La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a auditionné, en application de l'article 13 de la Constitution, M. Thierry Guimbaud, dont la nomination est proposée par le Président de la République aux fonctions de président de l'Autorité de régulation des transports (ART), et a procédé au vote sur le projet de nomination (M. Gérard Leseul, rapporteur).
En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et de la loi organique du 23 juillet 2010, nous allons entendre M. Thierry Guimbaud, que le Président de la République propose de nommer aux fonctions de président de l'Autorité de régulation des transports, l'ART.
Cette audition est publique et sera suivie d'un vote par scrutin secret, effectué par appel nominal et hors la présence de la personne auditionnée. Aucune délégation de vote ne sera possible. Le dépouillement du scrutin aura lieu à la suite de cette audition, M. Guimbaud venant d'être entendu par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.
Comme le prévoit notre Règlement, nous avons nommé un rapporteur sur cette proposition de nomination : M. Gérard Leseul. Il a élaboré un questionnaire de grande qualité qui a préalablement été envoyé à M. Thierry Guimbaud, dont les réponses vous ont été communiquées.
Avant de céder la parole à M. Leseul, je tiens à souligner l'importance de la fonction que nous allons évoquer. L'Autorité de régulation des transports est un acteur incontournable du secteur des transports. Ses décisions et ses avis sont toujours suivis avec attention par notre commission en raison de leur caractère structurant pour nos mobilités, comme de leur qualité. Elle est aussi un interlocuteur indispensable au travail parlementaire pour son excellence et son expertise, que nous reconnaissons tous. Nous avons notamment suivi avec attention ses travaux sur les concessions autoroutières, sujet d'actualité s'il en est.
Monsieur Guimbaud, nous sommes donc réunis pour étudier votre candidature à la présidence de l'Autorité de régulation des transports, sur le fondement de l'article 13 de la Constitution. Si l'exercice nous est devenu familier, il n'en demeure pas moins essentiel parmi les missions de contrôle du Parlement.
L'ART est devenue un acteur incontournable, dont les pouvoirs et le champ de compétences n'ont eu de cesse de s'accroître. À sa création, seul le mode ferroviaire figurait dans son escarcelle ; s'y ajouteront, au gré des lois, le secteur routier en 2015, le tunnel sous la Manche, les aéroports, les données et la RATP. Depuis sa naissance, l'ART a veillé à gagner en technicité et la qualité de ses études et de ses analyses fait aujourd'hui référence.
Les réponses au questionnaire préalable qui vous a été envoyé illustrent votre très bonne connaissance du secteur des transports, où vous avez exercé l'essentiel de vos fonctions, jusqu'à votre dernier poste comme directeur général de Voies navigables de France (VNF). Cette connaissance vous rendrait rapidement opérationnel à la tête de l'ART, dont la présidence est vacante depuis dix-huit mois. Vous avez également insisté, dans vos réponses, sur votre indépendance technique et intellectuelle, essentielle au fonctionnement d'une autorité administrative indépendante – une vision que je partage.
Concernant la consolidation des pouvoirs et compétences de l'ART, vous estimez qu'une harmonisation entre secteurs régulés pourrait être envisagée, notamment pour le secteur aéroportuaire. Pourriez-vous préciser et détailler vos ambitions pour l'Autorité ?
Vous évoquez largement le rôle de l'ART face à l'impératif climatique, bien que l'Autorité ne dispose pas de compétence spécifique dans ce domaine. Nous sommes sensibles au vif intérêt que vous portez à la transition environnementale. Selon vous, l'acceptabilité sociale des mesures est une condition essentielle de leur succès. Vous esquissez une piste pour le législateur en suggérant de prévoir que les missions de l'ART contribuent à la transition écologique. En tant que président de l'ART, comptez-vous plaider pour une évolution en ce sens auprès des parlementaires ? Pouvez-vous préciser les modifications législatives qui pourraient renforcer l'ART ?
Vous semblez considérer la Commission de régulation de l'énergie (CRE) comme un modèle. Quels objectifs prioritaires envisagez-vous d'assigner à l'ART pour qu'elle soit un acteur de premier plan de la politique des transports ?
Enfin, vous évoquez des moyens « dimensionnés au plus juste », ce qui est une façon élégante de pointer leur sous-dimensionnement. Quel est donc votre objectif budgétaire ?
Je suis très honoré d'être devant vous ce matin pour répondre à la proposition du Président de la République. Elle a beaucoup de sens pour quelqu'un qui a consacré une bonne partie, voire l'essentiel de sa carrière aux transports, qui plus est à un moment stratégique. Je la reçois également avec une profonde humilité car je sais combien le rôle de l'ART dans ce secteur est essentiel, non seulement en France mais en Europe, où cette institution régulatrice est reconnue.
Mon expérience professionnelle me semble essentielle, s'agissant des missions que je serai le cas échéant amené à accomplir. J'ai beaucoup travaillé dans l'ensemble du secteur des transports, tant sur un plan stratégique, financier et juridique que sur un plan opérationnel, en particulier s'agissant du service rendu aux usagers professionnels ou individuels.
J'ai commencé ma carrière au ministère de l'économie en tant que commissaire en charge des enquêtes de concurrence, en particulier dans le domaine des travaux publics, pour le compte de ce qui s'appelait alors le Conseil de la concurrence.
À l'issue de ma scolarité à l'École nationale d'administration, j'ai rejoint le ministère de l'équipement, où je me suis occupé de la concession et du financement des autoroutes et autres ouvrages concédés. Il était alors question des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroute, les Semca.
Dans le cadre de ma mobilité statutaire, j'ai ensuite rejoint Aéroports de Paris, alors établissement public. Je m'y suis occupé de quelques grands dossiers stratégiques, dont l'extension des capacités des pistes de l'aéroport Charles-De-Gaulle, avec une enquête publique qui a duré un an, ce qui a impliqué de se mettre à l'écoute de tous les partenaires, dont les riverains. Pendant six ans, j'ai ensuite assuré la responsabilité opérationnelle de l'exploitation de cet aéroport, métier hautement opérationnel, avec la gestion de milliers d'agents et la prise en charge de situations de crise parfois extrêmes, comme l'accident du Concorde ou les suites en matière de sûreté aéroportuaire des attentats du 11 septembre 2001.
Je suis ensuite devenu directeur en charge des questions d'exploitation au Syndicat des transports d'Île-de-France (Stif), devenu Île-de-France Mobilités. J'y ai travaillé sur trois questions principales : les offres de transport, la qualité de service et la multimodalité.
