La séance est ouverte à dix heures trente-cinq.
Sous la présidence de Mme Laure Miller, présidente, la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance s'est réunie en vue de procéder à l'audition de Mme Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature, et Mme Juliette Renault, secrétaire permanente.
Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête. Je souhaite la bienvenue à Mmes Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature, et Juliette Renault, secrétaire permanente de ce même syndicat.
Votre syndicat a rendu public, au début du mois de mai, un état des lieux de la justice chargée de la protection de l'enfance. Vous y dressez un constat alarmant et décrivez « un système qui craque ». Vous indiquez notamment que 77 % des juges des enfants ayant répondu à votre questionnaire ont déjà renoncé à prendre des décisions de placement d'enfants en danger dans leur famille en raison d'une absence de place ou de structure adaptée à leur accueil. Cet élément semble l'un des plus alarmants.
Avant de vous donner la parole, je dois vous préciser que cette audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. En outre, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(Mmes Kim Reuflet et Juliette Renault prêtent successivement serment.)
En tant que présidente du Syndicat de la magistrature, deuxième organisation représentative des magistrats, je souhaite aborder la question de la justice des mineurs, qui nous préoccupe particulièrement.
Nous collaborons étroitement avec de grandes associations, avec le fonds des Nations Unies pour l'enfance (Unicef) et avec des organisations syndicales de travailleurs sociaux. Nous sommes deux anciennes juges des enfants.
Lorsque nous avons publié notre état des lieux, de nombreux collègues nous ont remerciés de mettre en lumière des aspects de leur quotidien professionnel souvent jugés insupportables. Les juges des enfants et les procureurs chargés des mineurs suivent avec beaucoup d'attention et d'espoir les travaux de votre commission d'enquête.
Concernant la réalisation de l'état des lieux, nous souhaitions, à l'origine, élaborer un « kit de survie » adressé aux juges des enfants et aux travailleurs sociaux. Ce projet visait à fournir des outils pratiques aux professionnels de la protection de l'enfance, confrontés à un système en grande difficulté. Ces outils pratiques devaient répondre à des questions concrètes : que peut faire un juge au quotidien ? Qui alerter ? Comment se débrouiller dans ce système complexe ?
Nous avons donc décidé de commencer par recueillir les témoignages de nos collègues sur la situation de la protection de l'enfance et de la justice des mineurs.
Lorsque nous avons pris connaissance des résultats du sondage, des retours de nos collègues ainsi que du nombre de réponses (avec une participation inhabituelle de près de 35 % de magistrats), nous avons identifié une forte attente de nos collègues pour rendre visible leurs préoccupations. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de formuler des propositions et de mettre de côté l'élaboration d'outils pratiques.
Deux séries d'informations importantes émergent de cet état des lieux : l'une porte sur l'état de la protection de l'enfance, l'autre sur la justice des mineurs.
S'agissant tout d'abord de la protection de l'enfance, le diagnostic révèle surtout le caractère systémique d'une certaine maltraitance institutionnelle. Il existe désormais un consensus sur l'effondrement que traverse ce secteur et la crise qui en découle. Il est nécessaire d'unir nos voix pour le dénoncer. Les professionnels le signalent depuis longtemps. Désormais, les usagers et les personnes concernées se font également entendre. Votre commission a d'ailleurs entendu le comité de vigilance des enfants placés sur ce sujet, notamment à la suite d'événements dramatiques dans certains départements.
Nous montrons que cette situation est généralisée. En tant que magistrats, nous sommes bien placés pour exposer ces problématiques systémiques. Nous traversons actuellement une crise majeure et de nombreuses voix s'élèvent pour réclamer davantage que de simples mesures d'ajustement. Il est temps de renverser la tendance pour véritablement changer les choses.
La cartographie des décisions de placement inexécutées, intégrée dans cette étude, est particulièrement édifiante. Nous avons collecté des données dans deux tiers des départements et recensons au moins 3 335 placements inexécutés. Les départements comptent des centaines d'enfants qui devraient se trouver en sécurité dans des lieux de placement, mais qui sont encore chez eux.
Ces enfants sont passés devant le juge. Une audience a eu lieu, le juge a examiné le dossier, il y a eu un débat contradictoire sur les éléments de danger, et une décision de placement a été prise. Nous savons qui sont ces enfants, où ils vivent. Nous connaissons leur situation et le niveau de maltraitance qu'ils subissent au domicile. Pourtant, les décisions restent inexécutées.
Nous avons prévu de vous remettre une collecte de dizaines de situations adressées par nos collègues. J'ai retenu l'une d'entre elles pour cette audition. Elle émane d'une collègue exerçant dans le Maine-et-Loire, un département où les placements inexécutés sont nombreux. Cette collègue a placé quatre enfants de 11 ans, 10 ans, 5 ans et 2 ans en septembre 2023, en raison de violences conjugales et de violences sur les enfants. Le logement est suroccupé, des personnes alcoolisées passent au domicile et la mère expose très régulièrement ses enfants à des scènes de violence.
En avril 2024, le placement est toujours inexécuté, mais la situation a récemment changé. Des informations préoccupantes affluent de l'école de l'aîné. Ce dernier, âgé de 11 ans, déclare : « Maman a un nouveau compagnon. Elle aime bien se faire taper dessus. Moi, je vais passer un week-end pourri, je n'aime pas le nouveau compagnon de maman, je n'en peux plus ! Je veux partir de cette maison, j'en ai marre de cette violence ! Il y a toujours des problèmes. J'ai peur ! Je ne me sens pas en sécurité, j'ai peur pour mes frères et sœurs ». Cet enfant, âgé de seulement 11 ans, scolarisé en classe de CM2, n'a pas à subir cela. Il a déjà été exposé à trop de violences.
Les conclusions du service éducatif mandaté pour suivre ces enfants avant qu'ils ne soient placés sont les suivantes : « Bien que les enfants soient, chaque semaine, positionnés sur des places d'accueil disponibles, leurs candidatures ne sont pas retenues. Il apparaît clairement que les enfants sont à ce jour en grand danger au domicile, où le quotidien est empreint de violence. L'ensemble des professionnels sont inquiets pour les enfants et ceux exerçant la mesure d'investigation se retrouvent en difficulté compte tenu de la non-mise en œuvre du placement. »
Ceci n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Nous avons reçu la semaine passée des dizaines de témoignages similaires tout aussi édifiants. Parler de « candidature non retenue » fait froid dans le dos.
Il est important de comprendre que ces placements inexécutés concernent des situations comme celle que je viens de décrire. Il ne faut pas imaginer que les choses sont différentes pour d'autres enfants. Au moment où nous parlons, ces enfants sont chez eux.
