Je ne pense pas, d'abord, que l'ART ait excédé son champ de compétences. Selon moi, assurer la régulation est déjà une bonne chose, mais le régulateur acquiert aussi dans sa tâche une connaissance de son domaine qu'il faut mettre à profit. Les pouvoirs publics s'appauvriraient en n'y recourant pas – l'exécutif, le législateur, les autorités organisatrices de transports. L'ouverture à la concurrence exige un travail considérable, j'en sais quelque chose : il faut changer de posture, acquérir de nouvelles compétences, modifier sa vision des choses. Il serait donc dommage que l'ART n'offre pas son expertise à la collectivité. En la matière, je partage pleinement son dernier rapport.
La fin des concessions constitue un changement majeur, qui implique une analyse approfondie. Ainsi, le concédant remet les ouvrages : quelle forme prendra le bilan de sortie ? Comme cela n'a jamais été fait ; l'ART peut aider à l'élaborer. Il faudra également vérifier que toutes les obligations du contrat ont été remplies, notamment que les investissements ont été réalisés, puisqu'ils ont été pris en compte pour déterminer les prix des péages et les durées des concessions. Enfin, il faut imaginer la suite. À mon avis, commencer maintenant, soit dix ans avant, ne serait pas du luxe. Il faudra aussi déterminer tous les scénarios possibles : ce n'est pas le rôle de l'ART, mais elle peut apporter un éclairage technique.
S'agissant de l'ouverture à la concurrence, je n'ai pas de religion. Je pense simplement qu'il est utile de rebattre les cartes régulièrement, comme chacun le fait dans la vie personnelle – je quitte peut-être VNF pour me mettre en concurrence avec moi-même, monsieur Bricout ! Je ne suis pas un fanatique de la concurrence, mais elle incite à innover, à repenser les modèles, à s'interroger sur la qualité de service et sur les coûts. En revanche, elle peut désorganiser le système, en créant des failles entre les modes et entre les opérateurs. Il faut donc réfléchir à la multimodalité, en particulier sous ses aspects de l'information et de la tarification. Cela suppose de créer entre les opérateurs davantage une coopétition qu'une compétition acharnée.
Il est impossible de dire si la concurrence a aggravé la situation du fret. Le repli que celui-ci connaît depuis les années 1970, sur le rail comme sur l'eau, est la conséquence d'une profonde mutation du système industriel. On peut constater toutefois que la mise en concurrence, déjà ancienne dans ce domaine, n'a pas permis son développement – plutôt une stabilisation. Une vingtaine d'opérateurs y participent désormais, la SNCF restant majoritaire.
On parle beaucoup des superprofits. Le rôle d'un régulateur n'est pas de juger, mais d'établir des faits ; l'ART s'y est employée dans ses rapports relatifs aux concessions autoroutières. Elle a montré que la rentabilité était peut-être supérieure aux prévisions, mais qu'elle pouvait s'expliquer par différents facteurs, notamment la couverture des risques. Il appartient ensuite aux décideurs de déterminer les mesures à prendre en considération des données fournies. Je ne commenterai donc pas l'opportunité de la taxe autoroutière et aéroportuaire : il existe des désaccords, peut-être des risques juridiques, et je n'ai pas les compétences pour en discuter. En revanche, je sais comment les concessions en vigueur prennent en charge les risques, en matière de construction, d'exploitation, de trafic et d'évolution fiscale. Ils n'occupent peut-être pas une place suffisante dans le dispositif actuel. Une réflexion sera nécessaire pour élaborer le système futur, probablement très différent, puisque même s'il s'agit de concessions, elles concerneront d'abord l'exploitation, non plus l'investissement.
Serai-je loin des lobbys ? Oui. Je l'ai toujours été, je ne vois pas pourquoi cela changerait. Le statut du président de l'ART comme ma situation personnelle, je l'ai dit, me donnent une grande indépendance. Les enquêtes de concurrence que j'ai évoquées m'ont appris ce que peuvent être les pressions. Et je n'ai jamais « pantouflé », même si j'en ai eu l'occasion.
J'espère avoir le courage et le franc-parler nécessaires. Dans le domaine fluvial, j'ai parfois dû défendre des positions difficiles. J'ai l'expérience de la paupérisation, mais notre programme d'investissements a été doublé. J'ai obtenu de haute lutte que VNF dispose d'un contrat d'objectifs et de performances, afin de poser les termes de la rénovation, du développement et de la modernisation des infrastructures et de pouvoir les suivre dans le temps. Ce fut une avancée.
Ayant travaillé au Stif, je considère que la question de la connexion des modes est primordiale dans le domaine des transports urbains et périurbains. Suivant l'intention du législateur, l'ART devra évidemment veiller à la place centrale de la multimodalité dans le développement des Serm, ainsi qu'à l'information, aux investissements ferroviaires et à la tarification.
L'ART n'est pas un dispositif stratosphérique uniquement préoccupé de grands équilibres : le coût et la qualité du service rendu sont pour elle des aspects essentiels. Un régulateur n'a pas à se prononcer sur tous les sujets, mais il doit agir pour que la mise en concurrence permette de les optimiser. Toujours dans ce champ de la régulation, la transition écologique constitue également un élément majeur.
Je pense, et j'ai pu le vérifier tout au long de ma carrière, qu'un haut fonctionnaire est indépendant, même lorsqu'il travaille pour le pouvoir exécutif. Il apporte un éclairage, la décision restant politique. Il m'est arrivé de discuter avec un ministre qui n'allait pas dans le même sens que les éléments techniques dont je disposais. Évidemment, je respecte les décisions prises, sans que cela altère mon indépendance. J'en ai également fait l'expérience lorsque les collectivités territoriales sont devenues des actrices du Stif. J'ajoute que je n'ai travaillé en ministère que dix années d'une longue carrière. Encore une fois, le statut qui sera le mien, si vous en êtes d'accord, garantira mon indépendance, d'autant que je n'aurai plus ensuite d'autre perspective professionnelle.
Enfin, je pense que l'avis de l'ART sur la planification des investissements est important. Mon expérience à VNF m'a appris qu'il s'agissait d'un élément indispensable pour éviter la paupérisation que nous avons évoquée.