La réunion commence à vingt et une heures cinq.
La commission spéciale auditionne, lors d'une table ronde sur les enjeux éthiques, le Dr François Blot, président du comité d'éthique de l'Institut Gustave Roussy, Mme Valérie Depadt, maître de conférences en droit privé, conseillère de l'Espace éthique Île-de-France, le Dr Véronique Fournier, fondatrice du centre d'éthique clinique de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), M. Fabrice Gzil, professeur associé de philosophie et d'éthique (Université Paris-Saclay), co-directeur de l'Espace éthique Île-de-France, et M. Emmanuel Hirsch, professeur des universités émérite d'éthique médicale (Université Paris-Saclay).
Nous remercions nos intervenants, qui ont accepté notre invitation à participer à cette table ronde autour des enjeux éthiques de l'accompagnement des malades et de la fin de vie.
Mes positions actuelles sont forgées à partir de mon expérience de médecin de terrain, et j'aimerais vous faire part de trois éléments qui les fondent.
Le premier élément fondamental est que la mort n'appartient pas à la société, mais à chacun. Le droit de chacun à la mort qu'il souhaite doit être respecté. La plupart de nos concitoyens souhaitent une mort qui leur ressemble, une mort qui boucle la vie selon leurs convictions. C'est la raison pour laquelle il convient d'être extrêmement tolérant face à ces demandes de mort très différentes qui s'expriment.
Deuxième élément, je suis frappée par l'inégalité d'accès à cette mort qui nous ressemble. Certains sont otages de pressions ou de positions imposées, quand d'autres, au contraire, disposent d'opportunités de réseaux et bénéficient d'un accès à la mort qu'ils souhaitent.
Enfin, troisième élément, le métier de soignant, et en particulier celui de médecin, est porté par le souci de l'autre, par la sollicitude qu'on lui doit. Les soignants sont au service des patients, et non de leurs convictions.
Je salue l'ouverture d'un accès à l'aide active à mourir porté par le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui. Cette ouverture va dans le sens de la tolérance que j'ai évoquée. Cependant, les conditions d'accès à ce nouveau droit sont inégales. S'il bénéficiera essentiellement aux patients atteints d'un cancer et proches du stade terminal, il va laisser de côté de nombreuses personnes. Je pense à cet homme que j'ai récemment rencontré et qui, privé de l'usage de ses membres, dépendant d'une respiration artificielle et incapable de se nourrir seul depuis un an, souhaite accéder à une mort aidée. La loi ne le lui permettra pas, comme elle ne permettra pas à une personne atteinte de la maladie de Charcot de bénéficier de ce droit. Je pense également aux personnes qui vont mourir au bout de la grande vieillesse, qui ne souffrent pas de maladies graves, mais dont la qualité de vie se dégrade de manière très importante. Ces personnes condamnées à attendre que le temps passe, qui disent : je n'en peux plus. Elles le disent une fois, deux fois, trois fois, et puis comprennent que cela ne sert à rien, ou bien s'entendent répondre que demain il fera beau et qu'elles n'y penseront plus.
Ces demandes ne sont pas entendues. Or il existe un moyen simple de les faire entendre dans la loi, en supprimant la condition du pronostic vital engagé à court ou moyen terme, pour ne laisser comme seule condition que la souffrance psychique ou physique insupportable et inapaisée.
La place du médecin dans ce projet de loi me paraît insuffisante, et décrite de façon inopportune. En effet, d'une part il est désigné comme un décideur. Or la décision ne peut appartenir qu'au seul demandeur. D'autre part, le médecin n'est pas obligé de s'engager. Or, le souci de l'autre, pilier de son métier, devrait l'amener à s'engager. Le patient qui demande d'être aidé à mourir requiert sa présence et de sa sollicitude, comme il requiert celles de ses proches. Il a besoin d'être sécurisé et déculpabilisé par rapport à sa demande, il a besoin que celle-ci soit comprise.
La temporalité de la procédure m'inquiète, puisque dans l'état actuel du texte, on peut accéder à la demande d'un patient seulement à la fin du parcours. Or de nombreux patients se posent la question de l'aide à mourir au moment de l'annonce du diagnostic, et c'est à ce moment qu'ils ont besoin d'obtenir toute l'information disponible sur la procédure.
Je regrette profondément que cette loi soit présentée comme une loi comportant deux volets, l'un sur les soins d'accompagnement, l'autre sur l'aide à mourir, qui s'équilibrent mais qui sont totalement exclusifs l'un de l'autre. Selon moi, l'aide à mourir commence avec les soins d'accompagnement et va, éventuellement, jusqu'à l'aide à mourir elle-même. Opposer l'accompagnement et l'aide à mourir ne répond pas au besoin des patients d'avoir accès à ces deux éléments dans un même mouvement. De la même manière, la formation des médecins à l'accompagnement palliatif ne doit pas exclure la formation à l'aide à mourir.
Je voudrais partager mes interrogations de juriste concernant trois points relatifs à l'aide à mourir.
En premier lieu, le texte dont nous discutons n'envisage pas la prise en compte des directives anticipées dans la demande d'aide à mourir. Il en résulte que les directives qui s'imposent au médecin ne vaudront pas dans le cas où la question d'une aide active à mourir viendrait à se poser. Un médecin peut décider, au titre de l'obstination déraisonnable, de l'arrêt des traitements de maintien en vie d'un patient qui ne peut exprimer sa volonté, et d'appliquer une sédation profonde et continue jusqu'au décès. Or il est probable que des personnes indiqueront dans leurs directives anticipées souhaiter, en cas d'arrêt des traitements de maintien en vie, une euthanasie plutôt qu'une sédation profonde et continue. Dès lors, comment assurer le développement des directives anticipées sachant qu'elles ne seront pas prises en compte dans les circonstances que visent précisément ceux qui décident de les écrire, à savoir une situation dans laquelle ils ne seront plus en mesure d'exprimer leur volonté ?
