La réunion

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La séance est ouverte à 15 heures 05.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

La Commission entend une communication sur le contrôle parlementaire de l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie (MM. Sacha Houlié et Davy Rimane, rapporteurs)

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Lundi dernier à vingt heures, l'état d'urgence qui avait été déclaré en Conseil des ministres, le 15 mai, en Nouvelle-Calédonie a été levé. Pendant douze jours – marqués par la mort tragique de sept personnes, les blessures de centaines de membres des forces de l'ordre et des dégâts considérables –, nos concitoyens néo-calédoniens ont vécu sous un régime d'exception, qui n'avait été instauré qu'à six reprises sous la Ve République.

La déclaration de l'état d'urgence a permis au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et aux forces de l'ordre de disposer des outils supplémentaires qu'offre la loi du 3 avril 1955. L'ordre a pu être rétabli dans la majeure partie de l'archipel, même si des opérations se poursuivent ; le contexte reste fragile.

Une mission a été installée pour renouer le dialogue ; je salue la compétence de ses membres : celle de M. Thiers en matière institutionnelle, celle de M. Potier concernant les inégalités économiques et sociales, et celle de M. Bastille s'agissant du contexte local.

Compte tenu des engagements pris par le Président de la République, de la création de cette mission et des renforts d'unités de maintien de l'ordre acheminés sur place, l'exécutif n'a pas jugé nécessaire de prolonger l'état d'urgence. Il nous appartient d'apprécier comment ce dernier a été appliqué.

Conformément à l'article 4-1 de la loi de 1955, l'Assemblée nationale et le Sénat ont été informés par le Gouvernement des mesures et administratives et réglementaires prises dans ce cadre. Des communications régulières ont été organisées entre le ministère de l'Intérieur et des outre-mer et la commission des Lois. Tous ces éléments ont été transmis au co-rapporteur Davy Rimane, dès sa nomination le 21 mai par notre Commission.

Certains actes administratifs ne nous ont toutefois pas été communiqués. C'est notamment le cas du vecteur juridique ayant permis le blocage du réseau social TikTok, car il n'a pas été pris sur le fondement de l'état d'urgence mais sur celui de la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles.

Voici le bilan que je tire de ces éléments.

Le Gouvernement disposait d'une palette de treize mesures administratives, dont cinq avaient été introduites par nos prédécesseurs en 2015 et 2016. Certaines n'ont pas été employées : la possibilité de placer sous surveillance électronique mobile des personnes assignées à résidence ; la dissolution d'associations ; la fermeture provisoire de salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion ; l'interdiction de réunion en dehors de la voie publique ; les contrôles d'identité et la fouille des véhicules ; la possibilité d'ordonner la remise des armes.

S'agissant des armes, des arrêtés d'interdiction du port, du transport et de l'utilisation d'armes à feu et de munitions ont été pris par le haut-commissaire en dehors du cadre de l'état d'urgence.

On peut s'interroger sur les raisons pour lesquelles certaines dispositions de la loi de 1955 n'ont pas été utilisées. Est-ce parce qu'elles proviennent d'amendements parlementaires, dont l'administration n'aurait pas eu le temps d'anticiper la faisabilité ? Est-ce parce qu'elles sont inapplicables ou inutiles ? Nous avons soumis ces interrogations au ministère de l'Intérieur.

D'autres mesures prévues par la loi de 1955 ont été employées : l'interdiction de circuler pour les personnes et les véhicules – c'est-à-dire le couvre-feu – et l'interdiction des cortèges sur tout le territoire de la Nouvelle-Calédonie.

La priorité a été donnée aux assignations à résidence. Vingt-neuf arrêtés d'assignation ont été pris, surtout dans les premiers jours – preuve que la plus-value opérationnelle de l'état d'urgence décroît avec le temps : dix-sept l'ont été entre le 15 et le 17 mai, douze entre le 18 et le 20 mai, et plus aucun ne l'a été après le 21 mai. Le ciblage a donc été pertinent.