J'ai rejoint le ministère des transports où j'ai notamment piloté la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, qui a notablement renforcé les compétences de l'Araf (Autorité de régulation des activités ferroviaires), devenue Arafer (Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières), puis ART. Et depuis 2017, j'ai le plaisir d'exercer les fonctions de directeur général de Voies navigables de France, l'opérateur national du réseau fluvial, secteur non régulé.
Je connais donc les problématiques de transport et de régulation dans le domaine autoroutier, aéroportuaire, ferroviaire, urbain et interurbain, et cela de différentes positions : concédant, gestionnaire d'infrastructures, autorité organisatrice, directeur d'administration centrale. J'ai veillé à cette diversité, toujours dans le secteur des transports et au service de l'État et de l'intérêt général. Cela me permettra d'être rapidement opérationnel à la présidence de l'ART et me donnera également les moyens d'une certaine indépendance technique et intellectuelle.
Je sais que cette question de l'indépendance vous préoccupe, à juste titre car elle est consubstantielle à l'ART. Ma carrière de haut fonctionnaire au service des transports a certes été longue, mais elle s'achève. Je n'ai plus aucune perspective, au-delà de l'ART. Dès lors, je ne serai pas sensible aux pressions, de quelque nature ou origine que ce soit. Si je n'avais pas été dans cette situation, je ne me serais pas porté candidat.
Mon indépendance se lit dans mon parcours. Je n'ai jamais rejoint un établissement ou une entreprise auxquels j'aurais eu affaire en tant qu'autorité de tutelle ou donneur d'ordre. Je n'ai pas davantage travaillé dans des cabinets ministériels.
Enfin, en tant que directeur général de Voies navigables de France depuis plus de six ans, je n'ai eu à connaître d'aucun dossier d'un secteur régulé et je n'aurai donc jamais à me déporter dans l'exercice de mon mandat.
L'indépendance, c'est aussi une question d'attitude individuelle. J'ai eu bien souvent l'occasion d'en faire preuve. Pour prendre quelques exemples, j'ai mené des enquêtes de concurrence dans de grandes entreprises, avec, parfois, des moyens et des enjeux qui ne l'étaient pas moins, pour le compte de l'autorité de la concurrence de l'époque – je rappelle que c'est le rapport signé par la personne qui a mené l'enquête, et elle seule, qui fait foi. J'ai participé aux premières loges à une opération complexe de décentralisation d'une autorité organisatrice de transport, le Stif, passé d'établissement public de l'État rattaché au ministère des transports à établissement public local, au service de la région, des départements et des collectivités franciliennes. Plus récemment, j'ai défendu les intérêts de l'établissement public VNF afin d'obtenir des moyens, des crédits, des contrats d'objectifs qui ne s'assurent pas sans une forte volonté et une certaine indépendance. Je me suis d'ailleurs souvent appuyé pour cela sur le Parlement, qui se montre très à l'écoute des sujets fluviaux, ou sur le Conseil d'orientation des infrastructures concernant la question des investissements, lesquels ont doublé depuis trois ans. Là encore, il faut être loyal à l'endroit de sa mission, ce qui suppose de faire preuve d'indépendance.
Je m'engage évidemment à faire la même chose à la tête de l'ART, comme le garantit d'ailleurs le statut de son président. J'ajoute que les décisions y sont prises en collégialité et que je veillerai à ce que cela soit toujours le cas. Il va de soi qu'un président ne décide pas seul, quoiqu'il endosse une responsabilité particulière de représentation « politique » et technique.
S'agissant des grands enjeux et défis que je pressens, je ferai preuve d'abord d'humilité et de prudence. Je suis tout à fait conscient que la régulation économique sectorielle est un métier en soi, que je devrai apprendre en discutant avec les services de l'ART, les membres du collège et toutes les parties prenantes, dont le Parlement. Un dialogue élargi, plus qu'ailleurs, y est nécessaire.
L'ART a trouvé sa place, comme en attestent la qualité de son travail, très pointu dans les domaines juridique, économique et technique, la solidité de ses analyses indépendantes et très fouillées – qui en font un tiers de confiance pour l'ensemble des acteurs de la conduite des dossiers de politique publique qui relèvent de son champ de compétence s– ainsi que la confirmation quasi systématique de ses décisions lorsque des recours contentieux sont lancés. Le dernier rapport de la Cour des comptes et le rapport encore plus récent de l'Autorité de la concurrence vont dans le même sens. Si vous m'accordez votre confiance, ma première mission consistera évidemment à préserver et à développer ces acquis. Je suis bien placé pour savoir à quel point le chemin parcouru, depuis la loi de 2014, est important.
Néanmoins, la place de l'ART est menacée – et j'emploie ce mot à dessein – parce que les moyens, notamment budgétaires, de son indépendance commencent à manquer d'une manière très préoccupante. Je sais que vous en êtes conscients, comme en atteste la discussion du projet de loi de finances pour 2024. Son fonds de roulement est arrivé à son étiage. Le mandat que je me donnerai serait que l'ART obtienne les moyens de son indépendance. Elle a de lourdes responsabilités et doit être capable d'y faire face, y compris en développant ses équipements et ses systèmes d'information, compte tenu de la masse de données à gérer. Globalement, le besoin est d'environ 18 millions d'euros, en tenant compte de l'indispensable productivité à assurer, comme pour tout établissement public. On en est loin. Ces dotations doivent être mises en rapport avec ce que permet d'obtenir l'ART – par exemple, en 2022, une réduction des hausses des péages autoroutiers de 28 millions d'euros.
Outre cette question cruciale des moyens, il faut sans doute s'attacher à celle des compétences de l'ART. Ces dernières se sont peu à peu étendues, en « taches de léopard », de façon fondée : après le fer, les aéroports, les bus longue distance, les autoroutes, la multimodalité… Chaque fois, l'Autorité a su faire face. Reste que son périmètre n'est pas forcément très clair. En tout cas, son niveau d'intervention diffère d'un mode à l'autre : assez approfondi dans le domaine ferroviaire, plus « léger » dans le domaine aéroportuaire ou autoroutier. Il m'importera de clarifier ce périmètre, peut-être en nous inspirant du modèle de la CRE, en reprenant les fondamentaux d'une autorité régulatrice des transports. Il n'est pas question de tout chambouler mais de compléter et de renouveler le sens des missions du régulateur. Une telle nécessité a été confirmée par la Cour des comptes et l'Autorité de la concurrence, et d'intéressantes réflexions sont menées en interne.
