Je suis très honoré d'être devant vous ce matin pour répondre à la proposition du Président de la République. Elle a beaucoup de sens pour quelqu'un qui a consacré une bonne partie, voire l'essentiel de sa carrière aux transports, qui plus est à un moment stratégique. Je la reçois également avec une profonde humilité car je sais combien le rôle de l'ART dans ce secteur est essentiel, non seulement en France mais en Europe, où cette institution régulatrice est reconnue.
Mon expérience professionnelle me semble essentielle, s'agissant des missions que je serai le cas échéant amené à accomplir. J'ai beaucoup travaillé dans l'ensemble du secteur des transports, tant sur un plan stratégique, financier et juridique que sur un plan opérationnel, en particulier s'agissant du service rendu aux usagers professionnels ou individuels.
J'ai commencé ma carrière au ministère de l'économie en tant que commissaire en charge des enquêtes de concurrence, en particulier dans le domaine des travaux publics, pour le compte de ce qui s'appelait alors le Conseil de la concurrence.
À l'issue de ma scolarité à l'École nationale d'administration, j'ai rejoint le ministère de l'équipement, où je me suis occupé de la concession et du financement des autoroutes et autres ouvrages concédés. Il était alors question des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroute, les Semca.
Dans le cadre de ma mobilité statutaire, j'ai ensuite rejoint Aéroports de Paris, alors établissement public. Je m'y suis occupé de quelques grands dossiers stratégiques, dont l'extension des capacités des pistes de l'aéroport Charles-De-Gaulle, avec une enquête publique qui a duré un an, ce qui a impliqué de se mettre à l'écoute de tous les partenaires, dont les riverains. Pendant six ans, j'ai ensuite assuré la responsabilité opérationnelle de l'exploitation de cet aéroport, métier hautement opérationnel, avec la gestion de milliers d'agents et la prise en charge de situations de crise parfois extrêmes, comme l'accident du Concorde ou les suites en matière de sûreté aéroportuaire des attentats du 11 septembre 2001.
Je suis ensuite devenu directeur en charge des questions d'exploitation au Syndicat des transports d'Île-de-France (Stif), devenu Île-de-France Mobilités. J'y ai travaillé sur trois questions principales : les offres de transport, la qualité de service et la multimodalité.
J'ai rejoint le ministère des transports où j'ai notamment piloté la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, qui a notablement renforcé les compétences de l'Araf (Autorité de régulation des activités ferroviaires), devenue Arafer (Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières), puis ART. Et depuis 2017, j'ai le plaisir d'exercer les fonctions de directeur général de Voies navigables de France, l'opérateur national du réseau fluvial, secteur non régulé.
Je connais donc les problématiques de transport et de régulation dans le domaine autoroutier, aéroportuaire, ferroviaire, urbain et interurbain, et cela de différentes positions : concédant, gestionnaire d'infrastructures, autorité organisatrice, directeur d'administration centrale. J'ai veillé à cette diversité, toujours dans le secteur des transports et au service de l'État et de l'intérêt général. Cela me permettra d'être rapidement opérationnel à la présidence de l'ART et me donnera également les moyens d'une certaine indépendance technique et intellectuelle.
Je sais que cette question de l'indépendance vous préoccupe, à juste titre car elle est consubstantielle à l'ART. Ma carrière de haut fonctionnaire au service des transports a certes été longue, mais elle s'achève. Je n'ai plus aucune perspective, au-delà de l'ART. Dès lors, je ne serai pas sensible aux pressions, de quelque nature ou origine que ce soit. Si je n'avais pas été dans cette situation, je ne me serais pas porté candidat.
Mon indépendance se lit dans mon parcours. Je n'ai jamais rejoint un établissement ou une entreprise auxquels j'aurais eu affaire en tant qu'autorité de tutelle ou donneur d'ordre. Je n'ai pas davantage travaillé dans des cabinets ministériels.
Enfin, en tant que directeur général de Voies navigables de France depuis plus de six ans, je n'ai eu à connaître d'aucun dossier d'un secteur régulé et je n'aurai donc jamais à me déporter dans l'exercice de mon mandat.
L'indépendance, c'est aussi une question d'attitude individuelle. J'ai eu bien souvent l'occasion d'en faire preuve. Pour prendre quelques exemples, j'ai mené des enquêtes de concurrence dans de grandes entreprises, avec, parfois, des moyens et des enjeux qui ne l'étaient pas moins, pour le compte de l'autorité de la concurrence de l'époque – je rappelle que c'est le rapport signé par la personne qui a mené l'enquête, et elle seule, qui fait foi. J'ai participé aux premières loges à une opération complexe de décentralisation d'une autorité organisatrice de transport, le Stif, passé d'établissement public de l'État rattaché au ministère des transports à établissement public local, au service de la région, des départements et des collectivités franciliennes. Plus récemment, j'ai défendu les intérêts de l'établissement public VNF afin d'obtenir des moyens, des crédits, des contrats d'objectifs qui ne s'assurent pas sans une forte volonté et une certaine indépendance. Je me suis d'ailleurs souvent appuyé pour cela sur le Parlement, qui se montre très à l'écoute des sujets fluviaux, ou sur le Conseil d'orientation des infrastructures concernant la question des investissements, lesquels ont doublé depuis trois ans. Là encore, il faut être loyal à l'endroit de sa mission, ce qui suppose de faire preuve d'indépendance.
