Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Réunion du mardi 28 mai 2024 à 18h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • accueil
  • domino
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La réunion

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La séance est ouverte à dix-huit heures cinq.

Sous la présidence de Mme Laure Miller, présidente, la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance s'est réunie en vue de procéder à l'audition conjointe de M. Jean-Marie Muller, président de la Fédération nationale des associations départementales d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance (Fnadepape), MM. Christian Haag, Jérôme Beaury et Hakan Marty, éducateurs spécialisés et anciens enfants placés, M. Mads Suaibu Jalo, président du réseau d'entraide « Repairs », et Mme Aniella Lamnaouar, bénévole du réseau.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis heureuse de vous accueillir aujourd'hui et vous remercie d'avoir accepté notre invitation.

Je rappelle que notre audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. L'enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.

En outre, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Jean-Marie Muller, Christian Haag, Jérôme Beaury, Hakan Marty, Mads Suaibu Jalo et Mme Aniella Lamnaouar prêtent serment.)

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Jean-Marie Muller, président de la Fédération nationale des associations départementales d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance (Fnadepape)

Merci de nous avoir invités à témoigner devant cette commission d'enquête. Bien que nous n'ayons pas le même âge, mes collègues et moi-même partageons des points communs : une enfance marquée par des difficultés, un sentiment d'abandon et de défaillance parentale, notre désir de devenir quelqu'un, notre résilience et nos engagements militants, associatifs et professionnels. Notre instance a choisi une délégation conduite par son président, accompagné de MM. Jérôme Beaury et Christian Haag, tous deux professionnels et anciens de la protection de l'enfance. Leurs analyses et leurs parcours nous offriront un regard précis sur l'état des établissements accueillant les jeunes enfants confiés. Ils ont également écrit sur leur histoire personnelle, témoignant de la distance qu'ils ont pu prendre avec celle-ci.

Notre mouvement représente 80 associations départementales d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance (Adepape) réparties sur l'ensemble du territoire. Il se trouvait quelque peu en difficulté dans le renouvellement de ses équipes il y a quatre à cinq ans. Cependant, une vingtaine d'associations ont été relancées au cours des trois dernières années, entre autres grâce aux effets de la loi du 14 mars 2016 et au soutien des directions départementales chargées de l'enfance et des familles. Le rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese) a également contribué à une meilleure santé financière de notre tête de réseau, dont le montant de la subvention a doublé, lui permettant ainsi de créer un poste de chargé de mission alors que, jusque-là, notre fédération fonctionnait uniquement grâce à l'engagement de bénévoles, sans ressources pour accomplir le travail nécessaire. Le rapport de la commission des affaires sociales lors de l'examen, en 2021, du projet de loi relatif à la protection des enfants a également été déterminant pour les Adepape, malgré un parcours administratif particulièrement difficile.

Nous ne parlons jamais d'enfants placés, mais d'enfants accueillis et d'enfants confiés à la protection de l'enfance, conformément à la terminologie légale. Bien que les termes « placement » et « ordonnance de placement » existent, nous préférons éviter cette appellation qui réifie l'enfant. Au contraire, la dénomination d'« enfants confiés » implique une certaine confiance envers la protection de l'enfance.

Notre objectif est de poser un regard critique sur la protection de l'enfance lorsque cela est nécessaire. Notre principal lieu d'observation se situe au sein des conseils de famille des pupilles de l'État, où nous siégeons sur l'ensemble du territoire. Nous en présidons d'ailleurs une vingtaine. Nous pouvons ainsi y scruter les disparités et les éventuelles défaillances des pratiques des professionnels de la protection de l'enfance. Nous y découvrons également des initiatives remarquables. Notre discours sur la protection de l'enfance se veut équilibré et sans détour lorsque des critiques s'imposent. La protection de l'enfance devrait aussi être mieux traitées par les médias, dans la mesure où une institution maltraitée devient maltraitante.

Nous défendons des principes incontournables en matière de politique de protection de l'enfance, dont il est essentiel de clarifier les missions en se concentrant exclusivement sur l'intérêt de l'enfant. Par exemple, nous revendiquons la désignation d'un avocat pour chaque enfant. De plus, il est impératif de protéger le plus rapidement possible les enfants en situation de délaissement ou exposés à des négligences graves. Nous saluons à ce propos, madame la rapporteure, l'aboutissement de la loi du 18 mars 2024 concernant la suspension de l'autorité parentale en cas de négligences graves, répondant à l'une de nos revendications les plus anciennes. Nous avons également à cœur de tracer des parcours d'avenir dans un souci d'équité sociale. Il nous paraît indispensable d'instaurer une discrimination positive pour rétablir l'équité qui faisait défaut à la naissance. Comme le souligne la Stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance, nous œuvrons à réduire les inégalités de destin.

Nous avons tenu à être présents dans toutes les instances qui nous sont accessibles, notamment pour les enfants qui ne sont pas pupilles de l'État, aux niveaux local et national et ce depuis l'adoption de la loi du 14 mars 2016, avant laquelle aucune instance ne nous était ouverte. Nous sommes ainsi membres, au niveau national, du groupement d'intérêt public (GIP) France Enfance protégée, du Conseil national de l'adoption (CNA) ou encore, au niveau local, des commissions d'examen de la situation et du statut des enfants confiés (Cessec). Notre volonté est de représenter les usagers afin qu'ils participent à la transformation de la protection de l'enfance de l'intérieur, par le biais d'observations constructives. Cela reflète par ailleurs notre engagement au Haut Conseil du travail social (HCTS) sur la question de la formation, ainsi qu'à la Haute Autorité de santé (HAS) pour la contribution aux recommandations de bonnes pratiques.

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Christian Haag, éducateur spécialisé et ancien enfant placé

Je suis honoré d'avoir été invité aujourd'hui par la Fnadepape à témoigner aux côtés de mon camarade Jérôme Beaury, et d'avoir l'occasion de m'exprimer devant la représentation nationale. Cependant, je déplore la faible présence des députés dans cette salle. Je me console en me rappelant qu'ils étaient plus nombreux lors de précédentes auditions.

Je m'appelle Christian Haag, j'ai 37 ans et je viens de Strasbourg. Je travaille dans la protection de l'enfance en tant qu'éducateur spécialisé, précisément dans un foyer d'accueil d'urgence pour mineurs en situation de danger. Ayant été abandonné par mes parents dès le début de ma vie, j'ai vécu toute mon enfance en foyer et en famille d'accueil. J'ai passé huit années en structures d'accueil collectif, autrement dit en « foyer », et une dizaine d'autres en famille d'accueil et en famille relais. Aussi douloureuse qu'ait pu être mon enfance, elle a été sauvée par l'aide sociale à l'enfance (ASE), par mes éducateurs en foyer et par mes familles d'accueil, envers lesquels je serai éternellement reconnaissant. Je fais partie de ces anciens enfants confiés qui témoignent, partout où on les invite, d'un parcours globalement positif. Compte tenu des conditions difficiles de mon début de vie et de la suite de mon parcours, j'ai traversé de nombreuses périodes de détresse. Cependant, mes éducateurs et mes familles d'accueil m'ont toujours appris et rappelé que mon destin n'était pas écrit d'avance. Le roman de nos existences n'est pas fait de fatalité ; il laisse aussi la place à la liberté de modifier notre propre sort, à condition d'être aidé à le faire, ce qui fut mon cas.

Si je suis ici devant vous en tant qu'éducateur spécialisé, c'est parce que la majorité des travailleurs sociaux qui se sont occupés de moi ont accompli leur mission de manière exemplaire. Ils m'ont aidé à échapper à un destin que beaucoup considèrent inévitable pour les « enfants de la Ddass ». J'ai obtenu mon baccalauréat avec mention et je suis aujourd'hui travailleur social. Je mesure la chance qui a été la mienne : une famille d'accueil m'a soutenu, un peu comme des parents, même après leur départ à la retraite. Je doute que j'aurais suivi le même chemin si j'avais grandi uniquement en institution. Les chiffres et les témoignages le confirment malheureusement souvent.

Fort de ma double expérience, je formule des observations qui oscillent entre les constats issus de mon parcours personnel et ceux que j'établis depuis maintenant seize ans sur mes différents lieux de travail. La protection de l'enfance des années 1990-2000, que j'ai connue, n'existe plus aujourd'hui. Je me sens beaucoup plus à l'aise pour parler de mon métier dans son aspect le plus concret, le plus vivant, que de discuter de lois et de politiques, disciplines que je maîtrise assez peu. Je considère toutefois comme utiles ces allers-retours entre mon expérience d'enfant confié et celle d'éducateur, car de nombreuses thématiques, depuis longtemps, forment dans mon esprit des portions d'analyses dont j'espère humblement qu'elles porteront leurs fruits dans ce débat. Je suis heureux que cette commission d'enquête existe et je l'espère utile pour les enfants et les professionnels de notre secteur, en fonction des perspectives d'actions nouvelles qu'elle offrira.

Bien que j'estime qu'elle fonctionne globalement plutôt bien, la protection de l'enfance en France connaît des difficultés. Toutefois, vous ne m'entendrez pas jeter l'opprobre sur l'ASE ni sur les acteurs qui œuvrent de près ou de loin à la protection de l'enfance. Sans eux, des milliers d'enfants ne disposeraient de personne pour entendre leurs souffrances et les accompagner. Sans eux, des milliers d'autres mourraient. Avec l'équilibre et la nuance qui manquent parfois dans les constats dressés, j'aimerais donc souligner ce qui me semble être des manquements, des carences, des obstacles à franchir. Je suis en effet de porter la voix de tous ces « camarades de galère » qui ont partagé cette expérience difficile.