La volonté peut évoluer, et les directives, valables jusqu'à leur consultation, peuvent devenir inappropriées. Mais, en ce cas, le médecin n'est pas quant à lui privé de sa liberté d'appréciation, puisque le caractère opposable des directives connaît une exception lorsqu'elles apparaissent manifestement inappropriées. Cette exception permet aux médecins de confronter la volonté prospective à la situation réelle, et d'évaluer tant que faire se peut si le patient maintiendrait les directives à l'instant de la décision, dans le contexte qui est celui de cet instant. Des directives anticipées, dès lors qu'elles n'apparaissent pas manifestement inappropriées, ne doivent-elles pas être utilisées lorsque le discernement de la personne qui exprime sa volonté d'une aide à mourir est justement altéré ?
Cette question m'amène en deuxième lieu à celle des personnes protégées. L'article 7 du projet prévoit que la personne qui fait l'objet d'une mesure de protection juridique l'indique au médecin. Selon le code civil, toute personne dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts, en raison d'une altération de ses facultés mentales ou corporelles médicalement constatée, peut bénéficier d'une mesure de protection juridique. Une mesure avec représentation, et non avec assistance, est une tutelle, une habilitation familiale de représentation ou un mandat de protection future mis à exécution. La tutelle est la plus forte des mesures de protection, et n'est mise en œuvre que s'il est établi que ni une sauvegarde de justice, ni une curatelle ne peuvent assurer une protection suffisante.
Il est donc peu probable qu'une personne protégée par une telle mesure puisse exprimer une volonté libre et éclairée, son discernement étant nécessairement altéré, voire aboli. Aussi, certaines précautions s'imposent dès lors que le médecin tient compte des observations formulées par la personne en charge de la protection, ainsi que le prévoit le projet de loi. Ne serait-il pas également logique qu'il tienne compte de la volonté par anticipation du patient ? Une nouvelle fois, les directives anticipées présenteraient une certaine utilité en venant conforter ou infirmer les observations éventuellement formulées par la personne chargée de la protection. Je rappelle qu'une application fictive de la loi dans un cas comme celui de Vincent Lambert montre que le recours à une aide au suicide serait impossible, quand bien même cette personne aurait rédigé des directives anticipées.
Enfin, en troisième lieu, les médecins font part de leur scepticisme vis-à-vis de la condition du moyen terme, car il leur paraît hasardeux de pronostiquer l'évolution de certaines pathologies. La place de cette condition au sein de l'ensemble des conditions énoncées par le projet doit être interrogée. Il revient au législateur de hiérarchiser ces conditions au regard de ce qu'il souhaite. Si ce souhait consiste à permettre à une personne atteinte d'une maladie engageant son pronostic vital et éprouvant une souffrance réfractaire de refuser de vivre le temps qu'il lui reste, comment comprendre cette condition de moyen terme, qui ne saurait être évaluée ?
Je précise d'emblée que je m'exprime ici en mon nom, et en lien avec le collectif « Pour un accompagnement soignant solidaire ». Je suis favorable à un accès à l'aide active à mourir entendu comme geste soignant et fraternel, et je maintiens ce terme, « fraternel », qui nous est largement reproché. Cette conviction est le fruit d'un cheminement qui m'a mené d'une réticence face à la légalisation de l'aide à mourir à une position aujourd'hui ouvertement favorable et même moins restrictive que le texte du projet de loi.
L'opposition à l'aide active à mourir, au-delà de la préoccupation quant à la rupture de l'interdit de tuer ou au souci de solidarité avec les plus vulnérables, relève chez de nombreux soignants d'un refus viscéral, d'une impossibilité à imaginer pratiquer ce geste. Cette position est très recevable, très humaine, et il convient de l'entendre. Or, tout est fait pour théoriser et justifier ce rejet par des arguments sociétaux, philosophiques ou psychiques.
Les partisans de l'aide active à mourir, quant à eux, mettent en avant, et par-dessus tout, la valeur de la parole de la personne, sa volonté, son libre arbitre. En un mot, le principe d'autonomie, qui est complémentaire et non opposé à ceux de bienfaisance, de non malfaisance et de justice. Privilégier une présomption d'autonomie chez la personne, surtout lorsqu'elle réitère et confirme sa demande, c'est faire confiance à l'intelligence collective pour examiner cette demande, mais pas pour décider à la place de la personne. Il ne s'agit pas d'une posture de pouvoir et de toute-puissance, mais au contraire de sollicitude humble et d'effacement respectueux face à autrui, qu'on ne cherche plus, dès lors, à protéger contre lui-même.
Il convient de réconcilier ces deux visions dans un respect mutuel, celui de la parole des personnes malades d'abord et avant tout, mais aussi celui des opposants effrayés par ce virage sociétal et, plus encore, blessés dans leurs convictions.
Le projet de loi suscite des interrogations. Les questions de critères, de délais, de collégialité et certains flous sémantiques risquent d'entraver la marge de progrès de l'aide à mourir. Le titre Ier, intitulé « renforcer les soins d'accompagnement et les droits des malades », me semble désincarné. Nous ne trouverons pas les bons remèdes sans analyser les causes profondes des réticences soignantes, certes, mais aussi les causes d'une obstination déraisonnable endémique, de l'hyper technicisation de la vie, et, bien sûr, du tabou de la mort.
Comment améliorer le sort de personnes majeures souffrant d'une maladie grave et incurable et qui, parce qu'elles éprouvent une souffrance réfractaire ou insupportable, demandent de manière lucide et réitérée une aide pour hâter la survenue de leur décès ? Non pas en premier lieu par la légalisation d'une aide à mourir, mais d'abord en leur offrant la possibilité d'accéder à des soins adaptés, et à la prise en charge de leur souffrance physique et psychique.