Quelques pistes : il faut d'abord mettre au cœur des missions de l'ART la question de la transition énergétique et écologique. Il relève de son champ de compétences de rendre les transports publics plus attractifs, de promouvoir la meilleure multimodalité possible, de faire en sorte que les péages des infrastructures soient aussi modérés que faire se peut, afin de contribuer à la décarbonation du secteur. Ce n'est pas expressément dit aujourd'hui.
Il faut également mettre au centre de ses missions la question du pouvoir d'achat des usagers en travaillant sur les coûts des modes de transport. C'est ce que fait l'ART dans le domaine autoroutier, mais il faut qu'il en soit de même dans d'autres secteurs.
Enfin, nous devons améliorer la qualité du service rendu aux usagers, notamment dans le domaine des infrastructures, mais aussi à travers une politique d'innovation – dont la concurrence est un puissant vecteur – et la performance de la multimodalité.
Les pouvoirs d'intervention de l'ART doivent donc être approfondis et harmonisés, sans forcément étendre sensiblement son périmètre. Il me semble important qu'un texte de loi définisse l'ART non pas tant comme un régulateur des modes de transport que comme un régulateur « du » transport. De la même manière, je serai très attaché au développement du rôle de l'ART au service des pouvoirs publics. Toutes les missions qu'elle exerce lui donnent un niveau d'expertise qui doit être mobilisé pour éclairer leurs décisions. Si vous me faites confiance, je m'engage à rendre compte devant vous peut-être plus systématiquement que ce n'était le cas de son action et de ses principaux travaux.
À titre personnel, je suis heureux que nous examinions une candidature à la présidence de l'ART, laquelle est vacante depuis juillet 2022. Je tiens à rendre hommage à la manière dont Philippe Richert a assumé la présidence par intérim depuis un an et demi.
Notre commission a déjà auditionné l'ART à plusieurs occasions. Philippe Richert nous en a présenté les travaux. Nous l'avons entendue dans le cadre de l'examen des crédits budgétaires du programme 203 Infrastructures et services de transports du projet de loi de finances et nous avons eu l'occasion de le faire pour le rapport d'évaluation de l'impact de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire.
Je me ferai l'avocat du diable. N'estimez-vous pas que, ces dernières années, l'ART a pour partie dépassé son champ de compétences, y compris en se saisissant de questions de programmation d'infrastructures dont elle n'est pas explicitement responsable ? Comment envisagez-vous l'exercice du cœur de métier de l'Autorité, qui est le contrôle de la régulation de la liberté d'accès et des tarifs s'agissant des infrastructures aéroportuaires ou de transports urbains, ferroviaires et routiers ?
Vous êtes un grand serviteur de l'État. Au cours de votre carrière, vous avez refusé de passer d'un secteur à l'autre pour servir des ambitions personnelles. Vous avez une parfaite connaissance du secteur aérien et des transports urbains, aéroportuaires et ferroviaires. Vous avez servi l'intérêt général et votre âge, pardon de le dire, vous dispense d'une ambition ultérieure à cette présidence. L'ART a besoin d'un président et le groupe Renaissance ne doute pas que vous ferez l'affaire. Nous soutiendrons donc votre candidature.
Depuis août 2022, l'Autorité de régulation des transports est dépourvue de président. Emmanuel Macron avait initialement choisi Marc Papinutti, dont les fonctions antérieures avaient suscité de vives interrogations parmi les élus que nous sommes. L'ART doit en effet jouir d'une totale indépendance, et son futur président devra examiner plusieurs questions cruciales pour l'avenir du secteur.
Comment envisagez-vous la fin des concessions autoroutières ? Pensez-vous que l'ART devra prendre position sur le choix entre la concession et la régie ? Cette décision aura des conséquences directes sur la qualité des infrastructures et sur le prix des péages.
Selon vous, l'Autorité de régulation des transports devra-t-elle participer activement à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien ? Quels sont les risques potentiels pour les usagers, en matière de continuité et de qualité du service ainsi que pour l'interconnexion informatique avec le réseau existant ?
Le Gouvernement a choisi de supprimer Fret SNCF pour créer une nouvelle entité. L'ART pourra-t-elle jouer un rôle de conseil et de contrôle dans cette transition, auprès du Gouvernement et de la SNCF, afin d'éviter de reproduire les erreurs du passé ?
Ces questions reflètent la complexité des défis que le domaine des transports doit relever. Votre vision sera essentielle pour guider l'ART vers des décisions éclairées et bénéfiques pour l'ensemble de la population.
Au vu de votre parcours, dont les six années à la tête de Voies navigables de France, les députés du groupe La France insoumise reconnaissent vos compétences dans le domaine des transports.
Ce secteur, à l'origine de 32 % des émissions de gaz à effet de serre, doit mener une transition écologique. Bien que le secteur routier en soit responsable à 94 %, les politiques publiques continuent de le favoriser. En juillet, un rapport de l'ART expliquait que les superprofits des sociétés concessionnaires autoroutières étaient la conséquence d'une sous-évaluation de la rentabilité et de la durée excessive des contrats. En janvier, Le Canard enchaîné dévoilait qu'un rapport de l'Inspection générale des finances évaluait à 60 % la surtarification des péages dans deux tiers du réseau, alors que depuis trois ans, les sociétés concessionnaires d'autoroutes ne paient pas la contribution volontaire exceptionnelle, qui s'élève à 60 millions d'euros par an. Les 55 milliards d'euros de dividendes qu'elles ont distribués en trente ans montrent soit que les négociations leur ont été trop avantageuses, auquel cas il est urgent d'y remédier, soit que les gouvernements néolibéraux ont mené des politiques trop favorables à la voiture, soit qu'il s'agit d'un racket organisé aux dépens de modes de transport plus écologiques comme le ferroviaire. Nous comptons sur vos éclaircissements.
Il faut développer massivement le train ; or la capitalisation a entraîné le déclin du fret. Nous devons développer les autoroutes ferroviaires, sans les donner en concession, et renforcer le réseau capillaire.
Nous espérons que l'expert du fret fluvial que vous êtes saura orienter l'ART dans une direction plus écologique que celle qu'elle suit, trop favorable à l'autoroute, et travaillera selon une approche pragmatique, détachée de l'influence des lobbys proroutiers. Pouvez-vous vous y engager ?
