recherche d'un équilibre entre la sauvegarde de l'ordre public et la protection de la vie privée et familiale, consacrée par notre Constitution et par la Convention européenne des droits de l'homme. Pour le dire autrement, vous voulez en finir avec le contrôle de proportionnalité, qui est pourtant la marque de l'état de droit. Votre amateurisme est indigne. Les écologistes voteront contre ce texte, qu'ils dénoncent de bout en bout
Le titre même de votre proposition de loi est problématique. Elle porte création d'une « juridiction spécialisée dans l'expulsion des étrangers délinquants » mais vous évoquez, dans l'exposé des motifs, « les personnes étrangères ayant pris part à des actions terroristes » ou « les ayant encouragées d'une manière quelconque ». Votre texte concerne-t-il les délinquants ou les terroristes ?
Votre logique n'est pas claire pour moi. Vous dites que la justice est lente et qu'elle manque de moyens. Et, pour régler ce problème, vous proposez de créer une juridiction spécifique, ce qui nécessitera des moyens supplémentaires. Pourquoi ne pas demander clairement des moyens supplémentaires pour la justice ?
Votre proposition de loi est très gênante – et c'est un euphémisme – parce qu'elle n'est pas justifiée. Plusieurs collègues ont rappelé que nous avons déjà un arsenal juridique qui permet les expulsions : votre texte n'apporte donc aucune plus-value. Vous voulez seulement faire croire à la France entière, voire au monde entier, que les problèmes d'insécurité de la France sont dus aux étrangers. Cet argument est dangereux et fallacieux.
Ce texte me rappelle le film Minority Report, dans lequel on pouvait condamner des gens avant même qu'ils aient commis le moindre délit. Il y a des droits et une justice : on ne peut pas faire n'importe quoi, en l'absence de condamnation. Vous ouvrez la boîte de Pandore et rognez les droits de la défense. Nous voterons contre ce texte.
Nul ne peut nier le lien entre délinquance et population étrangère. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est le ministre de l'intérieur, même s'il lui a fallu du temps pour le reconnaître. Dans son livre, l'ancien préfet de police, Didier Lallement, donne des chiffres, que confirme l'actuel préfet de police, Laurent Nuñez : 80 % des vols commis dans les transports en Île-de-France le seraient par des étrangers. Le ministre de l'intérieur estime, quant à lui, que 50 % des mis en cause impliqués dans des vols ou violences dans les transports des grandes villes françaises sont des étrangers.
Le lien entre délinquance et population étrangère est un fait statistique et objectif. Certains préfèrent mettre des œillères. Pour ma part, je crois, comme Péguy, qu'il faut dire ce que l'on voit, et surtout voir ce que l'on voit. Pour la première fois, certains disent enfin ce qu'ils voient. Une fois ce lien établi, il faut en tirer les conséquences. Un étranger qui commet un délit troublant l'ordre public, qu'il soit en situation irrégulière ou régulière, doit être expulsé. Il n'y a pas d'autre solution. Quand on accueille un étranger en situation régulière, il passe une sorte de contrat de confiance avec la nation. L'État français émet un titre de séjour. Quand ce titre est déchiré par un acte de délinquance, l'État doit se protéger.
Or chacun sait que le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire (OQTF), procédure administrative, et des interdictions du territoire français (ITF), procédure judiciaire, est très faible. Le préfet, lorsqu'il suspecte des personnes de présenter un trouble à l'ordre public, peut prendre un arrêté d'expulsion, même si elles n'ont pas encore été condamnées : c'est ce qui est arrivé à l'imam Iquioussen. Ces arrêtés d'expulsion sont très peu nombreux – 344 en 2021 – et seuls 50 % d'entre eux sont exécutés. Sur les ITF, on est à environ 2 300.
Monsieur Iordanoff, vous parlez de dégoût. Ce qui me dégoûte, moi, c'est que des étrangers s'en prennent à nos concitoyens. Je veux éviter que cela se produise et ce devrait être notre souci commun. Les principaux obstacles à l'expulsion sont l'excès de procédures administratives, la complexité des mesures d'expulsion et le manque de moyens. C'est pour cela que j'ai défendu un amendement à la Lopmi, – qui a été adopté, avec un avis favorable du Gouvernement – qui prévoit de multiplier par 2,5 le nombre de places en centre de rétention. Sans cela, toute mesure d'expulsion, qu'elle soit judiciaire ou administrative, ne pourra pas s'exécuter.
