L'incapacité d'accueillir de nouveaux jeunes dans les structures est à la fois matérielle, financière, humaine, mais également idéologique et sociétale. Les jeunes relevant du champ du handicap et de la pédopsychiatrie se voient accueillis dans des lieux inadaptés. Il est crucial de ne pas confondre la complexité d'une prise en charge avec la complexité d'un jeune. Notre système est fragilisé et je constate que les Mecs, les familles d'accueil et les foyers de l'enfance souffrent majoritairement de ces dysfonctionnements. Dans tous ces lieux d'accueil, nous générons de la colère chez nos enfants. Il faut cesser de considérer les jeunes majeurs sortant de l'ASE et les mineurs non accompagnés (MNA) comme une simple charge financière pour la collectivité. Il est choquant de réduire leurs projets à un simple coût. Que sommes-nous en train de créer ? Comment les aider à bien se construire dans des conditions aussi insécurisantes ? Je peux personnellement assurer que mes deux filles de 18 et 22 ans ne sont absolument pas prêtes à affronter le monde sans soutien. Alors pourquoi imposerions-nous un tel risque à des enfants peu ou pas autonomes ? Les efforts en direction de la protection de l'enfance sont palpables, mais peut-être ne sont-ils pas bien orientés. Les enveloppes consacrées à la Stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance, par exemple, ne doivent pas servir à créer de nouvelles strates humaines, mais plutôt à préserver les acteurs existants, à les valoriser et à améliorer leurs conditions de travail. On multiplie les postes de chargés de mission alors que les postes les plus opérationnels sont réduits. Le pragmatisme doit être le maître mot de nos actions. Communiquons sur nos métiers et nos valeurs autrement que par le biais de reportages à charge. Si certains souhaitent complètement revoir notre système, je crains qu'ils ne perçoivent pas la pleine mesure de l'intensité du travail réalisé par des professionnels appliqués, impliqués, rigoureux et responsables. Nos missions concrètes consistent à accompagner la souffrance et à éveiller nos enfants à un monde meilleur. Hormis dans le domaine de la santé, je ne connais aucun travail plus important. Celui-ci requiert énormément de qualités humaines et de compétences techniques qui peuvent nous pousser à la faute très facilement. Les manquements dans notre secteur existent et ne doivent surtout pas être dissimulés, mais ils ne doivent pas servir de prétexte pour réformer tout un secteur dans sa globalité.
J'exerce actuellement en tant que directeur de la formation au sein d'un groupe privé de travail temporaire. Ma mission consiste à renforcer les compétences du personnel intérimaire, qu'il soit diplômé ou non, afin d'outiller ces professionnels dans leur quotidien auprès de publics vulnérables. Il s'agit de contrer la désaffection des métiers du travail social dans un contexte d'augmentation du nombre de personnes à protéger. J'entends ici et là des réticences, voire des accusations souvent erronées, à l'encontre de l'arrivée de nouveaux acteurs qui ne partagent pas notre culture. Nous avons raison d'avoir peur, de nous questionner et même de rejeter ce changement. Cette attitude semble naturelle, mais dénote un manquement à notre responsabilité. L'introduction du travail temporaire dans la protection de l'enfance est une nouveauté, tout comme le turnover dans nos structures d'accueil. Nous devons plus que jamais nous unir pour continuer à accomplir notre mission, tout en en conservant le sens. L'objectif aujourd'hui est de préserver les motivations et d'acculturer progressivement aux valeurs qui nous animent. La finalité de ce travail est de participer au « repeuplement » de notre secteur, tâche qui nous incombe à tous. Peut-être le rapport au travail a-t-il changé et peut-être assiste-t-on à l'émergence d'un refus de continuer à travailler dans des conditions indignes ? Le risque de notre inaction est de laisser notre société sombrer dans la folie. Ces jeunes ont besoin de vous, de nous. Qui serions-nous si nous ne les écoutions pas ?