Depuis sa création en 2009, l'ART s'est imposée comme un régulateur sérieux et indépendant, qui ne craint pas de déranger le Gouvernement. Faisant économiser aux usagers 300 millions d'euros sur les péages d'autoroute et dénonçant le contrat de performance signé il y a un an entre l'État et la SNCF, elle a déjà fait profiter les Français des vertus de la concurrence.
L'indépendance doit être notre premier critère pour juger votre candidature. Nous attendrons de vous du courage et du franc-parler, ainsi que des compétences techniques, pour juger de questions particulièrement complexes.
Les moyens constituent la première condition de l'indépendance. Le Parlement vote le budget de l'ART, qui se monte à 15 millions d'euros pour 2024. Vous avez évoqué un montant de 18 millions d'euros : pourrez-vous rester en place si les crédits n'évoluent pas ?
Vous préconisez de soumettre les paramètres économiques et financiers des avenants aux concessions autoroutières à un avis conforme de l'ART, mais pas les montants des péages. Est-ce à dire que l'État est incapable de défendre ses intérêts, alors que ceux des usagers sont défendus de manière satisfaisante ? Faut-il aller jusqu'à publier les motivations de l'État lorsqu'il ne suit pas les avis de l'ART ?
Votre prédécesseur a proposé de demander aux concessionnaires de verser une soulte à l'État pour financer la décarbonation des autoroutes. Qu'en pensez-vous ?
S'agissant de SNCF Réseau, vous proposez d'annexer au contrat de performances une programmation des investissements. Dès lors que le financement repose sur des péages élevés et sur les recettes du train à grande vitesse, cette mesure sera-t-elle suffisante pour qu'il soit assuré à long terme ? Ne revient-il pas à la représentation nationale de s'en assurer ?
L'ART garantit une bonne concurrence entre les modes de transport. Que peut-elle proposer pour prendre en compte les enjeux climatiques ? Doit-elle également garantir la qualité et la continuité du service public, ainsi que la transition écologique ?
Après plusieurs mois d'incertitudes sur la succession de Bernard Roman à la tête de l'ART, les membres du groupe Démocrate ont grand plaisir à vous rencontrer. Nous saluons la qualité de l'intérim de M. Philippe Richert, mais nous avons trop longtemps attendu un pilote durable pour notre régulateur.
Vous avez abordé de nombreux sujets dans votre propos liminaire, et je vous en remercie. Certains parlementaires ont parfois exprimé des doutes sur le bien-fondé d'autres nominations envisagées, mais votre statut d'expert est incontestable. Ancien du ministère des transports, vous avez perfectionné vos compétences au Stif et chez Aéroports de Paris avant de prendre la barre de Voies navigables de France. Quel meilleur profil espérer pour diriger le gendarme des transports ? Soyez assuré du plein soutien de notre groupe.
S'agissant des enjeux actuels et des défis que l'ART doit relever, pourriez-vous nous faire part des discussions que vous avez eues avec MM. Roman et Richert et nous préciser vos orientations ? Comment voyez-vous l'ART aujourd'hui et où voulez-vous la mener ?
L'ouverture du train à la concurrence inquiète. Cela se comprend, quand on voit le résultat pour les autoroutes et le réseau de bus de la grande couronne de l'Île-de-France. Jamais la mise en concurrence de services collectifs n'a amélioré leur qualité. Nous allons désorganiser et paupériser un mode de transport dont nous avons plus que jamais besoin, puisqu'il est le plus écologique.
Dans vos réponses au questionnaire, vous plaidez pour l'ouverture à la concurrence, malgré les trente-neuf recommandations que l'ART a formulées il y a deux ans à peine. Ne faut-il pas mener une nouvelle étude pour évaluer si elle est seulement réalisable ?
Vous avez souligné l'importance de régénérer et de moderniser le réseau ferroviaire, dans un état alarmant après un quart de siècle de sous-investissement chronique, en particulier en comparaison du volume d'investissements consentis pour la route.
Il faut selon vous affiner le suivi des investissements de SNCF Réseau. Compte tenu de l'inflation des coûts, pensez-vous que les 300 millions d'euros affectés pour 2024 seront suffisants ?
En réponse au projet de taxe sur les sociétés concessionnaires d'autoroute et sur les grands aéroports, les premières menacent d'augmenter leurs tarifs – de 5 % pour Vinci. En ont-elles vraiment les moyens ? L'ART dispose-t-elle d'informations relatives à la fiabilité juridique de la taxe, alors que certains redoutent un risque contentieux ?
Les membres du groupe Horizons et apparentés saluent votre candidature ; votre carrière et la qualité de vos réponses au questionnaire montrent sa pertinence.
Eu égard aux évolutions du transport et des enjeux afférents, le rôle de l'ART est essentiel. L'élargissement de ses compétences ne peut que s'amplifier. Le déploiement des services express régionaux métropolitains (Serm), la fin des concessions autoroutières et surtout la décarbonation des transports sont autant de défis pour lesquels elle aura un rôle à jouer.
Vous avez souligné son rôle dans la transition écologique, en mentionnant trois aspects concrets : le développement indispensable de la multimodalité ; les investissements massifs nécessaires pour déployer les Serm ; et l'arrivée à terme des concessions de plus de 90 % du réseau autoroutier entre 2031 et 2036.
Pourriez-vous approfondir vos réflexions sur la fin des concessions autoroutières ?
Les autorités organisatrices de la mobilité ouvriront de nouvelles lignes ferroviaires. Dans quelle mesure participerez-vous à rédiger les appels d'offres avec intégration verticale, pour la gestion des infrastructures comme pour l'exploitation, et à déterminer les prix des péages ? Ces enjeux essentiels ont été évoqués lors de l'examen de la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains.
Notre groupe soutiendra votre candidature.
Les transports sont un pilier de notre quotidien et de notre société ; ils façonnent la vie individuelle et collective. De l'accès à l'emploi au service public, des interactions sociales aux événements culturels, ils sont la trame de nos territoires.
Les défis à relever sont proportionnels à leur importance, qu'il s'agisse de la qualité du service public, de la cohésion des zones rurales, périurbaines et métropolitaines, ou de l'émancipation de nos concitoyens. Une défaillance des transports met à mal l'égalité des chances et des territoires. La tentation croît d'imaginer une distance infranchissable entre des métropoles surdimensionnées et mondialisées, au sein desquelles on produirait la richesse, et des espaces dortoirs ou récréatifs, économies de seconde division condamnées à la redistribution.