Contrairement aux perquisitions administratives ordonnées par le haut-commissaire, les assignations à résidence ont toutes été signées par le ministre, et complétées par une mesure d'interdiction de séjour. Elles visaient à restreindre la liberté de circulation des intéressés et à limiter leur capacité d'entrer en relation avec des tiers pour organiser les désordres. Plusieurs arrêtés ont été modifiés pour corriger des erreurs matérielles – date de naissance erronée, changement d'adresse… Au total, seuls vingt et un des vingt-neuf arrêtés d'assignation ont pu être notifiés ; les autres n'ont pas été appliqués et sont tombés avec la fin de l'état d'urgence.

Parmi les personnes visées, vingt-cinq sont des membres – parfois à très haut niveau – de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), branche dissidente ou armée, je ne saurais dire, issue de l'Union calédonienne (UC). On y trouve un leader et un des principaux responsables de la cellule, un de ses initiateurs et un responsable de la communication. Les quatre autres ont participé à plusieurs rassemblements de la CCAT ou, plus récemment, à des barrages organisés par cette dernière.

Les arrêtés d'assignation à résidence font état de comportements violents réguliers – des violences sur conjoint dans un cas – et de participation à des exactions violentes – barricades, entraves à la circulation, incitations à la haine, blocages, notamment du secteur minier, menaces, y compris à l'encontre d'un parlementaire et de la présidente d'une province, détention d'objets dangereux lors de rassemblements – s'étant produits soit dans les mois précédant les troubles récents, soit depuis leur déclenchement. Certaines personnes visées avaient déjà été condamnées pour des actions violentes.

Plusieurs arrêtés ont appelé notre attention. L'un, qui concerne un responsable de la CCAT, ne mentionne pas de participation aux troubles récents mais évoque une action violente plus ancienne. Un autre vise un militant qui n'a pas participé à des actions antérieures mais qui s'est montré agressif lors d'exactions commises sur un barrage organisé par la CCAT ; il a fouillé les véhicules de nombreux automobilistes et leur a confisqué des armes.

Les arrêtés les plus récents concernent, pour certains, des individus qui relayent des opinions radicales ou des appels à des manifestations indépendantistes violentes. Ils visent en particulier : un proche du responsable de la communication de la CCAT, administrateur d'une page Facebook exprimant des propos virulents et promouvant les actions de la CCAT ; un responsable de la cellule juridique de la CCAT, assurant un rôle de conseil dans les affaires pénales engagées contre les militants ; un porte-parole du groupement Fédération pays ; un militant du Collectif pour la liberté du peuple kanak (CLPK) ; un membre radical des jeunes indépendantistes.

Trente-trois ordres de perquisition administrative (OPA) ont été communiqués à l'Assemblée, visant autant de lieux et vingt-huit individus. Ceux-ci sont essentiellement des membres de la CCAT, à l'exception d'un leader indépendantiste – qui participe toutefois régulièrement aux opérations de la cellule – et d'un individu qui a encouragé des manifestations contre le pacte nickel, communique de manière agressive, a participé à des rassemblements violents et a menacé un parlementaire. La très grande majorité de ces personnes a été à l'origine d'actions violentes et de troubles à l'ordre public ces derniers mois.

Quelques cas particuliers sont à signaler.

Trois OPA visent le dirigeant du CLPK pour sa participation à des actions violentes depuis le 13 mai et pour sa très forte influence, notamment sur internet.

Trois autres visent un individu proche du leader de la CCAT, membre de la frange kanak radicale et du parti indépendantiste UC, au profil particulièrement violent, adepte de la projection d'engins détonants et capable de mobiliser de nombreux individus.

Un OPA vise un des responsables de la CCAT ayant participé, il y a plusieurs mois, à une manifestation durant laquelle cinq gendarmes ont été blessés. Il a pris part à de nombreuses exactions violentes avec installation de barrages, caillassage des forces de l'ordre, utilisation d'une barre métallique et dissimulation du visage.

