Intervention de Valérie Depadt

Réunion du mardi 23 avril 2024 à 21h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie

Valérie Depadt, maître de conférences en droit privé, conseillère de l'Espace éthique Île-de-France :

Je voudrais partager mes interrogations de juriste concernant trois points relatifs à l'aide à mourir.

En premier lieu, le texte dont nous discutons n'envisage pas la prise en compte des directives anticipées dans la demande d'aide à mourir. Il en résulte que les directives qui s'imposent au médecin ne vaudront pas dans le cas où la question d'une aide active à mourir viendrait à se poser. Un médecin peut décider, au titre de l'obstination déraisonnable, de l'arrêt des traitements de maintien en vie d'un patient qui ne peut exprimer sa volonté, et d'appliquer une sédation profonde et continue jusqu'au décès. Or il est probable que des personnes indiqueront dans leurs directives anticipées souhaiter, en cas d'arrêt des traitements de maintien en vie, une euthanasie plutôt qu'une sédation profonde et continue. Dès lors, comment assurer le développement des directives anticipées sachant qu'elles ne seront pas prises en compte dans les circonstances que visent précisément ceux qui décident de les écrire, à savoir une situation dans laquelle ils ne seront plus en mesure d'exprimer leur volonté ?

La volonté peut évoluer, et les directives, valables jusqu'à leur consultation, peuvent devenir inappropriées. Mais, en ce cas, le médecin n'est pas quant à lui privé de sa liberté d'appréciation, puisque le caractère opposable des directives connaît une exception lorsqu'elles apparaissent manifestement inappropriées. Cette exception permet aux médecins de confronter la volonté prospective à la situation réelle, et d'évaluer tant que faire se peut si le patient maintiendrait les directives à l'instant de la décision, dans le contexte qui est celui de cet instant. Des directives anticipées, dès lors qu'elles n'apparaissent pas manifestement inappropriées, ne doivent-elles pas être utilisées lorsque le discernement de la personne qui exprime sa volonté d'une aide à mourir est justement altéré ?

Cette question m'amène en deuxième lieu à celle des personnes protégées. L'article 7 du projet prévoit que la personne qui fait l'objet d'une mesure de protection juridique l'indique au médecin. Selon le code civil, toute personne dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts, en raison d'une altération de ses facultés mentales ou corporelles médicalement constatée, peut bénéficier d'une mesure de protection juridique. Une mesure avec représentation, et non avec assistance, est une tutelle, une habilitation familiale de représentation ou un mandat de protection future mis à exécution. La tutelle est la plus forte des mesures de protection, et n'est mise en œuvre que s'il est établi que ni une sauvegarde de justice, ni une curatelle ne peuvent assurer une protection suffisante.

Il est donc peu probable qu'une personne protégée par une telle mesure puisse exprimer une volonté libre et éclairée, son discernement étant nécessairement altéré, voire aboli. Aussi, certaines précautions s'imposent dès lors que le médecin tient compte des observations formulées par la personne en charge de la protection, ainsi que le prévoit le projet de loi. Ne serait-il pas également logique qu'il tienne compte de la volonté par anticipation du patient ? Une nouvelle fois, les directives anticipées présenteraient une certaine utilité en venant conforter ou infirmer les observations éventuellement formulées par la personne chargée de la protection. Je rappelle qu'une application fictive de la loi dans un cas comme celui de Vincent Lambert montre que le recours à une aide au suicide serait impossible, quand bien même cette personne aurait rédigé des directives anticipées.

Enfin, en troisième lieu, les médecins font part de leur scepticisme vis-à-vis de la condition du moyen terme, car il leur paraît hasardeux de pronostiquer l'évolution de certaines pathologies. La place de cette condition au sein de l'ensemble des conditions énoncées par le projet doit être interrogée. Il revient au législateur de hiérarchiser ces conditions au regard de ce qu'il souhaite. Si ce souhait consiste à permettre à une personne atteinte d'une maladie engageant son pronostic vital et éprouvant une souffrance réfractaire de refuser de vivre le temps qu'il lui reste, comment comprendre cette condition de moyen terme, qui ne saurait être évaluée ?

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