Les seconds, traversés d'un sentiment d'abandon et d'injustice, deviennent le creuset de la désespérance. Pourtant, il n'y a pas de fatalité : une politique des transports au service d'une véritable égalité des territoires est possible. Nous devons par exemple rompre avec l'habitude de dépenser des milliards dans des lignes ferroviaires à grande vitesse qui traversent les territoires sans les irriguer et concentrent les investissements publics dans les grandes métropoles.
Le rôle de supervision et de régulation de l'ART est crucial : son futur président devra disposer d'une expertise avérée et d'une vision globale, afin de conjuguer transition écologique, décarbonation des déplacements et équilibre des territoires. Les membres du groupe Écologiste espèrent que vous partagez ces constats et serez capable de défendre une vision ambitieuse.
Vous possédez une large expérience. Néanmoins, vous êtes un fonctionnaire, alors que jusqu'à présent l'ART a plutôt été dirigée par des élus. Cela ne risque-t-il pas d'influencer vos prises de position ? Faut-il interpréter ce changement de paradigme comme l'annonce d'un changement de gouvernance ? Par ailleurs, vous exercez d'importantes responsabilités dans Voies navigables de France, où vous avez fait du bon travail : je m'étonne que vous les quittiez.
L'ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire est l'un des grands dossiers de l'ART. Quels sont selon vous les principaux points de blocage encore à surmonter, et à quels aspects faudra-t-il être attentif ?
Philippe Richert a souligné qu'il faudrait veiller à ce qu'on entend par le « bon état » dans lequel les infrastructures autoroutières devront être rendues à la fin des concessions. Comment procéderez-vous ?
Quelle est votre position concernant le secteur autoroutier concédé, alors qu'on annonce des hausses significatives des tarifs en 2025 ? L'ART s'est félicitée d'avoir évité aux usagers 5 % d'augmentation l'an passé. Que comptez-vous faire pour contenir les prix au cours des prochaines années ?
Comment analysez-vous l'état du système ferroviaire et les moyens prévus pour le rénover ? En juillet dernier, l'ART recommandait de renforcer le pilotage des investissements, grâce à un document de planification unique détaillé et transparent, régulièrement actualisé. Nous sommes nombreux ici à réclamer une telle visibilité. Comment l'ART y veillera-t-elle au cours des prochains mois ?
Enfin, la reprise du fret ferroviaire est-elle suffisante ?
Je ne pense pas, d'abord, que l'ART ait excédé son champ de compétences. Selon moi, assurer la régulation est déjà une bonne chose, mais le régulateur acquiert aussi dans sa tâche une connaissance de son domaine qu'il faut mettre à profit. Les pouvoirs publics s'appauvriraient en n'y recourant pas – l'exécutif, le législateur, les autorités organisatrices de transports. L'ouverture à la concurrence exige un travail considérable, j'en sais quelque chose : il faut changer de posture, acquérir de nouvelles compétences, modifier sa vision des choses. Il serait donc dommage que l'ART n'offre pas son expertise à la collectivité. En la matière, je partage pleinement son dernier rapport.
La fin des concessions constitue un changement majeur, qui implique une analyse approfondie. Ainsi, le concédant remet les ouvrages : quelle forme prendra le bilan de sortie ? Comme cela n'a jamais été fait ; l'ART peut aider à l'élaborer. Il faudra également vérifier que toutes les obligations du contrat ont été remplies, notamment que les investissements ont été réalisés, puisqu'ils ont été pris en compte pour déterminer les prix des péages et les durées des concessions. Enfin, il faut imaginer la suite. À mon avis, commencer maintenant, soit dix ans avant, ne serait pas du luxe. Il faudra aussi déterminer tous les scénarios possibles : ce n'est pas le rôle de l'ART, mais elle peut apporter un éclairage technique.
S'agissant de l'ouverture à la concurrence, je n'ai pas de religion. Je pense simplement qu'il est utile de rebattre les cartes régulièrement, comme chacun le fait dans la vie personnelle – je quitte peut-être VNF pour me mettre en concurrence avec moi-même, monsieur Bricout ! Je ne suis pas un fanatique de la concurrence, mais elle incite à innover, à repenser les modèles, à s'interroger sur la qualité de service et sur les coûts. En revanche, elle peut désorganiser le système, en créant des failles entre les modes et entre les opérateurs. Il faut donc réfléchir à la multimodalité, en particulier sous ses aspects de l'information et de la tarification. Cela suppose de créer entre les opérateurs davantage une coopétition qu'une compétition acharnée.
Il est impossible de dire si la concurrence a aggravé la situation du fret. Le repli que celui-ci connaît depuis les années 1970, sur le rail comme sur l'eau, est la conséquence d'une profonde mutation du système industriel. On peut constater toutefois que la mise en concurrence, déjà ancienne dans ce domaine, n'a pas permis son développement – plutôt une stabilisation. Une vingtaine d'opérateurs y participent désormais, la SNCF restant majoritaire.
On parle beaucoup des superprofits. Le rôle d'un régulateur n'est pas de juger, mais d'établir des faits ; l'ART s'y est employée dans ses rapports relatifs aux concessions autoroutières. Elle a montré que la rentabilité était peut-être supérieure aux prévisions, mais qu'elle pouvait s'expliquer par différents facteurs, notamment la couverture des risques. Il appartient ensuite aux décideurs de déterminer les mesures à prendre en considération des données fournies. Je ne commenterai donc pas l'opportunité de la taxe autoroutière et aéroportuaire : il existe des désaccords, peut-être des risques juridiques, et je n'ai pas les compétences pour en discuter. En revanche, je sais comment les concessions en vigueur prennent en charge les risques, en matière de construction, d'exploitation, de trafic et d'évolution fiscale. Ils n'occupent peut-être pas une place suffisante dans le dispositif actuel. Une réflexion sera nécessaire pour élaborer le système futur, probablement très différent, puisque même s'il s'agit de concessions, elles concerneront d'abord l'exploitation, non plus l'investissement.
Serai-je loin des lobbys ? Oui. Je l'ai toujours été, je ne vois pas pourquoi cela changerait. Le statut du président de l'ART comme ma situation personnelle, je l'ai dit, me donnent une grande indépendance. Les enquêtes de concurrence que j'ai évoquées m'ont appris ce que peuvent être les pressions. Et je n'ai jamais « pantouflé », même si j'en ai eu l'occasion.