Il importe aussi de simplifier les procédures. Chers collègues de la majorité, c'est ce que vous proposera M. Darmanin au mois de janvier, et vous voterez sa loi avec enthousiasme. Déplorant, lui aussi, la lourdeur des procédures, il souhaite, dans la même logique, réduire le nombre de recours. Nous défendons évidemment l'état de droit – davantage d'ailleurs que certains collègues, qui soutiennent le modèle bolivarien.
Nous sommes attachés à l'état de droit et n'avons aucune leçon à recevoir. Cette proposition de loi est pragmatique. La politique, c'est du bon sens : quand quelque chose ne fonctionne pas, il faut le modifier. En l'occurrence, nous observons des défaillances : le taux d'exécution des décisions administratives et judiciaires est ridiculement bas, ce qui fait courir un risque à la société. Nous en tirons les conséquences en simplifiant les procédures.
Le nom que nous proposons pour cette cour fait débat. Ce n'est pas moi qui l'ai trouvé. L'important, monsieur Terlier, ce n'est pas la sémantique, c'est l'action.
L'objectif est non seulement de simplifier les procédures, mais aussi d'homogénéiser la jurisprudence. En effet, les tribunaux administratifs ont des appréciations extraordinairement différentes – j'en veux pour preuve l'affaire Iquioussen. Nous voulons donc créer une juridiction non pas d'exception, mais spécialisée dans le traitement d'un contentieux très difficile.
Quand un préfet ou un ministre de l'intérieur demande l'expulsion d'une personne pour un motif d'ordre public en s'appuyant sur une note blanche des services de renseignement, certaines juridictions le refusent, car, le fondement juridique de ces documents est, par nature, fragile.
La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) émet des avis, notamment sur les écoutes administratives, puis le Premier ministre décide. Une voie de recours devant le Conseil d'État est alors ouverte. Les magistrats qui jugent ce contentieux sont spécialisés. Ils sont également habilités secret-défense ou très secret-défense. Cela montre que, lorsqu'il y va du terrorisme ou de la criminalité organisée, il est nécessaire de faire intervenir des magistrats spécialisés. Avec cette proposition de loi, nous suivons exactement la même logique.
En somme, s'agissant de personnes dont les services de renseignement estiment qu'elles sont extrêmement dangereuses même si elles ne sont pas encore passées à l'acte, vous voulez que l'on intervienne après ; pour notre part, nous entendons faciliter les procédures pour les expulser avant.
Article 1er : (Art. L. 132-1 à L. 132-5 [nouveaux] du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit de l'asile) Création d'une juridiction spécialisée dans l'expulsion des étrangers
Amendements de suppression CL1 de M. Andy Kerbrat, CL15 de Mme Marie-France Lorho et CL18 de M. Jérémie Iordanoff.
J'ai un peu de mal avec les mouvements politiques donnant des leçons en matière de politique internationale alors qu'ils trouvaient que tout n'était pas à jeter chez Donald Trump et qu'ils jugeaient, il y a un peu plus d'un an, qu'il fallait tendre la main à Monsieur Poutine…
Nous refusons la création d'une nouvelle juridiction administrative d'exception ayant pour mission de juger de l'éloignement des étrangers délinquants. Il existe déjà des procédures d'expulsion, même si elles ne sont ni aussi rapides ni aussi arbitraires que le souhaiterait Monsieur Ciotti car elles sont conformes à l'État de droit.
Par ailleurs, le texte est flou et mal ficelé. Dans le contexte un peu tumultueux que nous connaissons à l'Assemblée, il est important de présenter des textes bien faits et correspondant à des situations réelles.
La proposition de loi ne répond pas non plus à la question centrale, à savoir celle des moyens donnés à la justice et à la police pour agir. En réalité, il y a trop d'OQTF pour que nos services puissent les exécuter. S'ils avaient suffisamment de moyens, ils les exécuteraient tous – même si ce n'est pas du tout ce que je souhaite.
Enfin, je vous invite à lutter contre la xénophobie rampante qui apparaît ici dans l'amalgame qui est fait entre délinquance et étrangers. Même Monsieur Nuñez, dont certains propos nous ont heurtés, a refusé une telle confusion ; le ministre Gérald Darmanin également. Il convient donc de rejeter résolument ce texte.