Au sein même de cette salle, des témoignages poignants ont révélé un aperçu des manquements de notre système de protection de l'enfance. Pourtant, de nombreux constats perdurent depuis trop longtemps, sans qu'aucune solution ne semble émerger. Ces problèmes expliquent en partie les drames trop fréquents vécus par des enfants censés être protégés. Les pénuries de travailleurs sociaux dans les départements, les associations, les établissements et les familles d'accueil, ainsi que la maltraitance en structure ou en famille d'accueil, sont préoccupantes. Le manque de places dans les institutions, le débordement des accueils d'urgence, les choix politiques parfois déconnectés de la part des départements, l'appauvrissement de la prévention spécialisée, les inégalités des parcours et des chances, le suivi encore trop fragile des jeunes majeurs, la formation des professionnels représentent autant de défis à relever. Je suis convaincu que nous surmonterons ces difficultés, comme nous l'avons fait depuis la loi de 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, grâce à une prise de conscience collective. Il est urgent d'agir, car trop d'enfants subissent encore les manquements d'un système qui a des atouts, mais nécessite un soutien, car il chancelle encore sur bien des points.

Pour m'éloigner des théories et des lois et me rapprocher du terrain, je peux témoigner des journées de travail où mes collègues et moi-même accompagnons des enfants en quête de reconnaissance et d'attention parce que nous ne sommes pas suffisamment nombreux pour les encadrer correctement, gérant plus souvent des groupes au détriment des individualités qui les composent. Les effets psychologiques de cette situation sont parfois dévastateurs pour les enfants, souvent usés par la vie en collectivité, dont la violence, qui n'est pas toujours perceptible de l'extérieur, n'en est pas moins réelle. La vie en collectivité est bruyante et peut être extrêmement éprouvante. Elle vous presse, vous perd dans un effet de masse continuelle et dans la violence. Je vous l'affirme en connaissance de cause. De nombreux enfants la subissent, 24 heures sur 24, et en sortent des mois, voire des années plus tard, considérablement abîmés, voire traumatisés.

Certains enfants voient leurs problématiques psychiques perdurer et s'aggraver, même lorsqu'ils sont confiés à nos services, car les dispositifs sont saturés. Il faut souvent attendre un an pour qu'un centre médico-psychologique (CMP) puisse suivre un enfant. Certains restent piégés chez eux avec des parents violents parce que les places en structure d'accueil manquent ; les décisions de placement des juges ne sont alors pas exécutées. Les services sociaux du département et les associations manquent également de personnel. Enfin, certains enfants sont malmenés, voire maltraités dans les institutions ou les familles d'accueil, qui ne sont pas suffisamment accompagnées, formées, voire contrôlées.

Je conclurai en citant le docteur Céline Greco, ancienne enfant confiée à la protection de l'enfance, devenue médecin à l'hôpital Necker et présidente de l'association Im'pactes, qui promeut la santé des enfants confiés. Elle explique que les enfants victimes de violences perdraient jusqu'à vingt ans d'espérance de vie. Selon elle, ils vont développer deux fois plus de maladies cardiovasculaires, de cancers, d'AVC, onze fois plus de démence, trente-sept fois plus de syndromes dépressifs et de tentatives de suicide. Nous, travailleurs sociaux, investissons notre temps, notre énergie et notre passion pour prodiguer aux enfants que nous accompagnons toutes ces nourritures qui apaisent beaucoup de leurs faims et que la politique ne saurait assouvir. Il s'agit de la relation, de l'attention, de la bienveillance, etc. Cependant, si certains pans du secteur facilitaient davantage notre travail – et c'est sur ce point que vos travaux importeront – toujours plus d'enfants se porteraient mieux, de professionnels aussi et, finalement, la société tout entière en bénéficierait.

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Jérôme Beaury, éducateur spécialisé et ancien enfant placé

Merci beaucoup pour votre invitation. Je suis présent aujourd'hui en tant que personne-ressource au sein de la Fnadepape. Si le thème de ces auditions porte sur les manquements des politiques de protection de l'enfance, je vais vous offrir une perspective nuancée sur ce que représente cette protection à mes yeux. À travers mon expérience d'ancien enfant confié, d'ancien administrateur de maison d'enfants à caractère social (Mecs), de travailleur social et d'ancien directeur de l'ASE, je vais vous narrer cette histoire, empreinte tantôt de nostalgie, tantôt de jugement.

Mon parcours d'enfant placé a débuté à l'âge de 2 ans par une rencontre imprévue avec une assistante sociale, des signaux qui ne lui ont pas échappé et une première orientation en famille d'accueil. Par la suite, j'ai été placé dans une première Mecs, puis dans une seconde, j'ai été suivi par un service d'accueil en milieu ouvert, ai bénéficié d'un contrat jeune majeur et obtenu une aide financière proposée par le département jusqu'à mes 23 ans. J'ai fait des rencontres formidables, vécu des années inoubliables et noué des liens qui perdurent encore aujourd'hui. Contrairement à certains témoignages entendus au sein de cette commission, je peux affirmer que j'ai été un enfant heureux de l'ASE, qui a parfaitement répondu à mes besoins, comblant des défaillances parentales évidentes. En repensant à ces années, je me remémore le travail acharné des professionnels, qui a permis de me sécuriser dans ma vie d'adulte, la bienveillance quotidienne, la confiance, la disponibilité, l'amour, le non-jugement, la tolérance, la présence, le respect de nos singularités, une cohésion et des valeurs. Comment ne pas être nostalgique face à ces équipes unies, complètes, cohérentes, cet esprit familial qui régnait dans la Mecs ? Je n'ai assurément pas rêvé ce temps. Si notre système a pu créer ces conditions, il doit pouvoir le refaire. Il n'est pas à repenser entièrement, mais doit retrouver un second souffle. Il est, selon moi, victime d'un trop grand enfermement sur lui-même, d'un manque d'interaction, de temps et de sens. C'est un système qui a bâti son propre essoufflement.

Chers parlementaires, la protection de l'enfance vous demande de l'aide aujourd'hui et vous êtes désormais les décideurs de son cap. Je souhaite attirer votre attention sur le fait que le bien-être des enfants passe par le bien-être des travailleurs sociaux. Nombre des remarques qui vont suivre sont liées à un déficit majeur de personnel. En tant que professionnel, mes observations mettent en exergue plusieurs questionnements.

Le manque de sens dans nos pratiques et l'urgence à laquelle les professionnels doivent répondre aux injonctions de la collectivité, des familles, des associations, des spécificités du soin et des turnovers croissants, tout en préservant l'intérêt supérieur de l'enfant, sont préoccupants. Le manque cruel de professionnels, comme je l'ai déjà mentionné, ainsi que l'absence de transversalité et de coopération entre les différents acteurs et secteurs – protection de l'enfance, santé, éducation nationale et justice – voire les injonctions contradictoires que ces secteurs se renvoient, fragmentent les besoins de l'enfant. L'insuffisance des dotations affecte la qualité de la prise en charge. Les choix politiques créent des iniquités d'accès aux droits. Les délais d'exécution des placements et le décalage entre le niveau des travailleurs sociaux sortant de formation et les besoins de terrain sont également problématiques. Par ailleurs, les médias contribuent de façon inquiétante à la stigmatisation du travail social. Comment les jeunes peuvent-ils garder un semblant d'optimisme lorsqu'on leur rappelle constamment que les anciens de l'ASE sont majoritairement devenus les sans-abri d'aujourd'hui ? Abordons aussi les réalités de l'appareil judiciaire, souvent en contradiction avec celles des jeunes. Le nombre important de jeunes confiés à l'ASE relevant du champ du handicap pose question. Je pense notamment aux jeunes bénéficiant d'un droit à un accompagnement par une auxiliaire de vie scolaire, droit souvent non mis en œuvre. La psychiatrie est un autre domaine préoccupant. Quid de la pression exercée auprès des jeunes et auprès des éducateurs dans la préparation à la majorité ?

À en juger par les nombreux textes réglementaires de ces dernières années, j'estime que vivre dans une société qui protège les plus vulnérables, c'est vivre dans une société saine. La définition même de la protection de l'enfance ne cesse de s'élargir, posant ainsi le défi de protéger près de 400 000 enfants avec un nombre réduit d'acteurs. La plupart des dysfonctionnements mentionnés trouvent leur origine dans un manque de personnel. J'ai quitté la direction chargée de l'enfance et des familles du Calvados car, malgré le caractère noble de ses missions, nombre de décisions et dispositifs n'étaient pas mis en œuvre faute de professionnels. Quelle frustration de ne pas voir diminuer les chiffres alarmants dont j'étais informé chaque semaine ! Il est donc nécessaire d'embaucher, de valoriser, de fidéliser, de mieux former et de former davantage et au plus vite. Cependant, aucune loi ne peut obliger quiconque à embrasser nos formidables métiers de l'humain. Il va donc falloir convaincre. De nombreuses conventions collectives sont devenues obsolètes. Je prends pour exemple l'avenant 43 à la convention collective nationale de l'aide, de l'accompagnement et des soins et services à domicile ou encore le Ségur de la santé pour les métiers du social, dont les grilles de rémunération sont déjà inférieures au niveau du Smic. Il est impératif de revoir les formations, leur contenu, le nombre de diplômes d'État, et de sortir ces formations de Parcoursup, qui propose des orientations beaucoup trop aléatoires. La polyvalence constitue, à mon sens, un début de réponse aux problématiques des ressources humaines. Ma priorité serait d'accélérer le travail sur les aspects préventifs afin d'éviter de futurs déracinements. Honnêtement, une seule personne dans cette enceinte accepterait-elle de travailler auprès de jeunes ayant des difficultés accentuées par nos manques, au sein d'une équipe éducative instable, avec un encadrant submergé par sa charge administrative et qui doit en plus rendre des comptes en termes de chiffres et non de qualité ? Ajoutez à cela la colère du jeune qui se manifeste par des insultes ou des crachats dans les meilleurs des cas et une rémunération à peine supérieure à 1 800 euros après trois années d'études. Personnellement, je ne m'aventurerais pas dans cette folie.

La séance est suspendue de dix-huit heures vingt à dix-huit heures trente.