J'espère avoir le courage et le franc-parler nécessaires. Dans le domaine fluvial, j'ai parfois dû défendre des positions difficiles. J'ai l'expérience de la paupérisation, mais notre programme d'investissements a été doublé. J'ai obtenu de haute lutte que VNF dispose d'un contrat d'objectifs et de performances, afin de poser les termes de la rénovation, du développement et de la modernisation des infrastructures et de pouvoir les suivre dans le temps. Ce fut une avancée.
Ayant travaillé au Stif, je considère que la question de la connexion des modes est primordiale dans le domaine des transports urbains et périurbains. Suivant l'intention du législateur, l'ART devra évidemment veiller à la place centrale de la multimodalité dans le développement des Serm, ainsi qu'à l'information, aux investissements ferroviaires et à la tarification.
L'ART n'est pas un dispositif stratosphérique uniquement préoccupé de grands équilibres : le coût et la qualité du service rendu sont pour elle des aspects essentiels. Un régulateur n'a pas à se prononcer sur tous les sujets, mais il doit agir pour que la mise en concurrence permette de les optimiser. Toujours dans ce champ de la régulation, la transition écologique constitue également un élément majeur.
Je pense, et j'ai pu le vérifier tout au long de ma carrière, qu'un haut fonctionnaire est indépendant, même lorsqu'il travaille pour le pouvoir exécutif. Il apporte un éclairage, la décision restant politique. Il m'est arrivé de discuter avec un ministre qui n'allait pas dans le même sens que les éléments techniques dont je disposais. Évidemment, je respecte les décisions prises, sans que cela altère mon indépendance. J'en ai également fait l'expérience lorsque les collectivités territoriales sont devenues des actrices du Stif. J'ajoute que je n'ai travaillé en ministère que dix années d'une longue carrière. Encore une fois, le statut qui sera le mien, si vous en êtes d'accord, garantira mon indépendance, d'autant que je n'aurai plus ensuite d'autre perspective professionnelle.
Enfin, je pense que l'avis de l'ART sur la planification des investissements est important. Mon expérience à VNF m'a appris qu'il s'agissait d'un élément indispensable pour éviter la paupérisation que nous avons évoquée.
L'ART joue un rôle essentiel, qu'il s'agisse de défendre les intérêts des usagers ou de développer les infrastructures de transport – et notre mobilité en général. Aussi ai-je soutenu l'augmentation de ses crédits en tant que rapporteure pour avis du programme 203, Infrastructures et services de transports, du projet de loi de finances pour 2024.
Vous avez expliqué le rôle de conseil que l'ART remplit auprès des services publics et vous avez souhaité que l'ouverture à la concurrence serve l'innovation et la qualité du service rendu. Pensez-vous que la concurrence puisse favoriser les territoires ruraux, notamment ceux dont les TGV ont été supprimés ? Conseillerez-vous à l'État de ne pas développer la mobilité uniquement en étoile à partir de Paris, mais aussi de façon transversale ?
Par la voix d'Emmanuel Grégoire, la Ville de Paris a annoncé la fermeture de la gare routière de Bercy-Seine, qui accueille pourtant 7 millions de voyageurs chaque année et permet à nos concitoyens d'accéder à des bus longue distance à tarifs modérés. À l'heure où il est nécessaire de diversifier les modes de transport en commun sans pénaliser les plus modestes et où la lutte contre l'autosolisme est une priorité pour les politiques publiques, cette décision est accueillie avec une grande circonspection. En effet, le report modal des voitures individuelles vers les transports en commun ne peut avoir lieu que s'il existe une offre pertinente et adaptée aux besoins des territoires. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports, a d'ailleurs saisi l'ART, estimant que la décision de la mairie de Paris était « non concertée et prise à la va-vite ».
Quelles sont vos intentions quant à ce dossier ?
Pourriez-vous nous donner un ou deux exemples de mesures concrètes qui permettraient d'encourager nos concitoyens à utiliser les modes de transport les plus vertueux ?
L'Ardèche est le seul département métropolitain privé de trains de voyageurs, alors qu'ils y ont circulé pendant un siècle. Le réseau ferroviaire existe, puisque des trains de fret sillonnent chaque jour la rive droite du Rhône, traversant de nombreux villages. La transition écologique est une impérieuse nécessité : les 330 000 Ardéchois devraient donc disposer d'une alternative à la voiture, d'une solution de mobilité durable. Comment faire cohabiter le fret et les voyageurs ? Comment l'ART peut-elle agir sur ce sujet ?
Selon un sondage réalisé par Opinionway pour Trainline en juillet dernier, 80 % des Français sont favorables à l'ouverture à la concurrence des lignes ferroviaires nationales, réalisée en France par la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire, dont j'ai été rapporteur pour avis à l'Assemblée nationale.
Contrairement à ce que nous avons entendu à l'époque, et encore parfois d'ailleurs, la concurrence, ça marche ! Sur la ligne Paris-Lyon, où elle est effective, le prix des billets a baissé de 44 % par rapport à 2019 ; entre Paris et Milan, la baisse est de 30 %.
La concurrence n'est pas encore généralisée, car les obstacles rencontrés par les opérateurs autres que la SNCF sont nombreux : manque de matériel roulant sur le marché, mais aussi prix des péages, plus élevés qu'ailleurs en Europe, ce qui n'incite pas les acteurs à s'engager, et enfin arbitrages sur les sillons. Ces deux derniers sujets relèvent de SNCF Réseau : comment entendez-vous vous assurer que la concurrence sera stimulée afin de faire baisser les tarifs pour les Français ?
Vous avez évoqué Fret SNCF. Le Gouvernement a fait le choix de supprimer cette entité pour en créer une nouvelle. L'ART doit-elle jouer un rôle de conseil en la matière, afin que les erreurs du passé ne soient pas reproduites ? Allez-vous accompagner, en toute indépendance, la SNCF et le Gouvernement dans cette transition ?
Ma seconde question sera plus personnelle : si le Parlement vous le confie, irez-vous au bout de votre mandat à la tête de l'ART ?
Dans le cadre de la proposition de loi relative à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP, il est question de confier à l'ART la compétence de règlement des différends sur le transfert des personnels de la RATP. La commission mixte paritaire se réunit ce soir et elle devra trancher. Cette mission ne serait pas absurde au vu du rôle de régulateur de l'ART, mais elle exige une expertise particulière et serait entièrement nouvelle pour l'Autorité, qui aurait en outre besoin des moyens financiers et humains adéquats. A contrario, en confiant le règlement de ces différends à une juridiction ordinaire, ne risquerions-nous pas d'alourdir la procédure ?