Les délais de mise en œuvre des mesures à domicile sont également excessifs. Plusieurs collègues vous ont déjà alertés sur ce problème et ses conséquences dramatiques. Par exemple, une collègue de Seine-Saint-Denis a ordonné une mesure d'assistance en milieu ouvert en février 2022 pour un enfant qui commençait à avoir de mauvaises fréquentations et risquait de commettre des actes de délinquance. En février 2024, deux ans plus tard, cet enfant, désormais âgé de 13 ans, est totalement déscolarisé. La mesure n'est toujours pas mise en œuvre. En avril 2024, lors de notre sondage, notre collègue apprend que la mesure éducative est enfin attribuée au « service des mesures mises en attente ». Au bout de deux ans, la mesure est enfin entrée dans la file d'attente, ce qui permettra peut-être qu'elle soit exercée. Le fait est que la situation de cet enfant s'est fortement détériorée. En effet, un enfant déscolarisé qui traîne dans son quartier peut rapidement se retrouver en difficulté.
Deux conséquences majeures découlent de cet état de la protection de l'enfance dans les pratiques judiciaires. Tout d'abord, des placements sont prononcés en raison de l'échec des mesures de milieu ouvert. Ensuite, 77 % des juges des enfants déclarent avoir renoncé à ordonner une mesure de placement, sachant qu'elle ne serait pas exécutée.
Il est essentiel de comprendre que cette situation est intégrée à nos prises de décision et notre mode de travail, en l'occurrence très dégradé. Par exemple, lorsqu'un adolescent de 16 ans et demi est concerné, nous savons d'emblée que le placement n'est pas une option viable. Nous cherchons donc des alternatives. Certains collègues tentent de quantifier ces situations. Il est ainsi question de deux à trois cas par mois, voire d'une centaine de cas chaque année, ce qui est considérable.
En ce qui concerne la justice des mineurs, il est crucial que votre commission se penche sérieusement sur cette question et formule des propositions pertinentes. Lorsque l'on évoque la protection de l'enfance, le rôle du juge des enfants, acteur essentiel, est négligé au profit des politiques publiques, du rôle des départements et de l'articulation avec les politiques régaliennes, notamment en matière d'éducation et de santé. Pourtant, les juges prononcent 82 % des mesures et ordonnent plus de 90 % des placements. L'autorité prescriptrice principale est souvent en dehors du champ des propositions. Les parlementaires ne s'autorisent pas toujours à formuler des propositions sur cette mission régalienne.
À cet égard, je souhaite faire une incise sur la subsidiarité, car elle fait partie des questions abordées dans votre questionnaire. Il faut cesser de croire que « tout irait mieux » si la protection de l'enfance était déjudiciarisée. Il reste des enfants en danger à prendre en charge et à mettre en sécurité dans des lieux de placement. Je ne saisis pas en quoi la démarche est plus facile si elle n'est pas ordonnée par un juge. La déjudiciarisation ne va pas forcément résoudre ce problème. La directrice de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) considère que le nombre de mesures judiciaires est excessif. J'ignore sur quels éléments elle se base, mais à mon sens, la question n'est pas bien posée.
Par ailleurs, si ces mesures sont judiciaires, c'est parce qu'elles sont extrêmement attentatoires aux droits des personnes. En réalité, les gens ne sont pas d'accord pour contractualiser avec le département pour placer un enfant après avoir reconnu de graves carences éducatives. La plupart des personnes qui se présentent aux audiences des juges des enfants ne sont pas d'accord avec ce qui est dit. Un long travail d'adhésion mené par les travailleurs sociaux est nécessaire pour que la famille finisse par reconnaître la situation. Certes, des marges de progression sont observées en sortie de mesure, mais elles ne sont pas considérables. L'inscription de la subsidiarité dans la loi ne permettra nullement d'obtenir subitement 70 % de mesures administratives et 30 % de mesures judiciaires. La logique est plus complexe. La même erreur d'analyse a été commise lors des États généraux de la justice.
S'agissant de la justice des mineurs, les juges des enfants sont particulièrement maltraités au sein de notre institution. Votre commission pourrait d'ailleurs peut-être formuler des propositions à ce sujet. Un juge maltraité dans son institution travaille sans greffier et ne bénéficie pas de soutien. Cette situation, devenue structurelle, est visible dans de nombreux tribunaux. Le juge des enfants est le seul à être traité de la sorte. En comparaison, si un juge aux affaires familiales prononce un divorce sans entendre les parties, cela constitue une violation inacceptable de la loi. De même, si un juge d'instruction procède à un interrogatoire sans greffier, il sera immédiatement sanctionné sur le plan procédural. En revanche, les juges des enfants se voient quotidiennement rappeler qu'ils doivent tenir leurs audiences sans greffier et prendre eux-mêmes les notes d'audience.
Il existe également un problème de charge de travail, partagé avec d'autres fonctions. Un juge des enfants est censé gérer 325 dossiers, mais il doit en réalité en traiter 500, voire 600. De nombreuses situations dépassent largement la norme établie par la chancellerie.
Les conséquences ne concernent pas tant la charge de travail des juges, bien que cela reste un sujet syndical, que les droits des personnes. En l'occurrence, un enfant n'a pas accès à son juge et ne peut pas être entendu seul, car les juges n'ont pas le temps de procéder aux auditions individuelles comme ils le devraient, conformément à la loi. Il subsiste un problème de respect des droits des personnes dans la procédure d'assistance éducative. Les décisions rendues sans greffier sont régulières.
L'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) et le ministère de la justice ont constaté une hausse de 10 % des saisines en assistance éducative entre 2020 et 2022. Pourtant, aucun nouveau poste de juge des enfants n'a été créé.
De surcroît, une sorte de « boîte noire » persiste. Des postes de juges sont annoncés, mais nous ignorons où ils seront attribués. Il est impossible d'obtenir du ministère de la justice des précisions sur les juridictions où ces juges seront affectés. Depuis deux ans, le garde des Sceaux annonce l'intégration de 1 500 juges supplémentaires, mais nous comprenons qu'il est en réalité question de 1 000 juges. Parmi eux, nous ignorons combien il y aura de postes de juge des enfants. Peut-être votre commission pourrait-elle formuler des recommandations sur ce point.