Beaucoup, sinon la plupart des demandes de mort disparaissent quand la souffrance est correctement prise en charge, et quand les personnes bénéficient d'une véritable écoute. De ce point de vue, le consensus fort pour développer considérablement l'offre de soins palliatifs représente un premier motif de satisfaction. Sans le développement de cette offre, il existe un risque majeur que des demandes d'aide à mourir ne résultent pas d'un choix réfléchi délibéré, mais d'une absence de prise en charge adaptée.
Autre motif de satisfaction, le cadre légal actuel répond de manière satisfaisante à la très grande majorité des situations. Les lois Kouchner, Leonetti et Claeys-Leonetti, bien qu'elles gagneraient à être mieux connues et mieux appliquées, proposent un cadre sensible et nuancé qui a considérablement fait évoluer notre approche de la fin de vie. Certes, des situations de douleurs réfractaires ou insupportables existent alors que le décès n'est pas prévisible à court terme, mais ces situations demeurent assez rares. Dès lors, est-il nécessaire de compléter le cadre légal ? Ou bien convient-il de s'abstenir de légiférer sur cette question ?
Un cadre légal ne résoudra pas toutes les difficultés, mais il présente au moins deux intérêts majeurs. Le premier est de réduire l'arbitraire des réponses faites aux demandes, c'est-à-dire de garantir une égalité de traitement des réponses, et d'établir des critères consensuels transparents. Le second est de protéger les professionnels de santé amenés à prescrire ou administrer un produit létal.
Dans quel cadre éthique et moral autoriser la prescription ou l'administration d'un produit létal ? La question du moyen terme me semble moralement importante. En effet, il existe une grande différence entre hâter la survenue d'un décès dont on sait qu'il va vraisemblablement survenir dans les prochains mois, et provoquer le décès. En outre, le projet de loi propose principalement de prescrire une substance létale, et de ne l'administrer uniquement dans des circonstances particulières. Et nous sommes tous conscients que prescrire et administrer n'engagent pas la même responsabilité morale.
Au nom de quelle valeur autoriser l'aide à mourir ? Il me semble que l'on ne doit surtout pas légiférer au nom de la dignité. Dans la culture française, la dignité de la personne est inaliénable. Je ne crois pas non plus qu'il convienne de légiférer au nom de la liberté. Présenter l'aide à mourir comme une liberté ultime qui viendrait triomphalement s'exercer face à la mort relèverait d'un fantasme de maîtrise ou de liberté absolue, alors que les malades cherchent bien davantage à ne pas perdre tout contrôle plutôt qu'à tout contrôler. Il ne me semble pas non plus pertinent de faire de cette possibilité de demander une aide à mourir un nouveau droit, au sens d'un droit que l'on pourrait revendiquer, un droit conquis par les patients contre les soignants. De même, suggérer que hâter la survenue du décès relève du soin m'apparaît préjudiciable.
La situation morale de l'aide à mourir est celle d'une reconnaissance partagée d'une finitude partagée, celle du patient qui va mourir à moyen terme, et celle de la médecine confrontée à son impuissance. Dans ce cas, prescrire ou administrer un produit létal à quelqu'un qui le demande pourrait se justifier au nom d'un principe de solidarité, de fraternité ou de non-abandon. Il ne s'agit pas d'un soin, mais d'une forme de continuité du soin. Dès lors, l'aide à mourir ne me semble pas en rupture avec les valeurs qui sous-tendent les soins palliatifs, ni avec le cadre légal français.
J'aimerais formuler quelques remarques à propos du projet de loi. La première se rapporte à un passage de l'article 6 qui me semble manquer de cohérence en évoquant une souffrance « soit réfractaire aux traitements, soit insupportable lorsque la personne ne reçoit pas ou a choisi d'arrêter de recevoir des traitements ».
Dans ce même article, le texte devrait à mon sens préciser que la capacité à manifester sa volonté de façon libre et éclairée est une condition requise non pas pour toute décision, mais bien pour la seule décision de demander l'aide à mourir.
Enfin, il est mentionné au titre de tiers à qui la personne pourrait demander d'administrer le produit létal à sa place, un proche ou une personne volontaire désignée par le malade. D'une part il me semble très délicat de demander aux proches d'une personne malade d'administrer un produit létal, et de gérer la culpabilité d'avoir été le facteur de la mort d'un proche. D'autre part, je ne considère pas non plus souhaitable qu'un tiers extérieur, par exemple un membre volontaire d'une association de bénévoles, soit amené à pratiquer cet acte, afin de ne pas favoriser le développement d'officines dans ce domaine. Il me semble crucial de circonscrire le projet de loi dans une dimension purement médicale.
Certains soignants s'offusquent qu'un jour prochain leur esprit d'engagement soit confondu avec l'aide active à mourir médicalement assistée. Il en va d'un engagement de conscience et de confiance à propos duquel ils ne transigent pas, quitte à donner parfois l'impression d'une résistance éthique ou d'une obstination qui, selon moi, n'a rien de déraisonnable.
Faut-il rappeler que, dans les années 1980, le mouvement des soins palliatifs a contribué à construire la dimension la plus sensible de la démocratie en santé ? Il s'agissait alors de réhabiliter, voire d'inventer une éthique du soin opposée à la technicité médicale qui abandonne le malade à sa souffrance dès lors que la médecine a été mise en échec par la maladie. Au lieu de contester leurs réticences à une loi qui dépénaliserait l'euthanasie, soyons attentifs à l'appel à une vigilance, voire à un refus qui s'inscrit dans la mémoire d'une culture médicale qui, dans notre pays, s'est habituée par le passé à des pratiques inacceptables aujourd'hui.