Le contentieux de l'expulsion des étrangers souffre de maux aigus qui portent directement atteinte à l'ordre public et, partant, fragilisent dangereusement notre pays. La loi qui gouverne cette matière est de plus en plus laxiste, ce qui va à l'encontre des intérêts de l'État. Les moyens permettant d'appliquer la loi ont été volontairement retirés aux autorités publiques comme à l'institution judiciaire, par complaisance à l'égard d'une certaine idéologie européenne poursuivant des objectifs contraires à la souveraineté des États parties. Ainsi, le juge administratif ne fait qu'appliquer une loi vidée de toute substance. Face à ce délabrement du droit, la création d'une juridiction ad hoc ne permettrait pas de reprendre les rênes du contentieux de l'expulsion. C'est au législateur et non juge qu'il revient d'agir. La proposition de loi ne résout donc pas ce qui constitue le problème essentiel.
Quant au nom proposé – « cour de sûreté de la République » –, il renvoie à une juridiction d'ordre pénal, en l'occurrence la Cour de sûreté de l'État, instituée par le général de Gaulle en 1963. Or, ici, la matière est administrative, de même que la composition de la juridiction. La cour de sûreté de la République est présentée comme un tribunal spécial pour juger de l'expulsion des étrangers délinquants. Or cette matière relève du droit administratif et des attributions de l'ordre juridictionnel administratif. Retirer leurs attributions au tribunal administratif et à la cour administrative d'appel serait assez indélicat.
Le personnel de la cour proviendrait du Conseil d'État. La pertinence de ce choix n'apparaît pas non plus évidente : affecter des conseillers d'État à cette tâche reviendrait à priver les autres contentieux administratifs d'autant de juges chargés de se prononcer en cassation. L'idée de créer pour chaque contentieux un tribunal spécial peut sembler séduisante, mais son application aboutirait à une telle dislocation qu'il faudrait repenser l'ensemble de l'ordre juridictionnel français, qui se définit par son dualisme. Enfin, cela reviendrait à aggraver l'engorgement du système judiciaire.
On peut chercher l'efficacité sans pour autant instrumentaliser certains problèmes. Voilà pourquoi j'ai employé le mot « dégoût ».
Je vous mets au défi de trouver le moindre soutien de ma part à l'État bolivarien. Votre proposition, quant à elle, entraînerait bel et bien une dégradation de l'état de droit en restreignant l'accès au juge, en supprimant la voie d'appel et en raccourcissant les délais de pourvoi en cassation. L'affaiblissement de la voie de recours peut se justifier à la seule condition qu'un intérêt supérieur le requière. Or vous n'en avez pas fait la démonstration. Vous avez juxtaposé le rappel de faits terroristes et la présentation de votre proposition, sans pour autant établir un lien de causalité entre eux. Rien ne prouve que la nouvelle organisation que vous proposez serait une solution. Vous n'avez pas non plus prouvé que l'organisation actuelle de la justice freinait les expulsions. Vous avez même dit que vous ne changiez pas le fond du droit. Il s'agit donc purement et simplement de faire de l'affichage. Nous pensons qu'une telle mesure n'est ni efficace ni souhaitable et proposons donc de supprimer l'article.
Monsieur Iordanoff, monsieur Kerbrat, je comprends que, de votre point de vue, la suppression du dispositif soit souhaitable. Je salue une forme de cohérence.
Il n'en demeure pas moins que la délinquance des étrangers pose problème. Nous devons également pouvoir choisir qui nous voulons accueillir et surtout qui nous ne voulons plus conserver sur le territoire national – en l'occurrence des personnes violant les lois de la République et menaçant les principes républicains. Vous vous opposez à cette idée ; cela ne m'étonne pas. Malheureusement, la logique que vous défendez est celle qui a conduit à la situation actuelle, que nous déplorons. Vous avez installé une forme de domination intellectuelle qui terrorise la majorité elle-même et l'enferme dans l'impuissance.
