Je suis honoré d'avoir été invité aujourd'hui par la Fnadepape à témoigner aux côtés de mon camarade Jérôme Beaury, et d'avoir l'occasion de m'exprimer devant la représentation nationale. Cependant, je déplore la faible présence des députés dans cette salle. Je me console en me rappelant qu'ils étaient plus nombreux lors de précédentes auditions.
Je m'appelle Christian Haag, j'ai 37 ans et je viens de Strasbourg. Je travaille dans la protection de l'enfance en tant qu'éducateur spécialisé, précisément dans un foyer d'accueil d'urgence pour mineurs en situation de danger. Ayant été abandonné par mes parents dès le début de ma vie, j'ai vécu toute mon enfance en foyer et en famille d'accueil. J'ai passé huit années en structures d'accueil collectif, autrement dit en « foyer », et une dizaine d'autres en famille d'accueil et en famille relais. Aussi douloureuse qu'ait pu être mon enfance, elle a été sauvée par l'aide sociale à l'enfance (ASE), par mes éducateurs en foyer et par mes familles d'accueil, envers lesquels je serai éternellement reconnaissant. Je fais partie de ces anciens enfants confiés qui témoignent, partout où on les invite, d'un parcours globalement positif. Compte tenu des conditions difficiles de mon début de vie et de la suite de mon parcours, j'ai traversé de nombreuses périodes de détresse. Cependant, mes éducateurs et mes familles d'accueil m'ont toujours appris et rappelé que mon destin n'était pas écrit d'avance. Le roman de nos existences n'est pas fait de fatalité ; il laisse aussi la place à la liberté de modifier notre propre sort, à condition d'être aidé à le faire, ce qui fut mon cas.
Si je suis ici devant vous en tant qu'éducateur spécialisé, c'est parce que la majorité des travailleurs sociaux qui se sont occupés de moi ont accompli leur mission de manière exemplaire. Ils m'ont aidé à échapper à un destin que beaucoup considèrent inévitable pour les « enfants de la Ddass ». J'ai obtenu mon baccalauréat avec mention et je suis aujourd'hui travailleur social. Je mesure la chance qui a été la mienne : une famille d'accueil m'a soutenu, un peu comme des parents, même après leur départ à la retraite. Je doute que j'aurais suivi le même chemin si j'avais grandi uniquement en institution. Les chiffres et les témoignages le confirment malheureusement souvent.
Fort de ma double expérience, je formule des observations qui oscillent entre les constats issus de mon parcours personnel et ceux que j'établis depuis maintenant seize ans sur mes différents lieux de travail. La protection de l'enfance des années 1990-2000, que j'ai connue, n'existe plus aujourd'hui. Je me sens beaucoup plus à l'aise pour parler de mon métier dans son aspect le plus concret, le plus vivant, que de discuter de lois et de politiques, disciplines que je maîtrise assez peu. Je considère toutefois comme utiles ces allers-retours entre mon expérience d'enfant confié et celle d'éducateur, car de nombreuses thématiques, depuis longtemps, forment dans mon esprit des portions d'analyses dont j'espère humblement qu'elles porteront leurs fruits dans ce débat. Je suis heureux que cette commission d'enquête existe et je l'espère utile pour les enfants et les professionnels de notre secteur, en fonction des perspectives d'actions nouvelles qu'elle offrira.
Bien que j'estime qu'elle fonctionne globalement plutôt bien, la protection de l'enfance en France connaît des difficultés. Toutefois, vous ne m'entendrez pas jeter l'opprobre sur l'ASE ni sur les acteurs qui œuvrent de près ou de loin à la protection de l'enfance. Sans eux, des milliers d'enfants ne disposeraient de personne pour entendre leurs souffrances et les accompagner. Sans eux, des milliers d'autres mourraient. Avec l'équilibre et la nuance qui manquent parfois dans les constats dressés, j'aimerais donc souligner ce qui me semble être des manquements, des carences, des obstacles à franchir. Je suis en effet de porter la voix de tous ces « camarades de galère » qui ont partagé cette expérience difficile.
