J'aimerais compléter les propos tenus concernant l'atmosphère dans laquelle vivent les enfants accueillis en foyer. Ayant grandi en famille d'accueil, j'ai eu la chance de ne pas connaître cette expérience. J'ai ainsi bénéficié d'un environnement familial qui répond à un besoin de normalité. En famille d'accueil, le développement individuel et personnel de l'enfant est favorisé, contrairement au foyer. J'ai visité un foyer dans lequel j'ai rencontré des enfants âgés de 6 à 12 ans. J'y ai passé deux heures, durant lesquelles nous avons partagé un repas et joué ensemble. Je vous assure que l'environnement à l'intérieur du foyer (disposition des tables, des lits, organisation des repas et activités, etc. ) y est violent. Après ces deux heures, j'ai réalisé que je préférerais vivre n'importe où ailleurs que dans un foyer. Je me suis interrogé sur le quotidien de ces jeunes qui vivent là-bas à temps complet. Récemment encore, nous avons travaillé sur un projet dans un foyer accueillant des enfants de 3 à 11 ans. L'objectif était d'imaginer l'environnement et la vie de famille idéaux pour ces enfants. Nous leur avons posé des questions à travers la réalisation de dessins et de jeux. L'un des dessins, qui m'a particulièrement surpris, représentait une maison faite d'une multitude de bonbons très colorés. Lorsque nous avons demandé à l'enfant pourquoi elle avait dessiné cela, elle nous a expliqué que, lorsqu'elle rentrait chez elle, une de ses amies lui avait demandé « Pourquoi y a-t-il tant de gens qui entrent chez toi ? ». Pour elle, c'était une source de malaise, car elle ne savait pas comment expliquer cette situation. Selon moi, le système des foyers, aussi modernes soient-ils, pose problème. En effet, de nombreuses personnes y vivent, chacune avec ses traumatismes et son histoire, sans qu'il y ait de place pour l'individu en tant que tel. Ce système engendre beaucoup de violence. En Italie, par exemple, il n'existe pas de système de foyers, mais un système communautaire. Récemment, à Paris, j'ai participé en tant que jury à la création de différentes communautés de trois à quatre personnes vivant ensemble dans une maison ou un appartement, accompagnées par des professionnels médico-sociaux et éducatifs. Ce modèle me semble très pertinent, car il prend en compte la personne dans son individualité.
En France, cependant, la réflexion à long terme fait défaut. À 18 ou 21 ans, l'accompagnement cesse. Actuellement, les sorties s'avèrent catastrophiques : les jeunes se retrouvent brutalement sans logement, sans argent, sans emploi, sans nourriture et dans des situations administratives non régularisées. À mon avis, la protection de l'enfance accuse un retard par rapport à des problématiques qui existent depuis longtemps. Certaines personnes dénoncent les mêmes défaillances depuis déjà des décennies.
Je m'interroge aujourd'hui sur la responsabilité de la protection de l'enfance. Qui doit en assurer la réorganisation ? Qui doit combler le retard accumulé et garantir un accompagnement adéquat dans le temps ? Actuellement, aucun organisme ne semble, à mes yeux, capable de remplir cette mission. J'espère qu'à l'issue de cette commission d'enquête, des clarifications seront apportées et des mesures mises en place pour induire un changement positif et porteur d'espoir. Depuis l'annonce de la tenue de cette commission, nous avons rencontré de nombreux responsables politiques et échangé entre nous. Nous attendons beaucoup des conclusions qu'elle pourrait formuler pour conduire vers des changements substantiels. Les travailleurs sociaux, en particulier, sont en grande difficulté, submergés par un grand nombre de jeunes à prendre en charge, avec des ressources limitées et un temps insuffisant pour se concentrer sur des solutions efficaces. Cette situation est intenable pour eux et a des répercussions sur les jeunes qu'ils accompagnent, ainsi que sur leur propre bien-être.