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Jérôme Beaury, éducateur spécialisé et ancien enfant placé

L'incapacité d'accueillir de nouveaux jeunes dans les structures est à la fois matérielle, financière, humaine, mais également idéologique et sociétale. Les jeunes relevant du champ du handicap et de la pédopsychiatrie se voient accueillis dans des lieux inadaptés. Il est crucial de ne pas confondre la complexité d'une prise en charge avec la complexité d'un jeune. Notre système est fragilisé et je constate que les Mecs, les familles d'accueil et les foyers de l'enfance souffrent majoritairement de ces dysfonctionnements. Dans tous ces lieux d'accueil, nous générons de la colère chez nos enfants. Il faut cesser de considérer les jeunes majeurs sortant de l'ASE et les mineurs non accompagnés (MNA) comme une simple charge financière pour la collectivité. Il est choquant de réduire leurs projets à un simple coût. Que sommes-nous en train de créer ? Comment les aider à bien se construire dans des conditions aussi insécurisantes ? Je peux personnellement assurer que mes deux filles de 18 et 22 ans ne sont absolument pas prêtes à affronter le monde sans soutien. Alors pourquoi imposerions-nous un tel risque à des enfants peu ou pas autonomes ? Les efforts en direction de la protection de l'enfance sont palpables, mais peut-être ne sont-ils pas bien orientés. Les enveloppes consacrées à la Stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance, par exemple, ne doivent pas servir à créer de nouvelles strates humaines, mais plutôt à préserver les acteurs existants, à les valoriser et à améliorer leurs conditions de travail. On multiplie les postes de chargés de mission alors que les postes les plus opérationnels sont réduits. Le pragmatisme doit être le maître mot de nos actions. Communiquons sur nos métiers et nos valeurs autrement que par le biais de reportages à charge. Si certains souhaitent complètement revoir notre système, je crains qu'ils ne perçoivent pas la pleine mesure de l'intensité du travail réalisé par des professionnels appliqués, impliqués, rigoureux et responsables. Nos missions concrètes consistent à accompagner la souffrance et à éveiller nos enfants à un monde meilleur. Hormis dans le domaine de la santé, je ne connais aucun travail plus important. Celui-ci requiert énormément de qualités humaines et de compétences techniques qui peuvent nous pousser à la faute très facilement. Les manquements dans notre secteur existent et ne doivent surtout pas être dissimulés, mais ils ne doivent pas servir de prétexte pour réformer tout un secteur dans sa globalité.

J'exerce actuellement en tant que directeur de la formation au sein d'un groupe privé de travail temporaire. Ma mission consiste à renforcer les compétences du personnel intérimaire, qu'il soit diplômé ou non, afin d'outiller ces professionnels dans leur quotidien auprès de publics vulnérables. Il s'agit de contrer la désaffection des métiers du travail social dans un contexte d'augmentation du nombre de personnes à protéger. J'entends ici et là des réticences, voire des accusations souvent erronées, à l'encontre de l'arrivée de nouveaux acteurs qui ne partagent pas notre culture. Nous avons raison d'avoir peur, de nous questionner et même de rejeter ce changement. Cette attitude semble naturelle, mais dénote un manquement à notre responsabilité. L'introduction du travail temporaire dans la protection de l'enfance est une nouveauté, tout comme le turnover dans nos structures d'accueil. Nous devons plus que jamais nous unir pour continuer à accomplir notre mission, tout en en conservant le sens. L'objectif aujourd'hui est de préserver les motivations et d'acculturer progressivement aux valeurs qui nous animent. La finalité de ce travail est de participer au « repeuplement » de notre secteur, tâche qui nous incombe à tous. Peut-être le rapport au travail a-t-il changé et peut-être assiste-t-on à l'émergence d'un refus de continuer à travailler dans des conditions indignes ? Le risque de notre inaction est de laisser notre société sombrer dans la folie. Ces jeunes ont besoin de vous, de nous. Qui serions-nous si nous ne les écoutions pas ?

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Hakan Marty, éducateur spécialisé et ancien enfant placé

Merci pour cette invitation. J'ai 32 ans et je suis éducateur spécialisé. J'ai été placé en protection de l'enfance. J'ai vécu en famille d'accueil pendant une quinzaine d'années, puis en Mecs et enfin en appartement éducatif. J'ai compris par la suite que la situation dans laquelle je me trouvais, censée être protectrice, ne l'était pas réellement. La famille d'accueil à qui j'avais été confié s'est révélée maltraitante, tant physiquement que psychiquement. Ces expériences ont laissé des séquelles et influencé ma vision de l'institution.

Mon parcours professionnel m'a permis de travailler dans différents départements en France, mais aussi à l'étranger, notamment en Espagne, à Madagascar et au Québec. Depuis mon retour, j'ai pris la direction de la Suisse, car je ne suis plus en accord avec les politiques sociales en France. Je ne souhaite pas critiquer pour le plaisir, mais certains aspects méritent d'être questionnés.

Avant de venir ici, j'ai échangé avec de nombreuses personnes, des professionnels de terrain, des parents et d'autres qui m'ont avoué ne rien connaître de la protection de l'enfance. Il est préoccupant de constater qu'en France, cette question semble marginale, alors que tous les parents se préoccupent de la protection et de l'épanouissement de leurs enfants.

Les points qui me préoccupent particulièrement sont le manque croissant d'accompagnement au sein des structures et la place accordée à l'enfant, notamment en termes de choix. Mon expérience au Québec m'a conduit à observer des pratiques très différentes et parfois plus pertinentes. Aujourd'hui, il est regrettable de constater que la question de la protection de l'enfance est quasiment inexistante dans le débat public. Je reconnais que certains professionnels et politiques s'efforcent de prendre les mesures nécessaires. Cependant, la diminution progressive du nombre de professionnels exerçant en structures d'accueil pose problème. Ces derniers se renvoient souvent mutuellement leurs responsabilités, jusqu'au niveau départemental, où l'on finit par déclarer qu'il incombe à l'État de prendre en charge les jeunes après 18 ans. Les politiques sont souvent mises en place à très court terme, comme les contrats jeunes majeurs, avec l'apparition de situations illogiques. Or il est maltraitant de ne pas réfléchir à l'accompagnement de l'enfant, à son parcours, dans le cadre d'une politique de long terme, c'est-à-dire sur dix ou quinze ans au lieu d'un an maximum. J'ai travaillé avec le tribunal de Lyon sur l'action éducative en milieu ouvert (AEMO) ; j'ai eu l'occasion de recueillir les confidences informelles de certains juges, qui m'ont confié ne pas savoir quoi faire face au manque de places. J'étais choqué de cette absence de solution pérenne dans le milieu judiciaire, mal compensée par des accueils en foyer d'urgence d'une durée d'un à deux ans, où les jeunes se trouvent encadrés par des professionnels non formés. Certains collègues affirment en effet que des personnes peu qualifiées sont recrutées, disposant seulement du brevet d'aptitude professionnelle d'assistant animateur technicien (Bapaat), d'où mes interrogations sur la possibilité travailler de façon compétente. Au Québec, en revanche, des formations sont disponibles en permanence, agrémentées d'une réflexion sur les aspects cliniques du quotidien. L'une de mes amies, qui exerce en protection de l'enfance dans ce territoire, travaille dans une structure qui dispose d'une équipe médicale comprenant un dentiste, un médecin et des infirmiers. Les cadres sont disponibles du matin au soir pour intervenir en cas de crise et soutenir les professionnels de terrain. L'accompagnement à la parentalité y est également très développé. Bien sûr, tout n'est pas parfait et certaines pratiques peuvent être questionnées, mais l'écart avec le fonctionnement constaté en France est significatif. C'est pourquoi il ne m'est plus envisageable de travailler dans une institution en France, où j'aurais le sentiment de maltraiter les enfants que j'accompagnerais. Les directeurs de structure éprouvent aussi de la souffrance. En outre, certains collègues me rapportent que la police refuse désormais d'intervenir dans leur structure, tout comme l'hôpital voisin, avec lequel ils collaborent pourtant, faute de place chez les assistants familiaux pour accueillir les enfants.

Je voudrais également évoquer l'image des enfants placés aujourd'hui. En écoutant mes collègues, je constate que nous nous présentons souvent sous cette étiquette, ce qui me semble absurde dans la mesure où lorsque je vous observe, je vois simplement des êtres humains. Or cette image est particulièrement lourde à porter. Combien d'enfants, moi y compris, ont ressenti de la honte à l'idée d'être des enfants placés ? Nous portons non seulement notre histoire personnelle et familiale, tout comme vous qui avez peut-être eu des parents imparfaits, mais également le poids du regard de la société. Les reportages télévisés sont souvent à charge et bien que certains soient utiles, ils contribuent à une perception négative des enfants confiés. Lorsque je les visionne avec des amis extérieurs à ce milieu, ils imaginent que mon métier consiste continuellement à travailler avec des délinquants. J'ai récemment entendu une personnalité politique suggérer l'envoi de jeunes dans des foyers pour régler des problèmes de comportement, ce qui témoigne d'une méconnaissance totale de la vie en collectivité au milieu de dix autres enfants en souffrance. Il serait pertinent de réfléchir, sur le plan national, à la valorisation de l'image de la protection de l'enfance. La responsabilité des départements et de l'État doit également être envisagée sur le long terme.

Je souhaiterais mettre en avant l'approche d'accompagnement des Canadiens. Dans les institutions de ce pays, nous trouvons des sexologues, des spécialistes en activités cliniques pour soutenir les professionnels, ainsi que des ethnologues. Le gouvernement québécois a véritablement mis en place un dispositif complet en termes de formation et de participation pour tous. D'autres formidables initiatives à destination des jeunes ont également été mises en œuvre.