Au sein même de cette salle, des témoignages poignants ont révélé un aperçu des manquements de notre système de protection de l'enfance. Pourtant, de nombreux constats perdurent depuis trop longtemps, sans qu'aucune solution ne semble émerger. Ces problèmes expliquent en partie les drames trop fréquents vécus par des enfants censés être protégés. Les pénuries de travailleurs sociaux dans les départements, les associations, les établissements et les familles d'accueil, ainsi que la maltraitance en structure ou en famille d'accueil, sont préoccupantes. Le manque de places dans les institutions, le débordement des accueils d'urgence, les choix politiques parfois déconnectés de la part des départements, l'appauvrissement de la prévention spécialisée, les inégalités des parcours et des chances, le suivi encore trop fragile des jeunes majeurs, la formation des professionnels représentent autant de défis à relever. Je suis convaincu que nous surmonterons ces difficultés, comme nous l'avons fait depuis la loi de 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, grâce à une prise de conscience collective. Il est urgent d'agir, car trop d'enfants subissent encore les manquements d'un système qui a des atouts, mais nécessite un soutien, car il chancelle encore sur bien des points.
Pour m'éloigner des théories et des lois et me rapprocher du terrain, je peux témoigner des journées de travail où mes collègues et moi-même accompagnons des enfants en quête de reconnaissance et d'attention parce que nous ne sommes pas suffisamment nombreux pour les encadrer correctement, gérant plus souvent des groupes au détriment des individualités qui les composent. Les effets psychologiques de cette situation sont parfois dévastateurs pour les enfants, souvent usés par la vie en collectivité, dont la violence, qui n'est pas toujours perceptible de l'extérieur, n'en est pas moins réelle. La vie en collectivité est bruyante et peut être extrêmement éprouvante. Elle vous presse, vous perd dans un effet de masse continuelle et dans la violence. Je vous l'affirme en connaissance de cause. De nombreux enfants la subissent, 24 heures sur 24, et en sortent des mois, voire des années plus tard, considérablement abîmés, voire traumatisés.
Certains enfants voient leurs problématiques psychiques perdurer et s'aggraver, même lorsqu'ils sont confiés à nos services, car les dispositifs sont saturés. Il faut souvent attendre un an pour qu'un centre médico-psychologique (CMP) puisse suivre un enfant. Certains restent piégés chez eux avec des parents violents parce que les places en structure d'accueil manquent ; les décisions de placement des juges ne sont alors pas exécutées. Les services sociaux du département et les associations manquent également de personnel. Enfin, certains enfants sont malmenés, voire maltraités dans les institutions ou les familles d'accueil, qui ne sont pas suffisamment accompagnées, formées, voire contrôlées.
Je conclurai en citant le docteur Céline Greco, ancienne enfant confiée à la protection de l'enfance, devenue médecin à l'hôpital Necker et présidente de l'association Im'pactes, qui promeut la santé des enfants confiés. Elle explique que les enfants victimes de violences perdraient jusqu'à vingt ans d'espérance de vie. Selon elle, ils vont développer deux fois plus de maladies cardiovasculaires, de cancers, d'AVC, onze fois plus de démence, trente-sept fois plus de syndromes dépressifs et de tentatives de suicide. Nous, travailleurs sociaux, investissons notre temps, notre énergie et notre passion pour prodiguer aux enfants que nous accompagnons toutes ces nourritures qui apaisent beaucoup de leurs faims et que la politique ne saurait assouvir. Il s'agit de la relation, de l'attention, de la bienveillance, etc. Cependant, si certains pans du secteur facilitaient davantage notre travail – et c'est sur ce point que vos travaux importeront – toujours plus d'enfants se porteraient mieux, de professionnels aussi et, finalement, la société tout entière en bénéficierait.