Par ailleurs, les violences sur mineurs ne constituent pas une priorité politique. Des changements ont été opérés dans la pratique professionnelle concernant les violences conjugales, mais cela s'est fait au détriment des violences sur les enfants. Nos collègues procureurs, juges des enfants et juges correctionnels rapportent que de nombreuses affaires de violences conjugales sont jugées, tandis que les violences sur mineurs passent au second plan. À la sortie des audiences, le juge des enfants signale au procureur des situations de violences, qu'elles soient incestueuses, psychologiques, ou relèvent de mauvais traitements. Il est finalement constaté un an plus tard qu'aucune enquête n'a été ouverte.
Cette indifférence relative aux violences sur les enfants résonne avec une certaine indifférence à la maltraitance institutionnelle. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons politiser le sujet, en affirmant que le problème institutionnel de maltraitance nécessite une réponse politique.
Nous soulignons la nécessité de renforcer les effectifs de juges des enfants et de greffiers. Bien que cela puisse sembler banal, cette réalité demeure incontournable. Des renforts devraient arriver, mais il est impératif que la justice des mineurs, tant civile que pénale, soit renforcée. Nous disposons désormais d'une évaluation précise du ministère, permettant de chiffrer le nombre de juges supplémentaires nécessaires. Il est crucial que le ministère publie ce référentiel, qui constitue une norme opposable pour les magistrats.
De plus, il est urgent d'augmenter les capacités d'accueil, notamment les places d'hébergement et les mesures à domicile. L'État doit intervenir financièrement, comme il le fait dans des situations de crise. Pour nous, la crise actuelle justifie pleinement la nécessité d'une politique pénale plus volontariste concernant les violences intrafamiliales et les violences faites aux enfants. Cela pourrait se traduire par des directives de politique pénale rapidement mises en œuvre.
Sur le long terme, il est impératif d'analyser et de collecter des données sur la protection de l'enfance, afin de piloter efficacement cette politique publique et de faire évoluer l'offre de services.
Actuellement, nous sommes dans un système dysfonctionnel où les juges, prescripteurs de mesures de protection, s'adaptent à l'offre existante. Or il est essentiel d'inverser cette logique. Pour ce faire, nous avons besoin d'instances partenariales concrètes et efficientes. Il ne s'agit pas simplement d'organiser une réunion annuelle de l'ONPE avec le département, mais plutôt avec les professionnels en mesure d'évaluer la situation et d'identifier les types de structures manquantes.
La direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) joue également un rôle de pilotage, mais le ministère de la justice est très défaillant en matière de collecte et d'analyse de données. En réalité, nous ne savons pas précisément ce que nous faisons. La DPJJ publie chaque année une synthèse des rapports annuels des tribunaux pour enfants. La synthèse relative à l'année 2021 révèle par exemple que 44 % des mesures prises sur le territoire sont des mesures d'assistance en milieu ouvert, tandis que 40 % concernent des mesures de placement. De fortes disparités territoriales existent. Ainsi, à Vannes, 64 % des mesures sont des placements, alors qu'à Évry, ce chiffre s'élève à 39 %. De telles disparités peuvent être liées à l'offre de services, aux pratiques des éducateurs ou aux pratiques judiciaires. En tout cas, nous ne disposons d'aucune autre information.
Il incombe au ministère de la justice de remédier à cette situation. Un pôle dédié a pour mission d'évaluer les politiques publiques, voire de financer des recherches. En la matière, des dispositifs existent. Il appartient à votre commission de faire progresser la question des données, y compris s'agissant des pratiques judiciaires. Par exemple, en tant que juge des enfants, lorsque je prononce une mesure de milieu ouvert, il est difficile d'en évaluer l'efficacité et la durée. Il est nécessaire de mener des études de cohortes.
Concernant les données, il est impératif d'améliorer l'accès aux informations pour les juges dans leur pratique quotidienne. Par exemple, en tant que juge des enfants, j'ignore quelles décisions ne sont pas exécutées, combien de mesures de milieu ouvert sont disponibles, ou dans combien de temps elles le seront. Ces informations doivent être fournies par les départements aux professionnels.
Il est également important de réfléchir aux questions de financement et de sanction. L'inexécution des décisions des juges des enfants n'est pas sanctionnée, ce qui nécessite une réflexion sur les moyens d'améliorer cette situation. Les parents ne saisiront pas le juge administratif pour demander l'exécution d'un placement avec lequel ils ne sont pas d'accord. De plus, le mineur n'a pas la capacité de saisir la justice administrative. Le juge des enfants n'a pas de moyen d'astreindre le département à exécuter ses décisions, ce qui entraîne une situation de blocage. Cette situation explique en partie l'inexécution des décisions, affaiblissant ainsi l'autorité des juges des enfants.
Le manque de données, de perspectives et d'échanges nécessaires pour travailler de manière plus sereine constitue un sujet majeur.
La justice a prononcé des mesures, mais certaines ne sont pas exécutées, et lorsqu'elles le sont, c'est souvent de manière inadéquate. Lorsque les enfants à prendre en charge sont en sureffectif, sans les infrastructures nécessaires ou sans éducateurs, faute de normes adéquates, la situation devient catastrophique. Nous constatons une très grande souffrance dans de nombreux endroits, notamment dans les situations d'urgence, comme nous avons pu le voir récemment lors de notre déplacement dans le Nord.
Dans le Puy-de-Dôme, nous avons assisté à un drame humain, avec des enfants en souffrance psychique et le retour du syndrome de l'hospitalisme. Les personnels restent admirables, et ce malgré une perte de sens dans leur mission eu égard à cette situation. En l'espèce, la décision de justice a été mise en œuvre, mais dans des conditions inadaptées.
Les données prospectives permettant de définir des politiques publiques doivent être disponibles. Il est crucial de savoir combien de places sont nécessaires pour les enfants de 0 à 3 ans. Ce manque structurel de données empêche de se projeter sur les besoins réels par territoire, sur ce que la justice attend, et sur les politiques publiques des départements.
Je souhaite connaître votre point de vue sur la question des enfants porteurs de handicaps qui nécessitent un accueil et un placement – pas forcément une action éducative en milieu ouvert (AEMO). Les familles craquent, faute de dispositifs d'État. Ces enfants, lorsqu'ils sont placés dans un dispositif de protection de l'enfance, souffrent énormément, en partie à cause des lacunes en matière de formation initiale et continue des éducateurs.
Vous expliquez rendre des décisions en désaccord avec la loi. Il vous a été demandé de mettre en place certains dispositifs en 2022, mais vous exprimez des doutes quant à l'efficacité de ces mesures. À cet égard, pouvez-vous fournir des éléments concrets et des propositions à destination du législateur ? En effet, celui-ci porte des politiques publiques qui, in fine, ne sont pas appliquées, tant au niveau des dispositifs d'État que départementaux. Or l'objectif est de déterminer nos capacités, y compris en ce qui concerne les tiers dignes de confiance, sujet sur lequel je souhaite connaître votre avis.