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Mads Suaibu Jalo, président du réseau d'entraide « Repairs »

J'aimerais compléter les propos tenus concernant l'atmosphère dans laquelle vivent les enfants accueillis en foyer. Ayant grandi en famille d'accueil, j'ai eu la chance de ne pas connaître cette expérience. J'ai ainsi bénéficié d'un environnement familial qui répond à un besoin de normalité. En famille d'accueil, le développement individuel et personnel de l'enfant est favorisé, contrairement au foyer. J'ai visité un foyer dans lequel j'ai rencontré des enfants âgés de 6 à 12 ans. J'y ai passé deux heures, durant lesquelles nous avons partagé un repas et joué ensemble. Je vous assure que l'environnement à l'intérieur du foyer (disposition des tables, des lits, organisation des repas et activités, etc. ) y est violent. Après ces deux heures, j'ai réalisé que je préférerais vivre n'importe où ailleurs que dans un foyer. Je me suis interrogé sur le quotidien de ces jeunes qui vivent là-bas à temps complet. Récemment encore, nous avons travaillé sur un projet dans un foyer accueillant des enfants de 3 à 11 ans. L'objectif était d'imaginer l'environnement et la vie de famille idéaux pour ces enfants. Nous leur avons posé des questions à travers la réalisation de dessins et de jeux. L'un des dessins, qui m'a particulièrement surpris, représentait une maison faite d'une multitude de bonbons très colorés. Lorsque nous avons demandé à l'enfant pourquoi elle avait dessiné cela, elle nous a expliqué que, lorsqu'elle rentrait chez elle, une de ses amies lui avait demandé « Pourquoi y a-t-il tant de gens qui entrent chez toi ? ». Pour elle, c'était une source de malaise, car elle ne savait pas comment expliquer cette situation. Selon moi, le système des foyers, aussi modernes soient-ils, pose problème. En effet, de nombreuses personnes y vivent, chacune avec ses traumatismes et son histoire, sans qu'il y ait de place pour l'individu en tant que tel. Ce système engendre beaucoup de violence. En Italie, par exemple, il n'existe pas de système de foyers, mais un système communautaire. Récemment, à Paris, j'ai participé en tant que jury à la création de différentes communautés de trois à quatre personnes vivant ensemble dans une maison ou un appartement, accompagnées par des professionnels médico-sociaux et éducatifs. Ce modèle me semble très pertinent, car il prend en compte la personne dans son individualité.

En France, cependant, la réflexion à long terme fait défaut. À 18 ou 21 ans, l'accompagnement cesse. Actuellement, les sorties s'avèrent catastrophiques : les jeunes se retrouvent brutalement sans logement, sans argent, sans emploi, sans nourriture et dans des situations administratives non régularisées. À mon avis, la protection de l'enfance accuse un retard par rapport à des problématiques qui existent depuis longtemps. Certaines personnes dénoncent les mêmes défaillances depuis déjà des décennies.

Je m'interroge aujourd'hui sur la responsabilité de la protection de l'enfance. Qui doit en assurer la réorganisation ? Qui doit combler le retard accumulé et garantir un accompagnement adéquat dans le temps ? Actuellement, aucun organisme ne semble, à mes yeux, capable de remplir cette mission. J'espère qu'à l'issue de cette commission d'enquête, des clarifications seront apportées et des mesures mises en place pour induire un changement positif et porteur d'espoir. Depuis l'annonce de la tenue de cette commission, nous avons rencontré de nombreux responsables politiques et échangé entre nous. Nous attendons beaucoup des conclusions qu'elle pourrait formuler pour conduire vers des changements substantiels. Les travailleurs sociaux, en particulier, sont en grande difficulté, submergés par un grand nombre de jeunes à prendre en charge, avec des ressources limitées et un temps insuffisant pour se concentrer sur des solutions efficaces. Cette situation est intenable pour eux et a des répercussions sur les jeunes qu'ils accompagnent, ainsi que sur leur propre bien-être.

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Aniella Lamnaouar, bénévole du réseau d'entraide « Repairs »

Je vous remercie de nous accueillir pour aborder les manquements des politiques de la protection de l'enfance. Le nom de la commission d'enquête est significatif et mérite d'être rappelé. Les rapports et témoignages sont nombreux et les recommandations multiples. Nous avons choisi d'adopter une approche différente, préférant concentrer les politiques de protection de l'enfance autour des besoins des enfants, qui doivent en être le cœur. Actuellement, le terme « enfant placé » reflète tristement la réalité.

À 24 ans, ayant quitté la protection de l'enfance il y a moins de cinq ans, je constate malheureusement la répétition des mêmes manquements de génération en génération. Je me présente fièrement comme à la fois étudiante et issue de la troisième génération d'enfants placés, ce qui souligne le caractère systémique du problème et la nécessité d'une réforme structurelle.

Il est essentiel de distinguer un besoin de normalité, celle-ci étant souvent inexistante pour les enfants placés, et la nécessité de spécificité, compte tenu de leurs parcours et séquelles personnels. Par exemple, les rendez-vous au tribunal à 10 heures nous font manquer l'école. Les foyers, qui sont censés être des maisons pour tous, ne deviennent finalement la maison de personne. Cette absence de normalité accentue l'insécurité et l'instabilité de nos vies.

En reprenant la pyramide des besoins de Maslow, il apparaît évident que les besoins de base des enfants placés, à savoir les besoins physiologiques et de sécurité, ne sont pas toujours satisfaits. Bien que le nombre de placements et de mesures de protection de l'enfance augmente, traduisant une prise de conscience et une prise en considération de la voix de l'enfant, le nombre de décès d'enfants subissant des violences reste trop élevé. Par ailleurs, très récemment, une enquête du Syndicat de la magistrature a révélé qu'au moins 3 335 placements n'étaient pas exécutés, ce qui est extrêmement alarmant. Les enfants qui brisent le tabou de la maltraitance et qui sont censés recevoir une protection en retour sont confrontés à une absence de mesures, ce qui est terrible et montre à quel point l'enfant n'est pas au centre des réflexions.

Les besoins de sécurité sont bien documentés. La Défenseure des droits avait déjà souligné cette problématique il y a quelques années, notamment en ce qui concerne l'engagement sur la protection maternelle et infantile (PMI). Lorsque l'on parle de protection de l'enfance, on se concentre souvent uniquement sur les placements et les structures, alors que la prévention est tout aussi essentielle. Malheureusement, en raison de l'urgence et des manquements, celle-ci n'est plus suffisamment investie. Les moyens d'action et de suivi sont insuffisants, ce qui constitue un problème majeur. Légiférer est une chose, mais appliquer les lois s'avère encore plus utile.

La crise actuelle affecte également les professionnels. Certains départements sont en situation de crise totale. Par exemple, dans l'Hérault, 178 enfants sont placés alors que la capacité maximale est de 123 lits. Concrètement, cela signifie que des enfants dorment sur des matelas dans les couloirs. Ces enfants, extraits de milieux défavorisés, ne voient pas leurs conditions de vie s'améliorer, bien au contraire.

Parmi les besoins fondamentaux, la question de la sécurité est majeure et passe par la protection contre les violences sexistes et sexuelles. Il est essentiel d'aborder ces questions de manière claire et de nommer les problèmes. Le manque de professionnels n'est pas anodin. Il est également notoire que les pédocriminels s'orientent vers des milieux où ils peuvent trouver des victimes facilement, ce que les chiffres confirment. À ce titre, le rapport de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) révèle l'importance des progrès nécessaires en la matière. Le docteur Céline Greco l'a par ailleurs très bien exprimé la semaine dernière lors de son audition par la commission d'enquête : les conséquences de ce type de violences sont désastreuses. Il est inacceptable qu'en 2024, dans notre pays, 160 000 enfants soient encore victimes de violences sexuelles chaque année.

Les besoins psychologiques ont été évoqués, notamment à travers la question des familles d'accueil, c'est-à-dire des assistants familiaux. Il est impératif de débloquer ce système qui devient un cercle vicieux et s'embourbe. Cependant, il faut veiller à ce que le cumul des emplois ne se fasse pas au détriment des enfants nécessitant un accompagnement très spécifique, en particulier sur les questions de handicap. Il est nécessaire d'adopter une approche spécifique en fonction des enfants, des besoins, des départements et des territoires, ce qui illustre toute la complexité de la protection de l'enfance.

Théoriquement, pour atteindre les derniers échelons des besoins, il faut d'abord s'assurer que les premiers sont bien en place, ce qui n'est malheureusement pas le cas actuellement. Si nous parvenons à atteindre ce que l'on appelle le plein potentiel, nous devons alors répondre au besoin de réalisation. Les chiffres actuels montrent que 30 % des jeunes, à la sortie des dispositifs, retournent dans des situations à risque. L'absence de contrat jeune majeur, qui est en réalité un abus de langage puisqu'il s'agit d'un accueil provisoire jeune majeur, est également problématique. Cette absence induit souvent la mise à la rue, ce qui n'est pas la meilleure solution en sortie de dispositif. Certains jeunes sacrifient leur sécurité et leur bien-être en retournant dans leur famille, alors qu'ils avaient été placés en raison de situations délétères et de maltraitance.

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Mads Suaibu Jalo, président du réseau d'entraide « Repairs »

Les inégalités sont flagrantes dans la mise en œuvre des contrats jeunes majeurs, dans la mesure où certains départements, qui disposent pourtant des moyens nécessaires, choisissent de ne pas les mettre en place. Ainsi, que ce soit à 18 ou à 21 ans, certains jeunes ne bénéficient d'aucun accompagnement. Cette disparité départementale nécessite une harmonisation. Il est impératif de mettre en place un schéma ou un partenariat départemental. Certains départements prétendent accompagner les jeunes mais, en réalité, ils exercent une pression psychologique considérable. On exige en effet d'eux qu'ils deviennent autonomes dans les trois à six mois qui précèdent leur majorité. Pour bénéficier d'un accompagnement jusqu'à 21 ans, ils doivent présenter un projet concret. Cette exigence est extrêmement violente, car il est impossible de définir un projet d'avenir du jour au lendemain à l'âge de 18 ans. Même lorsqu'un jeune obtient miraculeusement un contrat jeune majeur, il subit une pression constante et doit continuellement faire ses preuves. J'ai personnellement vécu cette situation, qui empêche d'envisager sereinement son avenir et de se concentrer sur ses études. C'est pourquoi il me semble qu'aujourd'hui, les départements qui proposent un accompagnement doivent s'assurer de la qualité du dispositif mis en place afin qu'il ne génère pas de maltraitance.