Un OPA vise un des leaders de la CCAT, dont les propos ambigus sur l'utilisation de la violence sont spécifiquement mentionnés.

Sur la base des trente-trois OPA signés, vingt perquisitions ont été effectuées et dix-sept saisies ont été réalisées, dont quinze portaient sur des supports numériques.

En dépit des violences qui ont entraîné la fermeture physique du tribunal administratif de Nouméa pendant plusieurs jours, les audiences ont pu se tenir grâce à la dématérialisation des procédures et aux outils de visioconférence. Quinze ordonnances ont été rendues par le juge des référés pour autoriser l'exploitation des supports numériques saisis lors des perquisitions.

Si, de façon inattendue, le tribunal administratif de Nouméa n'a été saisi d'aucun recours contre les actes de police administrative individuels pris dans le cadre de l'état d'urgence, la justice judiciaire a poursuivi toutes les infractions commises durant cette période. Le procureur de Nouméa a été informé du déclenchement de toutes les perquisitions administratives, obligatoirement conduites en présence d'un officier de police judiciaire, seul habilité à constater les éventuelles infractions et à procéder aux saisies en vue de poursuites judiciaires.

Le seul contentieux dont le Conseil d'État a été saisi a trait au blocage du réseau social TikTok – blocage sollicité par le Premier ministre et le président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, sur le fondement non pas de l'état d'urgence, mais de la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles, comme nous l'a indiqué en audition le ministre de l'Intérieur. Nous estimons qu'en retenant l'absence d'éléments démontrant des conséquences immédiates et concrètes pour la situation ou les intérêts des requérants – c'est-à-dire l'absence d'éléments justifiant de l'urgence à le saisir –, le juge des référés a rejeté assez commodément la demande de suspension du blocage. Il est en effet certain que ni la loi de 1955, ni les autres lois en vigueur ne sauraient fonder un tel blocage.

Bien que nous ayons disposé d'un temps très court pour analyser ce bilan, nous pouvons d'ores et déjà affirmer que les mesures prises étaient strictement nécessaires : la gravité des troubles à l'ordre public justifiait l'état d'urgence. Par nature, un tel régime d'exception permet de prendre des mesures gravement dérogatoires aux libertés individuelles, devant être strictement proportionnées. Celles-ci auraient probablement pu être mieux délimitées, puisque seule une partie des assignations à résidence ont été notifiées, et que tous les OPA n'ont pas été suivis d'effet. Le Parlement ne peut que saluer la fin de l'état d'urgence et le retour au droit commun. La tranquillité et l'ordre publics se rétablissent progressivement dans l'archipel. Les importants renforts de forces de l'ordre devraient permettre à l'État de se dispenser de nouvelles mesures administratives exceptionnelles.

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J'apporterai certaines nuances aux propos du président.

Les personnes qui ont été visées par des mesures administratives sont exclusivement des indépendantistes kanak : c'est invraisemblable. J'y vois une posture partisane. S'il s'agissait de rétablir l'ordre, il fallait viser toutes les personnes susceptibles de participer aux troubles. Les décès officiellement recensés – deux gendarmes et cinq Kanak –, sont en majorité le fait de civils. Il aurait donc fallu désarmer les milices dites d'autodéfense, conformément à l'article 9 de la loi de 1955, sans se contenter de proscrire le transport d'armes à feu. Nous avons vu les milices marcher aux côtés des gendarmes dans les rues de Nouméa !

Je suis choqué par le ciblage qui a été opéré d'emblée. Que certains indépendantistes kanak puissent être qualifiés de radicaux, dont acte – même si cette qualification est subjective. Mais les indépendantistes n'ont pas l'apanage de la radicalité : la preuve en est que des civils ont tué des Kanak. Avant même les événements qui ont conduit à l'état d'urgence, des élus non indépendantistes ont affirmé que si le projet de loi constitutionnelle n'était pas voté, ils sèmeraient le désordre dans l'île. Je suis effaré qu'aucune mesure n'ait visé des non-indépendantistes.

