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Intervention de Hakan Marty

Réunion du mardi 28 mai 2024 à 18h00
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Hakan Marty, éducateur spécialisé et ancien enfant placé :

Merci pour cette invitation. J'ai 32 ans et je suis éducateur spécialisé. J'ai été placé en protection de l'enfance. J'ai vécu en famille d'accueil pendant une quinzaine d'années, puis en Mecs et enfin en appartement éducatif. J'ai compris par la suite que la situation dans laquelle je me trouvais, censée être protectrice, ne l'était pas réellement. La famille d'accueil à qui j'avais été confié s'est révélée maltraitante, tant physiquement que psychiquement. Ces expériences ont laissé des séquelles et influencé ma vision de l'institution.

Mon parcours professionnel m'a permis de travailler dans différents départements en France, mais aussi à l'étranger, notamment en Espagne, à Madagascar et au Québec. Depuis mon retour, j'ai pris la direction de la Suisse, car je ne suis plus en accord avec les politiques sociales en France. Je ne souhaite pas critiquer pour le plaisir, mais certains aspects méritent d'être questionnés.

Avant de venir ici, j'ai échangé avec de nombreuses personnes, des professionnels de terrain, des parents et d'autres qui m'ont avoué ne rien connaître de la protection de l'enfance. Il est préoccupant de constater qu'en France, cette question semble marginale, alors que tous les parents se préoccupent de la protection et de l'épanouissement de leurs enfants.

Les points qui me préoccupent particulièrement sont le manque croissant d'accompagnement au sein des structures et la place accordée à l'enfant, notamment en termes de choix. Mon expérience au Québec m'a conduit à observer des pratiques très différentes et parfois plus pertinentes. Aujourd'hui, il est regrettable de constater que la question de la protection de l'enfance est quasiment inexistante dans le débat public. Je reconnais que certains professionnels et politiques s'efforcent de prendre les mesures nécessaires. Cependant, la diminution progressive du nombre de professionnels exerçant en structures d'accueil pose problème. Ces derniers se renvoient souvent mutuellement leurs responsabilités, jusqu'au niveau départemental, où l'on finit par déclarer qu'il incombe à l'État de prendre en charge les jeunes après 18 ans. Les politiques sont souvent mises en place à très court terme, comme les contrats jeunes majeurs, avec l'apparition de situations illogiques. Or il est maltraitant de ne pas réfléchir à l'accompagnement de l'enfant, à son parcours, dans le cadre d'une politique de long terme, c'est-à-dire sur dix ou quinze ans au lieu d'un an maximum. J'ai travaillé avec le tribunal de Lyon sur l'action éducative en milieu ouvert (AEMO) ; j'ai eu l'occasion de recueillir les confidences informelles de certains juges, qui m'ont confié ne pas savoir quoi faire face au manque de places. J'étais choqué de cette absence de solution pérenne dans le milieu judiciaire, mal compensée par des accueils en foyer d'urgence d'une durée d'un à deux ans, où les jeunes se trouvent encadrés par des professionnels non formés. Certains collègues affirment en effet que des personnes peu qualifiées sont recrutées, disposant seulement du brevet d'aptitude professionnelle d'assistant animateur technicien (Bapaat), d'où mes interrogations sur la possibilité travailler de façon compétente. Au Québec, en revanche, des formations sont disponibles en permanence, agrémentées d'une réflexion sur les aspects cliniques du quotidien. L'une de mes amies, qui exerce en protection de l'enfance dans ce territoire, travaille dans une structure qui dispose d'une équipe médicale comprenant un dentiste, un médecin et des infirmiers. Les cadres sont disponibles du matin au soir pour intervenir en cas de crise et soutenir les professionnels de terrain. L'accompagnement à la parentalité y est également très développé. Bien sûr, tout n'est pas parfait et certaines pratiques peuvent être questionnées, mais l'écart avec le fonctionnement constaté en France est significatif. C'est pourquoi il ne m'est plus envisageable de travailler dans une institution en France, où j'aurais le sentiment de maltraiter les enfants que j'accompagnerais. Les directeurs de structure éprouvent aussi de la souffrance. En outre, certains collègues me rapportent que la police refuse désormais d'intervenir dans leur structure, tout comme l'hôpital voisin, avec lequel ils collaborent pourtant, faute de place chez les assistants familiaux pour accueillir les enfants.

Je voudrais également évoquer l'image des enfants placés aujourd'hui. En écoutant mes collègues, je constate que nous nous présentons souvent sous cette étiquette, ce qui me semble absurde dans la mesure où lorsque je vous observe, je vois simplement des êtres humains. Or cette image est particulièrement lourde à porter. Combien d'enfants, moi y compris, ont ressenti de la honte à l'idée d'être des enfants placés ? Nous portons non seulement notre histoire personnelle et familiale, tout comme vous qui avez peut-être eu des parents imparfaits, mais également le poids du regard de la société. Les reportages télévisés sont souvent à charge et bien que certains soient utiles, ils contribuent à une perception négative des enfants confiés. Lorsque je les visionne avec des amis extérieurs à ce milieu, ils imaginent que mon métier consiste continuellement à travailler avec des délinquants. J'ai récemment entendu une personnalité politique suggérer l'envoi de jeunes dans des foyers pour régler des problèmes de comportement, ce qui témoigne d'une méconnaissance totale de la vie en collectivité au milieu de dix autres enfants en souffrance. Il serait pertinent de réfléchir, sur le plan national, à la valorisation de l'image de la protection de l'enfance. La responsabilité des départements et de l'État doit également être envisagée sur le long terme.

Je souhaiterais mettre en avant l'approche d'accompagnement des Canadiens. Dans les institutions de ce pays, nous trouvons des sexologues, des spécialistes en activités cliniques pour soutenir les professionnels, ainsi que des ethnologues. Le gouvernement québécois a véritablement mis en place un dispositif complet en termes de formation et de participation pour tous. D'autres formidables initiatives à destination des jeunes ont également été mises en œuvre.

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