Je m'engage évidemment à faire la même chose à la tête de l'ART, comme le garantit d'ailleurs le statut de son président. J'ajoute que les décisions y sont prises en collégialité et que je veillerai à ce que cela soit toujours le cas. Il va de soi qu'un président ne décide pas seul, quoiqu'il endosse une responsabilité particulière de représentation « politique » et technique.
S'agissant des grands enjeux et défis que je pressens, je ferai preuve d'abord d'humilité et de prudence. Je suis tout à fait conscient que la régulation économique sectorielle est un métier en soi, que je devrai apprendre en discutant avec les services de l'ART, les membres du collège et toutes les parties prenantes, dont le Parlement. Un dialogue élargi, plus qu'ailleurs, y est nécessaire.
L'ART a trouvé sa place, comme en attestent la qualité de son travail, très pointu dans les domaines juridique, économique et technique, la solidité de ses analyses indépendantes et très fouillées – qui en font un tiers de confiance pour l'ensemble des acteurs de la conduite des dossiers de politique publique qui relèvent de son champ de compétence s– ainsi que la confirmation quasi systématique de ses décisions lorsque des recours contentieux sont lancés. Le dernier rapport de la Cour des comptes et le rapport encore plus récent de l'Autorité de la concurrence vont dans le même sens. Si vous m'accordez votre confiance, ma première mission consistera évidemment à préserver et à développer ces acquis. Je suis bien placé pour savoir à quel point le chemin parcouru, depuis la loi de 2014, est important.
Néanmoins, la place de l'ART est menacée – et j'emploie ce mot à dessein – parce que les moyens, notamment budgétaires, de son indépendance commencent à manquer d'une manière très préoccupante. Je sais que vous en êtes conscients, comme en atteste la discussion du projet de loi de finances pour 2024. Son fonds de roulement est arrivé à son étiage. Le mandat que je me donnerai serait que l'ART obtienne les moyens de son indépendance. Elle a de lourdes responsabilités et doit être capable d'y faire face, y compris en développant ses équipements et ses systèmes d'information, compte tenu de la masse de données à gérer. Globalement, le besoin est d'environ 18 millions d'euros, en tenant compte de l'indispensable productivité à assurer, comme pour tout établissement public. On en est loin. Ces dotations doivent être mises en rapport avec ce que permet d'obtenir l'ART – par exemple, en 2022, une réduction des hausses des péages autoroutiers de 28 millions d'euros.
Outre cette question cruciale des moyens, il faut sans doute s'attacher à celle des compétences de l'ART. Ces dernières se sont peu à peu étendues, en « taches de léopard », de façon fondée : après le fer, les aéroports, les bus longue distance, les autoroutes, la multimodalité… Chaque fois, l'Autorité a su faire face. Reste que son périmètre n'est pas forcément très clair. En tout cas, son niveau d'intervention diffère d'un mode à l'autre : assez approfondi dans le domaine ferroviaire, plus « léger » dans le domaine aéroportuaire ou autoroutier. Il m'importera de clarifier ce périmètre, peut-être en nous inspirant du modèle de la CRE, en reprenant les fondamentaux d'une autorité régulatrice des transports. Il n'est pas question de tout chambouler mais de compléter et de renouveler le sens des missions du régulateur. Une telle nécessité a été confirmée par la Cour des comptes et l'Autorité de la concurrence, et d'intéressantes réflexions sont menées en interne.
Quelques pistes : il faut d'abord mettre au cœur des missions de l'ART la question de la transition énergétique et écologique. Il relève de son champ de compétences de rendre les transports publics plus attractifs, de promouvoir la meilleure multimodalité possible, de faire en sorte que les péages des infrastructures soient aussi modérés que faire se peut, afin de contribuer à la décarbonation du secteur. Ce n'est pas expressément dit aujourd'hui.
Il faut également mettre au centre de ses missions la question du pouvoir d'achat des usagers en travaillant sur les coûts des modes de transport. C'est ce que fait l'ART dans le domaine autoroutier, mais il faut qu'il en soit de même dans d'autres secteurs.
Enfin, nous devons améliorer la qualité du service rendu aux usagers, notamment dans le domaine des infrastructures, mais aussi à travers une politique d'innovation – dont la concurrence est un puissant vecteur – et la performance de la multimodalité.
Les pouvoirs d'intervention de l'ART doivent donc être approfondis et harmonisés, sans forcément étendre sensiblement son périmètre. Il me semble important qu'un texte de loi définisse l'ART non pas tant comme un régulateur des modes de transport que comme un régulateur « du » transport. De la même manière, je serai très attaché au développement du rôle de l'ART au service des pouvoirs publics. Toutes les missions qu'elle exerce lui donnent un niveau d'expertise qui doit être mobilisé pour éclairer leurs décisions. Si vous me faites confiance, je m'engage à rendre compte devant vous peut-être plus systématiquement que ce n'était le cas de son action et de ses principaux travaux.