Certains soignants s'offusquent qu'un jour prochain leur esprit d'engagement soit confondu avec l'aide active à mourir médicalement assistée. Il en va d'un engagement de conscience et de confiance à propos duquel ils ne transigent pas, quitte à donner parfois l'impression d'une résistance éthique ou d'une obstination qui, selon moi, n'a rien de déraisonnable.
Faut-il rappeler que, dans les années 1980, le mouvement des soins palliatifs a contribué à construire la dimension la plus sensible de la démocratie en santé ? Il s'agissait alors de réhabiliter, voire d'inventer une éthique du soin opposée à la technicité médicale qui abandonne le malade à sa souffrance dès lors que la médecine a été mise en échec par la maladie. Au lieu de contester leurs réticences à une loi qui dépénaliserait l'euthanasie, soyons attentifs à l'appel à une vigilance, voire à un refus qui s'inscrit dans la mémoire d'une culture médicale qui, dans notre pays, s'est habituée par le passé à des pratiques inacceptables aujourd'hui.
Assumer le face-à-face avec la personne qui doute à ce point de son existence qu'elle préférerait qu'on l'aide à y renoncer, est d'une complexité redoutable. Le jour où des professionnels de santé et des membres d'associations à leurs côtés auront renoncé à tout tenter pour préserver cette part d'humanité dont témoigne leur conception du juste soin, il n'est pas certain que notre société soit en capacité de résister à d'autres renoncements.
À plusieurs reprises, et hier encore devant votre commission, le président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a indiqué que le projet de loi relatif à la fin de vie n'était qu'une étape transitoire avant une prochaine loi. Cette observation n'est pas anodine, dès lors qu'elle devrait nous inciter à anticiper les évolutions que justifiera la loi que vous voterez, ne serait-ce qu'en termes de justice à l'égard des personnes qui ne relèveraient pas des critères limitatifs que votre assemblée fixera.
Pour les parlementaires que vous êtes, il ne s'agit pas moins que de se prononcer sur la dépénalisation d'un homicide à la demande de la personne malade, sur avis et avec assistance médicale. Dans son avis rendu le 4 avril 2024, le Conseil d'État précise que le projet de loi « introduit ainsi une double rupture par rapport à la législation en vigueur, d'une part, en inscrivant la fin de vie dans un horizon qui n'est plus celui de la mort imminente ou prochaine et, d'autre part, en autorisant pour la première fois un acte ayant pour intention de donner la mort ».
L'engagement éthique de terrain consiste à anticiper les conditions d'application ainsi que les conséquences de cette double rupture dans l'exercice des missions du soin d'accompagnement et dans celui, distinct, des missions de l'aide à mourir. Deux points me semblent importants. D'une part le texte de loi doit affirmer des principes fondamentaux qui ne feront pas l'objet de nouvelles évaluations éthiques ou sociétales contraires aux engagements politiques conditionnant aujourd'hui l'acceptabilité de l'aide médicale active à mourir. D'autre part, l'intitulé de cette loi doit expliciter ce qu'est sa finalité, l'accompagnement de la fin de vie ne pouvant être sérieusement assimilé à l'acte qui met fin à une vie. Autrement dit, il aurait été sage et loyal de réviser la loi du 9 juin 1999 visant à garantir l'accès aux soins palliatifs, plutôt que la dissoudre dans une loi donnant à croire que l'accompagnement d'une personne relève d'une philosophie et d'une intention identiques, voire complémentaires, qu'il s'agisse des soins palliatifs ou de l'aide active à l'euthanasie.
Une précision s'impose également à propos de l'article 5 du projet de loi. Il est surprenant que l'acte létal médicalisé puisse être accompli par un tiers n'ayant pour légitimité que d'avoir été désigné par la personne à cette fin, à moins de considérer que le geste létal ne relève pas d'une compétence de soignant, autrement dit qu'il ne relève pas du soin.