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Aniella Lamnaouar, bénévole du réseau d'entraide « Repairs »

Concrètement, qu'est-ce qu'un contrat jeune majeur ? En ce qui me concerne, ce contrat représentait une atteinte à la dignité. Lors du fameux rendez-vous, notre vie est littéralement passée au crible : cuisine et alimentation, gestion de la lessive, gestion budgétaire, études... Les disparités territoriales sont souvent évoquées. En revanche, l'utilisation de la pression psychologique est bien plus difficile à admettre. Ainsi, on s'entend parfois dire : « Tu fais des études, tu es plus maligne que les autres, tu sauras faire une demande de logement Crous, donc laisse ta place à un autre jeune en difficulté ». Or le nombre de places ne devrait pas être restreint et aucun jeune ne devrait subir de pression pour céder sa place à qui que ce soit. Il est souvent question de chance dans nos parcours. Mais je tiens à rappeler que nous sommes plus ou moins représentatifs dans les commissions et instances. Actuellement, je ne suis pas à la rue, je poursuis des études et je peux m'investir dans ce genre d'engagement. Ce n'est pas le cas de beaucoup d'entre nous, qui sont en grande difficulté et ne peuvent être représentés ici.

J'aimerais en outre apporter un regard international sur cette question. En 2020, la Finlande a étendu la limite d'âge de soutien à 25 ans pour les MNA et les jeunes en situation de vulnérabilité, contre 21 ans auparavant. En 2021, la Hongrie a porté cette limite à 30 ans pour les jeunes nécessitant un soutien, notamment dans le cadre de leurs études, de leur formation ou de leur cursus d'enseignement supérieur. Cela démontre que nous accusons un retard considérable et rencontrons d'importantes difficultés en matière d'investissement dans les politiques de protection de l'enfance. Si nous représentons la troisième génération d'enfants placés sans amélioration notable, c'est nécessairement en raison de manquements significatifs.

En ce qui concerne les formations, il est essentiel de s'inscrire dans les politiques de jeunesse de manière globale. Les questions de genre, d'orientation sexuelle ou plus récemment de discrimination capillaire, nous concernent directement, à l'instar de tous les autres jeunes. Actuellement, nous manquons de professionnels formés, attentifs et sensibilisés à ces problématiques. De plus, nous ne disposons pas de mécanismes efficaces pour traiter les cas d'homophobie et de transphobie, qui sont pourtant illégales. Nous restons encore trop souvent cantonnés à la catégorie des enfants placés, alors que nous devrions être intégrés dans l'ensemble des politiques de jeunesse.

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Monsieur Marty, j'aimerais que vous nous exposiez ce que vous avez observé au Québec et en Suisse en termes de formation, question cruciale pour cette commission. Il est évident que sans des professionnels bien formés et présents, il est impossible de répondre aux besoins fondamentaux des enfants. En observant les pratiques à l'étranger, notamment au niveau universitaire et clinique, que ce soit en Europe, en Australie ou au Québec, on constate la création d'un écosystème beaucoup plus sécurisant pour l'enfant. On dispose ainsi de centres de pédiatrie sociale au cœur des dispositifs de parentalité, accompagnant les familles dans un environnement favorable, dans le cadre d'une approche psychosociale. Cet écosystème soutient les compétences parentales sans disqualifier les familles. J'aimerais donc que vous nous fournissiez des exemples concrets qui pourraient enrichir les travaux de cette commission d'enquête. J'aimerais en particulier un retour sur l'écosystème québécois, qui intègre la clinique et la recherche en protection de l'enfance et qui est soutenu par une politique étatique de long terme, s'étendant quasiment jusqu'à l'âge de 30 ans. Je souhaiterais également que vous partagiez quelques exemples issus de votre expérience en Suisse.

J'apprécierais par ailleurs de poser quelques questions à la Fnadepape. Vous couvrez l'ensemble du territoire national, y compris les territoires d'outre-mer. Vous avez donc une vision globale de ce qui se passe et de l'accueil généralement réservé aux jeunes majeurs que vous accompagnez. La loi du 7 février 2022 prévoyait la mise en place de nombreux dispositifs d'accompagnement des jeunes, tels que les entretiens de mi-parcours préalables à la sortie de l'ASE. La loi Rossignol du 14 mars 2016 avait également prévu l'octroi d'un pécule disponible pour les jeunes sortants de l'ASE. Je souhaiterais connaître votre retour issu des territoires compte tenu de votre pratique, notamment en ce qui concerne le travail des nombreux bénévoles qui accompagnent ces jeunes.

Monsieur Beaury, je me permets de vous poser quelques questions spécifiques à votre parcours. Votre expérience est évidemment très respectable et j'ai pris beaucoup de plaisir à vous écouter. J'ai pourtant été surprise par la nature de l'entreprise vers laquelle vous vous êtes dirigé. En tant qu'ancien directeur de l'ASE, vous connaissez les difficultés liées à la qualité de l'accueil des enfants relevant de la protection de l'enfance. Or les structures gérées par le groupe Domino RH font actuellement la une de la presse en raison de leur mode de fonctionnement : ouverture en quinze jours, tarif journalier dérisoire et professionnels non formés pour accueillir des jeunes. Nous venons de discuter de l'importance de partir des besoins fondamentaux des enfants. Il est impératif de les accompagner de la meilleure manière possible. Les politiques publiques actuelles présentent des lacunes et il convient d'y remédier très rapidement. Pourtant, un nouveau système privé est en train d'émerger, en collaboration avec des professionnels qui rencontrent eux-mêmes des difficultés en raison du manque de ressources humaines et de formation. Nous sommes donc préoccupés et allons auditionner les groupes concernés. Nous souhaitons à tout prix éviter que l'intérim ne devienne un scandale similaire à celui des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Il est inadmissible d'accompagner les enfants de cette manière. La situation est trop grave pour permettre l'intégration de ces dispositifs à un système déjà en grande souffrance, dont chacun reconnaît qu'il est à bout de souffle et qu'il craque de toutes parts.

En outre, je tiens à souligner l'importance de l'accompagnement des jeunes majeurs à travers le dispositif Repairs, souvent soutenu par de nombreux bénévoles. Je souhaiterais savoir si, dans le cadre de vos préconisations, vous portez une proposition concrète à soumettre à la commission d'enquête concernant la prise en charge des jeunes majeurs jusqu'à 25 ans. Je pense que prolonger l'accompagnement des jeunes redonnerait du sens aux métiers du social et du médico-social.

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Jean-Marie Muller, président de la Fédération nationale des associations départementales d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance (Fnadepape)

Je répondrai à une question qui a été soulevée dans le questionnaire concernant l'aide aux jeunes de plus de 21 ans. Je souhaite partager une expérience que nous menons en Meurthe-et-Moselle depuis plus de trente ans. Le département a négocié avec l'Adepape une convention d'aide aux jeunes majeurs âgés de 21 à 25 ans, révisée tous les trois ans. À l'époque, nous étions satisfaits, car cela signifiait qu'il existait un dispositif pour les jeunes entre 18 et 21 ans. Cette convention a maintenant trente-cinq ans, ce qui nous pousse à plaider pour qu'à 21 ans, les jeunes sortent enfin du dispositif de protection de l'enfance et ne soient plus nécessairement protégés de la même manière. Le cap des 18 ans puis des 21 ans pourrait être l'occasion de changer d'interlocuteur, à la faveur d'un nouveau regard sur leur situation. Des conventions d'aide aux jeunes majeurs ont été instaurées dans certains départements, initiative toutefois assez peu répandue, malgré nos efforts en ce sens. Une convention de très bonne qualité a cependant été signée dans le département du Nord voici une dizaine d'années. Les Landes et quelques autres départements ont également mis en place une aide aux jeunes majeurs confiés à l'Adepape.

Il est vrai que nous avons encore tendance à appeler cette aide un contrat, terme assez peu approprié. Cependant, je peux vous assurer qu'une personne de l'âge de Mme Lamnaouar m'a récemment confié que, malgré tous les défauts propres à ce dispositif, c'est la première fois qu'à 18 ans, elle avait la possibilité de signer quelque chose pour elle-même et se sentait véritablement actrice de son propre projet. Je comprends vos arguments, chers collègues, et je partage en partie votre avis. Toutefois, je tiens à souligner l'importance des expériences vécues par les jeunes de 21 ans. Il est par ailleurs essentiel de noter que ce système coûte moins cher qu'un suivi en protection de l'enfance puisqu'il repose sur le bénévolat. Je pourrai vous fournir des témoignages et vous transmettre le type de convention que nous avons signée avec la Meurthe-et-Moselle.

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Hakan Marty, éducateur spécialisé et ancien enfant placé

Je tiens à préciser que je ne suis pas un spécialiste du Québec, mais je vais partager mon expérience et le contenu de mes échanges sur le terrain.

S'agissant des formations, celles-ci sont principalement universitaires avec un accompagnement pratique et concret caractérisé par une période de quinze jours à trois semaines avec une personne expérimentée sur le terrain. Cette méthode permet à l'étudiant de poser des questions et de s'imprégner de la culture de la structure.

Au Québec, le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) représente des milliers de professionnels et le système est complété par diverses fondations ou associations. Au sein du CIUSSS, il existe deux systèmes : le gouvernement emploie directement certains professionnels, tandis que d'autres travaillent pour des agences. Dans le second cas, les professionnels intérimaires reçoivent une formation équivalente à celle des employés permanents du CIUSSS. En ce qui me concerne, j'ai travaillé avec les communautés autochtones et j'ai reçu une formation adaptée en ce sens. Les formations sont proposées tout au long de l'année et il appartient aux professionnels ou aux équipes de les solliciter. Par exemple, des formations sur la sexualité peuvent être demandées. Je considère que ce fonctionnement génère une richesse incroyable en engageant les professionnels dans une réflexion perpétuelle.