Si nos concitoyens renoncent à faire des recours, c'est parce qu'ils savent pertinemment que l'on donne toujours raison à l'autorité administrative : les assignations à résidence n'ont pas besoin d'être justifiées par des faits liés aux troubles, les notes blanches du ministère de l'Intérieur suffisent.

Sans l'état d'urgence, aurait-on pu envoyer des forces de l'ordre en aussi grand nombre dans l'île ? La réponse est oui. L'état d'urgence a-t-il permis de rétablir la paix ? On peut en douter, car les difficultés perdurent. Je le répète, nous aurions dû actionner l'article 9 de la loi de 1955 auprès de l'ensemble de la population, afin de limiter la circulation d'armes et de faire baisser la tension. Seuls les indépendantistes ont été ciblés, ce qui témoigne d'une posture délibérée du Gouvernement. Il revient aux parlementaires de le dénoncer.

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Nous pouvons nous réjouir que l'état d'urgence ait été levé ; c'est la preuve qu'il existe d'autres moyens de rétablir la paix civile. Je partage les interrogations des rapporteurs. D'autres dispositifs juridiques auraient-ils pu être employés ? Les mesures étaient-elles proportionnées ? Les perquisitions administratives ont-elles permis de saisir des armes en grand nombre ? Les assignations à résidence ont-elles empêché la commission d'actes illégaux ?

Force est de constater que ces mesures ont avant tout visé des indépendantistes, stigmatisation qui n'est pas de nature à rétablir le calme. A-t-il été envisagé de faire des perquisitions chez des loyalistes détenteurs d'armes, susceptibles de commettre des violences ?

Selon certaines rumeurs, enfin, le nombre officiel de victimes serait sous-estimé. Qu'en est-il ?

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Vous avez présenté la CCAT comme une branche armée de l'UC, monsieur le Président : le ton est donné. Pour rappel, le Président de la République a reçu un représentant de cette « branche armée » durant les quelques heures qu'il a passées dans l'archipel, preuve qu'il juge cette organisation suffisamment légitime et représentative. Auparavant, il est vrai, de nombreux membres du Gouvernement et de la majorité avaient caricaturé et diffamé ce collectif dans les médias. Je déplore que votre communication entretienne cette stigmatisation.

Était-il opportun d'employer des moyens aussi exorbitants, alors que la situation était parfaitement prévisible ? Des mobilisations de protestation, démocratiques et légitimes, avaient cours depuis plusieurs mois. Plusieurs semaines avant l'examen du projet de loi constitutionnelle, tous les interlocuteurs, y compris institutionnels – dont le haut-commissaire et le représentant des forces armées – nous ont alertés sur l'apparition de tensions et ont fait part de leurs craintes. Quelles mesures ont été prises – ou ne l'ont pas été – de façon anticipée par les services de police et de justice ?

Enfin, je déplore l'absence d'éléments relatifs aux milices armées ayant commis des crimes.

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L'exercice auquel nous nous livrons est délicat, car il est circonscrit à une période de douze jours. Nous ne parlons ni d'avant, ni d'après, alors que la situation fait l'objet d'un traitement politique et institutionnel de long terme.

Vous estimez que les dispositions prises étaient nécessaires et proportionnées. Mais ont-elles été efficaces ? Qu'ont donné les perquisitions administratives ? Le Gouvernement a visé certaines cibles : cela a-t-il contribué à rétablir la sécurité publique et à contenir la violence ?

Qu'en est-il des procédures judiciaires consécutives aux sept décès par arme à feu ?

Aurait-il fallu appliquer d'autres dispositions de la loi de 1955 ? Pourquoi ne l'a-t-on pas fait ? La question se pose d'autant plus que certaines de ces mesures proviennent d'amendements parlementaires.

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Je souhaite réagir à certains propos. Si des mesures exceptionnelles n'avaient pas été prises, le calme – encore précaire – ne serait pas revenu. Étant en contact quotidien avec des membres de ma famille sur place, je vous assure que l'inquiétude était forte et que l'état d'urgence était réclamé par les habitants.