Plus globalement, ne faut-il pas refonder entièrement l'ART, en lui allouant les moyens nécessaires ?
L'ART a relevé dans le contrat de performance de SNCF Réseau pour 2021-2030 « un risque de spirale de paupérisation industrielle où le sous-investissement conduirait à une dégradation du réseau, qui entraînerait à son tour une attrition du trafic et des ressources du gestionnaire d'infrastructures ». Le plan de relance de 100 milliards d'euros permet-il d'écarter cette menace ? L'effort de modernisation et de régénération du réseau ne risque-t-il pas d'être contrarié par l'objectif de retour à l'équilibre à court terme de SNCF Réseau ?
L'ART a validé pour les années 2024 à 2026 une hausse de 8 % des péages, qui sont maintenant les plus élevés d'Europe. Qu'en est-il de l'optimisation du réseau et de la diminution des tarifs attendue par les usagers ?
Depuis sa création, l'ART a souvent dénoncé les mauvais avenants des contrats de concession d'autoroute et demandé que soit contenue la hausse des péages pour les usagers. Mais l'Autorité ne relève les erreurs de l'État qu'en bout de course. Que penseriez-vous de l'idée d'émettre un avis plus en amont sur ces négociations ?
Le Gouvernement vient d'inventer une taxe sur les infrastructures de transport destinée à drainer des ressources depuis la route vers le ferroviaire. Ce projet vous paraît-il conforme aux contrats actuels ?
Une baisse des péages est-elle compatible avec l'exigence de décarbonation ? L'acceptation par l'usager serait-elle plus importante à vos yeux ?
L'ART appelle souvent SNCF Réseau à développer une culture d'indépendance vis-à-vis du groupe public intégré SNCF, afin de rassurer les nouveaux entrants quant à son impartialité sur l'attribution des sillons et l'accès à l'infrastructure ferroviaire. Militerez-vous pour la limitation des emplois et des centres de maintenance mutualisés entre les deux entités, ou pour modifier la composition du conseil d'administration de SNCF Réseau ? Le recours à des accords-cadres pour répartir les sillons de façon pluriannuelle permettra-t-il d'éviter les manœuvres d'obstruction de la SNCF consistant à réserver des sillons sans les opérer, au détriment de ses concurrents ?
C'est un signalement de l'ART à la Commission européenne qui est à l'origine de la procédure engagée à l'encontre de Fret SNCF, qui risque désormais le démantèlement. L'application trop rigide des principes de la concurrence n'a-t-elle pas, en l'occurrence, joué contre la qualité et la continuité du service ?
La question de la desserte des territoires ruraux se pose, en effet. Elle est connue, mais pas facile à résoudre. L'évolution de la législation sur les Serm me paraît apporter un début de réponse.
Chaque mode a une zone de pertinence – c'est une idée que j'ai souvent défendue au sujet du fret fluvial. Aucun ne peut tout faire. Les transports ferroviaires sont lourds et capacitaires : il faut les utiliser comme tels et les adosser à d'autres moyens de transport, notamment routiers, de qualité, dans les territoires ruraux mais aussi périurbains. Sur la question des multimodalités, notre pays n'a pas toujours brillé… Nous devons relever le grand défi de l'articulation des offres, chacune dans sa zone de pertinence – la loi relative aux Serm va dans ce sens.
La gare de Bercy-Seine est un sujet important ; je sais que des réunions ont eu lieu. Il serait regrettable qu'elle ne puisse pas fonctionner au service des lignes d'autocars dites « Macron », car le secteur a émergé de façon forte, en réponse à une vraie demande. À la demande du ministre délégué chargé des transports, l'ART va mener un travail d'exploration et de discussion pour dégager toutes les solutions possibles. Cela ne veut pas dire que la gare de Bercy fonctionne bien : il faut aussi être attentif aux dysfonctionnements. Il est indispensable d'envisager le problème sous tous les angles et de poser les termes du débat : c'est un des rôles de l'entité indépendante qu'est l'ART. Sinon, nous risquerions que des opérateurs de lignes « Macron » qui estimeraient ne pas avoir les moyens d'accéder à la clientèle demandent l'accès aux gares routières des services conventionnés. Il y aurait nécessairement un contentieux, dont l'ART serait saisie. Nous avons donc tout intérêt à anticiper.
La concurrence montre ses effets positifs à l'étranger, où elle est plus étendue. En France, cela a été rappelé, les contrats de service public passés avec les régions permettent souvent de maîtriser les coûts tout en améliorant l'offre. L'arrivée de Trenitalia a fait augmenter l'offre – celle de la SNCF restant très importante – et diminuer les coûts.
La question de la cohabitation sur une même ligne du fret et des voyageurs, mais aussi des travaux, est classique – on en revient à la question de la zone de pertinence de chaque mode. L'ART n'est pas prescriptrice en la matière : c'est aux opérateurs qu'il revient de déterminer, avec SNCF Réseau, leurs besoins et l'organisation générale. En revanche, elle interviendrait si l'on constatait l'existence de pratiques anticoncurrentielles – des faux sillons, par exemple, comme cela a été évoqué, même si cela me paraît peu probable en l'occurrence.
Pour stimuler la concurrence dans le domaine ferroviaire, l'accès aux infrastructures doit être fluide. Dans le cas des services conventionnés, l'accès à l'information doit être fluide et suffisant. Le métier d'autorité organisatrice est important, je l'ai dit : il faut maîtriser l'information. En cas de mise en concurrence, les opérateurs doivent donc fournir toutes les informations nécessaires et souhaitables pour que la concurrence fonctionne de manière équitable.
Je ne pense pas que l'ART ait été sollicitée au sujet de l'entité qui remplacera Fret SNCF – je ne voudrais pas renforcer l'impression de M. Valence selon laquelle elle va déjà parfois trop loin ! Il est normal que l'État prenne des décisions et assume ses choix, sans que l'ART soit saisie nécessairement en amont.
Vous me demandez, monsieur Dragon, si j'irai jusqu'au bout de mon mandat – peut-être faites-vous allusion à mon âge ? Si je n'en avais pas l'intention, je ne serais pas devant vous ce matin. Et je suis d'une santé plutôt robuste !