Par ailleurs, il semble que la France soit championne en matière de placement. Ce système, à bout de souffle, n'est vraisemblablement pas la meilleure solution en matière de protection des enfants. Les enfants concernés doivent être protégés, mais ils ne le sont pas suffisamment au sein de certaines structures collectives.
Je souhaitais également vous interroger sur les AEMO. Ces dernières, telles qu'elles sont conçues, ne semblent pas véritablement accompagner la guidance parentale ni même l'enfant, qui ne bénéficie parfois que d'une visite mensuelle. À l'échelle nationale, en termes de chiffres, ces mesures sont très importantes. Les délais sont particulièrement longs et les mesures sont parfois inexécutées. Des AEMO renforcées, dans des dispositifs de prévention et d'accompagnement, ne seraient-elles pas plus efficaces pour déterminer si la famille se mobilise et si l'enfant peut rester à son domicile ? Ne devrions-nous pas privilégier ce type de mesures plutôt que de persister dans un système ancien qui, à mon sens, ne semble plus remplir sa mission ? Je plaide en faveur de l'AEMO renforcée, car elle mobilise plusieurs partenaires autour de l'enfant et de sa famille. En la matière, nous manquons d'évaluation. Selon vous, combien d'AEMO supplémentaires seraient nécessaires ? Cette information est nécessaire pour engager des appels à projets. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) fait état de 900 AEMO inexécutées, lesquelles se traduisent probablement par des placements en urgence et par des ordonnances de placement provisoire (OPP).
Nous avons étudié votre rapport avec une grande attention. Pouvez-vous préciser si les éléments qui y figurent incluent toutes les mesures ou s'ils ne visent que les placements ?
La cartographie à laquelle vous faites référence concerne les placements inexécutés, hors placements éducatifs à domicile. Notre objectif consistait précisément à identifier les mineurs censés être accueillis, mais qui ne le sont pas.
Néanmoins, il subsiste effectivement un débat s'agissant de la mesure de placement à domicile, qui, bien qu'elle existe en pratique, n'est juridiquement pas encadrée. Cette mesure, qui peut être qualifiée d'AEMO renforcée, est considérée comme très intéressante par certains magistrats. D'autres estiment plutôt qu'elle permet de dissimuler une partie des placements inexécutés.
En ce qui concerne l'évaluation des besoins dans les départements, nous ne possédons pas toutes les réponses. Toutefois, il est vrai que la conception de l'offre dans certains départements souffre d'un manque de recueil des besoins auprès des personnes capables de les exprimer. Par exemple, dans certains départements, le schéma départemental est élaboré sans la participation des juges. De surcroît, certains collègues ne sont pas très enclins à participer aux instances partenariales auxquelles ils sont pourtant conviés, ce qui nuit à la collaboration nécessaire.
Il est essentiel de préciser si certains départements et certaines juridictions sont particulièrement affectés. En effet, l'absence de prospective et l'incapacité à identifier les besoins du territoire sont des problèmes fondamentaux. Il est impératif de partager ces informations à travers un écosystème collaboratif. Nous ne pourrons pas résoudre cette difficulté de fond si chacun continue à penser que c'est la responsabilité de l'autre.
L'objectif n'est pas de dire que les départements sont totalement inefficaces et que les juges sont exemplaires. Cependant, il y a des améliorations à apporter dans l'élaboration du schéma départemental. Par exemple, le comité départemental de la protection de l'enfance (CDPE) a été créé par la loi Taquet du 7 février 2022 avec l'idée d'impliquer l'État, représenté par le préfet, pour articuler les dispositifs de droit commun, notamment en matière de handicap. Or, deux ans après l'entrée en vigueur de la loi Taquet, seuls dix départements sur les quinze identifiés, dont le Maine-et-Loire et la Somme, ont mis en place un CDPE.
Concrètement, le CDPE, qui réunit l'agence régionale de santé (ARS) et le préfet, ne donne lieu à aucune action. Il ne permet nullement d'évaluer les besoins. Les juges, travailleurs sociaux et services associatifs habilités doivent se rencontrer pour élaborer des projets concrets. Néanmoins, cette démarche suppose du temps, variable dont les juges coordonnateurs manquent cruellement. En pratique, ils doivent gérer un cabinet, 500 mesures, et trente audiences hebdomadaires.
Il faut prendre en compte la manière dont nous exerçons notre profession. En moyenne, nous réalisons vingt-cinq audiences d'assistance éducative chaque semaine, ce qui représente environ 30 heures consacrées à l'audition des parties. Ensuite, il faut rédiger les décisions, traiter le courrier, gérer les urgences. À ces missions, il convient d'ajouter les affaires pénales. Nous apprécions de pouvoir assister aux réunions, mais la réalité est telle que notre charge de travail atteint déjà 70 heures par semaine pour prendre des décisions qui ne sont pas exécutées.
Nous avons recontacté des collègues pour remplir votre questionnaire, afin de fiabiliser nos informations. De surcroît, les pratiques étant départementales, et ayant toutes les deux exercé en Loire-Atlantique, nous souhaitions avoir des perspectives différentes. Nos collègues souffrent. Cette souffrance au travail doit être entendue. Un nombre croissant de juges des enfants demande à se déspécialiser. La perte de sens est particulièrement forte chez les travailleurs sociaux. La crise est immense, et il faut l'entendre. Les enfants souffrent, les familles souffrent, et les travailleurs sociaux souffrent. Les magistrats, parquetiers, et greffiers présents en audiences entendent cette souffrance et la ressentent également. Cette situation ne peut perdurer.
Bien que nécessaires, les partenariats sont difficiles à mettre en place dans un emploi du temps aussi contraint. En outre, certains collègues ne sont pas dans cette dynamique, car la culture du travail dans la magistrature est très solitaire, particulièrement pour les juges du siège.
S'agissant des enfants porteurs de handicaps, nous manquons bien évidemment de dispositifs. Il appartient à votre commission d'enquête, qui adopte une vision globale, de rendre compte de cette situation.
Outre les enfants porteurs de handicaps, il faut mentionner la pédopsychiatrie, qui manque de lits. Selon un rapport de l'Igas publié en 2019, certains départements ne disposent d'aucune place en pédopsychiatrie. Concrètement, cela signifie que ces enfants sont hospitalisés avec des majeurs, ce qui engendre une grande souffrance.