Il y a 100 000 armes en circulation en Nouvelle-Calédonie, pour 270 000 habitants. Je comprends la volonté de limiter leur nombre, mais le phénomène n'aurait pas été éradiqué en dix jours.

Par ailleurs, je considère que le terme de milices est impropre. Je ne cautionne évidemment pas les décès par balle ; néanmoins, heureusement que des comités de vigilance étaient là pour protéger certains quartiers, notamment dans le grand Nouméa, où les habitants ont été saisis de terreur – cela a moins été le cas en brousse. Il ne faut pas généraliser. L'inquiétude était partagée par toutes les communautés de Nouvelle-Calédonie.

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Nous mesurons les limites du contrôle parlementaire. Comme mes collègues, je m'interroge sur le nombre de personnes tuées. M. Rimane a évoqué un nombre de morts officiels, sous-entendant qu'il y en avait d'autres. M. Christian Karembeu annonçait, il y a quelques jours, deux morts dans sa famille ; il évoquait des snipers. C'est bien plus grave que l'autodéfense qui vient d'être évoquée par Mme Luquet.

Dans des situations comme celle-ci, où l'émotion et les interrogations sont fortes, les parlementaires devraient avoir accès aux informations qui leur permettent d'exercer un contrôle effectif sur le Gouvernement. La commission des Lois peut-elle avoir accès aux notes blanches du ministère de l'intérieur ? A-t-elle consulté la Défenseure des droits et la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) ? Ne serait-il pas opportun de lui attribuer les prérogatives des commissions d'enquête, comme le prévoit, à titre facultatif, l'article 5 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ? Enfin, ne serait-il pas envisageable de renforcer ses prérogatives en lui permettant de saisir le juge administratif sans condition d'urgence ? Je pense au cas de TikTok.

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La fin de l'état d'urgence ne signifie pas le retour à la normale : certaines mesures d'exception sont maintenues, le retour au calme est relatif et fragile, les tensions persistent. Le voyage présidentiel, bien que nécessaire, n'a pas mis un terme définitif à la situation ni créé une perspective suffisamment solide.

Outre les 500 interpellations et les mesures de confinement, nous sommes marqués par les sept morts, dont celles de deux gendarmes. C'est beaucoup, d'autant que se pose la question des morts indirectes ; d'après les informations que nous avons reçues, tout n'a pas été dit officiellement. Nous verrons ce qu'il en est. Nous apportons notre soutien aux familles de toutes les victimes.

La situation est complexe. De même qu'il y a des manifestants et des émeutiers, il y a des comités de vigilance, mais aussi des civils et des milices armées, lesquelles ne font pas que de l'autodéfense. Les bandes armées sont des deux côtés. C'est un facteur important des tensions intercommunautaires, dont l'élément le plus frappant a été le double meurtre de sang-froid de deux personnes, dont la nièce de Christian Karembeu. La différence entre les groupes de vigilance et les milices armées a-t-elle été établie, y compris du point de vue des effectifs ? Quelles sont les mesures déployées pour endiguer cette dérive ?

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Est-il envisageable qu'il y ait eu plus de sept morts ? J'ai vu circuler des informations, non confirmées, mentionnant des personnes disparues : avez-vous des informations sur ce point, ainsi que sur des personnes qui auraient été transférées vers l'Hexagone ?

Les mesures prises lors de l'état d'urgence ont-elles été utilisées pour opérer des saisies et des contrôles chez les milices armées, qui sont responsables de quatre de ces morts ? L'une des priorités de l'état d'urgence aurait dû être de les empêcher de tuer.

Enfin, comment a été perçue, sur place, l'utilisation de l'état d'urgence ? N'a-t-il pas renforcé le sentiment critique des indépendantistes vis-à-vis de l'État français ? D'autres mesures de retour au calme n'auraient-elles pas été plus simples et moins coûteuses, comme le retrait du texte ?

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C'est une conclusion politicienne, à laquelle je ne répondrai pas.