Assumer le face-à-face avec la personne qui doute à ce point de son existence qu'elle préférerait qu'on l'aide à y renoncer, est d'une complexité redoutable. Le jour où des professionnels de santé et des membres d'associations à leurs côtés auront renoncé à tout tenter pour préserver cette part d'humanité dont témoigne leur conception du juste soin, il n'est pas certain que notre société soit en capacité de résister à d'autres renoncements.
À plusieurs reprises, et hier encore devant votre commission, le président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a indiqué que le projet de loi relatif à la fin de vie n'était qu'une étape transitoire avant une prochaine loi. Cette observation n'est pas anodine, dès lors qu'elle devrait nous inciter à anticiper les évolutions que justifiera la loi que vous voterez, ne serait-ce qu'en termes de justice à l'égard des personnes qui ne relèveraient pas des critères limitatifs que votre assemblée fixera.
Pour les parlementaires que vous êtes, il ne s'agit pas moins que de se prononcer sur la dépénalisation d'un homicide à la demande de la personne malade, sur avis et avec assistance médicale. Dans son avis rendu le 4 avril 2024, le Conseil d'État précise que le projet de loi « introduit ainsi une double rupture par rapport à la législation en vigueur, d'une part, en inscrivant la fin de vie dans un horizon qui n'est plus celui de la mort imminente ou prochaine et, d'autre part, en autorisant pour la première fois un acte ayant pour intention de donner la mort ».
L'engagement éthique de terrain consiste à anticiper les conditions d'application ainsi que les conséquences de cette double rupture dans l'exercice des missions du soin d'accompagnement et dans celui, distinct, des missions de l'aide à mourir. Deux points me semblent importants. D'une part le texte de loi doit affirmer des principes fondamentaux qui ne feront pas l'objet de nouvelles évaluations éthiques ou sociétales contraires aux engagements politiques conditionnant aujourd'hui l'acceptabilité de l'aide médicale active à mourir. D'autre part, l'intitulé de cette loi doit expliciter ce qu'est sa finalité, l'accompagnement de la fin de vie ne pouvant être sérieusement assimilé à l'acte qui met fin à une vie. Autrement dit, il aurait été sage et loyal de réviser la loi du 9 juin 1999 visant à garantir l'accès aux soins palliatifs, plutôt que la dissoudre dans une loi donnant à croire que l'accompagnement d'une personne relève d'une philosophie et d'une intention identiques, voire complémentaires, qu'il s'agisse des soins palliatifs ou de l'aide active à l'euthanasie.
Une précision s'impose également à propos de l'article 5 du projet de loi. Il est surprenant que l'acte létal médicalisé puisse être accompli par un tiers n'ayant pour légitimité que d'avoir été désigné par la personne à cette fin, à moins de considérer que le geste létal ne relève pas d'une compétence de soignant, autrement dit qu'il ne relève pas du soin.
Je souhaite préciser que le président du CCNE a nuancé en fin de séance le propos que M. Hirsch a rapporté. Il me semble qu'il pointait comme une évidence le fait que, à très long terme, dans plusieurs décennies, la loi sur la fin de vie aura probablement évolué.
Mme Depadt a posé trois questions particulièrement importantes : la question de la volonté par anticipation, la question des personnes protégées et la question du pronostic vital à moyen terme. J'aimerais que les intervenants qui n'ont pas développé ces trois points dans leur exposé puissent nous donner leur sentiment.
De même, j'aimerais inviter ceux qui ne se sont pas exprimés sur la question du tiers amené à administrer la substance létale à nous livrer leur point de vue.
Par ailleurs, avez-vous, mesdames et messieurs, des suggestions à émettre concernant la composition et les missions de la commission d'évaluation et de contrôle ?
Enfin, vous semble-t-il recevable d'un point de vue éthique, que des établissements soient exclus de l'accès à l'aide à mourir ?
À propos des directives anticipées, Régis Aubry a affirmé lors d'une précédente audition qu'il faut s'abstenir de répondre à une demande qui n'existe plus. Qu'en pensez-vous, madame Depadt ?
J'aimerais que le Dr Blot précise ce qu'il entendait par la désincarnation du titre Ier du projet de loi.
Je partage la distinction opérée par M. Gzil entre les actes de prescrire et d'administrer la substance létale, qui n'engagent pas la même responsabilité. Je considère, d'ailleurs, que la loi devrait envisager que le prescripteur soit aussi celui qui administre la substance.
Que pensez-vous des critères d'évaluation de la volonté libre et éclairée, et du rôle éventuel des médecins psychiatres dans cette évaluation ?
Concernant les directives anticipées, que pouvez-vous nous dire sur leur temporalité, notamment par rapport aux majeurs protégés ?
Je m'étonne d'avoir entendu à plusieurs reprises que l'aide à mourir ne saurait être un soin. L'aide-soignante que j'ai été se souvient qu'à l'hôpital, les médecins internes ou externes participent à la toilette mortuaire, et que cet acte est considéré comme un soin. Dès lors, comment considérer que l'aide à mourir ne puisse pas constituer un soin, si la toilette mortuaire, elle, en constitue un ?
Je répondrais à l'assertion de Régis Aubry que les directives anticipées ne constituent pas une demande, mais l'expression d'une volonté. Le temps n'efface pas ces directives anticipées, elles restent valables au-delà de la pleine capacité à s'exprimer, jusqu'à leur consultation. Dès lors, on ne saurait parler d'une « demande qui n'existe plus ».
La contemporanéité d'une demande est la garantie de l'appréciation par la personne de la souffrance qu'elle éprouve. Inscrire dans des directives anticipées une demande relative à des circonstances difficiles à prévoir me semble vraiment complexe.
