Il faut prendre en compte la manière dont nous exerçons notre profession. En moyenne, nous réalisons vingt-cinq audiences d'assistance éducative chaque semaine, ce qui représente environ 30 heures consacrées à l'audition des parties. Ensuite, il faut rédiger les décisions, traiter le courrier, gérer les urgences. À ces missions, il convient d'ajouter les affaires pénales. Nous apprécions de pouvoir assister aux réunions, mais la réalité est telle que notre charge de travail atteint déjà 70 heures par semaine pour prendre des décisions qui ne sont pas exécutées.
Nous avons recontacté des collègues pour remplir votre questionnaire, afin de fiabiliser nos informations. De surcroît, les pratiques étant départementales, et ayant toutes les deux exercé en Loire-Atlantique, nous souhaitions avoir des perspectives différentes. Nos collègues souffrent. Cette souffrance au travail doit être entendue. Un nombre croissant de juges des enfants demande à se déspécialiser. La perte de sens est particulièrement forte chez les travailleurs sociaux. La crise est immense, et il faut l'entendre. Les enfants souffrent, les familles souffrent, et les travailleurs sociaux souffrent. Les magistrats, parquetiers, et greffiers présents en audiences entendent cette souffrance et la ressentent également. Cette situation ne peut perdurer.
Bien que nécessaires, les partenariats sont difficiles à mettre en place dans un emploi du temps aussi contraint. En outre, certains collègues ne sont pas dans cette dynamique, car la culture du travail dans la magistrature est très solitaire, particulièrement pour les juges du siège.
S'agissant des enfants porteurs de handicaps, nous manquons bien évidemment de dispositifs. Il appartient à votre commission d'enquête, qui adopte une vision globale, de rendre compte de cette situation.
Outre les enfants porteurs de handicaps, il faut mentionner la pédopsychiatrie, qui manque de lits. Selon un rapport de l'Igas publié en 2019, certains départements ne disposent d'aucune place en pédopsychiatrie. Concrètement, cela signifie que ces enfants sont hospitalisés avec des majeurs, ce qui engendre une grande souffrance.
Je voudrais partager deux dossiers concernant les enfants porteurs de handicaps, car il me semble pertinent d'évoquer notre expérience personnelle. Tout d'abord, je souhaite aborder le cas d'un enfant censé être placé en institut médico-éducatif (IME). Il dispose d'une reconnaissance de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). L'IME refuse de le prendre en charge tant qu'il n'aura pas d'accueil pérenne. Seulement, en l'absence d'IME, aucune famille d'accueil thérapeutique n'accepte de le prendre en charge, car il représente une gestion trop lourde. Concrètement, cet enfant passe donc 24 heures en hôtel, puis en gite, puis dans une famille d'accueil qui consent à le recevoir une fois par mois. Le reste du temps, il passe ses journées dans les locaux de l'aide sociale à l'enfance (ASE), sous la responsabilité d'une cadre de l'institution. Lors d'une audition avec lui, j'ai constaté qu'il ne pouvait pas rester calme pendant plus de dix minutes. Sa souffrance et son agitation sont telles que je n'ose imaginer ce que cela donne dans les locaux de la protection de l'enfance.
Je souhaite ensuite aborder le cas d'un enfant pour qui il a fallu attendre quatre ans avant qu'une place en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep) ne se libère. Durant quatre ans, ses troubles se sont multipliés. Une fois en Itep, sa situation s'est considérablement améliorée. J'ai finalement levé le placement et sa mère était extrêmement soulagée. Cet enfant prenait de plus en plus confiance en lui, devenait de moins en moins violent et la cohabitation redevenait possible grâce à des accueils séquentiels et à des périodes en internat.
Il n'y a pas de miracle. Nous constatons une véritable déliquescence du service public, notamment dans l'éducation et la santé. La situation du système de santé est catastrophique, ce qui nous impacte fortement.
Dans certains départements, comme en Loire-Atlantique, il faut attendre dix-huit mois pour obtenir un rendez-vous avec un orthophoniste au centre médico-psychologique (CMP). Lorsqu'on a 6 ans, et que l'on doit apprendre à lire, attendre dix-huit mois représente une éternité. Cela contribue à créer des troubles qui s'installent durablement. Il subsiste un réel manque de vision politique sur ce sujet.