Pour répondre à M. Delaporte, au moment où les troubles se sont déclenchés, la Nouvelle-Calédonie était déjà le territoire le plus couvert par les forces de l'ordre, avec 1 700 policiers et gendarmes. Compte tenu de l'éloignement de l'Hexagone, il était difficile d'envoyer d'autres renforts que ceux qui étaient déjà sur place ; c'est ce qui a été fait en matière sanitaire, avec des renforts venus de Polynésie française. Il était matériellement impossible de se passer de l'état d'urgence pour rétablir l'ordre dans un contexte de troubles armés – légitimes ou non, c'est une question politique. La confiscation des armes en circulation en Nouvelle-Calédonie, bien que permise par l'état d'urgence, était irréaliste : l'État a donc pris le parti de cibler les personnes à l'origine des troubles, c'est-à-dire la CCAT. Elle était à l'initiative de la phase 2,5 qui a mobilisé l'opposition contre la réforme institutionnelle par des troubles graves à l'ordre public.

Était-il possible de recourir à d'autres mesures que l'état d'urgence, immédiatement après le déclenchement des troubles ? Je pense que non. Toutes les mesures prises ont-elles été utiles ? La réponse est non, puisque certaines mesures administratives n'ont pas été appliquées. A-t-il été fait un usage nécessaire et proportionné de ces mesures ? La réponse est oui : le nombre d'arrêtés – trois mesures réglementaires à portée générale et moins de soixante mesures individuelles – indique un calibrage de la part de l'État. Ont-elles visé en priorité les indépendantistes ? Oui, car la phase 2,5 a été déclenchée par une partie – pas tous – des indépendantistes proches de la CCAT, et c'était la volonté de l'État que de cibler sur ces personnes les arrêtés d'assignation à résidence et les perquisitions administratives.

La CCAT est bien une branche armée : elle revendique un contexte insurrectionnel, c'est-à-dire une phase de la contestation politique qui l'a conduite à prendre les armes. Son représentant, M. Tein, a-t-il été reçu par le Président de la République ? Oui. Fallait-il le faire ? C'était au Président de la République, qui a souhaité réunir tous les acteurs, d'en décider. En tout état de cause, plusieurs personnes ayant fait l'objet de mesures d'assignation à résidence avaient commis des délits de droit commun parfois extrêmement graves – des assassinats – et, même si leur casier judiciaire remontait dans certains cas à vingt ans, un faisceau d'indices concourait à laisser penser qu'ils étaient dangereux, mobilisés et qu'ils allaient passer à l'acte.

Les procédures administratives – réquisitions d'ordinateurs – et judiciaires suivent leur cours. Sept morts sont officiellement recensées ; pour le reste, nous n'avons pas de chiffres. Les faits seront traités par la justice judiciaire, qui continue de fonctionner de façon courante.

Les raisons pour lesquelles l'état d'urgence n'a pas permis de désarmer tout le monde sont évidentes. Les revendications de certains groupes ont largement excédé la tolérance existant dans le droit commun en matière d'usage des armes et de protection des biens et des personnes, du fait de la peur provoquée par le contexte insurrectionnel. Le couvre-feu a également été décrété, lequel a permis de rétablir en partie l'ordre public en interdisant à toute personne de circuler entre dix-huit heures et six heures du matin ; je suis bien conscient qu'il s'agit d'un decrescendo, et non d'un retour à la normale.

Nous n'avons pas consulté la Défenseure des droits, qui sera auditionnée le 26 juin par notre Commission, ni la CNCDH, car le contrôle portait uniquement sur le caractère justifié et nécessaire des mesures administratives prises dans le cadre de l'état d'urgence. Pour ce qui est du Conseil d'État, bien que le rapporteur ait indiqué que les personnes ayant fait l'objet de mesures individuelles avaient tiré les conséquences du fait que la jurisprudence administrative rejetait systématiquement les recours, les personnes incriminées ont eu la possibilité de contester les décisions prises ; en témoigne la contestation du blocage de TikTok.