Sur l'aspect financier, il existe une logique selon laquelle si l'on investit de l'argent au bon endroit et au bon moment, ce n'est pas une dépense que l'on devra compenser ultérieurement. Je suis personnellement choqué lorsque j'entends, en France, des collègues affirmer que les lits des fugueurs sont attribués à des enfants en accueil d'urgence, au détriment de ceux qui ont fugué. À l'inverse, au Québec, une spécialiste en activité clinique travaille avec le professionnel sur la question de la fugue, offrant ainsi un réel accompagnement. Cela donne du sens à notre action.

Au Québec, j'ai travaillé dans un service accueillant de jeunes déficients intellectuels pour lesquels la question du consentement apparaissait primordiale. À partir de 14 ans, le jeune décidait s'il souhaitait être accompagné ou non, indépendamment de l'avis de ses parents ou de toute autre personne extérieure. Dans ma pratique, je devais systématiquement requestionner le jeune quant à l'accord fourni antérieurement. En outre, les professionnels n'ont pas à gérer autant de jeunes qu'en France, comme c'est parfois le cas dans certaines structures débordées. En France, lorsque je travaillais en AEMO, j'étais chargé d'accompagner 28 familles, à raison d'une rencontre toutes les trois semaines, ce qui ne permet bien évidemment pas de prendre en compte les besoins et les envies de chacun. Pourtant, la question de l'émotion, de la sensibilité et de l'ego du professionnel comme de sa hiérarchie est primordiale. Au Québec, j'utilisais le tutoiement avec mes supérieurs, car nous travaillions ensemble, et non moi pour eux. Dans une structure, cela fait toute la différence. La culture sociale au Québec est extrêmement développée, bien qu'il existe certains manquements.

Concernant les moyens mis en œuvre, le Québec compte six à huit millions d'habitants. La possibilité est offerte d'aller exercer dans des régions éloignées, souvent touchées par une pénurie de personnel. Le gouvernement et les agences proposent alors un financement des logements pour les professionnels, des billets d'avion aller-retour et une augmentation de salaire. On valorise ainsi les professionnels, attitude inexistante en France. Comment motiver des personnes à qui on se contente de proposer le Smic ?

Je souhaiterais aborder le sujet du traitement de la délinquance en Suisse. Afin de limiter les comportements à risque, tels que la vente de drogue, les éducateurs disposent de budgets pour proposer aux jeunes des petits boulots dès l'âge 15 ans. Ainsi on peut rémunérer un jeune âgé de 15 à 25 ans pour des tâches diverses, soit au sein de la communauté, soit pour sa famille, soit à proximité de l'institution. Le salaire qu'il perçoit étant quasiment équivalent à ce qu'il pourrait gagner dans la rue, l'effet dissuasif est assuré. Par contre, au Québec – comme cela aurait pu se passer en France – un jeune pris en flagrant délit m'a demandé : « Pourquoi irais-je travailler pour 20 dollars de l'heure, alors qu'en une nuit, je peux en gagner 3 000 ? ».

En matière de prévention, j'ai beaucoup travaillé au Québec avec la communauté, où tous les professionnels se réunissent une fois par mois. Les acteurs locaux se rencontrent pour discuter des situations en général, sans stigmatiser les personnes. On anticipe les besoins d'accompagnement des familles pour leurs enfants l'année suivante, en se situant dans une démarche de prévention et de réflexion. Tout le monde est réuni autour de la table pour trouver des solutions ensemble. Cette approche fait cruellement défaut en France, où nous pratiquons davantage une politique de réaction plutôt que d'action ou de réflexion, ce qui peut s'avérer très dangereux.

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Christian Haag, éducateur spécialisé et ancien enfant placé

Ce qui vient d'être dit sur l'aspect formation est très intéressant. J'aimerais partager quelques réflexions issues de mon expérience dans un centre d'accueil d'urgence, où la situation des enfants est très complexe au quotidien. Dans la structure où je travaille, nous avons intégré de nombreuses pratiques, notamment la discipline positive. Il s'agit d'une méthode d'éducation diffusée aujourd'hui dans plus de 60 pays. Fondée par un psychothérapeute, elle prône l'alliance de la bienveillance et de la fermeté dans l'éducation des enfants, sans devoir choisir entre l'une ou l'autre. Cette approche crée des conditions optimales pour l'éducation. À la maison, on pourrait penser que cette méthode n'a pas de sens, voire qu'elle est un peu ridicule dans la mesure où crier sur un enfant de temps en temps n'entraînera pas de traumatismes. Cependant, la situation est totalement différente pour un enfant vivant en foyer, qui est un lieu de « fausse vie », selon l'expression de Françoise Dolto. Les cris, qu'ils proviennent d'enfants ou d'adultes, sont beaucoup plus fréquents qu'à la maison, ce qui rend la vie en institution intrinsèquement violente. La discipline positive vise à former les professionnels à réduire les cris, à éviter les confrontations et à adopter une posture de remise en question. Je pense que les structures gagneraient à former leurs professionnels à cette méthode d'éducation, qui a prouvé son efficacité et est enseignée partout dans le monde.

En outre, en tant que professionnels, nous manquons de connaissances en psychiatrie, qu'il s'agisse de la formation initiale ou continue. Aujourd'hui, nous constatons que nous accueillons de plus en plus d'enfants présentant des difficultés psychiatriques importantes. Nous ne savons pas comment prendre soin d'eux, ni répondre à leurs besoins. Nous rencontrons des enfants atteints de troubles du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et d'autres profils très complexes et nous ne sommes absolument pas formés pour nous en occuper correctement.

Je tenais enfin à vous rassurer sur la question des foyers, qui ne sont pas des endroits monstrueux où les enfants dorment dans des caves sombres infestées de toiles d'araignées. Il en existe d'exemplaires, tant sur le plan matériel que dans les modalités d'accueil.

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Hakan Marty, éducateur spécialisé et ancien enfant placé

Pour en finir avec les exemples positifs recensés en Québec, je souhaiterais faire part d'une dernière remarque au sujet des structures professionnelles. Nous étions en présence de petits groupes d'enfants bénéficiant d'un véritable espace dédié et d'un accompagnement pensé pour chaque besoin spécifique. En particulier, les structures étaient adaptées aux problématiques psychiatriques. En France, cependant, nous manquons d'une réflexion en profondeur à ce niveau.

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Jérôme Beaury, éducateur spécialisé et ancien enfant placé

Pour répondre à vos questions, madame la rapporteure, lorsque je suis arrivé au département du Calvados, je ne pensais effectivement pas que mon passage durerait moins de trois ans. S'agissant de votre remarque au sujet des structures Domino, selon laquelle vous y avez vu le pire, je dois vous avouer ne pas savoir moi-même si j'ai déjà vu le pire. Quoi qu'il en soit, je ne l'ai certainement pas vu dans les structures Domino. En travaillant avec l'ensemble des acteurs du département du Calvados, je me suis rendu compte que le pire se trouvait un petit peu partout, malheureusement. Les dysfonctionnements existaient préalablement à l'avènement de l'intérim. Ce n'est pas l'intérim qui les a provoqués. Au contraire, je pense qu'il peut nous aider aujourd'hui à combler des postes qui ne sont pas occupés, à condition évidemment que les personnes soient accompagnées. Vous avez évoqué la présence dans ces structures de personnes non diplômées. Il s'agit d'un vaste débat, qui se pose d'ailleurs quasiment tous les jours avec mes équipes. Il convient cependant de souligner que l'on trouve également des personnes sans diplôme au sein de structures historiques. Comme vous avez prévu d'auditionner le groupe Domino, vous obtiendrez des compléments de réponse à ce niveau.

Aujourd'hui, les agences Domino comptent des milliers de personnes qui souhaitent répondre à des besoins dans le secteur de la protection de l'enfance et qui ne sont pas outillées. Or elles se heurtent souvent à des personnels permanents qui maîtrisent généralement mieux le travail. Les frictions entre personnels permanents et intérimaires sont quotidiennes, ce qui ne nous facilite pas la tâche. Mon rôle consiste à élever les compétences de ces personnes tout en les incitant à collaborer davantage avec des structures d'ailleurs susceptibles de les embaucher par la suite.

Peut-être évoquiez-vous tout à l'heure les structures de l'association Domino Assist'M Ase, bien connues depuis quelques années. Je ne peux m'empêcher de l'évoquer, étant alors directeur de l'ASE lors de l'arrivée de cette association dans le Calvados. Aujourd'hui, je ne travaille pas avec cette association, faute de demandes de leur part. Néanmoins, le projet initialement prévu dans ce département me semblait extrêmement pertinent et répondait à des manques et à des besoins importants. Les élus ont à l'époque fait preuve de créativité en explorant des domaines inédits et en nous confiant les clés d'une Mecs éphémère, dans le cadre d'une convention renouvelée pour une année. Ces deux années étaient nécessaires au département pour mettre en place les actions prévues dans le schéma. Nous nous trouvions alors dans une situation précaire et il était impératif de réagir. À ce moment, la manière dont les élus et ma directrice chargée de l'enfance et des familles ont réagi était probablement la meilleure. La question de la réactivité, qu'il s'agisse de Domino ou de toute autre agence d'intérim, implique une connaissance approfondie du département dans lequel on intervient. Or c'est certainement la méconnaissance du département qui constituait un frein majeur pour l'association. Par exemple, il était difficile de trouver des hébergements adéquats. De plus, le tissu associatif n'était pas suffisamment développé. Les liens avec l'éducation nationale et la justice, que nous avons évoqués précédemment, représentent également des éléments essentiels. En outre, l'association n'a pas été intégrée à l'ensemble des associations présentes dans le secteur et ce malgré mes efforts, dans la mesure où l'intervention d'un secteur marchand à but lucratif peut sembler incongrue. À mon avis, ce travail aurait pu être anticipé. Les élus favorables à ce projet auraient dû prendre le temps de développer leur réflexion au lieu de l'imposer à l'ensemble des acteurs déjà présents dans le secteur. Ces difficultés relationnelles ont également été exacerbées par la réception régulière de courriers anonymes, preuve de la réticence à l'égard de l'association, alors qu'il aurait été bien plus profitable de réussir à travailler en collaboration.