La connaissance de son diagnostic par la personne qui écrit ses directives anticipées me paraît une garantie suffisante pour que ces directives anticipées puissent authentiquement conserver leur valeur le moment venu. Cependant, les directives anticipées ne suffisent pas dans une situation où les atteintes des troubles cognitifs sont si importantes qu'il convient de solliciter la personne de confiance pour les interpréter.
L'assentiment et le consentement sont deux choses différentes. L'assentiment, c'est reconnaître la personne dans son histoire, reconnaître ce qu'elle a été. Selon la logique générale du projet de loi, je ne vois pas à quel titre on refuserait à une personne, parce qu'elle est dans l'incapacité de s'exprimer à un moment donné, ce qu'elle avait toujours souhaité.
Le formalisme de la loi comporte un certain danger. En effet, la rigidité du cadre des procédures et des protocoles, si elle va à l'encontre de la capacité d'appréciation par les familles de ce que le malade avait fait valoir jusqu'à présent, remet en cause certaines libertés fondamentales.
Il me semble important, au moment de se projeter dans son avenir, d'avoir le sentiment d'être entouré par des professionnels et des familles disponibles. C'est la raison pour laquelle il convient de développer le soin des proches qui auront à survivre à un suicide assisté ou à une euthanasie. Or cet aspect n'est pas du tout abordé dans la loi.
Dans le prolongement de la réflexion de Mme Fiat sur la toilette mortuaire, qui fait partie d'un ensemble de rites d'adieu au cœur de l'engagement des professionnels vis-à-vis de la personne qu'ils ont accompagnée, je m'interroge sur la manière de ritualiser l'euthanasie. Dans les pays ayant déjà légiféré sur la possibilité de l'euthanasie, les difficultés rencontrées par les soignants et les familles doivent nous inspirer quant à la nécessité d'accompagner, de ritualiser ces moments dans les établissements où l'aide active à mourir est pratiquée.
La difficulté de sortir un patient de l'institution dans laquelle il vit pour l'emmener dans un endroit qu'il ne connaît pas pour obtenir l'aide à mourir, plaide en défaveur de l'exclusion de certains établissements de l'accès à l'aide à mourir.
J'estime que l'administration de la substance létale par un médecin représente ce que nous devons, en tant que système de santé, à des personnes qui demandent l'aide à mourir. Et je suis d'ailleurs, comme M. Martin, favorable au principe selon lequel le prescripteur doit être l'administrateur.
L'évaluation psychiatrique soulève une interrogation, parce que les psychiatres, et c'est tout à leur honneur, entretiennent un rapport au suicide très différent des autres spécialités médicales. Pour eux, une demande de suicide relève d'une pathologie. Dès lors, leur demander d'évaluer le niveau de conscience de quelqu'un qui demande une aide à mourir est contradictoire avec la façon dont ils exercent leur métier.
Enfin, je ne puis qu'être d'accord avec Mme Fiat quand elle déclare que l'aide à mourir représente un ultime soin et doit faire partie de l'arsenal de soins que nous devons aux patients lorsqu'ils nous le demandent.
Je reviens brièvement sur la question des directives anticipées. Au centre du projet de loi se trouve la question de la douleur et de la souffrance. Il me semble très délicat de faire évaluer par un tiers la souffrance d'autrui et son caractère insupportable. Je rappelle que certaines personnes atteintes de troubles neurocognitifs très avancés se portent bien et ne manifestent pas de souffrance ou de détresse particulière. Dans ces cas, la mise en œuvre d'une directive anticipée sans ce critère de la souffrance me paraît en rupture avec les conditions prévues par la loi.
Il me semble que la commission de contrôle et d'évaluation devrait avoir pour tâche de constituer une documentation très précise de ce qui a été pratiqué, afin de s'assurer de l'absence de dérives.
Je suis, pour ma part, attaché à la distinction entre prescrire et administrer. La proposition d'une auto-administration par la personne qui le souhaite et la possibilité d'une administration par un médecin exclusivement lorsque la personne ne peut accomplir elle-même cet acte pour des raisons physiques me semblent assez cohérentes avec une forme de nuance et d'attention à la variété des situations.
Il m'apparaît que l'évaluation du caractère libre et éclairé du consentement devrait porter davantage sur le discernement que sur des motifs psychologiques sous-jacents. En effet, comprendre que l'on souffre d'une maladie grave et incurable génère une grande désespérance. Dès lors, si on cherche ce motif psychologique, on finira par le trouver. L'utiliser pour invalider une demande nous ferait entrer dans un cercle vicieux. L'évaluation du discernement devrait par conséquent être conduite selon des critères très stricts et se rapporter uniquement à l'évaluation de la capacité du patient à comprendre son état et à comprendre les conséquences de sa demande.
Je remercie Mme Fiat d'avoir évoqué la toilette mortuaire, parce que durant la période du covid-19, nous avons constaté la souffrance très profonde des soignants qui n'avaient pas été en mesure d'accomplir ce dernier geste de soins et qui avaient le sentiment d'avoir manqué à leur devoir d'humanité. La toilette mortuaire honore, humanise, personnalise le défunt, elle relève de la poursuite du soin, de son achèvement. L'aide à mourir, selon moi, relève d'une autre logique, qui ne la disqualifie pas, qui ne l'oppose pas au soin, mais qui est ce que j'ai appelé la reconnaissance partagée d'une finitude partagée, c'est-à-dire une forme de constat d'échec.
La distinction entre prescrire et administrer est pertinente. Néanmoins, que le médecin qui a accompagné une personne au cours de sa lutte contre la maladie soit celui qui accomplit l'acte d'aide à mourir me semble compréhensible. En revanche, mobiliser pour la seule administration des professionnels favorables à l'euthanasie inscrits sur un registre, et qui ne connaissent pas la personne, me semble problématique.