Je voudrais partager deux dossiers concernant les enfants porteurs de handicaps, car il me semble pertinent d'évoquer notre expérience personnelle. Tout d'abord, je souhaite aborder le cas d'un enfant censé être placé en institut médico-éducatif (IME). Il dispose d'une reconnaissance de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). L'IME refuse de le prendre en charge tant qu'il n'aura pas d'accueil pérenne. Seulement, en l'absence d'IME, aucune famille d'accueil thérapeutique n'accepte de le prendre en charge, car il représente une gestion trop lourde. Concrètement, cet enfant passe donc 24 heures en hôtel, puis en gite, puis dans une famille d'accueil qui consent à le recevoir une fois par mois. Le reste du temps, il passe ses journées dans les locaux de l'aide sociale à l'enfance (ASE), sous la responsabilité d'une cadre de l'institution. Lors d'une audition avec lui, j'ai constaté qu'il ne pouvait pas rester calme pendant plus de dix minutes. Sa souffrance et son agitation sont telles que je n'ose imaginer ce que cela donne dans les locaux de la protection de l'enfance.
Je souhaite ensuite aborder le cas d'un enfant pour qui il a fallu attendre quatre ans avant qu'une place en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep) ne se libère. Durant quatre ans, ses troubles se sont multipliés. Une fois en Itep, sa situation s'est considérablement améliorée. J'ai finalement levé le placement et sa mère était extrêmement soulagée. Cet enfant prenait de plus en plus confiance en lui, devenait de moins en moins violent et la cohabitation redevenait possible grâce à des accueils séquentiels et à des périodes en internat.
Il n'y a pas de miracle. Nous constatons une véritable déliquescence du service public, notamment dans l'éducation et la santé. La situation du système de santé est catastrophique, ce qui nous impacte fortement.
Dans certains départements, comme en Loire-Atlantique, il faut attendre dix-huit mois pour obtenir un rendez-vous avec un orthophoniste au centre médico-psychologique (CMP). Lorsqu'on a 6 ans, et que l'on doit apprendre à lire, attendre dix-huit mois représente une éternité. Cela contribue à créer des troubles qui s'installent durablement. Il subsiste un réel manque de vision politique sur ce sujet.
La question que l'on peut se poser est la suivante : est-ce que le fait que des enfants soient étiquetés « protection de l'enfance » constitue un frein supplémentaire à l'accès aux dispositifs de droit commun ?
Par exemple, les listes d'attente au CMP sont très longues, pour les enfants placés sous protection de l'enfance, mais aussi pour les autres. Pour les enfants devant être accueillis en IME, les familles constatent que l'étiquette « protection de l'enfance » nuit à leur accès. Il y a cette idée que, parce qu'un enfant est en protection de l'enfance, il est déjà pris en charge et donc passera après les autres. Je n'affirme pas qu'il doive passer avant les autres, mais cela mérite discussion. En tout cas, il est clair qu'un enfant ne peut pas rester indéfiniment en attente sous prétexte qu'il est mineur à l'ASE.
Passons aux propositions que nous pouvons formuler sur la subsidiarité, l'espace accordé aux tiers dignes de confiance et aux membres de la famille – ce qui n'est pas la même chose – dans les placements, et sur l'AEMO.
Concernant les placements auprès de personnes de confiance et des membres de la famille, il y a des progrès à faire. Nous sommes effectivement l'un des pays européens où ce principe est le moins développé. On ne peut pas dire que cela soit une spécificité des pays latins ou des pays anglo-saxons, car en Italie, en Espagne ou en Allemagne, presque 50 % des accueils se font dans l'entourage familial, ce qui n'est pas le cas en France.
Cette piste n'est pas explorée dans le cadre des évaluations émanant du département, parfois des mesures judiciaires d'investigation éducative. À cet égard, nous arrivons à l'audience sans proposition concrète. Parfois, il est possible de faire intervenir un membre de la famille, comme un grand-père, pour une visite à domicile ou un entretien, mais ce n'est pas toujours le cas. Pourtant, à mon sens, des décisions institutionnelles pourraient être évitées et des décisions différentes pourraient être prises.
La subsidiarité est inscrite dans la loi et dans nos pratiques, à des degrés variés, en lien avec les pratiques départementales. Par conséquent, nos collègues vérifient ces éléments. Seulement, en réalité, lorsque les situations nous parviennent, les familles n'adhèrent pas. Or il est nécessaire de disposer de la pleine adhésion des deux parents. De surcroît, de nombreux dossiers font état de violences. C'est la raison pour laquelle l'approche judiciaire doit être préservée. S'il est question de violences conjugales ou de maltraitances, il est en effet très délicat de fédérer les deux détenteurs de l'autorité parentale autour d'un projet commun pour le mineur.
La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance est souvent rappelée comme étant le cœur de ce dispositif de déjudiciarisation. Pourtant, lorsqu'on discute avec les partenaires de la justice, certains estiment que ce travail n'est pas accompli par les éducateurs et les personnes habilitées à réaliser les évaluations. Pour eux, ce manquement est de nature à justifier le taux persistant de 80 % des décisions judiciaires. Votre intervention montre que, dans certaines situations, il est impossible de procéder autrement, ce qui reflète une réalité complexe. Les chiffres en matière de décisions judiciaires varient de 57 % à 83 % selon les territoires.
Dans la mesure où la loi de 2007 nous engage collectivement à travailler de manière subsidiaire, cette commission d'enquête doit permettre de dépasser les dogmes, les dysfonctionnements et les idées reçues. Certaines situations familiales sont extrêmement compliquées à arbitrer. Même s'il est crucial d'améliorer les pratiques professionnelles, certaines mesures d'aide éducative à domicile (AED) resteront extrêmement difficiles à mettre en œuvre, c'est pourquoi la justice demeurera au cœur du dispositif. Il est important de rappeler que tout ne peut pas être réglé administrativement, même avec un personnel plus nombreux et mieux formé.
Je souhaite apporter une précision pour éviter toute confusion. Nous ne contestons pas le principe de subsidiarité, qui découle de la loi. Cependant, il est important de ne pas confondre subsidiarité et volume. Dans un dispositif de subsidiarité, le judiciaire intervient lorsque l'administratif échoue.
Toutefois, il faut comprendre que, dans la majorité des cas, la décision administrative ne fonctionnera pas, non pas parce que les éducateurs présentent mal le contrat, mais parce que les parents ne sont pas d'accord. Ils préfèrent attendre une audience pour exposer leurs arguments et obtenir une décision motivée du juge, plutôt que de se fier à un éducateur de l'ASE, qui se trouve juge et partie, et qui dépend du même service que la personne ayant réalisé l'évaluation.
La subsidiarité ne signifie pas une minorité de mesures judiciaires, mais simplement que nous intervenons en second lieu, ce qui représente la majorité des décisions.