Pour conclure, la question des personnes non diplômées me tient particulièrement à cœur. En tant qu'ancien formateur en travail social, j'ai souvent affirmé que le diplôme ne garantit pas nécessairement la compétence. Je préfère collaborer avec des personnes motivées, ayant une véritable volonté d'être utiles, qui comprennent les enjeux et souhaitent développer des initiatives. Mon objectif est de les maintenir dans cette approche, de les fidéliser et de les outiller adéquatement.

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Avant d'être députée, j'exerçais en tant qu'éducatrice spécialisée en protection de l'enfance. Je connais malheureusement trop bien les sujets abordés aujourd'hui.

J'aimerais avant tout rappeler ici que nous nous réunissons non pas dans le cadre d'une mission d'information, mais bien d'une commission d'enquête. Il me semble donc essentiel de structurer nos échanges afin d'obtenir des réponses précises à nos questions.

Je m'adresse à vous, monsieur Beaury. Votre expérience avec le groupe Domino me paraît intéressante. J'aimerais connaître votre avis sur les conditions de travail et la qualité de l'accueil dans les structures gérées par Domino Assist'M Ase, tout en vous rappelant que vous vous exprimez sous serment. Par ailleurs, dans le Calvados, Domino proposait aux profils complexes des tarifs journaliers trois à cinq fois inférieurs à ceux du secteur public. Selon vous, cette approche correspond-elle à une tentative de concurrencer les structures associatives et publiques par le bas ? Actuellement, vous travaillez toujours pour une filiale de Domino nommée Operis Managers. Quelle est la stratégie de Domino RH concernant la protection de l'enfance ? Le groupe exprime-t-il une volonté de développer cette activité et de cibler certains publics, notamment les cas complexes ? Vous avez par ailleurs affirmé ne pas avoir vu le pire chez Domino. Cependant, je tiens à rappeler que la Mecs gérée par cette entreprise accueillait des enfants dans des gîtes insalubres, humides, avec des murs troués, des toilettes bouchées et parfois même dans des appartements Airbnb. Le turnover incessant des professionnels non diplômés est également préoccupant. Pourriez-vous clarifier ce que vous entendez par « monter en compétence » dans ce contexte ? Pour ma part, je reconnais uniquement la valeur du diplôme. Je ne conçois pas un hôpital où exerceraient des infirmières non diplômées. Il en va de même pour ces enfants dont nous devons prendre soin. Ce modèle m'inquiète profondément. Tout scandale comparable à celui des Ehpad du groupe Orpea serait intolérable. Je refuse de voir un nouveau scandale dans la protection de l'enfance, secteur déjà en grande difficulté.

Enfin, j'ai récemment assisté à l'assemblée générale de l'Adepape du Puy-de-Dôme, mon département. On m'a signalé que ce dernier ne mettait pas en relation les jeunes de l'ASE avec les Adepape. J'aimerais par conséquent savoir ce qu'il en est au niveau national.

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J'aimerais poser une question à M. Jalo. Vous avez mentionné qu'il était préférable pour un enfant d'être placé en famille d'accueil plutôt qu'en foyer, en raison d'une plus grande humanité et d'une atmosphère plus familiale, comparable à celle que tout enfant devrait connaître. Pouvez-vous préciser pourquoi, selon vous, cette situation est meilleure ? Par ailleurs, ne pensez-vous pas que des problèmes ou des maltraitances peuvent également survenir dans une famille d'accueil, comme le décrit Lyes Louffok dans son livre ? Si la famille accueille des enfants principalement pour des raisons financières, la situation peut s'avérer problématique. Est-ce alors toujours préférable d'être en famille d'accueil ? En cas de difficultés avec les enfants ou la personne accueillante, ces problèmes peuvent être moins visibles et plus difficiles à gérer qu'en foyer. Je m'adresse également aux autres anciens enfants placés. Avez-vous, au cours de votre parcours, subi des maltraitances, quelle qu'en soit l'origine ? Si tel est le cas, avez-vous pu signaler ces abus et obtenir une réponse ou un soutien ? Vos expériences m'intéressent grandement.

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Ma première question s'adresse à la Fnadepape. Sur votre site internet, il est indiqué que votre mission inclut l'interpellation de l'État ou des départements sur les initiatives législatives à prendre en matière d'adoption, d'obligations alimentaires et de recherche des origines. Pourriez-vous détailler le contenu de vos dernières interpellations ?

Les questions suivantes s'adressent à tous. Lorsque vous estimez que les placements ne sont pas adaptés, avez-vous la possibilité d'alerter votre hiérarchie et le département ? Vous sentez-vous écoutés ? Avez-vous connaissance du pourcentage de fugues dans les foyers ? Sans vouloir jeter l'opprobre sur la profession d'éducateur spécialisé, il est indéniable que certains professionnels ne sont pas irréprochables. Nous avons évoqué plus tôt des témoignages de mauvais traitements impliquant ces derniers. En cette période de pénurie de personnel, pensez-vous que les recrutements d'éducateurs spécialisés soient suffisamment rigoureux ? Avez-vous déjà été témoins de comportements dangereux ou maltraitants de la part de collègues ? En général, quelles mesures sont prises dans ces cas ? La semaine dernière, lors d'un colloque sur les violences sexistes et sexuelles faites aux mineurs, une femme a témoigné qu'une personne en foyer avait été violée et que l'éducateur responsable avait simplement été déplacé. Ce genre de cas est-il fréquent ? Je pense aux propos polémiques de Ségolène Royal, il y a quelques années, lorsqu'elle affirmait que les enseignants auteurs de viols et d'abus sexuels sur mineurs étaient mutés dans les outre-mer et qu'elle disait lever l'omerta sur le sujet.

Enfin, monsieur Muller, je souhaite revenir sur vos déclarations de 2018 concernant l'adoption. Vous affirmiez alors ne rien avoir contre les couples de même sexe, mais continuer à privilégier les couples jeunes, stables, avec un père et une mère. Maintenez-vous ces propos ou avez-vous évolué sur la question ? Sur l'ensemble du territoire, combien de familles homoparentales ont obtenu l'agrément l'année dernière et combien ont pu accueillir des enfants ? Pourrions-nous obtenir les chiffres par département ?

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Monsieur Beaury, vous avez effectué un parcours atypique, passant de la fonction publique territoriale à une entreprise privée d'intérim. Votre expérience est donc susceptible d'apporter un éclairage précieux à notre commission d'enquête. Selon vous, existe-t-il un marché de la protection de l'enfance ? Pensez-vous que ce secteur puisse être lucratif ? Dans le prolongement de cette question, comment une entreprise intérimaire peut-elle être compétitive dans ce domaine ? Par ailleurs, le groupe Domino est-il contrôlé en matière d'hébergement et de qualification du personnel ? Lorsqu'un opérateur est chargé d'une politique publique aussi importante que celle de la protection de l'enfance, le législateur doit s'interroger sur les mécanismes de contrôle en place. Enfin, dans l'exercice de vos fonctions au sein du groupe Domino, avez-vous été amené à signaler des dysfonctionnements dans des lieux de vie gérés par cette entreprise ? Cette question est cruciale. Pour rappel, vous témoignez sous serment et votre réponse se doit d'être sincère et véridique.

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Je tiens à préciser que M. Beaury, salarié chez Domino, n'est pas responsable des décisions de ce groupe, pas plus qu'il n'est apte à répondre à l'ensemble des questions qui lui ont été adressées personnellement. Je vous informe que nous auditionnerons le responsable du groupe Domino le 13 juin prochain. Certaines de vos questions seront donc plutôt à poser à ce dernier.

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Jean-Marie Muller, président de la Fédération nationale des associations départementales d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance (Fnadepape)

En 2018, j'ai tenu des propos qui ont été mal interprétés. Ces évènements m'ont conduit jusqu'au tribunal, qui a néanmoins reconnu ma bonne foi. En effet, mon discours avait été tronqué, la télévision n'ayant diffusé que 30 secondes d'une émission ayant en réalité duré 40 minutes. Pour clarifier cette question, notre site internet a publié une motion en 2019 sur l'adoption et l'apparentement pour toutes les personnes candidates à l'adoption. À mon sens, rien n'est donc propice à la polémique. Pour replacer les faits dans leur contexte, en 2018, soit cinq ans après la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, très peu de couples de même sexe se trouvaient en attente d'agrément. À l'époque, le mariage était un préalable nécessaire. Ce type de demande ne faisait donc qu'émerger. Dans mon département, où j'étais président du conseil de famille, j'ai permis le premier apparentement d'un bébé avec un couple d'hommes. Cela n'est plus un sujet aujourd'hui.

Je souhaite également aborder la question de notre participation aux évolutions législatives. Comme mentionné précédemment, nous sommes présents dans de nombreuses instances, où nous formulons des propositions. Nous avons la conviction d'être les interlocuteurs idéaux pour cette mission. J'ai dirigé pendant vingt ans un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep), un établissement à triple habilitation et je peux affirmer que notre expertise en la matière est certaine. Nous serons prochainement entendus par le ministère sur les questions de l'adoption. Je siège également au Conseil national de l'adoption (CNA), car la loi sur l'adoption ne me convenant pas parfaitement, plutôt que de la critiquer de l'extérieur, j'ai choisi de m'impliquer et d'assurer un suivi de la mise en place des mesures.