La réalité du terrain est celle de professionnels qui éprouvent des difficultés à accueillir des personnes qui souhaitent bénéficier de leurs soins. Aussi, envisager la dépénalisation de l'euthanasie comme une urgence en matière de santé publique a quelque chose d'insultant par rapport à ce que demandent les professionnels de la santé et du secteur médico-social.
Donner la possibilité à un proche d'administrer ou de tendre à la personne la substance létale me semble être une manière de rejeter la personne qui va mourir hors de la sphère médicale, autrement dit une manière de rendre le malade à ses proches. J'ignore si l'aide de mourir peut être considérée comme un soin ou non. En revanche, j'estime qu'elle constitue un acte médical.
Par ailleurs, je répondrai à Fabrice Gzil que dans le cas de personnes atteintes de troubles neurocognitifs et qui ne manifestent pas de souffrance, les directives anticipées n'ont simplement pas à être consultées.
Être soignant et accepter d'assister la personne dans toutes les dimensions de sa vie, y compris les modalités qu'elle choisit pour sa mort, n'est pas antinomique et peut, pour certains soignants, faire partie d'un soin. L'exemple de la toilette mortuaire brandi par Mme Fiat est à cet égard très juste.
De nombreux soignants n'imaginent pas non plus passer le relais au moment de l'administration de la substance létale à un tiers non soignant, au motif d'une dissociation entre prescription et administration. À partir du moment où une demande a été examinée en conscience et collégialement, la prescription se prolonge dans l'administration.
L'expérience montre, dans les pays où l'aide à mourir est en vigueur, que les personnes souhaitent le plus souvent que l'administration soit effectuée par un soignant, plutôt que par eux-mêmes, et encore moins par leurs familles ou leurs proches. La modalité d'administration de la substance létale devrait faire l'objet d'un choix libre du patient, et s'il souhaite qu'elle soit effectuée par les soignants, il revient à ceux-ci d'endosser cette part du travail.
J'aimerais connaître le point de vue des intervenants sur la question de l'éligibilité des mineurs à l'aide à mourir.
Ne convient-il pas de distinguer les directives anticipées, qui peuvent être rédigées à tout moment, de la demande anticipée de la possibilité d'être euthanasié à l'annonce d'un diagnostic ? Cette demande anticipée ne doit-elle pas être acceptée par le médecin, même en cas de perte de conscience ?
Docteur Blot, que pensez-vous de l'élargissement, en Belgique, de l'accès à l'euthanasie aux mineurs en 2014, et aux handicapés en 2027 ? Que pensez-vous de la suppression, au Canada en 2021, du critère du caractère prévisible de la vie ?
Madame Depadt, estimez-vous que le délai de 48 heures prévu dans le projet de loi est suffisant pour valider une demande d'aide à mourir ?
Docteur Fournier, que vous inspire l'euthanasie pratiquée aux Pays-Bas sur une jeune femme de 20 ans, motivée par ses souffrances consécutives à un abus sexuel ? Et celle d'une jeune femme de 23 ans victime collatérale des attentats de 2016 ?
Madame Depadt, vous avez dit qu'on ne doit pas se déresponsabiliser quand il s'agit de passer à l'acte. Hier, un médecin insistait sur la nécessité d'une décision voire d'une administration collégiale, afin de conjurer la solitude du médecin au moment de prescrire et d'administrer. Qu'en pensez-vous ?
Monsieur Gzil, vous parliez d'évaluation de discernement, mais j'aimerais comprendre comment vous évaluez le degré de souffrance supportable.
Vous préconisez, docteur Fournier, de faire sauter le verrou du pronostic vital engagé, et d'ouvrir ainsi la possibilité d'un accès universel à l'euthanasie et au suicide assisté. Cette suggestion est vertigineuse, et je vous avoue qu'elle me stupéfait et me terrifie.
Madame Depadt, faudrait-il prévoir l'intervention d'un juge concernant les majeurs protégés ?
Madame Depadt, pensez-vous qu'il convient d'aller vers une inscription obligatoire des directives anticipées dans le dossier médical ?
Nos intervenants considèrent-ils que, sur le plan éthique, il soit justifié que les médecins qui prennent une décision collégiale soit ceux qui la mettent en pratique, comme ils le font pour tout traitement médical, en cancérologie en particulier ?
Le testament d'une personne plongée dans le coma n'est pas remis en cause par sa perte de conscience. Dès lors, au nom de quoi il en irait différemment des directives anticipées ?
La sédation profonde et continue relève-t-elle selon vous du soin d'accompagnement ? Si oui, pourquoi ne pas considérer l'aide à mourir de la même façon ?
Docteur Fournier, vous avez proposé de retirer le critère du pronostic vital à court ou moyen terme comme condition d'accès à l'aide à mourir. En l'absence de la mention d'un terme, court ou moyen, où fixez-vous la limite ?
Le professeur Gzil a évacué, un peu vite à mon sens, la question de la dignité en tant que valeur au nom de laquelle on pourrait légiférer sur l'aide à mourir. Dès lors, où placer cette notion de dignité ? À qui revient-il de la définir ? Aux éthiciens ? Aux médecins ? Aux patients eux-mêmes ?
Madame Depadt, jugez-vous, du point de vue de l'observation du droit, que ce projet de loi revient sur l'interdit de tuer ? Dans l'éventualité du vote de ce projet de loi, comment le législateur peut-il prévoir les détournements de celle-ci ?
Docteur Blot, vous avez parlé de « marge de progrès » à propos de l'aide à mourir. Quelles sont, selon vous, les prochaines étapes de ce progrès ? Jusqu'où voulez-vous aller au nom de l'éthique ? Voulez-vous ensuite que des personnes puissent décider pour d'autres si elles ne sont plus en capacité de le faire ? Vos certitudes, docteur, me terrifient, car rien n'est irréversible, rien n'est inéluctable, le corps humain dispose de ressources insoupçonnées et il faut laisser une chance à la vie.