Il existe un besoin fondamental de clarifier comment les parents et les mineurs bénéficiant d'une mesure d'assistance éducative judiciaire peuvent continuer à recevoir cette aide dans un cadre administratif, avec les mêmes éducateurs. Certains départements segmentent les services. Une famille peut avoir un éducateur pendant trois ans sous mandat judiciaire, puis accepter une aide éducative administrative pour une durée d'un an supplémentaire. Cependant, cela implique souvent un changement de service éducatif, car dans certains départements, seule une association spécifique est habilitée à gérer l'administratif. Ce système est absurde. En effet, les familles refusent souvent de changer d'éducateur après trois ans de travail éducatif, ce qui est compréhensible. Le juge, dans ces situations, tend à accorder une prolongation d'un an. Cela peut sembler commercial, mais il est essentiel de discuter avec les familles et de leur demander si elles acceptent de continuer avec le même éducateur pour une période supplémentaire. Les familles n'ont pas envie de tout recommencer et de raconter à nouveau toute leur histoire. Dans certains départements, il est possible de passer d'un service éducatif à un autre, car ces services disposent d'une double habilitation. Il serait intéressant, pour votre commission, d'examiner ces dispositifs, qui existent notamment en Loire-Atlantique, mais probablement aussi dans d'autres départements.
À la page 10 de votre enquête, vous indiquez que 69 % des magistrats ont tenté d'alerter sur la situation de la protection de l'enfance dans leur département. Lorsque vous étiez juge des enfants, aviez-vous également lancé une alerte ? Avez-vous, le cas échéant, obtenu une réponse satisfaisante ou une écoute de la part des départements ?
Je souhaite vous remercier pour vos remarques, avec lesquelles je suis entièrement d'accord. Premièrement, que pensez-vous de l'idée de créer une ordonnance de protection pour les enfants, sur le modèle de l'ordonnance de protection spécifique aux violences intrafamiliales ? Actuellement, la loi prend en compte les violences faites aux enfants uniquement dans un cadre intrafamilial, laissant de côté les enfants victimes de violences en dehors de ce cadre. À ce titre, je suis ravie que vous ayez souligné que, si l'on protège mieux les femmes, on néglige souvent encore les enfants. C'est une proposition de loi que j'aimerais porter.
Deuxièmement, pensez-vous qu'il serait pertinent de faire de la protection de l'enfance une cause nationale ?
Troisièmement, faut-il travailler sur la responsabilité administrative de l'État ? Il existe un droit opposable au logement (Dalo), mais on maintient des enfants maltraités dans leur famille faute de placement. Estimez-vous qu'il serait nécessaire de développer un droit opposable ou une responsabilité de l'État, voire les deux, lorsque l'État ne sait pas protéger ses mineurs ?
Par ailleurs, je vous remercie pour votre livret. Je souhaite donner lecture des propos du juge des enfants de la cour d'appel de Douai : « Les signalements ne sont pas suivis. Nous restons avec des dossiers d'assistance éducative où des violences parentales sont dénoncées sans enquête pénale ». L'absence d'enquête pénale signifie-t-elle que le dossier est classé par le procureur ? Si tel était le cas, ce serait un scandale. Cela expliquerait pourquoi, en Seine-et-Marne, après neuf signalements et trois informations préoccupantes, un enfant est mort dans une machine à laver.
Enfin, que pensez-vous du placement à domicile ? De mon point de vue, cette mesure constitue un non-sens, car elle revient à laisser l'enfant à son domicile alors même qu'il doit être protégé.
En ce qui concerne l'alerte, nous avons effectivement saisi le Défenseur des droits, dont nous avons reçu une réponse favorable. Le délégué des droits de l'enfant nous a indiqué que nous n'étions pas les seuls à le saisir sur l'état de la protection de l'enfance dans ce département. Plusieurs canaux de signalement ont fonctionné. Des enquêtes sont en cours.
Cependant, la question de la temporalité demeure. Nous avons parfois besoin de réponses plus rapides que le temps des enquêtes. Nous alertons notre hiérarchie, mais il faut garder en tête que ce qui touche aux mineurs est souvent considéré comme une sous-matière. Lorsque nous alertons sur les conditions de travail, la charge de travail, ou le fait que nos décisions ne sont pas exécutées, nous recevons généralement peu de soutien de la hiérarchie. Le droit des mineurs n'est pas perçu comme très intéressant, ni très important.
Nous avons eu rencontré le président du conseil départemental, à la suite d'un courrier adressé par l'ensemble des juges des enfants. Je ne veux nullement accabler ce président, mais j'ai eu l'impression qu'il découvrait beaucoup de choses lors de cette réunion. Il savait que les placements étaient régulièrement inexécutés, mais il ignorait que les personnes désignées comme référents n'étaient pas en place. Cela signifie que des parents ne voient pas leur enfant pendant plusieurs mois malgré des droits de visite ordonnés, faute de référent. Parfois, les parents appellent, mais la situation n'a été attribuée à personne, et il ne se passe rien pendant des mois.
Il se joue donc également un enjeu en termes de parentalité. Il n'est pas question de considérer que nous pouvons placer un enfant de sa naissance à ses 18 ans. Seulement, lorsqu'aucun travail éducatif n'a pas été engagé avec les parents durant un an, faute de désignation d'un référent, nous perdons beaucoup de temps. À l'échelle d'un enfant, un an représente une vie.
Par ailleurs, je ne vois pas en quoi l'ordonnance de protection différerait de l'OPP qui peut être prise.
Si je peux préciser mon propos, il s'agirait de la même ordonnance. Simplement, à ce jour, des lacunes subsistent concernant la protection des enfants. En examinant attentivement le texte législatif, bien que je ne me souvienne plus du numéro exact de l'article, il apparaît que l'ordonnance de protection permet de prévoir une audience en six jours. Cette ordonnance éloigne la personne à protéger, en l'occurrence la femme, du danger, en demandant au conjoint violent de quitter le domicile. Je propose d'appliquer une mesure similaire pour les mineurs. Ainsi, en six jours, un juge des enfants ou un autre magistrat pourrait être saisi pour éloigner un enfant en danger. Certes, la question de son placement se poserait également, mais il existe une faille dans le dispositif actuel. En effet, certaines personnes ont répondu que le texte prévoit déjà la protection des enfants en cas de violences intrafamiliales. Cependant, lorsque la violence n'est pas intrafamiliale, c'est-à-dire non liée aux disputes du couple, l'enfant n'est pas protégé de la même manière, et aucune audience n'est prévue sous six jours.