Je connais bien l'Adepape du Puy-de-Dôme, dont la présidente a longtemps été ma première vice-présidente. La difficulté que vous évoquez est réelle. Les conseils départementaux ont tendance à orienter vers les Adepape les jeunes nécessitant une aide à la majorité, ce que j'ai récemment qualifié lors du dernier congrès de la Fnadepape de « malsorties » de la protection de l'enfance. Il est impératif d'examiner ces cas de près, car souvent l'enfant retourne dans sa famille à 18 ans, ce qui est considéré comme une sortie positive. Certes, on peut comprendre la demande légitime du jeune qui souhaite renouer des liens avec sa famille. Cependant, il est impératif de rester vigilant face aux illusions potentielles. On envoie donc vers l'Adepape essentiellement les jeunes en besoin d'aide après arrêt du service. Les jeunes en situation de pouvoir devenir des aidants sont rarement envoyés vers nous. Le message qui leur a été donné est qu'ils n'ont pas besoin de l'Adepape, car ils ont réussi. Je peux même affirmer qu'un certain nombre de jeunes arrivent chez nous tout à fait par hasard. Comment des associations d'entraide peuvent-elles fonctionner si les publics sont si disparates ? Pour illustrer mon propos, il nous est presque systématiquement refusé, sur l'ensemble du territoire, d'assister aux entretiens des jeunes de 17 ans, bien que ces jeunes relèvent de la protection de l'enfance et soient de facto membres de nos associations et bien que nous participions aux conseils de famille, aux Cessec et aux commissions d'accès à l'autonomie qui examinent les situations des jeunes de 18 à 21 ans. Nous ne sommes pas non plus présents lors de l'entretien des 21 ans, moment crucial où le jeune adulte pourrait bénéficier d'un accompagnement pour effectuer les bons choix.

La loi du 14 mars 2016 est pour nous fondamentale. Le problème réside dans son absence d'application. En effet, nous constatons que les projets pour l'enfant (PPE) ne sont pas rédigés, quels que soient les territoires concernés. Or le PPE signifie à nos yeux « parti pris pour l'enfant », c'est-à-dire que l'on doit se consacrer exclusivement à lui. J'ai été profondément choqué de constater que, dans la loi du 21 février 2022 sur l'adoption, la notion d'intérêt supérieur de l'enfant a disparu au profit du seul intérêt de l'enfant.

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Jérôme Beaury, éducateur spécialisé et ancien enfant placé

Comme l'a précisé Mme la présidente, ne disposant pas des informations nécessaires, je ne pourrai pas répondre à certaines questions qui m'ont été posées. Mes supérieurs vous fourniront des explications certainement plus étoffées que les miennes. Dans les semaines à venir, l'enquête se précisera et les convocations successives révéleront des éléments importants. Je suis persuadé que le système intérimaire ne présente aucun dysfonctionnement spécifique, ce qui ne constitue évidemment pas une excuse pour fonctionner aussi mal que les autres. Au contraire, lorsque des problèmes existent ailleurs, nous devons nous efforcer de faire mieux. J'ai découvert, malheureusement, lors de mon séjour dans le Calvados et dans d'autres départements, que la maltraitance n'est pas liée aux diplômes. Les personnes, qu'elles soient qualifiées ou non, peuvent manquer des outils nécessaires pour agir correctement au bon moment, ce qui peut déclencher des situations de maltraitance. Madame la députée, vous avez mentionné l'état déplorable de certains logements. Il faut savoir que ces situations sont malheureusement habituelles dans de nombreux endroits.

S'agissant des contrôles, je peux vous apporter des précisions. Dans le département du Calvados, lorsque Domino Assist'M Ase est intervenu, nous lui avons confié les clés d'une Mecs éphémère, dont on m'a spécifiquement demandé de suivre de près le fonctionnement. Ainsi, j'entretenais un lien hebdomadaire avec le directeur général ou les chefs de service, ce que je ne faisais pas avec d'autres structures, faute de temps. Il est essentiel de ne pas se focaliser uniquement sur un aspect au détriment des autres. Certaines associations, que je connais bien et qui n'ont aucun lien avec l'intérim, fonctionnent très mal. Il est donc important de continuer à examiner la situation dans son ensemble. Dans le département du Calvados, certaines associations rencontrent des difficultés, à l'image d'Acséa, qui présente de nombreux dysfonctionnements et ne se voit pourtant pas inquiétée de la même manière. Il ne s'agit en aucun cas d'un concours de dysfonctionnements, mais nous devons inviter tous les acteurs à comprendre ce qui ne fonctionne pas. Pour poursuivre sur la question des contrôles, les hébergements utilisés par Domino Assist'M Ase ont été visités à l'époque par la directrice générale adjointe chargée de la solidarité. Chaque visite s'effectuait par une délégation de trois à cinq personnes, car nous anticipions les reproches. Nous n'étions en revanche pas présents sur les lieux en permanence.

Concernant les profils complexes et les prix de journée, je ne peux absolument pas vous répondre. Travaillant dans le domaine de la formation, j'ignore la stratégie du groupe.

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L'audition du groupe Domino nous apportera plus d'informations.

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Étant donné votre double expérience, d'abord en tant que fonctionnaire à la direction chargée de l'enfance et des familles, puis au sein du groupe Domino, j'aimerais connaître votre avis sur la manière dont une entreprise intérimaire peut rester compétitive. Où réalise-t-elle ses bénéfices ? Sur quels postes de dépenses se concentre-t-elle ? Je sollicite votre opinion personnelle à ce sujet.

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Jérôme Beaury, éducateur spécialisé et ancien enfant placé

Je n'ai qu'un point de vue personnel à apporter. Vous obtiendrez des réponses plus précises ultérieurement. Je n'ai pas fondé cette entreprise. D'autres personnes l'ont créée avant moi et la gèrent de manière compétente. Je ne dispose pas d'éléments de réponse concernant la stratégie, la motivation ou les tarifs journaliers. En revanche, je vais aborder la question du marché que vous avez évoquée précédemment. Si nous partons de la définition classique du marché, qui repose sur la loi de l'offre et de la demande, nous pourrions effectivement considérer que la protection de l'enfance constitue un marché. Toutefois, il est essentiel de ne pas interpréter ce terme de manière à laisser penser que l'on pourrait y agir de manière désordonnée. Un marché peut tout à fait être régulé.

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Aniella Lamnaouar, bénévole du réseau d'entraide « Repairs »

Depuis le début de cette audition, nous avons entendu à plusieurs reprises évoquer la politique du moindre mal. Ce n'est pas notre ambition. Affirmer que la situation est pire ailleurs n'est clairement pas ce que nous souhaitons pour les générations futures. Entendre qu'un enfant est satisfait simplement parce qu'il a, pour la première fois de sa vie, consenti et signé un document n'est plus acceptable. C'est précisément à cela que nous consacrons notre temps aujourd'hui. Nous refusons également l'existence, en 2024, d'établissements absolument insalubres.

Je n'ai pas encore répondu à la question des sorties de l'ASE. Le rapport du Conseil d'orientation des politiques de jeunesse (COJ) comporte 40 propositions, que nous pouvons évidemment vous transmettre. Nous y avons largement contribué. La Fondation Abbé Pierre a récemment publié un rapport sur les jeunes, notamment ceux qui retournent chez eux, et sur la difficulté de la décohabitation. Je vous invite donc à un parallèle avec la question de la protection de l'enfance. Nous ne pouvons pas accepter de telles situations à risque. Il est essentiel de briser les stigmatisations : les « Tanguy » n'existent pas en matière de protection de l'enfance.

Notre dernier point d'alerte concerne la psychiatrie. Cette discipline représente une profession à part entière, nécessitant de nombreuses années d'études en médecine. Nous avons recueilli de multiples témoignages de surmédicalisation d'enfants, souvent « shootés », si je puis me permettre ce terme. Il existe des initiatives très positives, comme l'expérimentation Pégase et les unités d'accueil pédiatrique enfants en danger (Uaped) qui disposent de compétences réelles, de professionnels qualifiés et dont le travail en maillage territorial est essentiel. Nous souhaitons rappeler que l'on ne peut pas attribuer des compétences psychiatriques à tout le monde, ce qui n'est d'ailleurs pas souhaitable en termes de surcharge de travail des professionnels.

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Christian Haag, éducateur spécialisé et ancien enfant placé

Il ne s'agit bien évidemment pas de transformer les éducateurs en psychiatres, mais simplement de leur fournir des bases solides afin qu'ils puissent réagir adéquatement face à certaines situations. En tant qu'éducateur, je ressens actuellement un manque à ce niveau. Ensuite, il convient de s'intéresser à la question des dotations de soins. Pourquoi ne pourrions-nous pas permettre aux établissements d'en bénéficier, à l'instar des Ehpad, ce qui leur permettrait de disposer de nombreux personnels soignants sur place ?

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Mads Suaibu Jalo, président du réseau d'entraide « Repairs »

En réponse à madame la députée, j'aimerais partager mon expérience personnelle en tant qu'ancien enfant placé en famille d'accueil. Selon ce que j'ai vécu et les témoignages que j'ai entendus, il existe indéniablement des violences, que ce soit en famille d'accueil ou en foyer. Les récits de violences sont similaires dans les deux contextes. Cependant, j'ai privilégié la famille d'accueil en raison du besoin de normalité familiale et du fait que le nombre de personnes traumatisées est généralement moindre, réduisant ainsi les risques. Lors de mes visites dans certains foyers, j'ai pu constater que certains étaient bien équipés, avec des infrastructures modernes comme des piscines et des jardins spacieux. Toutefois, malgré ces installations, l'ambiance y était souvent pesante, rendant l'expérience de vie difficile à mes yeux. C'est un avis personnel, mais je pense qu'un environnement familial est plus propice à une meilleure anticipation et à une meilleure gestion des situations. En discutant avec les éducateurs lors de mes visites de foyers, ceux-ci m'ont demandé ce que je considérais comme le plus important pour un éducateur. J'ai répondu qu'il s'agissait du temps passé avec les jeunes, car c'est le seul moyen de véritablement discuter avec eux, de les connaître et de comprendre leurs angoisses. Ce processus ne peut pas être précipité ou imposé dans un créneau horaire délimité. L'éducation n'est pas une approche mécanique, mais humaine.

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Merci à tous pour votre présence, vos témoignages et vos explications.

La séance s'achève à vingt heures dix.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Karine Lebon, Mme Marianne Maximi, Mme Laure Miller, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago, M. Hervé Saulignac, Mme Sarah Tanzilli

Excusées. – Mme Béatrice Descamps, Mme Astrid Panosyan-Bouvet