La question du moyen terme est cœur de nos débats, parce que le problème de sa définition semble insoluble. Or, à partir du moment où l'on ne parvient pas à une définition, quel est le sens de légiférer sur ce sujet ? Peut-on accorder un droit de mort sans connaître précisément la définition du moyen terme ?
Monsieur Hirsch, seriez-vous choqué que le suicide assisté tel que le permet la loi puisse être pratiqué en prison ?
Docteur Fournier, le suicide doit-il faire l'objet d'une politique de prévention ? Si oui, comment différencier le suicide à prévenir et celui à respecter ?
Au Canada, 58 % des demandes d'euthanasie proviennent de personnes à faibles revenus, et seulement 42 % de personnes ayant des revenus élevés. Madame Depadt, comment expliquez-vous cette surreprésentation des plus pauvres ?
Monsieur Gzil, voyez-vous un risque d'abus de faiblesse dans le fait de permettre à un tiers familial de participer au suicide assisté ?
J'aimerais recueillir l'avis de Mme Depadt et du Dr Blot concernant la proposition formulée par le Dr Fournier de ne retenir comme seul critère d'éligibilité à l'aide à mourir la souffrance insoutenable.
Monsieur Odoul, si vous avez entendu des certitudes dans mon propos, cela signifie que je me suis très mal exprimé. Je pensais avoir mieux dit tous les doutes et tous les déchirements qui m'ont amené, au prix d'un cheminement complexe, à moduler mon opinion. Je porte des convictions, certainement pas des certitudes.
Je me suis également mal exprimé si vous avez compris que je voyais cette loi comme une première étape. Je pense, au contraire, que la meilleure manière de ne pas accumuler les lois et d'éviter certaines dérives est d'établir les critères les moins restrictifs possible d'admissibilité d'une demande d'aide active à mourir, tout en dessinant les conditions les plus respectueuses et les plus minutieuses de l'examen lui-même. Il me paraît souhaitable qu'il n'y ait pas de fermeture théorique à la demande, mais que l'examen soit quant à lui extrêmement précis, quitte à surseoir la décision. C'est précisément une accessibilité restreinte de la demande qui entraînera une exigence de modification et d'évolution de la loi.
Le débat sur la fin de vie ne saurait se poser en relation avec la question de l'interdit de tuer. Un homicide consiste à tuer une personne, volontairement ou involontairement. Ici, il ne s'agit pas de donner la mort à une personne, il s'agit d'appliquer sa volonté, de répondre à l'expression de sa volonté.
Développer l'usage des directives anticipées est très difficile, certainement pour des raisons culturelles. Je considère souhaitable de procéder comme pour le don d'organes, c'est-à-dire en initiant la démarche très tôt, à 18 ans. La journée d'éducation civique pourrait fournir un support afin, sinon de faire remplir les directives anticipées, au moins de les faire entrer dans la culture des nouvelles générations.
Il m'est difficile de répondre à la question des mineurs, sur laquelle j'ai peu travaillé, sinon en rappelant qu'une personne est mineure parce qu'on estime qu'elle ne possède pas la maturité suffisante pour un acte de la vie civile, et que l'autorité parentale ne concerne pas seulement l'éducation, mais tout un ensemble de soins prodigués dans l'intérêt du mineur.
La surreprésentation des faibles revenus dans les demandes d'aides à mourir est malheureusement évidente. Tant que nous ne sommes pas à même de proposer à tous, de façon égalitaire, des soins de qualité, certains seront plus entourés et mieux soignés que d'autres.
Les résultats de la France en matière de directives anticipées ne sont ni meilleurs ni pires que ceux de ses voisins. Une manière de les améliorer pourrait consister à ouvrir des consultations de fin de vie, où les gens puissent venir poser des questions relatives à la fin de vie et à leur mort. Elles permettraient de connaître l'état actuel du droit, les conditions de la mort, ou les effets de sa mort sur ses proches. Je signale qu'une initiative, appelée « les cafés mortels », rencontre un certain succès, et permet de débattre de la mort sous tous ses aspects.
Mon propos, évidemment, ne consiste pas du tout à proposer un droit universel à l'accès au suicide assisté et à l'euthanasie. Au Canada, où une loi d'aide active à mourir a été adoptée en 2016, des patients en situation de très lourd handicap ou atteints par une maladie neurologique évoluée et dégénérative, et qui présentaient des souffrances insupportables attestées, ont immédiatement contesté le caractère inégalitaire de cette loi. La Cour suprême du Québec, puis celle du Canada, leur ont donné raison en élargissant les conditions d'accès à l'aide à mourir et en supprimant les termes de « maladie évolutive à pronostic vital engagé à court et moyen terme », qui étaient les mêmes que ceux figurant dans votre projet de loi. La même chose s'est produite en Belgique et aux Pays-Bas, et il me semble certain qu'elle se produira en France si la loi reste en l'état, parce qu'elle génère de fortes inégalités entre les citoyens. Je n'ai pas voulu dire autre chose.
Faire état de sa souffrance psychologique ou physique insupportable et inapaisée est extrêmement difficile. Les patients sont tenus de convaincre leurs proches et les soignants qui font tout leur possible pour les aider, puis de convaincre le médecin chargé de l'évaluation. Cela représente une forme de douloureuse transgression. C'est pourquoi je pense qu'il convient de se donner les moyens d'être bienveillant et accueillant face à l'expression de la souffrance, pour rassurer la personne en lui disant que son cas entre dans le périmètre de la loi. Ensuite, si la procédure collégiale vient en appui du médecin, elle ne saurait être décisionnaire à sa place. Une procédure collégiale aboutit toujours au plus petit dénominateur commun, parce qu'il se trouvera toujours un de ses membres qui doutera. Cette procédure collégiale doit par conséquent éclairer la décision du médecin, et non se substituer à lui.