Pour moi, le dispositif existe déjà. Nous avons déjà la possibilité, en tant que juges des enfants, et le procureur peut également le faire, de prendre des mesures dans l'heure. Lorsqu'un mineur est victime de violences intrafamiliales et qu'il y a un signalement ainsi qu'une demande de placement, nous pouvons aller le chercher à la sortie de l'école et le placer immédiatement.
Certes, la mesure n'est pas toujours exécutée, mais juridiquement, tous les outils existent pour protéger immédiatement un enfant. La plupart du temps, lorsque le procureur place en urgence un mineur dans une situation de grave danger, le taux d'exécution des mesures est assez élevé. Nous ne disposons pas du chiffre exact, mais je pense que nous ne retrouverons pas du tout le même taux d'exécution dans d'autres contextes. En résumé, le dispositif existe, mais il y a un problème d'exécution.
La question des violences faites aux enfants, qu'elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles, n'est clairement pas considérée comme une cause nationale. Ma collègue a fait lecture d'un verbatim, mais nous avons dû faire un choix quant au nombre de pages à produire, car nous aurions pu en écrire davantage.
Les affaires qui visent des enfants sont moins « attrayantes » que les autres. La logique est la même s'agissant des parquetiers des mineurs. Le sous-effectif des parquetiers est chronique. Ainsi, au parquet de Nantes, en novembre 2022, 1 000 signalements et informations préoccupantes devaient être traités par cinq parquetiers. En novembre 2023, ce chiffre a quasiment doublé.
Quoi qu'il en soit, la protection de l'enfance n'est pas une cause nationale. Les situations ne sont pas toujours bien détectées et les enquêtes sont insuffisantes. À mon sens, il s'agit de choix.
Je souhaite partager un exemple quelque peu polémique : six enquêteurs de la section de la recherche sont positionnés à temps plein sur l'affaire des coups de cutter donnés dans les bassines. En comparaison, un nombre identique d'enquêteurs est affecté à la brigade des mineurs de Nantes pour traiter tous les dossiers de violences conjugales, de maltraitances et de violences sexuelles. Comment ces enquêteurs peuvent-ils effectuer leur travail de façon efficiente avec une telle surcharge de dossiers ? Ils doivent opérer des choix.
Sans doute y a-t-il un effet politique intéressant à décréter une cause nationale. Il est important que les pratiques changent, que des moyens soient alloués et que la vie de ces enfants et les conditions dans lesquelles les professionnels exercent évoluent. Mais annoncer une cause nationale sans actions concrètes associées serait insupportable.
La protection de l'enfance avait déjà été annoncée comme une cause nationale. Cependant, trois ans plus tard, la situation est catastrophique. Il est certain que cette commission d'enquête apportera au moins une meilleure lisibilité et des proposera des actions concrètes à long terme.
En ce qui concerne la question de l'enquête pénale, son absence peut signifier que l'affaire est classée. Toutefois, il arrive que des informations préoccupantes n'atteignent pas toujours le parquetier des mineurs en charge des dossiers. Avant d'être juge des enfants, j'ai travaillé au parquet des mineurs. Lors de mes visites dans les commissariats, j'ai constaté que certaines enquêtes restaient non traitées pendant quatre ans. En revanche, dès qu'un appel ou un compte rendu est transmis au parquetier responsable, une décision pénale est prise.
Dans certains dossiers de maltraitance, des classements sans suite peuvent en effet être prononcés après analyse de la situation. Parmi les motifs de classement, il peut être considéré que l'infraction n'est pas suffisamment caractérisée, c'est-à-dire que les éléments nécessaires pour établir des violences sont insuffisants. En matière d'assistance éducative, il existe un motif spécifique de classement sans suite qui consiste à saisir le juge des enfants. Toutefois, il arrive parfois que ce motif soit utilisé de manière un peu abusive. En effet, si les parents ne reconnaissent pas les violences sur leurs enfants, il devient difficile de traiter la question de la violence.
Nous attendons avec impatience un rapport confidentiel – bien que déjà évoqué dans la presse – de l'Inspection générale de la justice (IGJ), de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), et de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) sur les stocks d'enquêtes dans les commissariats. Ce rapport révèle que plusieurs centaines de milliers de procédures sont en attente dans les commissariats. Nous savons, grâce à nos discussions avec des collègues et des services d'enquête, que ces stocks incluent de nombreux cas de violences intrafamiliales. À ce titre, lorsqu'il est dit « sans enquête pénale », cela ne signifie pas nécessairement que l'affaire est classée sans suite. Cela signifie surtout que l'enquête n'a pas encore démarré ou n'est pas menée.
C'est également une question de priorité. En tant qu'enquêteur, lorsque l'on doit gérer 300 enquêtes, il est évidemment impossible de tout traiter. De même, un juge des enfants chargé de 700 dossiers ne peut pas tout traiter.
Je vais illustrer mon propos par un exemple concret. Une mineure suivie dans mon cabinet a été placée en raison de très graves violences physiques infligées par sa mère. Parmi les méthodes de punition utilisées, elle était privée de nourriture ou enfermée. Ce dossier a été traité dans le cadre de la protection de l'enfance. L'enquête pénale est toujours en cours. Il semble que, malgré la gravité des violences, le raisonnement des autorités soit de prioriser d'autres dossiers, cette mineure étant déjà protégée. Chacun fait ce type de calcul pour gérer la charge de travail.
Des violences aussi graves, qui devraient être traitées en audience publique au tribunal correctionnel, ne le sont pas. Pourtant, des privations alimentaires, des coups de balai ou des coups de câble ne sont pas des méthodes éducatives acceptables ; elles doivent faire l'objet d'un débat public. Ces violences ne sont pas rendues visibles en raison des techniques de priorisation, chacun faisant de son mieux avec les moyens dont il dispose.
Vous souhaitez savoir si nous sommes favorables ou non au placement à domicile. À mon sens, la question se pose différemment. En général, le placement à domicile est un dispositif utile lorsqu'il est mis en place dans les départements et qu'il remplace les mesures de milieu ouvert renforcées. Néanmoins, je suis assez surprise que les départements acceptent de se voir confier des enfants qui, en réalité, restent dans leur famille. Cette logique m'a toujours semblé mystérieuse, d'autant que je travaillais au sein d'un département qui ne pratique pas le placement à domicile, considérant que maintenir un enfant chez lui ne constitue précisément pas un placement. Un avis vient d'être rendu par la Cour de cassation pour tenter de clarifier cette situation. Cependant, les juges des enfants restent tributaires des dispositifs existants dans le département.