Pour répondre à M. Acquaviva, d'après ce que les locaux ont publié sur les réseaux sociaux – je ne tiens pas ces informations du ministère de l'Intérieur –, il est évident que tout le monde, indépendantistes comme loyalistes, a gravement enfreint les règles dans une logique d'escalade intolérable. Je ne saurais juger les excès commis, mais toutes les infractions de droit commun ont vocation à être sanctionnées par les tribunaux.

Aucune personne n'a été transférée dans l'Hexagone car l'aéroport était fermé. Il n'a servi qu'à la réception de marchandises, à l'accueil de la délégation du Président de la République et au rapatriement de quelques personnes – forces de l'ordre, équipes sanitaires et parlementaires. Il doit rouvrir dans les prochains jours.

Je ne crois pas que l'état d'urgence ait eu une incidence particulière sur la perception de l'État sur place. Il n'a pas créé de contexte politique nouveau, puisque l'État était déjà dans une logique de discussion avec les différentes parties. Tel est le retour qui nous a été fait.

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La situation est complexe à tous les niveaux. Je comprends que les actes administratifs aient ciblé en priorité l'organisation qui avait mobilisé ses partisans pour dénoncer la situation ; cependant, quand, à l'issue de cette mobilisation, des drames sont survenus, des mesures auraient dû être prises contre les deux côtés. Je rappelle que des élus des deux camps avaient annoncé des troubles. Je comprends que l'on veuille protéger sa famille et ses biens en cas de danger et je ne suis pas opposé à l'autodéfense. Pourtant, j'ai été choqué de voir des civils armés faire le tour des quartiers en 4x4 et s'afficher aux côtés des gendarmes.

La volonté de retour au calme et à la paix implique l'objectivité : quand des exactions sont commises, on ne peut pas appeler à la mesure d'un côté et à la fermeté de l'autre. C'est pourtant le discours dangereux qu'ont tenu certaines personnes détenant une autorité administrative ou politique. En tant que parlementaires, nous devons veiller à ce que l'équité soit respectée à tous les niveaux.

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Je partage le constat que la Nouvelle-Calédonie est très armée, comme la Guyane – pas seulement dans l'orpaillage. D'où viennent ces armes ? N'y a-t-il pas là une ingérence de la part de pays étrangers, proches ou lointains ?

Mme Obono a posé une bonne question : comment se fait-il que l'on n'ait pas anticipé les risques ? J'irai plus loin. Soit les services de renseignement ont fait leur travail, auquel cas je ne veux pas croire que le pouvoir actuel ait sciemment fermé les yeux pour créer des désordres, soit il n'y a pas eu de renseignement. Nos services de renseignement sont-ils encore au niveau ? Il y a quelques années, nos deux services de renseignement interne, les renseignements généraux et la direction de la surveillance du territoire (DST), étaient admirés par tous les services de renseignement du monde. Est-ce encore le cas du renseignement territorial qui leur a succédé ?

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La communication des deux co-rapporteurs marque la fin du contrôle parlementaire de l'état d'urgence. De nombreuses questions restent sans réponse ; on ne sait pas, par exemple, ce qui a été saisi grâce aux perquisitions. Cela ne mérite-t-il pas une nouvelle audition du ministre de l'Intérieur ? Qu'en est-il de la suite du contrôle parlementaire ?

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Je soutiens la demande de M. Delaporte. Je n'ai pas obtenu de réponse à ma question concernant la possibilité d'accéder aux notes blanches du ministère de l'Intérieur ni à celle au sujet de l'opportunité de renforcer nos prérogatives, y compris en matière de saisine du juge administratif.

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Sans mobiliser des services de renseignement internes à La France insoumise, mais simplement en discutant avec les personnes sur place, il était évident que cela ne pouvait que mal se passer, comme l'ont constaté mes collègues Danièle Obono et Bastien Lachaud, qui se sont rendus en Nouvelle-Calédonie avant l'examen du texte. J'en viens à me demander si la décision d'avancer n'était pas un choix politique pris en dépit de renseignements fiables, qui auraient peut-être sous-estimé l'ampleur de la révolte.