La prison est en effet un lieu de grande vulnérabilité, où la capacité de jugement critique de la personne peut être questionnée. Mais il en existe d'autres, par exemple les Ehpad où, malgré le dévouement du personnel, la souffrance de ne plus exister socialement est vive. Il m'apparaît d'ailleurs qu'améliorer la situation des Ehpad est un enjeu politique plus pressant que légiférer sur la fin de vie. Se préoccuper comme d'une urgence absolue de la question de la fin de vie plutôt que répondre à la revendication d'exister dans notre cité me semble dire beaucoup sur notre démocratie.
On considère aujourd'hui qu'il existe une majorité médicale. Dès lors qu'une personne jeune dispose d'une faculté de discernement, c'est faire injure à son expérience de la confrontation à la souffrance et la mort d'affirmer qu'elle n'a pas la maturité requise. Parfois, la maturité de personnes jeunes est supérieure à celle des adultes. Dès lors, le formalisme de la majorité juridique peut s'opposer à l'expérience du vécu. Si l'on accepte la parole de vérité des adultes, pourquoi ne pas accepter celle de l'enfant qui souffre ? Il convient de se garder de toute approche dépourvue de nuance. De même, ne pas prendre en considération la parole des psychiatres relève d'un immense mépris à leur endroit.
La question de la vulnérabilité me semble finalement la question la plus essentielle. Je m'inquiète d'entendre des médecins souhaiter de manière absolutiste aller encore plus loin. J'ignore ce que signifiera ce « aller plus loin », sinon parvenir à l'abolition du sens de la relation de fraternité entre les individus et, d'une certaine manière, verser dans une forme de barbarie. Le grand danger, aujourd'hui, me semble résider dans l'accablement de certains professionnels par rapport à ce à quoi ils vont être confrontés dans les Ehpad, qui sont parfois considérés comme des mouroirs. J'estime que la loi remet en cause politiquement ce qu'est un Ehpad, qui est un lieu de vie que l'urgence commande de réinventer comme tel au sein de la cité, nourri des valeurs les plus fortes de notre démocratie. Il en va de même pour la psychiatrie, et il m'apparaît que cette loi aura pour conséquence de démotiver les professionnels les plus attachés à une certaine conception humaniste du soin.
Le projet de loi sur la fin de vie, et je le dis avec gravité, remet en cause l'éthique et les valeurs du soin, à l'heure où certains font le choix politique d'effriter notre système de santé et notre système médico-social. Je terminerai sur une distinction que l'on fait en matière d'éthique entre la finalité d'une décision et les conséquences d'une décision. Je m'interroge sur l'intention de la décision impliquée par cette loi : est-ce une intention éthique ? Ou est-ce une intention strictement politique ?
Je comprends l'extrême difficulté posée par la définition du moyen terme et l'établissement d'un pronostic. Néanmoins, cette notion de moyen terme présente l'intérêt de circonscrire l'accessibilité à l'aide à mourir à une situation où la personne va mourir de sa maladie dans un délai raisonnablement prévisible. Dès lors, administrer un produit létal ne revient pas à provoquer la mort, mais seulement à hâter la survenue du décès.
Dans mon propos liminaire, je n'ai pas voulu, bien évidemment, disqualifier le sentiment d'indignité. Il arrive qu'une personne gravement malade et diminuée ait le sentiment de perdre son humanité ou sa dignité. Mais elle n'en reste pas moins digne et humaine aux yeux des soignants qui prennent soin d'elle, et aux yeux de son entourage. Le caractère inaliénable de la dignité est un immense apport de notre culture.
La sédation profonde et continue porte une ambiguïté, incarnée par l'expression « laisser mourir », par opposition à « faire mourir ». Elle n'a pas pour effet direct ou intentionnel de hâter le décès, qui va survenir à court terme du fait de la maladie.
Je pense que la question de l'évaluation de la souffrance porte surtout sur la reconnaissance de la souffrance, la capacité à l'entendre et à y apporter une réponse dans la mesure de nos moyens. Il ne s'agit donc pas tant d'évaluer la souffrance, puisqu'il revient à la seule personne qui l'éprouve de considérer si elle est, ou non, insupportable.
La question des mineurs est abyssale. Il m'apparaît qu'elle porte, non pas sur la légitimité de la demande d'un mineur, ou sur la maturation de son discernement, mais sur la réponse qui lui est apportée, et surtout sur l'identité de celui qui va assumer la responsabilité d'y répondre.
Le risque d'abus de faiblesse me paraît survenir plutôt au moment de l'examen de la demande et de son caractère libre et éclairé, qu'au moment de l'administration du produit létal. Le fait d'associer un parent, un proche ou un conjoint à l'administration de la substance létale m'inquiète davantage.
La réunion s'achève à vingt-trois heures trente-cinq.
Présences en réunion
Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, Mme Chantal Bouloux, Mme Laurence Cristol, M. Jocelyn Dessigny, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, M. François Gernigon, M. Philippe Juvin, Mme Brigitte Liso, Mme Marie-France Lorho, M. Didier Martin, M. Julien Odoul, M. Laurent Panifous, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, Mme Christine Pires Beaune, Mme Lisette Pollet, M. Jean-Pierre Pont, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Cécile Rilhac, M. Jean-François Rousset, M. Nicolas Turquois, M. Philippe Vigier
Excusée. – Mme Lise Magnier
Assistaient également à la réunion. – Mme Claire Colomb-Pitollat, M. Pascal Lecamp, M. Jean-Paul Mattei, M. Rémy Rebeyrotte