S'agissant de l'ouverture à la concurrence des bus franciliens et des éventuels transferts de personnel, c'est un sujet difficile, très technique, sur lequel l'ART devra renforcer ses compétences. C'est un élément qui va incontestablement dans le sens d'une refondation de l'Autorité – peut-être le terme est-il trop fort : disons que nous devons nous interroger sur ses missions. J'ai déjà évoqué ce point. Il faut développer de nouvelles compétences, qui ne se recoupent pas toujours, ce qui pose la question des moyens et des ressources individuelles et collectives.
Les 100 milliards d'euros prévus pour le réseau ferroviaire seront-ils suffisants ? Je n'ai pas encore, je l'avoue, analysé précisément ce sujet. Ils vont à coup sûr dans le bon sens pour atteindre le meilleur niveau possible, notamment dans le cadre des Serm. La question sera celle de la traçabilité de ces financements complémentaires. Cela renvoie à ce que j'évoquais : un contrat de performance, une planification.
Les péages français sont-ils les plus élevés d'Europe ? Cela dépend des modes. Ils ne sont pas très hauts dans le fret : 4 % seulement des coûts totaux – mais c'est 25 % dans les services conventionnés et bien davantage dans les services librement organisés. Les péages ne sont donc pas forcément plus onéreux qu'ailleurs, mais ils ne sont pas partout répartis de la même façon – c'est un choix de chaque pays. Ce n'est pas le niveau du péage qui explique, à mon sens, la situation du fret ferroviaire ; il faut plutôt s'interroger sur l'accessibilité des infrastructures et des sillons nécessaires.
Je ne me prononcerai pas sur la taxe sur les concessions autoroutières et aéroports envisagée par le Gouvernement. Des difficultés juridiques se posent, que je n'ai pas de compétence particulière pour évoquer. La question que pose ce choix, qui s'appuie sur la rentabilité des sociétés concessionnaires et qui est une évolution fiscale importante, je l'ai déjà évoquée : c'est celle du partage de tous les risques qu'affronte un concessionnaire, autrement dit celle du coût de sortie. C'est à cela que nous devons réfléchir.
L'ART a publié très récemment un document sur les accords-cadres pluriannuels. C'est un outil important, notamment pour de nouvelles parties prenantes : ils permettent une visibilité à long terme sur les sillons, ce qui est indispensable pour disposer d'un plan d'affaires soutenable et donc convaincre des financeurs. Cela favorise ainsi la concurrence. C'est un sujet naissant, une piste intéressante, mais complexe.
J'espère avoir répondu à tous et le mieux possible.
Merci de vos réponses. Si votre nomination est approuvée par le Parlement, nous aurons certainement l'occasion de revenir ensemble sur les questions budgétaires.
Vous n'avez prononcé qu'une seule fois le mot « sûreté ». J'aurais aimé vous entendre sur le rôle de l'ART en matière de sûreté et de sécurité des transports.
Et il y a une question à laquelle vous n'avez pas répondu : quelles recommandations vos prédécesseurs vous ont-ils transmises ?
J'ai eu effectivement une longue discussion, très dense et très sympathique, avec Bernard Roman. Le président de l'ART est aussi membre du collège, ce qui lui donne un rôle particulier. Il m'a dit combien il avait été difficile pour lui de maîtriser ces dossiers techniques. Il a insisté sur le fait que l'ART joue à la fois un rôle de régulation – à tous les stades – et un rôle de tiers de confiance.
La sécurité ferroviaire relève de l'Établissement public de sécurité ferroviaire, avec lequel l'ART a un partenariat. L'Autorité ne joue donc pas un rôle moteur. Quant à la sûreté, nous sommes dans le domaine de la qualité du service : elle ne relève pas tant du régulateur que de la puissance publique et des opérateurs – elle est souvent mentionnée parmi leurs obligations dans les contrats.
Après le départ de M. Thierry Guimbaud, il est procédé au vote sur le projet de nomination, par appel nominal à la tribune et à bulletins secrets, les scrutateurs d'âge étant M. Damien Adam et Mme Charlotte Goetschy-Bolognese.
Les résultats du scrutin qui a suivi l'audition sont les suivants :
Nombre de votants | 47 |
Abstentions, bulletins blancs ou nuls | 5 |
Suffrages exprimés | 42 |
Pour | 42 |
Contre | 0 |
Informations relatives à la Commission
La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a désigné Mme Huguette Tiegna, rapporteure sur la pétition (n° 1999) « Abandon du projet d'autoroute Toulouse Castres A69/A680 ».
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mercredi 6 décembre 2023 à 11 h 05
Présents. - M. Damien Abad, M. Damien Adam, M. Henri Alfandari, Mme Anne-Laure Babault, M. Philippe Berta, M. Emmanuel Blairy, M. Jean-Yves Bony, M. Jorys Bovet, Mme Pascale Boyer, M. Guy Bricout, M. Anthony Brosse, M. Vincent Bru, Mme Danielle Brulebois, M. Fabrice Brun, M. Stéphane Buchou, M. Aymeric Caron, Mme Annick Cousin, Mme Catherine Couturier, M. Laurent Croizier, M. Stéphane Delautrette, M. Vincent Descoeur, M. Nicolas Dragon, Mme Sylvie Ferrer, M. Jean-Luc Fugit, Mme Charlotte Goetschy-Bolognese, M. Daniel Grenon, Mme Clémence Guetté, M. Yannick Haury, Mme Laurence Heydel Grillere, Mme Chantal Jourdan, Mme Florence Lasserre, Mme Sandrine Le Feur, M. Gérard Leseul, M. Jean-François Lovisolo, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Emmanuel Maquet, Mme Alexandra Masson, M. Jean-Paul Mattei, Mme Manon Meunier, M. Pierre Meurin, Mme Sophie Panonacle, Mme Christelle Petex-Levet, M. Bertrand Petit, M. Nicolas Ray, Mme Véronique Riotton, Mme Anne Stambach-Terrenoir, M. Jean-Pierre Taite, M. David Taupiac, M. Matthias Tavel, M. Vincent Thiébaut, M. Nicolas Thierry, Mme Huguette Tiegna, M. David Valence, M. Pierre Vatin, Mme Anne-Cécile Violland, M. Stéphane Vojetta, M. Hubert Wulfranc, M. Jean-Marc Zulesi
Excusés. - M. Gabriel Amard, M. Christophe Barthès, Mme Nathalie Bassire, M. José Beaurain, M. Jean-Victor Castor, M. Matthieu Marchio, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Marcellin Nadeau, M. Loïc Prud'homme
Assistaient également à la réunion. - M. Sylvain Carrière, M. Jean Terlier, M. Jean-Luc Warsmann