Madame Lorho, vous avez déposé d'autres amendements sur le texte : si l'article 1er est supprimé, ils tomberont… Pour ma part, je souhaite que le débat ait lieu. Il est possible d'améliorer la proposition de loi. Le nom proposé pour la juridiction vous perturbe, mais la sémantique n'est pas l'essentiel : ce que nous voulons, c'est être efficaces. Il serait dommage que vous vous associez aux Insoumis pour refuser ce débat sur l'expulsion des étrangers.
Nous allons vous décevoir, monsieur le rapporteur, car le groupe Renaissance votera l'amendement de M. Iordanoff – pour ma part, je suis d'accord avec l'essentiel de ce qui figure dans son exposé sommaire.
Vous ne nous avez pas convaincus. À vous entendre, nous ne souhaiterions ni régler le problème de la délinquance des étrangers ni améliorer l'exécution des arrêtés d'expulsion. Or, ce que vous n'avez pas dit assez clairement, c'est que cette proposition de loi ne permettrait pas d'y remédier. Au fond, la création de cette cour de sûreté de la République permettrait simplement de remplacer les juges des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, statuant au fond, par des magistrats du Conseil d'État. Cela traduit votre méfiance envers ces juges : ce que vous leur reprochez, en réalité, c'est de ne pas être suffisamment sévères dans l'appréciation des arrêtés d'expulsion. Vous mettez en cause leur impartialité.
En outre, le nom que vous souhaitez donner à cette juridiction d'exception dérange. Soit il a été choisi à dessein, soit c'est une énorme maladresse.
Ces raisons expliquent que nous ne souhaitions pas examiner plus avant le texte.
Je ne peux pas vous laisser dire que la proposition de loi met en cause les magistrats ni que nous voulons les remplacer. D'une part, nous proposons que la cour soit composée de conseillers d'État, autrement dit de personnes qui sont au sommet de la hiérarchie de la magistrature administrative. D'autre part, notre objectif est d'harmoniser la jurisprudence. Ce n'est pas un acte de défiance envers les magistrats – au contraire.
Nous voulons également simplifier et accélérer les procédures. Il y aura donc un échelon de recours en moins. Toutefois, les personnes concernées auront la possibilité de se pourvoir en cassation devant le Conseil d'État. Nous restons donc dans le cadre de l'état de droit. Nous le renforçons même en chargeant du contentieux de l'expulsion des magistrats qui en auront une connaissance précise.
Je suis persuadé, mes chers collègues de la majorité, que vous approuverez demain les dispositions que vous refusez aujourd'hui, dès lors que c'est Monsieur Darmanin qui vous les proposera. Peu importe : l'essentiel est que vous finissiez par les adopter.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l'article 1er est supprimé et les autres amendements tombent.
Après l'article 1er
Amendement CL17 de Mme Marie-France Lorho.
Cet amendement est devenu sans objet : il s'agissait de combler une lacune de la proposition de loi. Ses auteurs ont manifestement oublié que le droit de l'entrée et du séjour des étrangers est soumis, dans six de nos collectivités d'outre-mer – Saint-Barthélemy et Saint-Martin, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et les Terres australes et antarctiques françaises – au principe de spécialité législative. Sans mention expresse, la présente loi ne s'appliquerait pas à ces territoires, ce qui aurait pour effet accidentel d'y maintenir la compétence juridictionnelle actuelle.
L'amendement est retiré.
Article 2 : Création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs
La commission rejette l'article 2.
La commission ayant supprimé tous les articles de la proposition de loi, l'ensemble de celle-ci est rejeté.
La séance est levée à 15 heures 55.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Sabrina Agresti-Roubache, M. Erwan Balanant, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, Mme Clara Chassaniol, M. Éric Ciotti, Mme Elsa Faucillon, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Benjamin Haddad, M. Sacha Houlié, M. Jérémie Iordanoff, Mme Emeline K/Bidi, M. Andy Kerbrat, M. Gilles Le Gendre, Mme Marie Lebec, Mme Gisèle Lelouis, Mme Marie-France Lorho, M. Emmanuel Mandon, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, M. Philippe Pradal, M. Davy Rimane, M. Jean Terlier
Excusés. - M. Aymeric Caron, M. Philippe Gosselin, Mme Marie Guévenoux, M. Jordan Guitton, M. Timothée Houssin, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Naïma Moutchou, Mme Mathilde Panot, M. Rémy Rebeyrotte
Assistait également à la réunion. - M. Philippe Schreck