Un assouplissement du port d'armes a été adopté en 2011 par le gouvernement loyaliste. Ne faudrait-il pas évaluer les effets de cette modification sur le nombre d'armes en circulation ? La commission des Lois pourrait lancer une mission.

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À ceux qui se demandent d'où viennent les armes, notre collègue Léaument vient d'apporter une partie de la réponse. Au lendemain des événements de 1984, la vente et la circulation d'armes étaient interdites sur l'île. C'est le Gouvernement calédonien qui les a autorisées dans les années 2000. Comme je le dis souvent, il n'est pas nécessaire d'aller chercher les racines de certains problèmes ailleurs que chez nous ; nul besoin d'ingérence de pays étrangers.

Pour répondre à Mme Regol, je me demande s'il ne faudrait pas revoir entièrement la loi de 1955 sur l'état d'urgence, dont plusieurs dispositifs, prévus pour être employés dans des circonstances exceptionnelles, sont désormais utilisés de manière cyclique. Inscrire ces dispositifs ailleurs permettrait de clarifier les choses.

Je suis également favorable à l'extension des pouvoirs de la commission des Lois, qui doit disposer des mêmes prérogatives qu'une commission d'enquête. Sept morts, c'est sept morts de trop. Comment en sommes-nous arrivés là ? Nous devons savoir ce qui n'a pas fonctionné. J'ai posé des questions à différents interlocuteurs du ministère de l'Intérieur, sans obtenir de réponse. Il faudra, au moment opportun, une véritable enquête parlementaire.

Enfin, nous n'avons pas d'éléments concrets concernant le nombre de morts. Nous nous sommes rapprochés de plusieurs avocats sur l'île : certaines familles ont signalé des disparitions, mais nous ne savons toujours pas si ces personnes sont décédées.

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Il ne me semble pas avoir voté une disposition attribuant à l'État la compétence en matière de port d'arme. Quant à revoir les compétences locales de la Nouvelle-Calédonie, cela ne me semble pas être l'idée du siècle dans le contexte actuel.

Les services de renseignement ne nous transmettent pas leurs notes blanches, pas même à la délégation parlementaire au renseignement (DPR). Il est fait état d'informations, mais je n'ai jamais entendu parler de la transmission de notes blanches. De même, le Parlement ne dispose jamais, par le biais de sa présidente ou des délégués des présidents de commission, d'une possibilité de saisine directe, en qualité de personne morale, du juge administratif dans ce type de procédure. Pour le reste, au-delà d'éventuelles missions ou commissions d'enquête, il faut absolument prévoir une audition du ministre de l'Intérieur et des outre-mer par notre Commission et aussi par le comité de liaison parlementaire où nous siégeons tous les deux, le rapporteur et moi-même. Après le retour des trois médiateurs envoyés sur place par le Président de la République, nous pourrons avoir ce débat au moins au niveau du groupe de liaison.

D'ores-et-déjà, nous vous proposons d'autoriser la publication, sous la forme d'un rapport d'information, de la présente communication et des éléments statistiques recueillis par notre Commission à l'occasion de son contrôle de l'application de l'état d'urgence.

La commission autorise la publication de la communication sous la forme d'un rapport d'information.

La séance est levée à 16 heures 05.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Félix Acquaviva, M. Sacha Houlié, M. Antoine Léaument, Mme Aude Luquet, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Philippe Pradal, M. Stéphane Rambaud, Mme Sandra Regol, M. Davy Rimane

Excusés. - M. Romain Baubry, M. Karim Ben Cheikh, M. Xavier Breton, M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, Mme Raquel Garrido, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, Mme Amélia Lakrafi, M. Sylvain Maillard, M. Laurent Marcangeli, M. Olivier Marleix, Mme Naïma Moutchou, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Rémy Rebeyrotte, M. Jean Terlier, M. Jiovanny William

Assistaient également à la réunion. - M. Mickaël Bouloux, M. Arthur Delaporte