Je vous remercie de nous accueillir pour aborder les manquements des politiques de la protection de l'enfance. Le nom de la commission d'enquête est significatif et mérite d'être rappelé. Les rapports et témoignages sont nombreux et les recommandations multiples. Nous avons choisi d'adopter une approche différente, préférant concentrer les politiques de protection de l'enfance autour des besoins des enfants, qui doivent en être le cœur. Actuellement, le terme « enfant placé » reflète tristement la réalité.
À 24 ans, ayant quitté la protection de l'enfance il y a moins de cinq ans, je constate malheureusement la répétition des mêmes manquements de génération en génération. Je me présente fièrement comme à la fois étudiante et issue de la troisième génération d'enfants placés, ce qui souligne le caractère systémique du problème et la nécessité d'une réforme structurelle.
Il est essentiel de distinguer un besoin de normalité, celle-ci étant souvent inexistante pour les enfants placés, et la nécessité de spécificité, compte tenu de leurs parcours et séquelles personnels. Par exemple, les rendez-vous au tribunal à 10 heures nous font manquer l'école. Les foyers, qui sont censés être des maisons pour tous, ne deviennent finalement la maison de personne. Cette absence de normalité accentue l'insécurité et l'instabilité de nos vies.
En reprenant la pyramide des besoins de Maslow, il apparaît évident que les besoins de base des enfants placés, à savoir les besoins physiologiques et de sécurité, ne sont pas toujours satisfaits. Bien que le nombre de placements et de mesures de protection de l'enfance augmente, traduisant une prise de conscience et une prise en considération de la voix de l'enfant, le nombre de décès d'enfants subissant des violences reste trop élevé. Par ailleurs, très récemment, une enquête du Syndicat de la magistrature a révélé qu'au moins 3 335 placements n'étaient pas exécutés, ce qui est extrêmement alarmant. Les enfants qui brisent le tabou de la maltraitance et qui sont censés recevoir une protection en retour sont confrontés à une absence de mesures, ce qui est terrible et montre à quel point l'enfant n'est pas au centre des réflexions.
Les besoins de sécurité sont bien documentés. La Défenseure des droits avait déjà souligné cette problématique il y a quelques années, notamment en ce qui concerne l'engagement sur la protection maternelle et infantile (PMI). Lorsque l'on parle de protection de l'enfance, on se concentre souvent uniquement sur les placements et les structures, alors que la prévention est tout aussi essentielle. Malheureusement, en raison de l'urgence et des manquements, celle-ci n'est plus suffisamment investie. Les moyens d'action et de suivi sont insuffisants, ce qui constitue un problème majeur. Légiférer est une chose, mais appliquer les lois s'avère encore plus utile.
La crise actuelle affecte également les professionnels. Certains départements sont en situation de crise totale. Par exemple, dans l'Hérault, 178 enfants sont placés alors que la capacité maximale est de 123 lits. Concrètement, cela signifie que des enfants dorment sur des matelas dans les couloirs. Ces enfants, extraits de milieux défavorisés, ne voient pas leurs conditions de vie s'améliorer, bien au contraire.
Parmi les besoins fondamentaux, la question de la sécurité est majeure et passe par la protection contre les violences sexistes et sexuelles. Il est essentiel d'aborder ces questions de manière claire et de nommer les problèmes. Le manque de professionnels n'est pas anodin. Il est également notoire que les pédocriminels s'orientent vers des milieux où ils peuvent trouver des victimes facilement, ce que les chiffres confirment. À ce titre, le rapport de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) révèle l'importance des progrès nécessaires en la matière. Le docteur Céline Greco l'a par ailleurs très bien exprimé la semaine dernière lors de son audition par la commission d'enquête : les conséquences de ce type de violences sont désastreuses. Il est inacceptable qu'en 2024, dans notre pays, 160 000 enfants soient encore victimes de violences sexuelles chaque année.
Les besoins psychologiques ont été évoqués, notamment à travers la question des familles d'accueil, c'est-à-dire des assistants familiaux. Il est impératif de débloquer ce système qui devient un cercle vicieux et s'embourbe. Cependant, il faut veiller à ce que le cumul des emplois ne se fasse pas au détriment des enfants nécessitant un accompagnement très spécifique, en particulier sur les questions de handicap. Il est nécessaire d'adopter une approche spécifique en fonction des enfants, des besoins, des départements et des territoires, ce qui illustre toute la complexité de la protection de l'enfance.
Théoriquement, pour atteindre les derniers échelons des besoins, il faut d'abord s'assurer que les premiers sont bien en place, ce qui n'est malheureusement pas le cas actuellement. Si nous parvenons à atteindre ce que l'on appelle le plein potentiel, nous devons alors répondre au besoin de réalisation. Les chiffres actuels montrent que 30 % des jeunes, à la sortie des dispositifs, retournent dans des situations à risque. L'absence de contrat jeune majeur, qui est en réalité un abus de langage puisqu'il s'agit d'un accueil provisoire jeune majeur, est également problématique. Cette absence induit souvent la mise à la rue, ce qui n'est pas la meilleure solution en sortie de dispositif. Certains jeunes sacrifient leur sécurité et leur bien-être en retournant dans leur famille, alors qu'ils avaient été placés en raison de situations délétères et de maltraitance.