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Intervention de Emmanuel Hirsch

Réunion du mardi 23 avril 2024 à 21h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie

Emmanuel Hirsch, professeur des universités émérite d'éthique médicale (Université Paris-Saclay) :

La prison est en effet un lieu de grande vulnérabilité, où la capacité de jugement critique de la personne peut être questionnée. Mais il en existe d'autres, par exemple les Ehpad où, malgré le dévouement du personnel, la souffrance de ne plus exister socialement est vive. Il m'apparaît d'ailleurs qu'améliorer la situation des Ehpad est un enjeu politique plus pressant que légiférer sur la fin de vie. Se préoccuper comme d'une urgence absolue de la question de la fin de vie plutôt que répondre à la revendication d'exister dans notre cité me semble dire beaucoup sur notre démocratie.

On considère aujourd'hui qu'il existe une majorité médicale. Dès lors qu'une personne jeune dispose d'une faculté de discernement, c'est faire injure à son expérience de la confrontation à la souffrance et la mort d'affirmer qu'elle n'a pas la maturité requise. Parfois, la maturité de personnes jeunes est supérieure à celle des adultes. Dès lors, le formalisme de la majorité juridique peut s'opposer à l'expérience du vécu. Si l'on accepte la parole de vérité des adultes, pourquoi ne pas accepter celle de l'enfant qui souffre ? Il convient de se garder de toute approche dépourvue de nuance. De même, ne pas prendre en considération la parole des psychiatres relève d'un immense mépris à leur endroit.

La question de la vulnérabilité me semble finalement la question la plus essentielle. Je m'inquiète d'entendre des médecins souhaiter de manière absolutiste aller encore plus loin. J'ignore ce que signifiera ce « aller plus loin », sinon parvenir à l'abolition du sens de la relation de fraternité entre les individus et, d'une certaine manière, verser dans une forme de barbarie. Le grand danger, aujourd'hui, me semble résider dans l'accablement de certains professionnels par rapport à ce à quoi ils vont être confrontés dans les Ehpad, qui sont parfois considérés comme des mouroirs. J'estime que la loi remet en cause politiquement ce qu'est un Ehpad, qui est un lieu de vie que l'urgence commande de réinventer comme tel au sein de la cité, nourri des valeurs les plus fortes de notre démocratie. Il en va de même pour la psychiatrie, et il m'apparaît que cette loi aura pour conséquence de démotiver les professionnels les plus attachés à une certaine conception humaniste du soin.

Le projet de loi sur la fin de vie, et je le dis avec gravité, remet en cause l'éthique et les valeurs du soin, à l'heure où certains font le choix politique d'effriter notre système de santé et notre système médico-social. Je terminerai sur une distinction que l'on fait en matière d'éthique entre la finalité d'une décision et les conséquences d'une décision. Je m'interroge sur l'intention de la décision impliquée par cette loi : est-ce une intention éthique ? Ou est-ce une intention strictement politique ?

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