Lorsque l'on souhaite ordonner un suivi intensif, mais que le seul dispositif disponible est le placement à domicile, alors ce dernier est retenu, même s'il ne semble pas approprié et que l'orthodoxie juridique n'est pas respectée. Dans cette situation, le département est celui qui prend le plus de risques. En effet, si un enfant placé à domicile, c'est-à-dire confié au département mais restant chez lui, subit des violences graves alors qu'il est sous la responsabilité du département et que le juge l'a confié, cela peut poser des questions importantes en termes de responsabilité professionnelle. Quoi qu'il en soit, les départements ont accepté et ont même développé ces dispositifs. Il serait intéressant d'en comprendre les raisons, car cela paraît très étonnant.
Sur la question du droit opposable, certaines familles, inquiètes des fugues régulières de leur enfant, attendent avec impatience une décision du juge en faveur d'un placement. Mais, dans la plupart des situations, les familles ne sont pas d'accord pour que l'enfant soit confié. À ce titre, nous ne voyons pas quel dispositif pourrait créer un droit opposable permettant d'obtenir l'exécution de la décision. Cependant, il est vrai que ce droit opposable pourrait déjà concerner certaines familles demandeuses de placement, pour lesquelles ce dernier n'est pas exécuté. Cette question mérite d'être expertisée.
Vous avez fait état du défaut de recrutement de juge des enfants. Les chiffres dont je dispose indiquent 57 recrutements de juges des enfants depuis 2021. Certes, ce nombre peut sembler insuffisant, mais il convient de le comparer aux chiffres du quinquennat de M. François Hollande, au cours duquel 27 juges ont été recrutés au total.
Depuis 2021, des créations de postes ont effectivement eu lieu, mais pas 57. La circulaire de localisation des emplois (CLE) de magistrats indique qu'il y avait 500 juges des enfants en 2021 et 522 en 2022, soit une hausse de 22 postes. De plus, la CLE précise que ces 22 postes supplémentaires de juge des enfants ont été créés pour l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs (CJPM). Ces effectifs ont donc été entièrement dédiés à la justice pénale des mineurs. Je maintiens donc mes propos : depuis 2021, aucun effectif supplémentaire n'a été alloué à la justice civile des mineurs. Entre 2017 et 2021, nous sommes passés de 466 à 500 juges des enfants. Les créations de postes, réelles, restent très insuffisantes. Selon nos évaluations reposant sur le référentiel du ministère, il faudrait aujourd'hui 235 juges des enfants supplémentaires uniquement pour l'assistance éducative, en prenant en compte la norme ministérielle de 350 mesures par juge. Il en faudrait presque autant pour le pénal. Nous sommes donc très loin du compte.
Le ministère justifie les créations de postes en fonction de ses priorités. Il affirme avoir créé des postes de juges des enfants, mais en réalité, ces effectifs supplémentaires ont été entièrement dédiés au pénal. Ce n'est pas un luxe, car l'activité pénale a considérablement augmenté en raison de cette réforme.
Je souhaite revenir sur une question posée précédemment concernant l'AEMO. Pouvez-vous préciser la différence entre l'AEMO renforcée et l'AEMO classique ? L'efficacité de cette dernière paraît faible ; il est insatisfaisant de constater que des enfants bénéficient d'une simple visite mensuelle. L'investissement en matière de protection de l'enfance est de l'ordre de 10 milliards d'euros pour les seuls départements. S'il est important d'investir, il convient de mieux investir en réfléchissant aux bénéfices réels pour l'enfant. En ce sens, l'AEMO renforcée pourrait être une piste intéressante. Pour les départements qui comptent en moyenne entre 1 500 et 2 000 AEMO, les coûts peuvent atteindre 8 millions à 10 millions d'euros. Il est possible d'être plus efficace dans les politiques publiques, tout en restant centré sur l'intérêt de l'enfant. Même si cela implique une augmentation des budgets, l'objectif doit être de trouver des solutions concrètes pour mieux accompagner ces enfants.
Cette question est aussi importante que complexe. Que signifie une mesure efficace pour un enfant en grande détresse, présentant des troubles du développement et du comportement, subissant des violences à domicile, déscolarisé et ne bénéficiant pas des soins nécessaires ? Une mesure efficace suppose-t-elle que cet enfant aille mieux dans un délai de deux ans par exemple ?
Le contexte que vous venez de décrire confirme qu'une visite mensuelle est largement insuffisante.
Nous sommes tout à fait d'accord. Dans certaines situations, il est évident qu'une visite mensuelle est insuffisante. Les éducateurs ont pour mission de mobiliser des dispositifs de droit commun et de construire des solutions adaptées. Il serait nécessaire de renforcer l'accompagnement, mais cela se heurte à des délais d'attente considérables dans de nombreux départements, atteignant parfois dix-huit mois. Dans l'intervalle, on applique un cataplasme sur une jambe de bois : on choisit l'AEMO classique, même si cette action reste insatisfaisante. Les éducateurs parviennent, tels des magiciens, à raccrocher certains dispositifs. Néanmoins, ce n'est nullement optimal.
De nombreux départements connaissent des délais d'attente de dix-huit mois. Dans d'autres, comme le Cher ou l'Allier, la mesure d'AEMO renforcée n'existe pas. C'est la raison pour laquelle les collègues ordonnent des placements éducatifs à domicile (PEAD). Ils tentent de pallier l'absence d'AEMO avec des interventions soutenues et relativement modulables.
Je rencontre des difficultés pour répondre à votre question, car elle est intrinsèquement liée à une autre question sous-jacente, à savoir : à quel moment commence le travail éducatif ? En Loire-Atlantique, le délai d'attente avant que l'AEMO ordonnée ne débute pouvait atteindre dix-huit mois l'année dernière. Cela est problématique. Quand une mesure est ordonnée, elle doit être exécutée très rapidement. Or il existe une très grande disparité géographique, ce qui signifie que certains départements ont des marges de progression importantes. Par exemple, une collègue juge des enfants à Coutances m'a confié attendre quatre mois avant que la mesure ne soit exécutée. Bien que cela puisse sembler long, la plupart des départements affichent un délai nettement supérieur. Il est évident que l'efficacité de la mesure est indissociable de son effectivité.
Il serait pertinent de mener des études de cohortes, même si la démarche demeure complexe en raison du caractère multifactoriel des trajectoires individuelles.
Pour élaborer des politiques publiques efficaces, nous avons besoin de données précises et fiables. Nous manquons d'analyses, de recherches et de cohortes.
L'audition s'achève à onze heures cinquante-cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Alma Dufour, Mme Marianne Maximi, Mme Laure Miller, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago, M. Léo Walter
Excusée. – Mme Béatrice Descamps